Par lui, la Sainte Messe fut sauvée !

Par Côme Prévigny – Agrégé de l’université

Introibo ad altare Dei. Ces mots limi­naires de la sainte messe pro­non­cés par tant de lèvres à tra­vers les siècles furent ceux des mis­sion­naires qui pré­fé­raient périr que de ne plus les dire. Ce sont ceux de ces clercs héroïques qui, un jour, mon­tèrent à l’échafaud pour ver­ser leur sang et témoi­gner de leur Foi. Ce sont ceux de ces prêtres qui avaient la convic­tion de mon­ter vers l’autel, celui du Dieu qui réjouis­sait leur jeu­nesse, afin de mieux éle­ver l’âme de leurs fidèles, pour leur per­mettre d’être plei­ne­ment for­ti­fiés par ce renou­vel­le­ment per­pé­tuel du Sacrifice suprême et d’assurer ain­si leur salut. Ce sont ceux de tous ces saints qui ensei­gnaient à temps et à contre­temps que le Chrétien est un pèle­rin sur terre devant inlas­sa­ble­ment mon­ter vers la cité céleste. Dans tous les chœurs brillait cette flamme de la litur­gie tra­di­tion­nelle, héri­tière et gar­dienne de la Foi de l’Église.

Advint un jour funeste où ces mots furent ban­nis. Arriva un temps où ce n’était plus l’Empire païen mais l’autorité pon­ti­fi­cale qui condam­na ceux qui s’évertuaient à célé­brer les Saints Mystères tels qu’ils les avaient reçu de leurs pères. On ne mon­tait plus à l’autel, on se réunis­sait de part et d’autre lorsqu’on ne pous­sait pas le ridi­cule jusqu’à dan­ser autour de ce qui n’était plus qu’une table. Alors que les cathé­drales et les sanc­tuaires de la Chrétienté devaient abri­ter les cer­veaux pré­ten­du­ment « créa­tifs » d’une litur­gie livrée en pâture aux pro­mo­teurs du mariage de l’Église avec l’esprit du monde, la messe gré­go­rienne des­cen­dait aux cata­combes, se conten­tait de prieu­rés sau­vages, entraî­nait la condam­na­tion de ceux qui la célé­braient. Manifestement, la flamme était volon­tai­re­ment pla­cée sous le bois­seau. « Libéralisez la messe ! » avait deman­dé Jean Guitton… « Cela jamais ! », répon­dit Paul VI.

Alors com­men­ça la longue tra­ver­sée du désert de Sinaï, avec ses heurs et ses mal­heurs, ses luttes et ses conso­la­tions. Les fils exi­lés, ceux que l’on pré­sen­tait en rup­ture avec Rome, se ser­rèrent les coudes pour main­te­nir coûte que coûte la Tradition de l’Église. Quarante ans de per­sé­cu­tion virent les larmes cou­ler, les vieux curés tré­pas­ser, les prêtres sillon­ner leurs contrées. Ces décen­nies furent celles d’un com­bat quo­ti­dien de veilleurs qui sacri­fièrent leur éner­gie pour que, à leur tour, leurs enfants pos­sèdent ce tré­sor infi­ni, pour que, un jour, leurs prêtres puissent à nou­veau dire : Introibo ad altare Dei.

Que ceux qui viennent aujourd’hui boire à la source de la saine litur­gie connaissent le prix de la sau­ve­garde de ce tré­sor de l’Église. Qu’ils aient à cœur d’imiter ces pion­niers du Christianisme pour faire gran­dir leur Foi de demain.

