Lettre aux Amis et Bienfaiteurs du séminaire St-​Curé-​d’Ars n° 71

En route vers la Patrie

Abbé Patrick Troadec, Directeur du séminaire

Nous arri­vons bien­tôt au terme d’une année de sémi­naire et, une fois de plus, nous nous disons : « Déjà ! Comme le temps passe vite ! » Oui, c’est vrai, le temps passe vite.

Le temps est un peu dérou­tant pour nous. Le temps est une réa­li­té en quelque sorte incon­sis­tante. Le pas­sé n’existe plus, le futur n’existe pas encore. Il n’y a que le pré­sent qui existe. Mais ce moment pré­sent par défi­ni­tion ne demeure pas, il est tout de suite pas­sé… Ainsi, le temps s’écoule, il nous échappe, il fuit.

Nous vou­drions par­fois que cer­tains moments durent plus long­temps. Nous vou­drions arrê­ter en quelque sorte la machine du temps. Mais le temps conti­nue de s’écouler et il s’écoule à une vitesse qui nous paraît tou­jours plus rapide. Les anciens le disent. Au fil des ans, ils ont l’impression que la vie passe de plus en plus vite, et sur­tout les moments les plus agréables. Les vacances par exemple passent tou­jours très vite !

A l’inverse, les périodes de souf­france ou les périodes d’attente paraissent longues. Lorsque vous atten­dez votre tour chez le méde­cin, si celui-​ci est en retard, sur­tout si vous êtes pres­sé, le temps alors vous paraît long ; de même, en voi­ture dans les embou­teillages ; ou encore, une fois pas­sé des exa­mens, lorsque vous atten­dez les résul­tats, notam­ment si vous n’êtes pas sûr d’avoir réus­si, le temps vous paraît inter­mi­nable. Le temps est donc une réa­li­té bien mys­té­rieuse. Il semble plus ou moins long en fonc­tion des cir­cons­tances… Mais, quoi qu’il en soit, il paraît tou­jours rapide lorsqu’il est passé.

Pour échap­per au temps, il arrive que l’homme cherche à fuir la réa­li­té, soit en s’évadant dans l’avenir, soit en reve­nant sur le pas­sé. C’est ain­si qu’en géné­ral, les jeunes rêvent à leur ave­nir et les per­sonnes âgées aiment à reve­nir sou­vent sur les temps forts de leur vie pas­sée. On les entend dire : « C’était le bon temps. Le temps n’est plus ce qu’il était ! » Et les hommes, pas­sé la cin­quan­taine, songent déjà à leur retraite…

Mais n’y a‑t-​il pas mieux à faire que de vou­loir échap­per au temps par le rêve ? N’est-il pas pré­fé­rable de tirer des leçons salu­taires de la fuite du temps et de la rapi­di­té avec laquelle s’écoule une vie humaine afin de don­ner à notre vie le maxi­mum de fécondité ?

La vie est courte

S’il est vrai que le temps passe si vite, nous devons en conclure tout d’abord que la vie est courte. Sans doute, quand on est jeune, une durée de cent ans peut paraître très longue, mais en réa­li­té, une vie passe bien vite. Interrogez les per­sonnes âgées. Elles vous diront toutes que la vie passe très vite.

« Seigneur, s’écriait le psal­miste, vous avez fait mes jours mesu­rables » (Ps 38, 6). Et Bossuet com­mente ce ver­set en disant que « tout ce qui se mesure a son terme et, lorsqu’on est par­ve­nu à ce terme, un der­nier point détruit tout comme si jamais il n’avait été (1)».

Oui, le temps n’est rien com­pa­ré à l’éternité. C’est ain­si que le psal­miste affir­mait : « Mille ans sont devant vos yeux, ô mon Dieu, comme le jour d’hier qui est pas­sé. On les compte pour rien » (Ps 89, 4–5).

Et en rai­son de la rapi­di­té avec laquelle s’écoule la vie pré­sente, pour ne pas nous illu­sion­ner sur le temps qu’il nous reste à pas­ser ici-​bas, le psal­miste fai­sait à Dieu cette prière : « Faites-​moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui m’en reste encore » (Ps 38, 5). Et saint Robert Bellarmin de commenter :

« La vie humaine est très courte, et n’est pour ain­si dire qu’un néant. Cette véri­té, bien que d’ailleurs très évi­dente et confir­mée sans cesse par l’expérience, échappe à la réflexion du plus grand nombre. Pourquoi voit-​on tant d’hommes uni­que­ment occu­pés à amas­ser des biens ter­restres, à se les dis­pu­ter et à com­battre avec achar­ne­ment pour les acqué­rir, tan­dis qu’ils dédaignent et négligent l’acquisition des biens futurs ? Ils ne songent pas, en effet, ou ils ne croient pas, que la vie pré­sente fuit comme une ombre. Le Prophète s’adresse donc à Dieu : « Faites-​moi connaître, Seigneur, quelle est ma fin » ; faites, Seigneur, par votre grâce, que les yeux de mon âme soient éclai­rés et voient clai­re­ment que le terme de ma vie est déjà près de moi. Faites que je com­prenne, par de mûres réflexions, com­bien est limi­té le nombre de mes jours et, par suite, com­bien il me reste peu de temps à vivre (2)».

