L’abbé Hubert Fleury (1933–2022), une longue fidélité.

M. l'abbé Fleury aux côtés de Mgr de Galarreta, le 2 février 1994 à Flavigny, à l'occasion des prises de soutane.

Le 19 mai 2022 au matin, le bon Dieu a rap­pe­lé à lui l’abbé Hubert Fleury, prêtre dio­cé­sain qui était en poste à Marzy (à côté de Nevers, dans la Nièvre) depuis 1963.

La mala­die a eu rai­son de son cou­rage et de sa téna­ci­té qui lui don­naient tou­jours l’espoir de retrou­ver son église, sa paroisse Saint-André.

Il y avait célé­bré sa pre­mière messe domi­ni­cale le 29 sep­tembre 1963, fête de saint Michel, nom­mé par Mgr Patrice Flynn (1874–1970), l’évêque de Nevers qui l’avait ordon­né prêtre le 29 juin 1957, après avoir sui­vi ses études ecclé­sias­tiques au grand sémi­naire de Nevers. 65e année de sacer­doce, 59e année de pré­sence à Marzy ! Cette fidé­li­té sacer­do­tale force le res­pect et oblige tous ceux qui l’ont connu à une expres­sion de gra­ti­tude, à des prières pour le repos de son âme, à un hom­mage pour le cou­ra­geux et vaillant défen­seur de la foi que fut l’abbé Fleury.

Nombreux furent d’ailleurs les parois­siens et anciens parois­siens venus prier pour lui le jour de ses obsèques, le 23 mai 2022, la messe étant célé­brée par l’abbé Dominique Rousseau (prêtre ayant appar­te­nu à la FSSPX et lui-​même ancien parois­sien de Marzy). Ayant moi-​même fré­quen­té régu­liè­re­ment cette paroisse de 1975 jusqu’à mon entrée au sémi­naire (1993) et mon ordi­na­tion sacer­do­tale (1999), je res­sens la perte que connaissent les der­niers fidèles de tous âges qui l’auront connu et assis­té jusqu’à sa mort. Je mesure aus­si ce que je dois à ce prêtre, à cette paroisse, à cette église de Marzy. De nom­breux sou­ve­nirs se bous­culent et remontent à ma mémoire, des visages, des noms de fidèles qui nous ont quit­tés, mais aus­si de tous ceux qui se sont dévoués jusqu’au bout dans cette vie parois­siale, une paroisse unique, brû­lant de la flamme vivante du culte catho­lique, éton­nante sur­vi­vance d’un temps disparu.

Nous gar­de­rons de l’abbé Fleury le sou­ve­nir de la grande digni­té avec laquelle il célé­brait la sainte messe, dans une cer­taine intem­po­ra­li­té, une sus­pen­sion du temps, comme un lien tan­gible avec l’éternité, loin de ces messes pré­ci­pi­tées qui dénotent une rou­tine ecclé­sias­tique chez cer­tains prêtres oublieux de la réa­li­té sacrée qu’ils accom­plissent. Recueillement et pro­fon­deur dans l’accomplissement des gestes litur­giques, atten­tion aux textes et médi­ta­tion du chant gré­go­rien dont il était épris et qu’il cher­chait à com­mu­ni­quer… il est dif­fi­cile de résu­mer les impres­sions qui se déga­geant de ce que nous avons connu à Marzy.

Lorsque l’abbé Fleury est arri­vé dans sa paroisse en 1963, c’était l’époque du concile Vatican II (1962–1965). Le pape Jean XXIII venait de mou­rir en juin 1963 et le Cardinal Montini lui avait suc­cé­dé au Souverain Pontificat, quelques jours plus tard. Le nou­veau pape Paul VI pré­pa­ra alors la deuxième ses­sion du concile et très vite « l’esprit du concile » souf­fla sur l’Eglise, enchaî­nant l’abandon de tout ce qui consti­tuait la vie tra­di­tion­nelle de l’Eglise : caté­chisme, sacre­ments, esprit de mor­ti­fi­ca­tion, culte des saints… Un tour­billon révo­lu­tion­naire rin­gar­di­sait la pra­tique reli­gieuse des paroisses et cha­cun y ajou­tait une touche per­son­nelle de sa créa­ti­vi­té liturgique.

Les rares parois­siens de l’église Saint-​André de Marzy venus accueillir leur nou­veau prêtre ce 29 sep­tembre 1963 ne se dou­taient pas qu’ils allaient connaître l’une des plus longues pré­sences de qua­si curé à la tête de leur clo­cher. Ils igno­raient que l’église romane du XIIe siècle dédiée à saint André devien­drait un lieu de pré­ser­va­tion de la messe tra­di­tion­nelle quelques années plus tard, mais aus­si la der­nière paroisse dio­cé­saine à gar­der la messe dite de Saint Pie V, contre vents et marées, en l’occurrence épis­co­paux, défen­dant avec le culte catho­lique l’esprit de paroisse, la solen­ni­té du culte domi­ni­cal et, pen­dant des années, les vêpres chantées.