Il transmit ce qu’il avait reçu

Qui ose­rait encore contour­ner la réa­li­té ? Qui cher­che­rait aujourd’hui à nier l’évidence ? Les vété­rans de ces années éprou­vantes d’un com­bat quo­ti­dien savent per­ti­nem­ment à qui ils doivent la res­tau­ra­tion de la messe. La clef de voûte de cet édi­fice de la résis­tance est l’extraordinaire figure qui eut le cou­rage de bran­dir le prin­cipe de l’état de néces­si­té pour garan­tir la sur­vie de la Tradition : Marcel Lefebvre. Il sut, même aux heures les plus sombres de la crise, main­te­nir allu­mé le flam­beau de la litur­gie tra­di­tion­nelle, une flamme que les vents conci­liaires avaient pure­ment et sim­ple­ment déci­dé de souf­fler. En cela, l’ancien mis­sion­naire consti­tue l’indispensable maillon sans lequel la chaîne de la Tradition aurait été rom­pue : non qu’il détînt le mono­pole de la véri­té, mais il don­na les moyens de se péren­ni­ser à l’antique rite romain héri­té des pre­miers siècles chré­tiens. Ainsi fit-​il en sorte que ce tré­sor litur­gique demeu­rât vivant sans inter­rup­tion et on peut affir­mer sans ris­quer de se trom­per que, compte tenu des déca­lages horaires, la messe tra­di­tion­nelle a été, grâce à lui, libre­ment ou clan­des­ti­ne­ment, per­pé­tuel­le­ment célébrée.

Pour lui, l’heure du repos méri­té avait pour­tant son­né. Après Tourcoing, Chevilly, Mortain, Dakar, Tulle et Rome, l’archevêque pou­vait faire valoir ses justes droits à la retraite et mettre fin à cette longue et cou­ra­geuse équi­pée. Mais dans un bateau qui prend l’eau de toutes parts, quel capi­taine peut se juger trop âgé ? Tandis que le monde pro­cla­mait l’oubli du Dieu de majes­té et que l’Église ten­dait à se récon­ci­lier avec ce monde cher­chant uni­que­ment à se sécu­la­ri­ser, il ne se déro­ba pas. Recueillant son bâton de pèle­rin, il par­cou­rut les cinq conti­nents, il récon­for­ta les déses­pé­rés et appor­ta son sou­tien épis­co­pal à des com­mu­nau­tés décou­ra­gées, des fidèles per­plexes et des pas­teurs inquiets. Docteur en phi­lo­so­phie, doc­teur en théo­lo­gie, arche­vêque de Dakar, vicaire apos­to­lique de l’Afrique fran­co­phone, assis­tant au Trône pon­ti­fi­cal, évêque de Tulle, supé­rieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit, toutes ces expé­riences, il les mit au ser­vice de sa seconde mis­sion qui ne fai­sait fina­le­ment qu’une avec la pre­mière. Une de ses forces rési­dait cer­tai­ne­ment dans ce pas­sé à la fois pres­ti­gieux et mis­sion­naire, cen­tré sur la Charité et mis au ser­vice de l’Église vivante et mili­tante. Combien de com­mu­nau­tés tra­di­tion­nelles actuelles sur­vi­vraient aujourd’hui si elles n’avaient pas reçu le sou­tien finan­cier, moral et spi­ri­tuel de cet homme d’Église, si les encou­ra­ge­ments et le poids hié­rar­chique de cet arche­vêque ne les avaient pas inci­tées à pour­suivre le bon combat ?

