Saint Ives de Chartres (1040–1116)

Saint Ives, évêque de Chartres — nous adop­tons à son sujet l’orthographe offi­ciel­le­ment admise en son dio­cèse, laquelle a l’avantage d’éviter la confu­sion avec saint Yves de Tréguier, — est à la fois l’un des plus célèbres cano­nistes du moyen âge, qui mit toute sa science au ser­vice des droits de l’Eglise, et l’une des grandes figures épis­co­pales d’un siècle qui connut sans doute des défec­tions lamen­tables mais aus­si des Saints illustres.

Jeunesse et premiers travaux de saint Ives

Ives naquit pro­ba­ble­ment à Auteuil, au dio­cèse de Beauvais, de parents nobles peut-​être, mais sur­tout pro­fon­dé­ment ver­tueux. De bonne heure, il vint s’asseoir sur les bancs de l’école abba­tiale du Bec‑, et aux côtés de saint Anselme, son condis­ciple pré­fé­ré, il écou­tait les leçons du célèbre Lanfranc. A cette école de science et de ver­tu, il étu­dia sa voca­tion. Le sacer­doce l’attirait : il se sen­tait fait pour ser­vir Dieu dans la retraite et le stu­dieux labeur de l’enseigne­ment. Devenu prêtre, il pro­fes­sa d’abord le droit cano­nique à la col­lé­giale de Nesle.

En 1075, Guy, évêque de Beauvais, fit appel au jeune maître pour remé­dier à la déca­dence, alors géné­rale, des Chapitres, en grou­pant des cha­noines sous une règle, celle de saint Augustin, près de l’église Saint-​Quentin de Beauvais. Ives en fut nom­mé Abbé en 1078. Il était dans cette voie un pré­cur­seur, puisqu’il devan­çait de plus de trente ans l’organisation des Chanoines Réguliers Proprement dits, par exemple à l’abbaye de Saint-​Victor de Paris, et la fon­da­tion de l’Ordre des Chanoines de Prémontré.

C’est à Beauvais qu’il com­po­sa les deux recueils de juris­pru­dence cano­nique, le Decretum el la Panormia, qui allaient le pla­cer au rang des plus célèbres Docteurs de France. Ces deux col­lec­tions, com­po­sées l’une de dix-​sept et l’autre de huit par­ties, ont trou­vé place, au XIXe siècle, dans la célèbre Patrologie de l’abbé Migne ; ils repré­sentent une œuvre d’érudition remar­quable pour l’époque et un acte d’éner­gie vrai­ment sacerdotale.

Au plus fort de la lutte des inves­ti­tures, le jeune pro­fes­seur pro­cla­mait bien haut, en face de l’enseignement césa­rien, la pri­mau­té du siège de Pierre, sa juri­dic­tion sou­ve­raine, son droit d’excommunication, la subor­di­na­tion des princes chré­tiens à la puis­sance spi­ri­tuelle, leur incom­pé­tence dans les élec­tions épis­co­pales, enfin le crime de leur ingé­rence dans l’investiture des béné­fices ecclé­sias­tiques qui avait pour consé­quence la simo­nie, c’est-à-dire l’achat et la vente sacri­lèges des fonc­tions sacrées.

Saint Ives est nommé évêque de Chartres

Au moment où Ives se signa­lait à l’at­ten­tion du monde chré­tien, Urbain II venait de dépo­ser une troi­sième fois le titu­laire, nom­mé Geoffroy 1er, du siège épis­co­pat de Chartres, car ce per­son­nage désho­no­rait l’Eglise par une conduite scan­da­leuse : en même temps, il ordon­nait au cler­gé et au peuple de pro­cé­der à une nou­velle élec­tion. Ce mode de suf­frage était alors en vigueur ; trop sou­vent il se trou­vait faus­sé par les intru­sions du pou­voir civil. Dans le cas pré­sent, et comme d’instinct, tous les suf­frages se por­tèrent sur le jeune maître dont le nom brillait d’un si vif éclat.

La pro­mo­tion d’Ives réjouit tous les catho­liques. Mais la fac­tion simo­niaque des évêques de cour, réunis autour du roi Philippe Ier, réso­lut de faire annu­ler l’élection. Richer, métro­po­li­tain de Sens, de qui rele­vait l’Eglise de Chartres, refu­sa de le sacrer, pré­ten­dant que la dépo­si­tion du pre­mier titu­laire avait été anti­ca­no­nique. Ives n’insista pas. Il par­tit pour l’Italie afin de sou­mettre l’af­faire à la déci­sion du Souverain Pontife.

L’accueil qu’il reçut du Pape fut celui qu’un vrai Saint pou­vait faire à un autre Saint, Le bien­heu­reux Urbain II le sacra de sa main le 24 novembre 1090, à Capoue. Ives revint en France empor­tant, avec les béné­dic­tions du Pontife, une admi­ra­tion pro­fonde pour ce glo­rieux défen­seur de l’Eglise, et la ferme réso­lu­tion d’imiter une pareille gran­deur d’âme.

En effet, loin de don­ner le bai­ser de paix au nou­veau frère et suf­fra­gant, dont Urbain lui noti­fiait la consé­cra­tion, le métro­po­li­tain de Sens, dans une lettre inju­rieuse, le cita à com­pa­raître devant le synode pro­vin­cial d’Etampes. La réponse d’Ives fut une reven­di­ca­tion solen­nelle des droits du Pape outra­gé, « Résister au juge­ment et aux sen­tences de l’autorité apos­to­lique, c’est, écrivait-​il, encou­rir de plein droit la note d’hérésie. »

Cependant, il ne refu­sa pas de se rendre au synode qui se réunit en 1091. L’archevêque pen­sa résoudre la dif­fi­cul­té en pro­non­çant d’une part, la dépo­si­tion de l’évêque indigne, et, d’autre part, l’invalidité, c’est-à-dire fa nul­li­té de l’élection d’Ives ; celui-​ci en appe­la au Pape.