En sep­tembre 1963, le nou­veau venu venait de fêter ses 30 ans et déjà 6 ans de sacer­doce. En pre­mière affec­ta­tion, il avait été nom­mé pro­fes­seur au petit-​séminaire de Nevers, puis vicaire à l’église Saint-​Jacques de Cosne-​sur-​Loire, ensuite aumô­nier du col­lège catho­lique de Saint-​Didier-​en-​Velay. Enfin, il avait rejoint la cathé­drale d’Auxerre, comme vicaire, où il retrou­vait Mgr Frédéric Lamy (1887–1976), arche­vêque de Sens-​Auxerre qui pren­drait sa retraite fin 1962 et qui avait joué un rôle déci­sif dans sa vie spirituelle.

Dans toutes les églises, les réformes litur­giques se suc­cé­daient rapi­de­ment, tou­chant des usages antiques, dérou­tant et cho­quant bon nombre de fidèles, condui­sant le cler­gé à tou­jours plus d’audaces « pro­gres­sistes », irres­pec­tueuses du sens de la foi des chré­tiens et de la Tradition bimil­lé­naire de l’Eglise. L’abbé Fleury entra lui aus­si dans le mou­ve­ment mais il se ren­dit compte rapi­de­ment qu’avec la nou­velle messe de Paul VI (1969) la foi était sérieu­se­ment mise en dan­ger. Il com­prit la dérive et réagit. Tout ce qui avait pré­pa­ré cette messe impré­gnée d’idées pro­tes­tantes ron­geait peu à peu la sève de la vie chré­tienne, cor­rom­pait la foi tout sim­ple­ment, consti­tuant une menace pour le salut des âmes. Et parce que l’expression de la litur­gie est en lien étroit avec le conte­nu de la foi, il se réso­lut à renouer avec la litur­gie tra­di­tion­nelle de l’Eglise et ne l’abandonna plus, jusqu’à sa der­nière messe, célé­brée le 1er mai 2022. 

Il se fixa sur la litur­gie romaine qui, d’une part, emprun­tait aux temps pré­cé­dant le mou­ve­ment litur­gique du XXe siècle et, d’autre part, était mar­quée par l’influence béné­dic­tine qui l’avait tou­ché au point de deve­nir oblat de la Pierre-​qui-​Vire (abbaye fon­dée en 1850 par le Père Jean-​Baptiste Muard, dans l’Yonne, au dio­cèse de Sens-​Auxerre) et qui lui avait fait son­ger étant jeune à la voca­tion monas­tique. L’abbé Fleury en avait tou­jours gar­dé le goût du chant gré­go­rien et de la psal­mo­die. Le chant de l’office de Tierce pré­cé­da long­temps la messe domi­ni­cale à Marzy.

C’est donc dans cette église Saint-​André que l’on pou­vait encore voir célé­brée la semaine sainte selon le rite anté­rieur à la réforme opé­rée par Pie XII en 1955. C’est à Marzy que demeu­rèrent pen­dant de nom­breuses années les pro­ces­sions des Rogations, mais sur­tout les Fête-​Dieu dont les repo­soirs qui accueillaient le Saint-​Sacrement étaient pré­pa­rés, dans la mesure du pos­sible, chez des habi­tants qui avaient un enfant ayant fait sa com­mu­nion solen­nelle le dimanche pré­cé­dent, à la fête de la Sainte-​Trinité. L’abbé Fleury avait res­tau­ré les confré­ries de sainte Agathe pour les dames et de saint Vincent, patron des vigne­rons pour les hommes, avec leur messe annuelle res­pec­tive et leur par­ti­ci­pa­tion en corps consti­tués pour toutes les grandes céré­mo­nies et pro­ces­sions. On se sou­vient aus­si des béné­dic­tions de la Saint-​Christophe, à la fin du mois de juillet, où toutes sortes de véhi­cules (dont quelques petits avions qui décol­laient de l’aérodrome voi­sin et sur­vo­lait l’église à plu­sieurs reprises…) mais aus­si des ani­maux domes­tiques soi­gneu­se­ment déco­rés ou fleu­ris, défi­laient fiè­re­ment devant le par­vis pour obte­nir la béné­dic­tion du célé­brant. La dévo­tion répa­ra­trice des 9 pre­miers ven­dre­dis du mois au Sacré-​Cœur et celle des 5 pre­miers same­dis du mois au Cœur imma­cu­lé de Marie étaient pra­ti­quées depuis long­temps. Très tôt la paroisse avait été consa­crée à saint Michel archange, au Mont-​Saint-​Michel, et, dans les années 1980 au Cœur imma­cu­lé de Marie.

