Sortir de l’histoire écrite par les vainqueurs

A pro­pos de l’ouvrage du Professeur ita­lien Roberto de Mattei, Vatican II, l’histoire qu’il fal­lait écrire, publié aux édi­tions Contretemps.

« L’histoire est écrite par les vain­queurs ». L’ironie de cet apho­risme bien connu, c’est que les deux per­sonnes à qui il est attri­bué le plus com­mu­né­ment, à savoir Winston Churchill et Robert Brasillach, se retrou­vèrent dans des camps oppo­sés durant la Seconde Guerre mon­diale. Mais il est cer­tain que, dans la majo­ri­té des cas, les vain­queurs d’un com­bat quel­conque (mili­taire, poli­tique, cultu­rel, etc.) tendent à impo­ser leur ver­sion des faits, sous la forme d’une « Histoire sainte » où tout converge pour que les thèses (miri­fiques) des­dits vain­queurs triomphent brillam­ment des thèses oppo­sées, reje­tées elles-​mêmes dans les pou­belles du pro­grès de l’humanité.

Le concile Vatican II n’a certes pas échap­pé à ce des­tin funeste. Ceux qui virent triom­pher leurs idées (géniales), ceux qui firent vali­der leurs sou­haits (avan­cés), ceux qui prirent et assu­mèrent le pou­voir dans l’Église à cette époque, contre les tenants du « constan­ti­nisme », ont mono­po­li­sé sans ver­gogne le récit (légen­daire) de leurs exploits conci­liaires. Le paran­gon en est l’énorme his­toire du Concile, qua­si offi­cielle, sous la direc­tion de Giuseppe Alberigo, parue en fran­çais en cinq copieux volumes sous l’égide des édi­tions du Cerf. Tout y est abso­lu­ment conforme à la « ligne officielle ». 

C’est donc avec un inté­rêt évident qu’on par­court le livre remar­quable de Roberto de Mattei, pro­fes­seur d’histoire à l’Université euro­péenne de Rome, qui nous pro­pose une ver­sion dif­fé­rente de l’histoire du concile Vatican II. Un tra­vail extrê­me­ment docu­men­té, puisque ce volume de 600 pages de texte ne com­porte pas moins de 2 500 notes, issues d’une biblio­gra­phie de 50 pages ser­rées (en au moins sept langues).

Le pro­fes­seur Roberto de Mattei n’entend pas faire une his­toire idéo­lo­gique : ni celle des vain­queurs, ni même celle des vain­cus. Il entend plus sim­ple­ment, plus hon­nê­te­ment, plus uti­le­ment, pro­po­ser une his­toire… his­to­rienne, une his­toire la plus scien­ti­fique pos­sible, la plus proche des faits, la plus enra­ci­née dans le réel.

Il situe cette his­toire dans un cadre chro­no­lo­gique clair, en sept cha­pitres : le pre­mier consa­cré à la situa­tion de l’Église sous Pie XII, le deuxième au pro­ces­sus ame­nant au Concile, les quatre sui­vants aux quatre ses­sions du Concile, le sep­tième à la période allant de la clô­ture de Vatican II jusqu’à la mort du Pape Paul VI, en 1978.

Pour toute per­sonne qui s’intéresse à l’histoire récente de l’Église, dont Vatican II est évi­dem­ment un élé­ment tout à fait essen­tiel, la lec­ture de ce livre est tout sim­ple­ment pas­sion­nante. Revoir de façon pré­cise le dérou­le­ment de cet évé­ne­ment extra­or­di­naire, et à de mul­tiples égards aty­pique, que fut le Concile, per­met de remettre en pers­pec­tive toute notre époque sur le plan reli­gieux et, en consé­quence, sur le plan cultu­rel, voire poli­tique. De nom­breux faits oubliés, incon­nus, res­sur­gissent et éclairent puis­sam­ment la situa­tion actuelle de l’Église et de la socié­té. Comme le dit jus­te­ment le sous-​titre, c’était bien « une his­toire qu’il fal­lait écrire ».

Roberto de Mattei, Vatican II – L’histoire qu’il fal­lait écrire, Contretemps, 2025, 28 euros. Livre dis­po­nible sur le site « https://​renais​san​ce​ca​tho​lique​.fr » et à la librai­rie en ligne « https://​www​.chire​.fr ».

Source : Lettre à nos frères prêtres n°106 de juin 2025.