Écrire des lettres, un art oublié

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« Pour écrire à ceux qu’on aime, Est-​il besoin de tant d’esprit ? La plume va, court d’elle-même, Quand c’est le cœur qui la conduit ».

Alfred de Musset

Avec l’été sonne pour beau­coup l’heure des vacances et de la détente, des loi­sirs spor­tifs ou récréa­tifs, des retrou­vailles en famille ou entre amis… Changement d’activité et rup­ture de rythme ouvrent de nou­velles pers­pec­tives, offrant le luxe du temps libre deve­nu ordi­nai­re­ment rare ou très comp­té. Aussi en ces ins­tants de ralen­tis­se­ment qui nous donnent le choix de nos loi­sirs, pour­quoi ne retrouverions-​nous pas le bon­heur d’envoyer et de rece­voir des lettres et des cartes postales ? 

Art tom­bé en désué­tude en rai­son du défer­le­ment de la vague numé­rique et de la faci­li­té des outils tech­no­lo­giques, l’écriture manuelle a qua­si­ment dis­pa­ru. Avouons-​le, avec inter­net, le smart­phone, nous avons ces­sé de nous écrire, que nous soyons en vacances ou pas. Les échanges de lettres, de cartes pos­tales, de cartes de vœux annuelles ou d’anniversaire, ont cédé la place aux envois ins­tan­ta­nés de sms, de tweets et autres mails. D’année en année, la cor­res­pon­dance pri­vée manuelle se raré­fie, tou­jours plus mal­me­née par les aléas de La Poste et le prix du timbre deve­nu rédhi­bi­toire pour les porte-​monnaie les plus modestes. 

Nombreux pour­tant sont les défen­seurs de la pra­tique de l’écriture cur­sive. Elle déve­loppe le cer­veau, et pas seule­ment celui des plus jeunes. L’écriture sti­mule notre psy­cho­mo­tri­ci­té, déve­loppe notre mémoire. 

Si le main­tien de l’écriture manuelle est deve­nu un enjeu de socié­té, à plus forte rai­son l’écriture doit aus­si être un enjeu pour le salut de nos âmes. Car au-​delà des apports cog­ni­tifs, elle ren­ferme un tré­sor de bien­faits natu­rels et spi­ri­tuels qu’il convient de faire abon­dam­ment fructifier. 

La correspondance, quels avantages ?

Tout d’abord, il est bon de se rap­pe­ler pour­quoi nous écri­vons une lettre. 

La cor­res­pon­dance fait par­tie de nos devoirs. Il faut écrire pour féli­ci­ter, pour remer­cier, pour com­pa­tir, pour offrir des vœux, pour don­ner des nou­velles ; et aus­si, ne l’oublions pas, pour entre­te­nir les liens moraux qui nous unissent à notre famille, à nos amis, liens qui se relâ­che­ront bien vite si nous per­dons l’habitude de cor­res­pondre avec les absents. Plus que la dac­ty­lo­gra­phie et l’envoi déma­té­ria­li­sé, le recours à la plume, au papier, à l’enveloppe et au timbre, ancre le mes­sage dans le réel, dit quelque chose de la per­sonne qui écrit, ne serait-​ce qu’au tra­vers de la cal­li­gra­phie qui forme des lettres uniques. Nous écri­vons exac­te­ment ce que nous sommes. Notre écri­ture est une repro­duc­tion codée de notre être, une pho­to­gra­phie de notre âme. 

Si nous sommes en peine de trou­ver des des­ti­na­taires, il suf­fit d’y réflé­chir un peu, et la liste des per­sonnes à qui écrire s’en trou­ve­ra bien vite fournie : 

sa famille : ses parents, ses enfants, ses grands-​parents, ses petits-​enfants, ses oncles et tantes, ses neveux et nièces, ses cou­sins et cou­sines… ; son par­rain, sa mar­raine, son filleul, sa filleule ; ses amis et proches connais­sances, voi­sins ou col­lègues de tra­vail ; les prêtres, les reli­gieux, reli­gieuses et sémi­na­ristes de son entou­rage, son direc­teur spi­ri­tuel ; ses pro­fes­seurs, les per­son­na­li­tés qui nous ont mar­qué, les per­sonnes qui nous ont ren­du service…

La rédac­tion de toute lettre doit être pré­cé­dée d’un tra­vail de l’esprit. Qu’il s’agisse d’une simple lettre ami­cale ou d’une lettre impo­sée par les conve­nances, un temps de réflexion voire de médi­ta­tion s’impose. Le sty­lo n’offrant pas la sou­plesse du cla­vier ; écrire un brouillon peut alors s’avérer utile pour mesu­rer nos pro­pos, ajus­ter nos confi­dences, garan­tir la logique, évi­ter les répé­ti­tions. À la cor­rec­tion de l’orthographe et de la gram­maire s’ajoute la recherche de la beau­té. Pour mar­quer l’attention por­tée au lec­teur, le sup­port compte autant que le conte­nu : choix du papier, soin appor­tée à for­mer les carac­tères, lettres accom­pa­gnées de des­sins, d’illustrations, de col­lages, enve­loppe déco­rées, ori­gi­nales,… Bref, écrire une lettre relève du savoir et de l’être, de la forme et du fond, de sorte qu’une lettre tou­che­ra d’autant plus son des­ti­na­taire qu’elle sera le reflet de l’âme de celui qui l’écrit, qu’elle sera tein­tée de surnaturel. 