La pen­sée conduit inévi­ta­ble­ment l’historien à regar­der vers la prin­ci­pale œuvre de Monseigneur Lefebvre qui lui valut sanc­tions et condam­na­tions : Écône, sémi­naire appa­ru dans un désert de voca­tions comme une oasis sacer­do­tale de prêtres voués uni­que­ment à « la messe de tou­jours ». Écône, flanc de mon­tagne per­du au beau milieu des val­lées valai­sannes. Écône, un nom qui résonne désor­mais à tra­vers le monde comme le sanc­tuaire de la messe tra­di­tion­nelle. De ses rangs sont sor­tis des cen­taines et des cen­taines de prêtres qui ont accom­pli la tâche lar­ge­ment com­men­cée par son fon­da­teur en demeu­rant fidèles à son œuvre de résur­rec­tion sacer­do­tale : la Fraternité Saint-​Pie‑X. Bien qu’ils s’en soient ensuite sépa­rés pour fon­der la Fraternité Saint-​Pierre , c’est là que furent for­més et ordon­nés ceux qui, sans ces tré­sors trans­mis par l’archevêque, n’auraient jamais pu conti­nuer à célé­brer la messe tri­den­tine : les abbés Bisig, Coiffet, Pozzetto, du Faÿ, etc. C’est éga­le­ment là que le Père Louis-​Marie de Blignières, Supérieur de la Fraternité Saint-​Vincent-​Ferrier de Chéméré-​le-​Roi, a sui­vi ses classes vers le sacer­doce et a reçu le sacre­ment de l’ordre en 1977. C’est enfin dans les sémi­naires de Monseigneur Lefebvre que les fon­da­teurs de l’Oratoire Saint-​Philippe-​Néri ou de l’Institut du Bon Pasteur ont reçu leur ensei­gne­ment. L’honnêteté chro­no­lo­gique et his­to­rique conduit irré­mé­dia­ble­ment à tirer des conclu­sions claires : qui veut se récla­mer du rite tra­di­tion­nel, qui veut le libé­ra­li­ser, qui veut sim­ple­ment le concé­der, ne peut que vali­der les choix de Monseigneur Lefebvre, ne peut que recon­naître la sainte et vive néces­si­té d’avoir créé et main­te­nu ce sémi­naire qua­li­fié de sau­vage, tant décrié et si gra­tui­te­ment condam­né. Rappelons sim­ple­ment qu’à la fin des années soixante-​dix, tout prêtre qui se consa­crait à cette messe était pla­cé sous le coup des condam­na­tions cano­niques et voué au déshon­neur, celui des hommes.

Mais nos géné­ra­tions ne per­ce­vraient qu’une vue par­tielle de la réa­li­té en ima­gi­nant que cet inlas­sable et vaillant sol­dat du Christ s’était pai­si­ble­ment reti­ré dans les val­lées suisses pour agir à son gré. Partout où il fut sol­li­ci­té, il col­la­bo­ra ardem­ment aux œuvres de redres­se­ment litur­gique et sacer­do­tal. Au Brésil, il sou­tint son ami du Cœtus inter­na­tio­na­lis, Dom Antonio de Castro Mayer, pour faire du dio­cèse de Campos un foyer de résis­tance catho­lique. En France, il appor­ta son concours à l’abbé Lecareux dans son œuvre de ré-​évangélisation des cam­pagnes autour de Mérigny. Dès qu’il fou­lait le sol de sa terre natale, au pays des mines et des corons, il admi­nis­trait, comme par­tout ailleurs, les confir­ma­tions ; là par exemple, ce sont les enfants de Riaumont qui venaient rece­voir les dons du Saint-​Esprit, béné­fi­ciant par la même occa­sion d’une pater­nelle pro­tec­tion. Les ordres régu­liers n’étaient pas en reste : l’archevêque secon­da les béné­dic­tins – dom Augustin à Flavigny ou dom Gérard au Barroux – dont il ordon­na tous les pre­miers prêtres. La liste serait sans doute sans fin. Elle s’émaille de noms qui nous sont chers dans cette his­toire de reli­gieuse res­tau­ra­tion tels qu’Avrillé ou Morgon

Tabula rasa.

Sur le mar­ché de l’Histoire, beau­coup sont tou­te­fois ten­tés de choi­sir leurs pro­duits. La science his­to­rique est faite ain­si. Pour appré­hen­der la glo­ba­li­té, il n’est pas pos­sible de som­brer dans les inven­taires détaillés. Néanmoins, il serait fort com­mode de se réveiller comme si l’on avait som­meillé le temps d’un cau­che­mar long de qua­rante années. Il serait si simple de faire table rase du pas­sé et de démon­trer que tout pou­vait se dérou­ler dans la plus par­faite des léga­li­tés. Car tel n’a pas été le cas. Il n’y avait pas de rêve mais bel et bien une réa­li­té : Et cette réa­li­té, c’est celle des mil­liards de kilo­mètres – le chiffre n’est hélas pas exa­gé­ré – par­cou­rus par ces prêtres gagnant des cha­pelles « sau­vages » ou cou­verts par des pères de famille sou­cieux de voir leurs enfants pui­ser à la source du véri­table renou­vel­le­ment du sacri­fice de la Croix.

