En route vers la Patrie
Abbé Patrick Troadec, Directeur du séminaire
Nous arrivons bientôt au terme d’une année de séminaire et, une fois de plus, nous nous disons : « Déjà ! Comme le temps passe vite ! » Oui, c’est vrai, le temps passe vite.
Le temps est un peu déroutant pour nous. Le temps est une réalité en quelque sorte inconsistante. Le passé n’existe plus, le futur n’existe pas encore. Il n’y a que le présent qui existe. Mais ce moment présent par définition ne demeure pas, il est tout de suite passé… Ainsi, le temps s’écoule, il nous échappe, il fuit.
Nous voudrions parfois que certains moments durent plus longtemps. Nous voudrions arrêter en quelque sorte la machine du temps. Mais le temps continue de s’écouler et il s’écoule à une vitesse qui nous paraît toujours plus rapide. Les anciens le disent. Au fil des ans, ils ont l’impression que la vie passe de plus en plus vite, et surtout les moments les plus agréables. Les vacances par exemple passent toujours très vite !
A l’inverse, les périodes de souffrance ou les périodes d’attente paraissent longues. Lorsque vous attendez votre tour chez le médecin, si celui-ci est en retard, surtout si vous êtes pressé, le temps alors vous paraît long ; de même, en voiture dans les embouteillages ; ou encore, une fois passé des examens, lorsque vous attendez les résultats, notamment si vous n’êtes pas sûr d’avoir réussi, le temps vous paraît interminable. Le temps est donc une réalité bien mystérieuse. Il semble plus ou moins long en fonction des circonstances… Mais, quoi qu’il en soit, il paraît toujours rapide lorsqu’il est passé.
Pour échapper au temps, il arrive que l’homme cherche à fuir la réalité, soit en s’évadant dans l’avenir, soit en revenant sur le passé. C’est ainsi qu’en général, les jeunes rêvent à leur avenir et les personnes âgées aiment à revenir souvent sur les temps forts de leur vie passée. On les entend dire : « C’était le bon temps. Le temps n’est plus ce qu’il était ! » Et les hommes, passé la cinquantaine, songent déjà à leur retraite…
Mais n’y a‑t-il pas mieux à faire que de vouloir échapper au temps par le rêve ? N’est-il pas préférable de tirer des leçons salutaires de la fuite du temps et de la rapidité avec laquelle s’écoule une vie humaine afin de donner à notre vie le maximum de fécondité ?
La vie est courte
S’il est vrai que le temps passe si vite, nous devons en conclure tout d’abord que la vie est courte. Sans doute, quand on est jeune, une durée de cent ans peut paraître très longue, mais en réalité, une vie passe bien vite. Interrogez les personnes âgées. Elles vous diront toutes que la vie passe très vite.
« Seigneur, s’écriait le psalmiste, vous avez fait mes jours mesurables » (Ps 38, 6). Et Bossuet commente ce verset en disant que « tout ce qui se mesure a son terme et, lorsqu’on est parvenu à ce terme, un dernier point détruit tout comme si jamais il n’avait été (1)».
Oui, le temps n’est rien comparé à l’éternité. C’est ainsi que le psalmiste affirmait : « Mille ans sont devant vos yeux, ô mon Dieu, comme le jour d’hier qui est passé. On les compte pour rien » (Ps 89, 4–5).
Et en raison de la rapidité avec laquelle s’écoule la vie présente, pour ne pas nous illusionner sur le temps qu’il nous reste à passer ici-bas, le psalmiste faisait à Dieu cette prière : « Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui m’en reste encore » (Ps 38, 5). Et saint Robert Bellarmin de commenter :
« La vie humaine est très courte, et n’est pour ainsi dire qu’un néant. Cette vérité, bien que d’ailleurs très évidente et confirmée sans cesse par l’expérience, échappe à la réflexion du plus grand nombre. Pourquoi voit-on tant d’hommes uniquement occupés à amasser des biens terrestres, à se les disputer et à combattre avec acharnement pour les acquérir, tandis qu’ils dédaignent et négligent l’acquisition des biens futurs ? Ils ne songent pas, en effet, ou ils ne croient pas, que la vie présente fuit comme une ombre. Le Prophète s’adresse donc à Dieu : « Faites-moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin » ; faites, Seigneur, par votre grâce, que les yeux de mon âme soient éclairés et voient clairement que le terme de ma vie est déjà près de moi. Faites que je comprenne, par de mûres réflexions, combien est limité le nombre de mes jours et, par suite, combien il me reste peu de temps à vivre (2)».
