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Émile Poulat : « Ces évêques sont dans une situation aberrante »
Pour Emile Poulat, spécialiste de l’histoire de l’intégrisme, du chemin reste à parcourir pour une pleine communion des intégristes avec l’Église
Benoît XVI est-il allé trop loin dans les concessions faites aux lefebvristes ?
Émile Poulat : N’est-ce pas plutôt Mgr Fellay qui est allé trop loin face à ses fidèles et à son clergé ? Sa lettre à Rome montre un assouplissement de la position de la Fraternité, qui demandait jusqu’ici l’annulation du Concile et ne fait plus qu’« émettre des réserves ».
Est-ce cela qui aurait justifié que leur demande de pardon soit acceptée ?
Ce serait aller un peu loin que de dire qu’ils ont demandé pardon. Leur démarche a été jugée suffisante pour une levée d’excommunication – ce qui, précise le Saint-Siège, est loin d’être la pleine communion mais un préalable à d’autres étapes de réconciliation.
Il n’y a donc pas pleine communion ?
Si elle était rétablie, le sort des 491 prêtres de la Fraternité serait réglé : ce n’est pas le cas. Il faudra bien régulariser ces prêtres en situation canonique irrégulière. De même pour les évêques, qui sont « de nulle part ».
Peut-on rapprocher leur cas des évêques émérites ?
Non. Les évêques émérites sont « anciens évêques de… ». Ici, on est dans une situation aberrante et anomique : dans l’Église catholique il n’y a pas d’« évêque de nulle part ». Ce ne sont pas là chinoiseries de canonistes : dans l’Église romaine, tout détail a sa signification et doit être interprété.
Pourtant, à Rome, des milieux proches du dossier parlent de « pleine communion »…
Les textes précisent que ce n’est pas la pleine communion ! à Rome, il y aurait donc des contradictions internes. Certains peuvent avoir tendance à prendre leurs désirs pour la réalité. Il semble que la puissance de leurs désirs supplée leur incapacité à analyser.
Mais ce sont quand même ceux qui préparent les décisions du pape…
Peut-être, mais ils n’ont pas le pouvoir d’aller au-delà de ses décisions, même si elles ne satisfont pas la totalité de leurs désirs. Il y a une volonté d’interprétation laxiste des décisions par la commission Ecclesia Dei. Toute décision du pape est soumise à interprétation, et chacun interprète à sa manière. La question est de savoir qui saura faire prévaloir son interprétation.
Pensez-vous que des fidèles vont quitter l’Église ?
Je ne crois pas que, dans l’immédiat, les choses vont beaucoup changer en paroisses. Les négociations vont continuer. Mais certains des catholiques les plus militants pourraient effectivement être tentés de partir…
… Et ceux-là n’auront sans doute pas 500 prêtres dans leur escarcelle pour négocier leur retour ?
C’est le problème des progressistes chrétiens : ils n’ont guère de postérité. Ce catholicisme militant, fondé sur la promotion du laïcat, ne s’est pas soucié de la promotion du clergé. Il s’est donc condamné à dépérir.
Recueilli par Nicolas SENÈZE pour La Croix