La décou­verte du com­bat de pré­ser­va­tion du sacer­doce catho­lique et de la sainte messe mené par Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) et la FSSPX qu’il avait fon­dée en 1970 ren­for­cèrent sa réso­lu­tion de main­te­nir le bon com­bat de la foi et de gar­der la cap de la fidé­li­té à la Tradition. L’abbé Fleury se ren­dit régu­liè­re­ment à Ecône pour les ordi­na­tions sacer­do­tales. Présent à mon sous-​diaconat, il fut mon prêtre assis­tant lors de la céré­mo­nie d’ordination sacer­do­tale, tan­dis qu’il fêtait lui-​même le 42e anni­ver­saire de son sacer­doce. Le dimanche sui­vant, il m’ouvrait sa belle église de Marzy pour que j’y célèbre ma pre­mière messe domi­ni­cale, retrou­vant une com­mu­nau­té de fidèles tou­jours vaillante dont beau­coup étaient venus à Ecône. En sep­tembre 2013, l’abbé Fleury m’invita à prê­cher à la messe du 50e anni­ver­saire de sa pré­sence à Marzy. L’enfant de la paroisse pou­vait ain­si rendre à son curé un hom­mage sacer­do­tal et reconnaissant.

L’abbé Fleury avait un carac­tère trem­pé, par­fois abrupt, inti­mi­dant au pre­mier abord. Il n’hésitait pas à rudoyer les fidèles, comme pour tes­ter leur obéis­sance et leur fidé­li­té. Mais ceux qui en accep­taient les aspé­ri­tés savaient que ces traits cachaient une per­son­na­li­té sen­sible, atten­tive aux sou­cis de ses ouailles, gar­dant en mémoire les bles­sures de leurs vies, cher­chant à les en gué­rir, ayant appris à patien­ter pour que les âmes s’ouvrent à Dieu, recen­trant tout sur la sainte Messe et y réunis­sant son trou­peau com­po­sé de fidèles venus sou­vent de loin. En effet, une par­tie des habi­tants de Marzy dédai­gnait ce prêtre d’un autre âge et se plai­gnait de ne pas avoir des offices modernes, moins longs, mais ils s’inclinaient devant sa per­son­na­li­té et ses exi­gences qui for­çaient le respect.

Les déboires qu’il connut avec ses évêques suc­ces­sifs ont bles­sé inté­rieu­re­ment l’abbé Fleury. Attaché à son sta­tut de prêtre dio­cé­sain, à son cher dio­cèse de Sens-​Auxerre puis de Nevers, il accep­ta cepen­dant d’être ostra­ci­sé plu­tôt que de renon­cer à la défense de la vraie messe et de tout ce qu’elle irrigue dans la vie chré­tienne. En 2015, l’intégration de Marzy à un énième regrou­pe­ment parois­sial, dont le nou­veau curé nom­mé impo­sa pro­vi­soi­re­ment la célé­bra­tion de la nou­velle messe le same­di soir, pré­lu­da à la res­tric­tion de minis­tère que l’évêque de Nevers impo­sa à l’abbé Fleury. On ne lui accor­da plus que le droit de célé­brer la messe. Nul doute que ces per­sé­cu­tions conti­nuelles aient contri­bué à alté­rer sa san­té, sans pour autant pou­voir enta­mer sa déter­mi­na­tion à mener jusqu’au bout le com­bat de la foi, sans com­pro­mis­sion avec les auto­ri­tés reli­gieuses dès lors qu’elles cor­rompent la foi de tou­jours. L’abbé Fleury a été inhu­mé dans le caveau de sa mère, au cime­tière de Lury-​sur-​Arnon, dans le Cher, petit vil­lage situé au sud de Vierzon. Sa dis­pa­ri­tion laisse des parois­siens orphe­lins, une église vide, des cœurs désem­pa­rés. Que le tra­vail accom­pli par l’ouvrier à la Vigne du Seigneur conti­nue d’inspirer la vie chré­tienne de ceux qui l’ont connu. Que ceux-​ci res­tent fidèles à la sainte messe et par elle au com­bat de la foi catho­lique, sans se lais­ser cap­ter par les séduc­tions de la reli­gion qui détrône le Christ-​Roi et pro­meut l’œcuménisme des­truc­teur de la foi. Que sainte Bernadette qui repose à quelques kilo­mètres de l’église Saint-​André obtienne de la Vierge Immaculée la pro­tec­tion des âmes de cette belle paroisse pour qu’elles trans­mettent à leur tour ce sens de la fidé­li­té dont l’abbé Hubert Fleury demeure un exemple sacerdotal.