La vie est changeante
La vie humaine est donc bien courte. Par ailleurs, elle est changeante. Spontanément, nous aspirons à une certaine stabilité, à un certain repos, à une certaine paix.
Nous voudrions par exemple faire durer les moments agréables, mais il est impossible de faire un arrêt sur image, le temps s’écoule sans cesse. Il est nécessaire de passer d’une activité à une autre, d’un lieu à un autre. La vie est faite de changements successifs de lieux, et également de successions d’unions et de séparations.
Et non seulement il y a ces changements inévitables de lieux, de relations, mais nous-mêmes changeons sans cesse. Nous ne restons jamais dans le même état. Le psalmiste le constatait : « L’homme est le matin comme l’herbe qui passe bientôt ; il fleurit le matin et il passe ; il tombe le soir, il s’endurcit et il sèche » (Ps 89, 6).
Au matin de sa vie, dans son enfance, l’homme est comme l’herbe, il ne s’y arrête pas. De même, dans sa jeunesse, qui est encore le matin de sa vie, il ne s’arrête pas davantage. Dans son âge mûr tombe la fleur de sa jeunesse. Il connaît alors la vieillesse après avoir perdu la sève de la virilité. Et il se dessèche enfin à la mort après avoir perdu la sève de la vie.
Et saint Robert Bellarmin de tirer la conclusion qu’il importe de graver profondément en nous :
« Malheur à l’aveuglement de l’homme qui s’attache à la vie d’un jour comme si elle était éternelle, et méprise l’éternité comme si elle ne devait durer qu’un jour (3) ! ».
La vie passant si vite, l’homme ne doit pas y placer son cœur et ses affections comme si elle devait durer toujours.
Une terre d’exil
La vie terrestre étant si rapide et si changeante, nous devons prendre conscience qu’elle n’est pas la vraie vie. Elle n’est qu’une étape vers une autre vie, qui est bien meilleure, bien plus belle, bien plus parfaite pour tous ceux qui répondent à ce pour quoi ils ont été créés en se conformant à la volonté de Dieu.
C’est ainsi que, dès l’Ancien Testament, les hommes fidèles à Dieu se considéraient comme des exilés. Le terme d’exil s’oppose à celui de patrie. Lorsque quelqu’un est en exil, son seul souci, c’est de retrouver sa patrie. Saint Paul dans son Épître aux Hébreux fait l’éloge de tous ceux qui dans l’Ancien Testament ont fait preuve d’une grande foi. Il prend l’exemple d’Abel, qui a offert à Dieu un sacrifice supérieur à celui de Caïn ; d’Hénoch, qui a été enlevé au ciel sans connaître la mort ; de Noé, qui a fabriqué une arche sur l’ordre de Dieu avant que ne commençât le déluge ; d’Abraham, qui a quitté son pays pour suivre Dieu, et ainsi de suite.
Puis il dit à leur sujet : « C’est dans la foi que tous ceux-là moururent avant d’avoir été mis en possession de ce qui avait été promis, mais le voyant et le saluant de loin, et confessant qu’ils étaient des étrangers et des hôtes sur la terre » (cf. He 11, 4–13). Un étranger ne se sent pas chez lui dans le pays où il séjourne, pas plus qu’un touriste dans une hôtellerie.
Ainsi, les justes de l’Ancien Testament se considéraient comme étrangers sur la terre et, poursuit saint Paul, « ceux qui disent ces mots [d’étrangers ou d’hôtes] montrent qu’ils cherchent une patrie » (He 11, 14). Et il ajoute : « C’est donc à une patrie qu’ils aspirent, à savoir la patrie céleste » (He 11, 16). Ainsi, pour saint Paul, il ne faisait aucun doute que les justes de l’Ancien Testament ont conquis le Ciel parce qu’ils se considéraient comme exilés sur la terre.
Et dans sa deuxième Épître aux Corinthiens, il fait sienne cette disposition des justes de l’Ancien Testament : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous sommes en exil de Dieu » (2 Co 5, 6). Et il poursuit en disant : « Car c’est par la foi que nous marchons et non par une claire vue » (2 Co 5, 7). Ainsi, pour saint Paul, ceux qui ont la foi sont ici-bas en exil, tandis que ceux qui ne croient pas sont ici-bas chez eux, parce qu’ils s’y trouvent dans leur élément. En effet, ils ne vivent que pour cette terre, leur vue ne va pas au-delà.
