Vingt ans après les sacres, tout nous invite à voir avec un grand réalisme la situation du monde et de l’Eglise. « Admettez avec moi, disait Mgr Lefebvre, les faits sous les yeux, que le libéralisme conciliaire mène maintenant l’Eglise au tombeau ».
Que Dieu fasse de nous tous des esprits loyaux et tant soit peu clairvoyants, prêts aussi à réagir sainement dans une fidélité sans faille à la vérité.
« Tu ne trahis jamais l’autorité, disait le Père de Chivré, quand les faits prouvent qu’elle trahit, elle, sa fonction vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis des âmes, vis-à-vis de la vérité. Reste rebelle contre tout ce qui est tordu. Dieu bénit ceux qui ont des voies droites ».
L’aveuglement de Rome
Nous avons appris, stupéfaits, le complot de pénétration de la hiérarchie catholique par la secte libérale, nous avons vu ses progrès jusqu’aux plus hauts postes et son triomphe au concile Vatican II. Nous avons eu des papes libéraux. Le premier pape libéral, celui qui se riait des « prophètes de malheur ». Les portes du bercail ont été ouvertes, et les loups ont pénétré dans la bergerie et ils ont massacré les brebis. Vint le deuxième pape libéral, le pape au visage double, le pape humaniste ; il renversa l’autel, abolit le sacrifice, profana le sanctuaire. Le troisième pape libéral est survenu, le pape des droits de l’homme, le pape des religions unies et il s’est lavé les mains, et il s’est voilé la face devant tant de ruines amoncelées, pour ne pas voir les plaies sanglantes de la Fille de Sion, l’Epouse Immaculée de Jésus-Christ.
Un quatrième pape renouvelle les actes de ses prédécesseurs, enfonce le clou sur des doctrines qui dissolvent la foi catholique.
Mais il y eut Monseigneur Lefebvre qui ne pouvait se résigner. Il ne se contenta pas d’assister les bras ballants à l’agonie de notre Mère la Sainte Eglise. Il s’est refusé à partager l’optimisme béat de l’époque.
Un tel aveuglement n’est-il pas autrement explicable que comme l’accomplissement de la prophétie de saint Paul concernant les apostats des derniers temps :
« Dieu, lui-même, dit-il, leur enverra une puissance de divagation afin qu’ils croient au mensonge ».
Quel plus terrible châtiment qu’une hiérarchie déboussolée. Si l’on en croit Sœur Lucie, c’est cela que Notre Dame aurait prédit dans la troisième partie du secret de Fatima. Et toujours selon sœur Lucie, cette crise correspond à ce que l’Apocalypse nous dit du combat de la femme contre le Dragon.
Léon XIII, dans son petit exorcisme, parle des ennemis très rusés qui remplissent d’amertume l’Eglise du Christ. Là où le siège du bienheureux Pierre et la Chaire de la Vérité furent établis comme une lumière pour les nations, là, ils ont posé en quelque sorte le trône de l’abomination de leur impiété ; afin que le pasteur une fois frappé, ils puissent disperser le troupeau.
« Si saint Paul disait pour son temps : le mystère d’iniquité et déjà à l’œuvre, que dirait-il maintenant ? » commente Monseigneur Lefebvre.
Saint Pie X, en 1903, exprime sa crainte dans son encyclique inaugurale E supremi apostolatus, sa crainte que le temps d’apostasie où l’Eglise entrait ne fût le temps de l’Antéchrist.
« Nous éprouvions une sorte de terreur, à considérer les conditions funestes de l’humanité à l’heure présente. Peut-on ignorer la maladie si profonde et si grave qui travaille, en ce moment bien plus que par le passé, la société humaine, et qui, s’aggravant de jour en jour et la rongeant jusqu’aux moelles, l’entraîne à la ruine ? Cette maladie, vénérables frères, vous la connaissez, c’est à l’égard de Dieu, l’abandon et l’apostasie (…) De là des habitudes de vie, tant privées que publiques, où nul compte n’est tenu de sa souveraineté. Bien plus, il n’est effort ni artifice que l’on ne mette en œuvre pour abolir entièrement son souvenir et jusqu’à sa notion. Qui pèse ces choses a droit de craindre qu’une telle perversion des esprits ne soit le commencement des maux annoncés pour la fin des siècles ».