La vie est changeante

La vie humaine est donc bien courte. Par ailleurs, elle est chan­geante. Spontanément, nous aspi­rons à une cer­taine sta­bi­li­té, à un cer­tain repos, à une cer­taine paix.

Nous vou­drions par exemple faire durer les moments agréables, mais il est impos­sible de faire un arrêt sur image, le temps s’écoule sans cesse. Il est néces­saire de pas­ser d’une acti­vi­té à une autre, d’un lieu à un autre. La vie est faite de chan­ge­ments suc­ces­sifs de lieux, et éga­le­ment de suc­ces­sions d’unions et de séparations.

Et non seule­ment il y a ces chan­ge­ments inévi­tables de lieux, de rela­tions, mais nous-​mêmes chan­geons sans cesse. Nous ne res­tons jamais dans le même état. Le psal­miste le consta­tait : « L’homme est le matin comme l’herbe qui passe bien­tôt ; il fleu­rit le matin et il passe ; il tombe le soir, il s’endurcit et il sèche » (Ps 89, 6).

Au matin de sa vie, dans son enfance, l’homme est comme l’herbe, il ne s’y arrête pas. De même, dans sa jeu­nesse, qui est encore le matin de sa vie, il ne s’arrête pas davan­tage. Dans son âge mûr tombe la fleur de sa jeu­nesse. Il connaît alors la vieillesse après avoir per­du la sève de la viri­li­té. Et il se des­sèche enfin à la mort après avoir per­du la sève de la vie.

Et saint Robert Bellarmin de tirer la conclu­sion qu’il importe de gra­ver pro­fon­dé­ment en nous :

« Malheur à l’aveuglement de l’homme qui s’attache à la vie d’un jour comme si elle était éter­nelle, et méprise l’éternité comme si elle ne devait durer qu’un jour (3) ! ».

La vie pas­sant si vite, l’homme ne doit pas y pla­cer son cœur et ses affec­tions comme si elle devait durer toujours.

Une terre d’exil

La vie ter­restre étant si rapide et si chan­geante, nous devons prendre conscience qu’elle n’est pas la vraie vie. Elle n’est qu’une étape vers une autre vie, qui est bien meilleure, bien plus belle, bien plus par­faite pour tous ceux qui répondent à ce pour quoi ils ont été créés en se confor­mant à la volon­té de Dieu.

C’est ain­si que, dès l’Ancien Testament, les hommes fidèles à Dieu se consi­dé­raient comme des exi­lés. Le terme d’exil s’oppose à celui de patrie. Lorsque quelqu’un est en exil, son seul sou­ci, c’est de retrou­ver sa patrie. Saint Paul dans son Épître aux Hébreux fait l’éloge de tous ceux qui dans l’Ancien Testament ont fait preuve d’une grande foi. Il prend l’exemple d’Abel, qui a offert à Dieu un sacri­fice supé­rieur à celui de Caïn ; d’Hénoch, qui a été enle­vé au ciel sans connaître la mort ; de Noé, qui a fabri­qué une arche sur l’ordre de Dieu avant que ne com­men­çât le déluge ; d’Abraham, qui a quit­té son pays pour suivre Dieu, et ain­si de suite.

Puis il dit à leur sujet : « C’est dans la foi que tous ceux-​là mou­rurent avant d’avoir été mis en pos­ses­sion de ce qui avait été pro­mis, mais le voyant et le saluant de loin, et confes­sant qu’ils étaient des étran­gers et des hôtes sur la terre » (cf. He 11, 4–13). Un étran­ger ne se sent pas chez lui dans le pays où il séjourne, pas plus qu’un tou­riste dans une hôtellerie.

Ainsi, les justes de l’Ancien Testament se consi­dé­raient comme étran­gers sur la terre et, pour­suit saint Paul, « ceux qui disent ces mots [d’étrangers ou d’hôtes] montrent qu’ils cherchent une patrie » (He 11, 14). Et il ajoute : « C’est donc à une patrie qu’ils aspirent, à savoir la patrie céleste » (He 11, 16). Ainsi, pour saint Paul, il ne fai­sait aucun doute que les justes de l’Ancien Testament ont conquis le Ciel parce qu’ils se consi­dé­raient comme exi­lés sur la terre.

Et dans sa deuxième Épître aux Corinthiens, il fait sienne cette dis­po­si­tion des justes de l’Ancien Testament : « Tant que nous sommes dans ce corps, nous sommes en exil de Dieu » (2 Co 5, 6). Et il pour­suit en disant : « Car c’est par la foi que nous mar­chons et non par une claire vue » (2 Co 5, 7). Ainsi, pour saint Paul, ceux qui ont la foi sont ici-​bas en exil, tan­dis que ceux qui ne croient pas sont ici-​bas chez eux, parce qu’ils s’y trouvent dans leur élé­ment. En effet, ils ne vivent que pour cette terre, leur vue ne va pas au-delà.