L’écriture, ou comment pratiquer les œuvres de Miséricorde 

De manière habi­tuelle, pour répondre à notre voca­tion bap­tis­male, nous avons tous à cœur de vivre en chré­tien, de par­ler en chré­tien, d’agir en chré­tien. Sommes-​nous aus­si conscients de notre pou­voir d’écrire en chré­tien ? De même que le contact phy­sique et l’échange ver­bal per­mettent d’entrer en rela­tion avec autrui, de même les mots cou­chés sur le papier mani­festent, si nous le vou­lons, notre cha­ri­té envers le pro­chain. Ainsi les bonnes œuvres dont il nous sera deman­dé compte par­ti­cu­lier au jour du juge­ment peuvent-​elles se réa­li­ser plei­ne­ment à tra­vers la correspondance. 

Visiter les infirmes 

Quand il n’est pas pos­sible de visi­ter phy­si­que­ment un malade, une per­sonne iso­lée, éloi­gnée, âgée, de simples cartes ou lettres envoyées per­mettent de rompre l’attente, de com­bler le vide, de redon­ner espoir et joie à l’être éprouvé. 

Visiter les prisonniers 

La cor­res­pon­dance avec les per­sonnes déte­nues est impor­tante et tout aus­si utile que la visite des pri­son­niers en éta­blis­se­ment péni­ten­tiaire. Elle peut se faire à titre indi­vi­duel ou dans un cadre asso­cia­tif (Fraternité du Bon Larron, Courrier de Bovet,…). 

Conseiller ceux qui en ont besoin 

L’écriture per­met d’atteindre dif­fé­rem­ment des per­sonnes de l’entourage, des amis, des col­lègues qui tra­versent des dif­fi­cul­tés et qui cherchent un sou­tien. Une cor­res­pon­dance entre un adulte et un ado­les­cent sco­la­ri­sé loin de chez lui est source de grande richesse parce qu’elle per­met plus faci­le­ment la confi­dence, l’approfondissement de sujets d’éducation quel­que­fois dif­fi­ciles à abor­der en face à face. De même en est-​il pour des étu­diants en proie au doute, à l’incertitude par rap­port à leur ave­nir pro­fes­sion­nel, pour des fian­cés qui se pré­parent au mariage, pour des jeunes gens et jeunes filles qui s’interrogent sur leur vocation. 

Instruire les ignorants 

Correspondre dans le but d’évangéliser, c’est expo­ser nos rai­sons de croire en de longs déve­lop­pe­ments épis­to­laires, ou sim­ple­ment accom­pa­gner d’un petit billet manus­crit un bon livre, une revue, une liasse d’articles soi­gneu­se­ment sélec­tion­nés. L’apôtre zélé ne manque pas d’idées quand il s’agit de témoi­gner de sa foi, de la transmettre ! 

Exhorter les pécheurs

Avec ceux qui ne connaissent pas ou qui s’éloignent de Notre Seigneur Jésus-​Christ, qui vivent des situa­tions contraires à l’Évangile, le cour­rier est une manière pos­sible de main­te­nir le contact tout en témoi­gnant soi-​même par son exemple, tout en rap­pe­lant avec pru­dence et dis­cer­ne­ment au pécheur la voie à suivre. 

Consoler les affligés

La souf­france est le lot com­mun de tout être humain. Ainsi que d’occasions nous sont don­nées d’écrire aux per­sonnes endeuillées afin de leur témoi­gner notre com­pas­sion et leur pro­po­ser notre aide. Qui sait le bien que peut faire un petit mot de récon­fort envoyé à une per­sonne atteinte d’une mala­die grave, souf­frant d’un han­di­cap, d’une dépres­sion…? Quant à ceux de notre entou­rage qui perdent un tra­vail, qui subissent une sépa­ra­tion ou qui affrontent des dif­fi­cul­tés fami­liales, ne seront-​ils pas for­ti­fiés par une lettre pleine d’attention et d’encouragement ?