C’est à tel point que, impuissant à éteindre complètement en soi la notion de Dieu, il secoue cependant le joug de sa majesté, et se dédie à lui-même le monde visible en guise de temple, où il prétend recevoir les adorations de ses semblables.
Ne pas se décourager
Silence, conspiration. N’en soyons pas complices. Face à une dénonciation inlassable des crimes contre la foi, face aux avertissements des dangers contre la foi, ne préfère-t-on pas s’étourdir ?
Les prophètes de malheur ne sont guère prisés en général. C’est le panem et circenses que réclamait le peuple, alors que les barbares étaient aux portes.
Sous prétexte de découragement que produirait dans les âmes le constat seulement réaliste de la situation actuelle de l’Eglise, certains préfèrent les bercer d’illusions et leur laisser miroiter des solutions faciles.
Monseigneur Lefebvre n’avait pas choisi cette solution, mais une solution difficile, celle des sacres, qui ne fut pas toujours ni bien entendue ni bien interprétée. Certains ont cédé à l’explication démagogique et dangereuse de la lassitude que provoque cette crise longue. Mais attention, les âmes engagées dans ce processus de tromperie sombreront dans le désespoir lorsqu’elles perdront toutes leurs illusions, elles se laisseront emporter par une nouvelle vague de ralliement que l’on voit déjà réalisée très nettement. Politique à courte vue mue par l’intérêt égoïste à le petite semaine et tout simplement la peur. Car il faut du courage pour supporter et attaquer. Alors, tout est-il terminé ? Quelle espérance nous reste-t-il ? « La Très Sainte Vierge Marie nous assure, dit encore Monseigneur Lefebvre, qu’à la fin de cette lutte ‘son cœur immaculé triomphera’ ». S’il en est ainsi, vous comprendrez que malgré tout nous n’avons pas à être pessimistes. La Sainte Vierge aura la victoire. Elle triomphera de la grande apostasie, fruit du libéralisme. Raison de plus pour lutter plus que jamais pour le Règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ. Dans ce combat, nous ne sommes pas seuls : nous avons avec nous tous les papes jusqu’à Pie XII inclusivement. Il faut tenir ! Tout ce que nous savons, la foi nous l’enseigne, c’est que Notre Seigneur Jésus-Christ doit régner ici-bas, maintenant.
Et si nous ne gagnons pas tout, nous aurons sauvé l’essentiel : la foi. Notre résistance aujourd’hui, religieuse et politique, notre fidélité à la Sainte Eglise, nous les devons au sacrifice des martyrs, des docteurs de la vérité, de quelques courageux évêques. Leurs armes n’ont pas vieilli.
Entre se taire et adopter les principes de l’efficacité mondaine, il y a un milieu, ou mieux dit, un sommet, celui de l’affirmation publique du nom de Jésus. Telle est la prudence surnaturelle de l’Eglise.
Les derniers jours se caractérisent par l’intensité du mal et l’extension du mal. Mais, et c’est ce qui doit nous rassurer, Dieu sans aucun doute entourera ses élus avec une sollicitude beaucoup plus grande.
« Nous sommes certains, écrit le Père Calmel, que Dieu proportionne de plus grandes grâces à des épreuves et des tentations plus grandes ».
Les apparitions de la Très Sainte Vierge, de portée mondiale, nous montrent bien que plus la grande apostasie se prépare, plus elle intervient pour le salut des hommes.
Pourquoi cette crise ?