Ce qui peut nous aider à bien vivre ces quelques années que nous pas­sons ici-​bas, c’est donc de les consi­dé­rer pour ce qu’elles sont, à savoir une période d’exil.

Application pratique

Cette vie est un exil, mais elle est aus­si une image de la vie bien­heu­reuse du Ciel. La san­té tem­po­relle est l’image de l’immortalité, qui seule est la véri­table san­té. La beau­té que nous admi­rons dans cer­taines créa­tures est à peine une ombre de cet éclat dont nous serons envi­ron­nés au Ciel. Les richesses de la terre ne sont pas de vraies richesses, mais les ombres de celles que nous pos­sé­de­rons là où rien ne nous man­que­ra, où Dieu sera tout à tous. Il en est de même de la science, de la gloire, de la gran­deur et de tout ce qu’ici l’on appelle biens.

Mais, pour méri­ter ce tré­sor sublime que le Bon Dieu nous a réser­vé au Ciel, il nous faut aujourd’hui nous déta­cher des biens de la terre. Nul ne peut ser­vir deux maîtres.

C’est bien le sens de l’exhortation de saint Pierre :

« Bien-​aimés, je vous exhorte, comme étran­gers et voya­geurs, à vous abs­te­nir des dési­rs char­nels qui com­battent contre l’âme. Ayez une bonne conduite au milieu des païens, afin que là même où ils vous calom­nient comme des mal­fai­teurs, ils remarquent vos bonnes œuvres et glo­ri­fient Dieu au jour de sa visite. (…) Car c’est là la volon­té de Dieu, qu’en fai­sant le bien, vous rédui­siez au silence l’ignorance des hommes insen­sés » (1 Pi 2, 11–12 et 15).

Saint Paul, consta­tant à son tour la fuite du temps, invi­tait les Corinthiens à vivre dans un grand déta­che­ment des créatures.

« Le temps est court, écrivait-​il. Ce qui reste à faire, c’est que ceux qui ont des femmes soient comme n’en ayant pas, et ceux qui pleurent comme ne pleu­rant pas, et ceux qui se réjouissent comme ne se réjouis­sant pas, et ceux qui achètent comme ne pos­sé­dant pas, et ceux qui usent de ce monde comme n’en usant pas ; car la figure de ce monde passe » (1 Co 7, 29 ‑31).

Ceci ne signi­fie pas que nous devions être indif­fé­rents à l’égard de nos êtres chers, mais que nous devons veiller sans cesse à ne pas acca­pa­rer égoïs­te­ment l’affection des per­sonnes qui nous entourent, ni à nous atta­cher déme­su­ré­ment aux biens maté­riels que nous pos­sé­dons, parce que nous ne sommes pas faits pour prendre, mais pour don­ner, pour nous donner.

C’est ce que Monseigneur LEFEBVRE ensei­gnait à ses sémi­na­ristes lorsqu’il les invi­tait à quit­ter ce qu’il appe­lait la men­ta­li­té de propriétaires.

« Nous ne sommes pas pro­prié­taires, leur disait-​il, des biens que nous pos­sé­dons, mais seule­ment loca­taires. Notre intel­li­gence, notre volon­té, notre sen­si­bi­li­té, nos sens, nos biens maté­riels, nos amis, tout cela, nous le tenons de Dieu. »

Et un jour vien­dra où nous devrons quit­ter tous nos biens exté­rieurs, le monde qui nous envi­ronne et jusqu’à notre propre corps pour rendre compte à Dieu de l’usage que nous en aurons fait.

Aussi, efforçons-​nous de nous atta­cher à Dieu sans réserve, déta­chons­nous des biens de ce monde et don­nons à nos œuvres une valeur d’éternité en les accom­plis­sant par amour de Dieu. Au moment de la mort, il ne res­te­ra entre nos mains que les seules actions accom­plies par amour de lui pour rece­voir notre pas­se­port pour le Ciel, d’où l’exhortation de Notre-​Seigneur dans l’Évangile :

« Ne vous amas­sez pas des tré­sors sur la terre, où la rouille et les vers détruisent, et où les voleurs percent et dérobent. Mais amassez-​vous des tré­sors dans le Ciel, où ni la rouille ni les vers ne détruisent, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car là où est votre tré­sor, là aus­si est votre cœur » (Mt 6, 19–20).

Abbé Patrick TROADEC, Directeur,

le 31 mai 2010, en la fête de Marie Reine

Notes

1 – Sermon, La mort, 1662.
2 – Abbé E. Daras, Explication des psaumes par le car­di­nal Bellarmin, Paris, Vivès, 1856, I, p. 387–388.
3 – Ibid., II, p. 485.

Chronique du séminaire

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Entretien avec monsieur l’abbé Troadec, Directeur du séminaire

Entretien pour La Porte Latine