S’il y a eu un commencement au salut du genre humain, c’est bien dans l’Incarnation qu’il s’est fait. Mais cette incarnation fut précédée d’une annonciation. Les grandes choses en effet se préparent. Il y eut d’abord cette annonciation lointaine, celle des prophètes, celle des divines promesses. Il y eut alors cette annonciation immédiate, la communication mystérieuse transmise de la part de Dieu à Marie, puis l’acceptation sans réserve de la Très Sainte Vierge Marie. Et le Verbe se fit chair et il habita parmi nous. Il y habite encore, car Il se continue dans l’Eglise et par Elle. Dans l’Eglise il se continue surtout par le sacerdoce.
N’y a‑t-il pas aussi, dans la clarté ou le mystère, un désir formulé à une âme de mère ? une proposition ainsi faite par une voix secrète, celle de l’ange ? A cette proposition il y a parfois un refus, parfois une acceptation, un consentement qui se donnent ou ne se donnent pas. Il y a des générosités maternelles mais aussi des lâchetés maternelles.
« Il y a des portes de maison où l’ange ne frappe pas : ce sont les cœurs de mères où le sacerdoce des fils ne naîtra jamais.
Il y a des portes de maison derrière lesquelles l’ange est attendu par une âme maternelle toute en rêve sacerdotal. Et il ne frappe pas : ce sont les cœurs de mères où le sacerdoce du fils naîtra, grandira sans aller jusqu’à la maturité.
Il y a des portes de maison où l’ange frappe et attend. Mais on ne lui ouvre pas : ce sont les cœurs de mères où le sacerdoce des fils meurt, tué.
Il y a des portes de maison où il frappe, parce qu’on le suppliait de venir. On ouvre. Il entre. Il est reçu avec amour. Et quand il remonte à son éternité, il emporte avec lui, à Dieu, le « oui » des acceptations joyeuses : ce sont les cœurs des mères où le sacerdoce des fils naît, grandit et arrive à maturité ».
Les cœurs stériles
Je pense alors à ces cœurs de mères dans lesquels le sacerdoce d’un fils semble ne devoir jamais naître parce qu’il y manque quelque chose. Il manque chez cette mère, rien que le fait d’y penser, que ce problème se pose quelque peu dans sa conscience ; il manque à cette mère une attention aux réalités du monde invisible. Il lui manque la foi en Jésus-Christ et à son œuvre, à l’Eglise et à sa mission. Il lui manque le sens des valeurs morales. A‑t-elle jamais pensé qu’il pouvait y avoir ici bas pour ses enfants, une vie à base de désintéressement, l’honneur coûteux d’être utile en se sacrifiant ? A‑t-elle jamais pensé que la conquête d’une âme pour Dieu était plus que la conquête d’une fortune pour soi ? Aussi longtemps que cette mère ignorera ces grandes choses, ou dédaignera d’y penser, aussi longtemps que sa maison sera trop close à Dieu ou trop ouverte à d’autres, le sacerdoce d’un fils ne naîtra jamais.
Cependant sans s’arrêter à la mère inattentive, l’appel ira parfois au cœur de l’enfant par d’autres intermédiaires et un sacerdoce pourra naître dans le cœur de l’enfant sans être né dans le cœur de la mère qui ne l’avait ni préparé, ni envisagé, ni voulu, ni même mérité.
Les cœurs où le sacerdoce n’ a pas mûri
Je pense aussi à ces cœurs de mères où le sacerdoce des fils est né, a grandi, mais sans aller jusqu’à maturité. D’où ces cœurs de mères déçues, laissées sans consolation. Elles croient en la beauté d’une vie donnée en service à Jésus-Christ et aux âmes. Elles prient à l’heure du grand sacrifice. « Mon Dieu prenez-le, j’aimerais tant. » Et Dieu ne le prend pas. Quelquefois l’enfant meurt trop tôt. Quelquefois à l’heure du choix, sans lâcheté, bien conseillé, cette voie n’est pourtant pas la sienne.La prière de la mère n’a pas été vaine. Si, d’avoir espéré qu’il serait prêtre lui a permis, en l’y préparant d’en faire un chrétien excellent, ce n’est pas rien.