Une question cependant se pose. Dieu, Maître des hommes et des temps, a fixé les étapes de l’histoire. Nous croyons à son amour ; Il est en effet intervenu dans le monde avec une miséricorde incompréhensible aux pauvres humains que nous sommes. Cela nous le croyons, nous le constatons. Il nous avait créés dans l’état de justice originelle. L’homme ayant péché, Il lui a même promis un Messie rédempteur et le Verbe s’est incarné dans le sein de la Très Sainte Vierge Marie. Tout cela constitue une preuve d’amour incontestable. Mais, et voilà la question qui se pose, même si nous savons que le péché avec ses efforts et ses tentatives ne pourra pas abolir les effets de la rédemption ni la Sainte Eglise, pourquoi Dieu permet-Il que ce péché se développe en des réalisations chaque fois plus monstrueuses jusqu’à la venue de l’Antéchrist, jusqu’à l’avènement de l’homme de péché ? Qui oserait aujourd’hui nier l’approfondissement de la perversité ?
Déjà, dans les premiers temps de notre espèce, la multitude des nations se détourna de Dieu et se perdit peu à peu, dans une idolâtrie aux rites abominables. Ensuite, lorsque Dieu, pour empêcher que l’aveuglement ne devienne total et pour préparer le monde à la venue de son Fils, se fut réservé un petit peuple, ce peuple béni au moment où le Fils de Dieu en personne lui était donné, refusa de le recevoir, à l’exception d’un petit reste. Alors Dieu rejeta Israël pour un temps, appela les nations idolâtres et les fit entrer dans l’Eglise. Mais tout aussitôt, le mystère d’iniquité s’insinua dans les communautés des convertis ; ces derniers tombèrent dans l’hérésie et déjà peut-être se préparèrent à l’apostasie.
Longtemps contenue, fortement muselée par les grands saints qui fleurirent dans l’Eglise et par les structures honnêtes d’une civilisation et d’une politique chrétienne, l’apostasie est finalement parvenue depuis quatre siècles, mais surtout depuis la Révolution, à faire sentir partout sa virulence. N’en fixons pas le terme. Il y en a qui veulent bien croire que c’est fini, que la crise cesse, que la Tradition est de retour. Ne nous aveuglons pas mais gardons au cœur une grande espérance. Nous ne sommes pas au terme. Le mal doit empirer encore, à tel point que, malgré la conversion d’Israël, qui se produira certainement, la grande apostasie gagnera les hommes et l’Antéchrist paraîtra.
Alors pourquoi ? La réponse est à chercher du côté de l’amour. En vérité, Dieu nous gouverne en ayant choisi une économie qui honore davantage notre liberté et qui convient mieux à notre foi. Et c’est là une grande preuve d’amour. Dieu nous appelle à marcher vers Lui tels que nous sommes. Notre foi est ainsi obligée de devenir plus forte lorsqu’elle doit s’exercer dans la nuit. De même notre attachement à Jésus-Christ est obligé de devenir plus aimant et plus vigoureux lorsque la puissance divine n’est pas éclatante.
Ainsi donc, il convient mieux pour la pureté de la foi, de l’espérance et de la charité que les éléments négatifs ne soient pas éliminés de notre longue histoire, de sorte que dans la conduite de l’humanité comme dans la sanctification de chacun de nous, notre Dieu mérite vraiment le nom de Dieu caché. Et le fait qu’Il se cache est le signe d’un plus grand amour puisqu’Il nous invite par là à Le chercher avec plus d’empressement, d’humilité et de confiance.
L’Eglise peut, après vingt siècles, remercier Dieu de toutes les splendeurs de son passé. Elle peut remercier Dieu de ces consécrations épiscopales qui ont permis aux sources de la grâce de continuer à couler, depuis vingt ans. Malgré les angoisses du présent, malgré les incertitudes de l’avenir humain, prononçons aujourd’hui un acte d’espérance. Merci Monseigneur Lefebvre de nous avoir redonné cette espérance.
Abbé Xavier BEAUVAIS
N.B. : Plusieurs passages de cet éditorial ont été inspirés de réflexions du Révérend Père Calmel dans Théologie de l’histoire.