Sous ce pro­grès que consti­tue l’étape de la libé­ra­li­sa­tion de la messe, il y a des fon­da­tions, des piliers incon­tour­nables, ce sont les sacri­fices de ces âmes fières et cou­ra­geuses, ce sont les injures, les quo­li­bets et les inter­dits qu’ont essuyé les catho­liques fidèles à leur caté­chisme. Alors que les parents de ces âmes fer­ventes et géné­reuses avaient bien sou­vent finan­cé leurs églises, s’étaient dévoués pour leurs œuvres parois­siales, avaient sou­te­nu leur curé, celles-​ci furent pour­chas­sés : messes dans des salles amé­na­gées, pèle­ri­nages devant des portes de sanc­tuaires irré­mé­dia­ble­ment fer­més, obsèques et mariages empê­chés, tel est le sort com­mun de ceux qui furent conduits de force dans l’illégalité.

Cette réa­li­té s’est consti­tuée dans la sueur et le sang de nos clercs puisque ce sont les excom­mu­ni­ca­tions et les sus­pens dont les prêtres et les évêques confiants en leur saine for­ma­tion se sont vus affu­blés, ce sont les décès expia­toires de bon nombre d’entre eux, cru­ci­fiés en leur sacer­doce et morts de cha­grin pour s’être un jour vu inter­dire le che­min de leur autel, celui de la célé­bra­tion de leur messe d’ordination. Loin de la valse de la confor­mi­té, de saints pas­teurs se consu­mèrent de dou­leur, tel l’archevêque de Madrid lui-​même, Monseigneur Morcillo ; tel ce spi­ri­tain qui, par obéis­sance, ne put reprendre la route de sa mis­sion et dont la famille n’hésita pas à indi­quer sur le faire-​part de décès : « Mort pour avoir conti­nué à célé­brer la messe de saint Pie V ».

La conscience droite conduit l’âme catho­lique à sau­ve­gar­der la mémoire de ceux qui ont lut­té pour la res­tau­ra­tion de la messe, à empê­cher que leur com­bat ne soit mépri­sé et lâche­ment oublié. Plus que jamais, elle lui fait un devoir d’accepter cette his­toire dans toute sa glo­ba­li­té : non pas par atta­che­ment au sou­ve­nir nos­tal­gique de défuntes per­son­na­li­tés, mais pour ne pas som­brer dans la contra­dic­tion. Comment peut-​on par exemple se voir décer­ner une per­mis­sion de célé­brer la messe selon les anciens canons en échange d’un accord signé avec une com­mis­sion dont les textes fon­da­teurs reposent expli­ci­te­ment sur la condam­na­tion de celui qui a pré­ci­sé­ment sau­vé la Tradition ? Cette dupli­ci­té d’intention semble por­teuse d’une ambi­guï­té consis­tant à refu­ser la légi­ti­mi­té de nos objec­tions. À cet égard, la recon­nais­sance du bien fon­dé de la démarche des évêques co-​consécrateurs de 1988 et de l’état de néces­si­té nous paraît être, le moment venu, le signe pro­bant d’un retour de Rome à la Tradition. C’est le fon­da­teur d’Écône lui-​même, dans le ser­mon des sacres, qui avait évo­qué ce moment précis :

« Dans quelques années – je ne sais pas – le Bon Dieu seul connaît le nombre des années qu’il fau­dra pour que le jour où la Tradition retrouve ses droits à Rome, nous serons embras­sés par les auto­ri­tés romaines qui nous remer­cie­ront d’avoir main­te­nu la foi dans les sémi­naires, dans les familles, dans les cités, dans nos pays, dans nos cou­vents, dans nos mai­sons reli­gieuses, pour la plus grande gloire du Bon Dieu et pour le salut des âmes . »

En atten­dant ce jour, la libé­ra­li­sa­tion de la messe consti­tue une étape par­ti­cu­liè­re­ment signi­fi­ca­tive qui nous rem­plit d’une joie chré­tienne très vive. Le bou­quet spi­ri­tuel de cha­pe­lets va se trans­for­mer, par la volon­té de notre Saint Père le pape, en une rose­raie de messes célé­brées à per­pé­tui­té. Remercions Notre Dame d’avoir don­né à Benoît XVI la force de rendre à la sainte messe – au moins dans une large part – les droits qu’elle doit pou­voir trou­ver dans le monde entier.