Ce qui peut nous aider à bien vivre ces quelques années que nous passons ici-bas, c’est donc de les considérer pour ce qu’elles sont, à savoir une période d’exil.
Application pratique
Cette vie est un exil, mais elle est aussi une image de la vie bienheureuse du Ciel. La santé temporelle est l’image de l’immortalité, qui seule est la véritable santé. La beauté que nous admirons dans certaines créatures est à peine une ombre de cet éclat dont nous serons environnés au Ciel. Les richesses de la terre ne sont pas de vraies richesses, mais les ombres de celles que nous posséderons là où rien ne nous manquera, où Dieu sera tout à tous. Il en est de même de la science, de la gloire, de la grandeur et de tout ce qu’ici l’on appelle biens.
Mais, pour mériter ce trésor sublime que le Bon Dieu nous a réservé au Ciel, il nous faut aujourd’hui nous détacher des biens de la terre. Nul ne peut servir deux maîtres.
C’est bien le sens de l’exhortation de saint Pierre :
« Bien-aimés, je vous exhorte, comme étrangers et voyageurs, à vous abstenir des désirs charnels qui combattent contre l’âme. Ayez une bonne conduite au milieu des païens, afin que là même où ils vous calomnient comme des malfaiteurs, ils remarquent vos bonnes œuvres et glorifient Dieu au jour de sa visite. (…) Car c’est là la volonté de Dieu, qu’en faisant le bien, vous réduisiez au silence l’ignorance des hommes insensés » (1 Pi 2, 11–12 et 15).
Saint Paul, constatant à son tour la fuite du temps, invitait les Corinthiens à vivre dans un grand détachement des créatures.
« Le temps est court, écrivait-il. Ce qui reste à faire, c’est que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas, et ceux qui pleurent comme ne pleurant pas, et ceux qui se réjouissent comme ne se réjouissant pas, et ceux qui achètent comme ne possédant pas, et ceux qui usent de ce monde comme n’en usant pas ; car la figure de ce monde passe » (1 Co 7, 29 ‑31).
Ceci ne signifie pas que nous devions être indifférents à l’égard de nos êtres chers, mais que nous devons veiller sans cesse à ne pas accaparer égoïstement l’affection des personnes qui nous entourent, ni à nous attacher démesurément aux biens matériels que nous possédons, parce que nous ne sommes pas faits pour prendre, mais pour donner, pour nous donner.
C’est ce que Monseigneur LEFEBVRE enseignait à ses séminaristes lorsqu’il les invitait à quitter ce qu’il appelait la mentalité de propriétaires.
« Nous ne sommes pas propriétaires, leur disait-il, des biens que nous possédons, mais seulement locataires. Notre intelligence, notre volonté, notre sensibilité, nos sens, nos biens matériels, nos amis, tout cela, nous le tenons de Dieu. »
Et un jour viendra où nous devrons quitter tous nos biens extérieurs, le monde qui nous environne et jusqu’à notre propre corps pour rendre compte à Dieu de l’usage que nous en aurons fait.
Aussi, efforçons-nous de nous attacher à Dieu sans réserve, détachonsnous des biens de ce monde et donnons à nos œuvres une valeur d’éternité en les accomplissant par amour de Dieu. Au moment de la mort, il ne restera entre nos mains que les seules actions accomplies par amour de lui pour recevoir notre passeport pour le Ciel, d’où l’exhortation de Notre-Seigneur dans l’Évangile :
« Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la rouille et les vers détruisent, et où les voleurs percent et dérobent. Mais amassez-vous des trésors dans le Ciel, où ni la rouille ni les vers ne détruisent, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car là où est votre trésor, là aussi est votre cœur » (Mt 6, 19–20).
Abbé Patrick TROADEC, Directeur,
le 31 mai 2010, en la fête de Marie Reine
Notes
1 – Sermon, La mort, 1662.
2 – Abbé E. Daras, Explication des psaumes par le cardinal Bellarmin, Paris, Vivès, 1856, I, p. 387–388.
3 – Ibid., II, p. 485.
Chronique du séminaire
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Renseignements pratiques
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