Pardonner les offenses 

Enfin l’expression écrite inter­vient quand la parole est dif­fi­cile voire impos­sible, ou quand elle est un échec entre l’offenseur et l’offensé. Une lettre per­met­tra alors de dépo­ser par écrit ce que l’on ne peut dire de vive voix, tel un par­don, une demande de pardon. 

La lettre, support d’exercice de la charité fraternelle 

Point besoin d’être savant pour écrire une lettre. L’attention qu’on y met, le cœur sur­tout, suf­fisent à rendre les mots authen­tiques, vrais. Les prin­cipes d’une bonne cor­res­pon­dance sont le res­pect, la confiance, la bien­veillance, la dis­cré­tion, la sim­pli­ci­té, la sin­cé­ri­té, la déli­ca­tesse, le bon esprit. Autant de dis­po­si­tions inté­rieures qui émanent de la pure cha­ri­té. Bien écrire, c’est faire siennes ces grandes ver­tus que sont la pru­dence, l’humilité, la géné­ro­si­té, la gra­ti­tude. Certes, cela n’exclut pas les écueils de l’expression qui, lorsqu’elle est mal­adroite ou équi­voque, entraîne imman­qua­ble­ment des inter­pré­ta­tions, des sous-​entendus, eux-​mêmes sources d’une mau­vaise com­pré­hen­sion entre les personnes. 

C’est pour­quoi le recours à la prière est indis­pen­sable. Toutes nos actions méri­toires en découlent. Avant d’écrire, rien de tel que d’écouter le Saint-​Esprit, d’invoquer ses dons, pour être un digne mes­sa­ger de la sagesse divine : 

« Ce n’est pas vous en effet qui par­le­rez, mais c’est l’Esprit de votre Père qui par­le­ra en vous »

(Mt 10,20).

Nous avons tous à un moment ou à un autre enten­du des gens nous confier que ce qu’on leur avait dit ou écrit leur avait fait beau­coup de bien. Ils nous en ont d’ailleurs remer­ciés. Il suf­fit de petites choses pour tou­cher les cœurs, un peu de gen­tillesse, un ser­vice très humble, un véri­table cli­mat d’affection sur­tout. La vie qui passe nous montre que les lettres semées au fil du temps germent et portent du fruit. Nos anciens le savaient bien, eux qui écri­vaient plus que nous ne le fai­sons aujourd’hui. En résul­taient de pro­fonds liens d’amitié, la conser­va­tion de la mémoire (si utile dans les enquêtes pour la cause des saints), l’entretien de l’ancienne civi­li­té ensei­gnée dans les écoles et dans les familles, ou encore la fidé­li­té du sou­ve­nir pour reprendre les expres­sions de Jean de Viguerie évo­quant la lettre comme moyen essen­tiel de remercier. 

La correspondance à l’école des saints

Saint Thomas d’Aquin a dit : « La reli­gion chré­tienne se résume dans la misé­ri­corde et la misé­ri­corde est l’acte le plus haut de la cha­ri­té envers le pro­chain ». Nous avons évo­qué rapi­de­ment com­ment l’écriture pou­vait nous ame­ner à vivre concrè­te­ment cette misé­ri­corde. Force est de consta­ter qu’il y aurait encore beau­coup à dire sur son rôle dans notre sanc­ti­fi­ca­tion et celle de notre prochain. 

Pour toutes ces rai­sons évi­dentes, et parce que la sau­ve­garde de l’écriture manuelle reste un défi pour l’homme hyper­con­nec­té, il faut que nous nous dis­po­sions à culti­ver ou à réap­prendre l’art de la cor­res­pon­dance, à retrou­ver le goût de l’écriture. De plus, il est de notre devoir de le trans­mettre aux jeunes géné­ra­tions qui, en l’absence d’une pra­tique concrète et assi­due, risquent de perdre tota­le­ment ce savoir et tout ce qu’il sous-​tend. Apprenons aux enfants à écrire des lettres dès qu’ils maî­trisent l’écriture. Et pour­quoi, si cet enjeu nous tient à cœur, ne pas par­ti­ci­per indi­vi­duel­le­ment ou en lien avec l’école au pro­chain concours de la semaine de l’écriture qui aura lieu en octobre 2020 ? 

Quelles que soient nos réso­lu­tions, nous vous don­nons rendez-​vous tous, enfants, jeunes et adultes, dans un pro­chain numé­ro de l’Hermine pour appro­cher la cor­res­pon­dance à tra­vers l’histoire de l’Église et la vie des saints . Ainsi à l’exemple des mes­sages qu’ils ont su don­ner au monde, rem­plis comme eux de l’Esprit-Saint, nous dif­fu­se­rons nos propres mots d’amour, de paix et de misé­ri­corde pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes. 

Une parois­sienne du Prieuré de Nantes

Source : L’Hermine n°60