La face apparente de l’iceberg.

Au-​delà de la ques­tion de la messe se pro­file natu­rel­le­ment celle de la doc­trine catho­lique, deux tré­sors ecclé­siaux qui nous paraissent liés l’un à l’autre. À cet effet, la libé­ra­li­sa­tion de la pre­mière ne sau­rait nous rési­gner à oublier la seconde dans les geôles d’un chris­tia­nisme libé­ra­li­sé. Non, le règne social du Christ ne peut être sacri­fié sur l’autel des accom­mo­de­ments humains. Nous savons déjà quel besoin nous res­sen­tons d’assister à cette messe de tou­jours, de pui­ser à la source de ce rite immu­ni­sé contre les débor­de­ments, régi par deux mille ans de Tradition afin de pal­lier une litur­gie ambi­guë, floue et sujette à toutes les dérives et les inter­pré­ta­tions ; de la même manière, nous avons l’audace de récla­mer une doc­trine ferme, pré­cise et cla­ri­fiée, dans le but de mettre un terme à ces textes contra­dic­toires, ces suites de termes vagues, d’expressions ouvrant la brèche à l’esprit du monde qui vient se jux­ta­po­ser à la Vérité. Nous prions pour que, pro­gres­si­ve­ment ou rapi­de­ment, la sainte doc­trine rede­vienne la norme ; pour que ce patri­moine reçu des Apôtres, des Pères et des Docteurs de l’Eglise retrouve la place ordi­naire qui lui est due tan­dis que l’on aura un recours de plus en plus extra­or­di­naire à l’esprit des Lumières, ce funeste héri­tage d’idées égoïstes et déi­cides, jadis construit en oppo­si­tion au Catholicisme. C’est pour­quoi l’âme chré­tienne ne sau­rait res­sen­tir aucun scru­pule à user de cette audace – de cette sainte audace, devrions-​nous dire – dans la mesure où son unique but est de voir la gloire de Notre Seigneur s’étendre tou­jours plus sur les sociétés.

« C’est ce que j’ai dit au car­di­nal Ratzinger : toute notre vie, tout notre idéal, tous les moyens que nous avons, toutes les pré­di­ca­tions que nous fai­sons, tous les sémi­naires que nous construi­sons, toutes les mai­sons reli­gieuses que nous fai­sons, c’est pour le règne de Notre Seigneur Jésus Christ. Qu’Il règne ! Nous le disons dans le Pater Noster, que Son règne arrive ! Alors, c’est notre vie. Vous, vous êtes pour la dimi­nu­tion, pour qu’on ne parle pas de ce règne, qu’on ne parle plus du règne social de Notre Seigneur – à la rigueur dans les consciences pri­vées, dans les familles, en pri­vé, mais pas publi­que­ment. Pourquoi ? Parce que vous avez peur que cela fasse du tort ou que cela fasse de la peine aux Juifs, aux Musulmans, aux Protestants, à cause de votre œcu­mé­nisme. Alors, ne par­lons pas trop de Notre Seigneur ! »

Au cœur de cette crise qui secoue si pro­fon­dé­ment l’Église, l’attitude de Monseigneur Lefebvre est un ensei­gne­ment per­ma­nent. Pourquoi l’ancien arche­vêque de Dakar n’a‑t-il pas sai­si les occa­sions de 1984 et de 1988 pour accep­ter comme une per­mis­sion la célé­bra­tion de la litur­gie selon le rite dit de saint Pie V ? Précisément, parce qu’il consi­dé­rait que la situa­tion du rite n’était que la consé­quence de celle de la doc­trine, que la messe ne consti­tuait que la face appa­rente de l’iceberg quand la doc­trine en était la face cachée. Il voyait dans la solu­tion qui était pro­po­sée une réponse can­ton­née au visible, tan­dis que tout le sub­strat conti­nuait à être le fruit du com­pro­mis avec l’esprit anti-catholique.