Je pense à ces cœurs de mères où le sacerdoce des fils est mort, tué par elles ; celles qui ont décidé que si jamais leur naissait un fils, ce fils ne serait pas prêtre. Elles ont refusé net. Sans aller jusqu’à celles qui osent dire follement « ça m’est égal qu’il ne soit pas chrétien, pourvu qu’il ne soit pas prêtre ».
Je pense plutôt à celles qui prient, vont à la messe, mais qui par ambition mondaine rêvent quelque chose de plus beau et plus lucratif que « la carrière sacerdotale ». Mais plus qu’en rêver, elles agissent contre. Elles adorent Dieu, elles croient en Jésus-Christ, elles défendent l’Eglise, mais dans la circonstance elles les dédaignent. Elles acceptent Jésus-Christ quand il vient pour la communion, elles le repoussent quand il vient pour la vocation, elles le refusent soit par pitié pour leurs fils, par pitié pour la faiblesse de leur enfant, soit par jalousie. Ces mères seraient jalouses de la jeune fille qui deviendrait la femme de leur fils. Elles sont pour la même raison jalouses de Jésus-Christ qui a pris le cœur de leur fils. Le cœur de leur enfant est à elle, il n’est et ne doit être qu’à elles !
Clairement ou confusément, elles en veulent à ce Dieu qui a déjà séduit tant d’âmes, capté tant de cœurs. Et voici que maintenant ce Dieu se prépare à leur voler, à elles, les mères, leur enfant. Et naturellement c’est le meilleur qu’il prend ! Elles sont jalouses de Dieu. Alors, parlent-elles de l’Eglise, c’est pour la critiquer ; et si un jour malgré elles, dans les conversations il est question des prêtres, elles interviennent pour insinuer d’un accent désolé, qu’il y a des prêtres « bien misérables », qu’il y en a de « bien médiocres », qu’après tout sur la terre, la vraie besogne s’accomplit par les âmes de bonne volonté plus que par les dignitaires du sacerdoce et que, par conséquent, il n’est nullement besoin de porter soutane.
Ah, si enfin, et pour jamais le grand silence pouvait être gardé autour de leur jeune vie ! Ces mères, pourtant chrétiennes, s’inquiètent alors du sérieux de leur enfant. Elles s’épouvantent même de la chasteté de leur jeune homme, elles s’étonnent qu’il n’y ait pas encore de femme dans la vie de cet adolescent. Pour qu’il « sorte » lui qui ne veut pas « sortir », sa mère lui ouvrira toutes grandes les portes et parfois les plus dangereuses. Lui qui s’ennuie et souffre dans le monde, sa mère l’y jette. Lui qui peut-être n’est heureux qu’à la table eucharistique, sa mère l’installe dans des soirées.
Et le bel idéal un jour meurt à la grande satisfaction de la mère. Et tout s’achève pour le jeune homme parfois dans l’embourgeoisement moral et d’autres fois dans la tragédie. On a risqué de faire un misérable pour qu’il n’y eut point de prêtre, il ne reste qu’un malheureux. La mère qui a commis ce péché et y demeure sans regret, le Christ rougira d’elle devant le Père.
Ces cœurs où le sacerdoce a germé
Je pense enfin à ces cœurs de mères où le sacerdoce des fils naît, a grandi et arrive à maturité. Dieu merci, ces cœurs de mères existent. Elles ont la foi et avec la foi, l’amour de Dieu, et avec l’amour de Dieu, le sens exact de la beauté et des responsabilités de la vie. Elles comprennent la victorieuse puissance du sacrifice. Celles-là, jeunes encore, quand sous la forme de rêves d’amour, se commencent en elles des rêves de mariage, ne peuvent pas se deviner mères sans vouloir que l’enfant qui naîtra d’elles, soit pur et qu’il soit prêtre.
