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Mais pourquoi le pape a‑t-il pris cette décision ?
INCOMPREHENSION. C’est le sentiment qui grandit au sujet des véritables intentions de Benoît XVI. Veut-il en finir avec Vatican II ou simplement retrouver l’unité perdue ?
Benoît XVI poursuit-il vraiment une stratégie ?
Oui. Le pape est compétent sur le dossier du schisme, qu’il connaît sur le bout des doigts. Il ne peut ignorer la farouche volonté de croisade des lefebvristes, ni les tensions qu’une réconciliation forcée entraînerait à la base. Mais il est obsédé par le souci de réparer les déchirures du passé. Il se sent sans doute coupable de l’échec des négociations de 1988, qu’il a menées au nom de Jean Paul II. À 81 ans, il sait qu’il peut mourir subitement – comme son père, sa mère et sa sœur – et veut boucler le dossier avant de partir. Sa stratégie est de céder aux lefebvristes sur leurs deux exigences préalables aux négociations : la libéralisation du rite ancien (Motu proprio de juillet 2007) et la levée des excommunications. L’opération a pour but de les mettre au pied du mur et d’opérer un ultime tri entre ceux qui reviendront au bercail et ceux qui s’enfermeront à jamais dans une secte. Mais le pape a levé les sanctions sans aucune contrepartie tangible, ni même l’assurance d’une claire volonté de négocier. Or, Bernard Fellay vient de réitérer son refus total du Concile. Le coup de poker risque donc d’échouer.
Le pape en fait-il beaucoup pour les intégristes ?
Oui. Sa nature profondément conservatrice le place dans une certaine ambiguïté à l’égard de la contestation intégriste, même s’il se situe dans une tout autre famille spirituelle que celle de l’intransigeance catholique issue du XIXe siècle. Dès 1966, Ratzinger s’est indigné des nouveautés en matière liturgique. Il n’a jamais accepté que l’on ait interdit la messe de sa jeunesse. Sa compréhension sacrificielle du rôle du prêtre est proche de la conception tridentine. Comme patron de la Congrégation pour la doctrine de la foi, il a traqué l’hérésie et combattu la dérive « libérale », qui gagne selon lui le catholicisme et remet en cause les dogmes. Au-delà, il affirme que seule l’Église catholique romaine est le vrai « canal » du salut, ce qui la rend supérieure aux Églises orthodoxes et aux « communautés ecclésiales » protestantes. Très marqué par la pensée de saint Augustin, le pape est viscéralement un pessimiste. Pour lui, le monde est marqué par le péché. À la veille du conclave de 2005, il dit que l’Église est « une barque prête à couler, qui prend l’eau de toutes parts », une métaphore que n’aurait pas reniée Mgr Lefebvre.
Pour l’ensemble de ces raisons, Benoît XVI « le pieux » comprend les nostalgiques du concile de Trente. Il peut même parfois leur témoigner une certaine complaisance. Exemple, suite à la réhabilitation du missel ancien de la messe, en juillet 2007, le Vatican a dû retoucher la prière pour les juifs du vendredi saint, clairement antijuive, comme l’avait révélé La Vie. Au lieu d’imposer aux traditionalistes de reprendre le texte défini après le Concile, le Vatican a reformulé une prière qui exprime le désir de convertir les juifs, un point douloureux de l’histoire commune entre juifs et chrétiens. Réalité plus troublante : le missel incriminé pour son antijudaïsme, qui fut imprimé en 1990 par le monastère du Barroux, à l’usage des communautés traditionalistes Ecclesia Dei, fut préfacé par le cardinal Ratzinger. Celui-ci avait dû fermer les yeux sur son contenu anti-juif… À part la prière du vendredi saint, plusieurs textes de saint Augustin y dénoncent le déicide commis par les juifs. Des textes qui, d’ailleurs, s’y trouvent toujours…
Est-il lui-même intégriste ?
Non. en aucune façon. Les intégristes le considèrent d’ailleurs comme un hérétique. Benoît XVI n’a jamais rejeté le Concile, et en parle comme d’une « boussole ». Sa réserve porte seulement sur ce qu’on en a fait. L’intelligence et la vaste culture de Joseph Ratzinger l’opposent totalement au fondamentalisme fanatique, comme le montre clairement son discours du collège des Bernardins, et l’empêchent de considérer le dialogue interreligieux comme « l’apostasie » dénoncée par les lefebvristes. Le pape tient beaucoup aux liens avec le judaïsme et réprouve la vieille théorie de la « substitution » chère aux intégristes, qui pensent que le vrai Israël est l’Église. Son plaidoyer pour le lien entre foi et raison empêche également le pape de se reconnaître dans la dimension apocalyptique flattée par maints leaders de l’intégrisme. Il admire aussi trop Luther pour partager leur répugnance envers la Réforme. Enfin, Benoît XVI se démarque totalement des intégristes sur la question de la laïcité et de la liberté religieuse : ces derniers considèrent la séparation de l’Église et de l’État comme une horreur et souhaitent la théocratie. Si Benoît XVI se fit jadis l’avocat des racines chrétiennes de l’Europe, il ne rêve nullement de revenir au régime de chrétienté.
Benoît XVI a‑t-il bien mesuré tous les risques ?
Non. Lever l’excommunication de personnalités aussi controversées que les héritiers de Mgr Lefebvre n’aurait pas dû se faire sans une enquête approfondie. La révélation de l’antisémitisme de Richard Williamson compromet la crédibilité de Benoît XVI et conduit à s’interroger sur la capacité du pape et de son entourage de prendre en compte la réalité politique et médiatique. Le pape, à moins d’un déni, ne peut pas ignorer la sympathie de plusieurs leaders intégristes pour les thèses d’extrême droite, voire leur antijudaïsme avéré. L’ardent désir de restaurer l’unité de l’Église donne-t-il des œillères ? En septembre 2006, déjà, le pape a réintégré une poignée d’abbés lefebvristes sans mesurer les problèmes que ceux-ci causaient aux évêques français. Mais ce n’est pas la première fois qu’il joue à la roulette russe. En décembre 2006, le pape avait nommé Stanislas Wielgus archevêque de Varsovie, apparemment sans savoir qu’il était un ancien indicateur de la police politique sous l’ère communiste. Puis lui a demandé de démissionner.
Le pape se donne-t-il les moyens de gouverner l’Église ?
Non. Le pape semble avoir renoncé à gouverner la Curie. Il a fait le choix de déléguer toutes les opérations à son bras droit, le cardinal secrétaire d’État Tarcisio Bertone, et de conserver son ancien mode de vie monastique qui le met à l’écart. Ses contacts avec le monde extérieur sont restreints. Ce choix de l’isolement le condamne à une information ultra-filtrée. Certains évêques français ont pu constater une réelle difficulté à lui faire parvenir leurs messages. D’où des bourdes mémorables. En septembre 2006, le discours de Ratisbonne, aux conséquences non maîtrisées, n’avait pas été relu par les services diplomatiques du Saint-Siège. Ce phénomène est aggravé par l’âge du pape, qui aura 82 ans en avril. On « protège » davantage un homme âgé.
Les observateurs du Saint-Siège témoignent que le Vatican dysfonctionne comme jamais. Pour preuve, la saga de la publication de l’encyclique sur la doctrine sociale de l’Église, annoncée depuis des mois, et qui n’est pas encore parue.
Jean Mercier La Vie