Aujourd’hui encore, l’im­po­sant vais­seau de l’Église pour­suit tou­jours sa route dans la direc­tion qui lui est assi­gnée depuis qua­rante ans, celle du der­nier concile, et, en cela, on ne peut rai­son­na­ble­ment affir­mer que Rome sou­haite retrou­ver, à court terme, la Tradition. Notre com­bat demeure néces­saire. La direc­tion que suit le Saint-​Siège, c’est tou­jours celle qu’indique la bous­sole de Vatican II et qui l’a déjà fait pas­ser dans les eaux tour­men­tées d’Assise ou de la syna­gogue de Rome.

Seule cette face appa­rente de l’iceberg semble ain­si rece­voir l’attention de Rome, mais la pré­sente libé­ra­li­sa­tion consti­tue néan­moins une étape déci­sive car nous pla­çons une foi immense dans cette messe qui irri­gue­ra les canaux de toute la socié­té chré­tienne. Nous avons appe­lé de nos vœux cet acte de jus­tice. Aujourd’hui nous le saluons avec recon­nais­sance. Ce rite a nour­ri la Foi de tous les saints de la Chrétienté. Il a fait jaillir des pluies de grâce. Il a bâti des nations chré­tiennes. Nous sommes inti­me­ment convain­cus qu’il véhi­cule une incan­des­cence sanc­ti­fiante face à laquelle la doc­trine moderne ne peut que suc­com­ber. Plus il sera ensei­gné, plus il sera célé­bré, plus il sera pro­po­sé et plus la face appa­rente de l’iceberg se rédui­ra sous les effets de la cha­leur de la saine litur­gie, entraî­nant dans son irré­mé­diable fonte la face cachée du bloc de glace.

Conclusion

Considérons donc le bien que cette messe pro­dui­ra dans le cœur des hommes. Nul doute qu’elle engen­dre­ra l’élévation des âmes, qu’elle les condui­ra à appro­fon­dir la foi, à s’imprégner de cet esprit de la Rédemption, si pré­sent dans la messe de tou­jours, si cruel­le­ment absent dans le rite réfor­mé. Elle les invi­te­ra à œuvrer pour leur salut, unique but des âmes en marche vers le Ciel, négli­geant ain­si les contin­gences en vogue de bon­heurs pas­sa­gers. Ô com­bien fut utile l’œuvre de redres­se­ment ini­tiée par Monseigneur Lefebvre ! On ne sau­rait trop le remer­cier de cette divine obs­ti­na­tion à sau­ve­gar­der une messe aujourd’hui léga­le­ment péren­ni­sée. De la même manière, on lui sera demain recon­nais­sant, à lui et à ses suc­ces­seurs, d’avoir main­te­nu et de main­te­nir encore la fer­me­té doc­tri­nale et de n’avoir jamais rien cédé au regard de la Foi au sein d’une Église déboussolée.

Lui, l’enfant du Nord, le mis­sion­naire zélé, l’archevêque déter­mi­né, il main­tint ain­si sa conscience en toute séré­ni­té, se pré­pa­rant à com­pa­raître devant son Créateur : « Je vou­drais, disait-​il, qu’à l’heure de ma mort, lorsque Notre-​Seigneur me deman­de­ra : « Qu’as-tu fait de ta grâce épis­co­pale et sacer­do­tale ? » je n’aie pas à entendre de sa bouche : « Tu as contri­bué à détruire l’Eglise avec les autres » » Bien au contraire, en refu­sant de céder au charme des sirènes du com­pro­mis, il dut entendre au matin d’un 25 mars de l’année 1991 :

« Fidèle ser­vi­teur, Par ton zèle mis­sion­naire et ta téna­ci­té, Tu as sau­vé la messe et la doc­trine de Mon Eglise Bien-Aimée ! »

Côme pré­vi­gny

(1) – Mgr M. Lefebvre, Ecône, Sermon du 30 juin 1988
(2) – Mgr M. Lefebvre, Annecy, confé­rence du 27 sep­tembre 1987
(3) – Mgr M. Lefebvre, Lille, Sermon du 29 août 1976