Les voilà mariés. Dieu leur donne leur premier enfant. Baptisé au plus vite, les parents le consacrent à la Très Sainte Vierge Marie. La mère le conduit à l’église, lui parle du Bon Dieu, lui apprend à prier, le prépare à sa première communion, l’encourage et le garde en sa candeur. Elle sait l’amener au prêtre.
Elle sait, elle devine qu’un jour il sera prêtre. Peut-être lui en a‑t-il fait déjà la confidence. Elle le protège donc, elle lui garde intacte sa jeunesse, elle veille, discrète, confiante et un peu tremblante sur cette chasteté si exposée. Elle l’habitue au sens du sacrifice, au dévouement, à la générosité, à la vie difficile. D’année en année, elle sera de plus en plus mère du futur prêtre qui grandit. Et un matin, totalement mère de ce prêtre consacré, elle aura cette émotion, cette fierté d’une première messe dite par lui à laquelle elle assistera, d’une première communion donnée par lui et qu’elle recevra de sa main.
Elle est sûre que ce cœur n’est pris par aucun amour humain. Il est à Dieu, il est aux âmes, il est à elle. Ces cœurs de mères pourraient alors chanter le « Nunc dimittis » un peu comme sainte Monique qui, une fois son fils Augustin baptisé disait : « Maintenant qu’ai-je à faire ici bas ? Il est temps de partir »
Mais souvent ces mères, au fil des années, de plus en plus reconnaissantes et confuses de tant d’honneur, comprennent ce qui fut fait par elles. Peut-être un jour mourront-elles sous la bénédiction de leur fils prêtre. Une dernière communion, un dernier regard qui sourit et qui pleure. De pareilles mères, ainsi appelées et qui répondent ainsi, souhaitons-en beaucoup pour notre paroisse.
« Il n’y a pas d’Eglise s’il n’y a pas de sacerdoce. Il n’y a de sacerdoce que si des jeunes hommes acceptent de se donner. Il n’y aura généralement de tels jeunes hommes que si d’abord il y a des jeunes filles qui rêvent de sacerdoce au commencement de leur mystérieux rêve maternel, pour qu’ensuite il y ait des jeunes mères qui acceptent de travailler à sa réalisation et qu’enfin il y ait de vieilles mamans à remercier Dieu d’y avoir pensé et de l’avoir voulu. »
Vous connaissez tous cette histoire de la vie de saint Pie X. Quand Monseigneur Sarto (futur saint Pie X) fut nommé évêque de Mantoue, il vient apporter un jour la nouvelle à sa mère. Lui montrant alors sa main et à l’un des doigts, le bel anneau d’évêque, il lui dit :
regarde, maman, comme il est beau mon anneau pastoral.
A son tour radieuse, sa mère lui dit :
C’est vrai mon Joseph, qu’il est beau ton anneau pastoral ; mais vois-tu, ton bel anneau, tu ne l’aurais pas si moi, là, à ma main ridée, je n’avais pas cet anneau que tu regardes.
L’avenir du sacerdoce, qui dépend de Dieu, en un autre sens dépend des mères. La grâce, certes, peut opérer seule, mais sa méthode est autre. D’ordinaire, elle sollicite des collaborations et par elle aboutit.
Mères chrétiennes, jeunes filles qui espérez le devenir un jour, soyez dignes d’un honneur que votre conscience éclairée saura apprécier pour que vous sachiez former le cœur de vos petits ou futurs petits selon le cœur du Christ.
Paroissiens, paroissiennes, n’oubliez pas que dans votre église, au pied de la chaire, au confessionnal, à la Table Sainte, n’oubliez pas que par le prêtre, c’est le Christ qui agit, parle et pardonne, et qu’en conséquence votre respect pour le prêtre se pénètre de confiance et de reconnaissance.
Abbé Xavier BEAUVAIS
Bibliographie : « Le sacerdoce » (P.M. Bellouard. O.P.)