L’adultère royal

Le même désordre que l’on vient de consta­ter dans l’Eglise de France sévis­sait aus­si à la cour. La noblesse mon­trait un véri­table déver­gon­dage. L’exemple lui venait de haut ; en effet, en 1092, le roi Philippe Ier, non content de vendre des évê­chés, de dépouiller les Eglises — dans l’intervalle il en enri­chis­sait d’autres, — fai­sait enle­ver dans l’église Saint-​Martin de Tours la jeune Bertrade de Montfort, femme du comte d’Anjou Foulques IV, dit le Réchin, et relé­guait au châ­teau de Montreuil-​sur-​Mer la ver­tueuse reine Berthe de Hollande.

En rap­por­tant au bien­heu­reux Urbain II ce qui s’était pas­sé au synode d’Etampes, Ives le sup­plia de confé­rer le titre et les fonc­tions de légat apos­to­lique à un per­son­nage qui serait char­gé de faire une enquête, et dont la ver­tu et la fer­me­té pussent oppo­ser une digue au tor­rent qui mena­çait de tout enva­hir. Urbain II n’hésita pas : il réta­blit l’archevêque de Lyon, Hugues de Bourgogne, dans la charge de légat apostolique.

Saint Ives en prison

Convié par le monarque sacri­lège à assis­ter à la céré­mo­nie du mariage qu’il vou­lait contrac­ter avec sa com­plice, le pieux évêque de Chartres lui répon­dit qu’il ne pou­vait se plier au gré de ces caprices criminels :

Bertrade, écrivait-​il quelque temps après à Philippe, ne peut pas deve­nir votre épouse, tant qu’une sen­tence cano­nique n’au­ra pas dis­sous le double lien de son pré­cé­dent mariage et du vôtre. Je n’irai point à Paris : j’aimerais mieux être jeté au fond de la mer avec une meule au cou que de don­ner un pareil scan­dale au peuple chrétien.

C’était le non licet de saint Jean-​Baptiste répé­té avec une élo­quente indi­gna­tion. Ives fit trans­crire cette lettre cou­ra­geuse, et il en adres­sa des copies à tous les arche­vêques et évêques, en leur disant que tous avaient les mêmes motifs que lui de s’abstenir.

Malheureusement, il se trou­va des pré­lats pour pro­non­cer la nul­li­té du pre­mier mariage sous un pré­texte de paren­té et bénir cette nou­velle union sacri­lège. Ce fut un long cri de dou­leur dans tout le royaume ; l’évêque de Chartres paya de la liber­té sa cou­ra­geuse résis­tance ; il fut jeté en pri­son, décla­ré cou­pable de félo­nie et consé­quem­ment dépouillé de tous ses biens. Et comme ses dio­cé­sains par­laient de le déli­vrer par les armes, le saint pon­tife le leur défendit.

Urbain II, en enjoi­gnant à l’ar­che­vêque de Reims, Renauld du Bellay, de répri­mer l’infamie royale, même au moyen des cen­sures, lui ordon­na en même temps de récla­mer la mise en liber­té d’Ives de Chartres, et, en cas de refus, d’excommunier le sei­gneur qui le tenait cap­tif et de jeter l’interdit sur ses domaines.

Le pri­son­nier fut déli­vré, mais les cou­pables adul­tères ne se sépa­rant pas, l’évêque redou­bla de zèle et d’activité pour exci­ter l’ar­deur du légat. Il lui écri­vit aussitôt :

Plus les per­vers ont de témé­ri­té pour atta­quer le droit et l’Eglise de Dieu, plus il nous faut mon­trer de cou­rage pour la défense de la reli­gion mena­cée. Hérodiade danse devant Hérode ; elle demande la tête de Jean ; Hérode est tou­jours prêt à la lui accor­der. Mais Jean ne cesse pas de redire le non licet.

Le nou­veau Jean-​Baptiste n’était autre qu’Ives lui-​même. Du reste, Hugues se mon­trait digne d’entendre ce lan­gage. Pendant qu’Ives s’occupait de contre­car­rer l’hy­po­crite léga­tion que Philippe Ier avait envoyée à Rome après la mort de la reine Berthe (1094), le cou­ra­geux légat ful­mi­nait la même année, au Concile d’Autun, une sen­tence solen­nelle d’excommunication contre Philippe, Bertrade et leurs complices.

Pour se ven­ger, le roi dres­sa un acte d’accusation contre l’évêque de Chartres qui répon­dit : « Que le sei­gneur roi fasse contre mon humble per­sonne tout ce qu’il vou­dra ou pour­ra ; qu’il m’emprisonne, me pros­crive, m’anéantisse ; je suis prêt à tout souf­frir pour la loi de mon Dieu. Jamais je ne consen­ti­rai à un crime. »

Le roi per­sis­ta dans sa cri­mi­nelle réso­lu­tion, et la cou­pable Bertrade lui don­na deux fils.

Saint Ives ménage la réconciliation du roi avec l’Église

Pendant ce temps, un magni­fique mou­ve­ment se pré­pa­rait : c’était celui des croi­sades. Urbain II vint lui-​même au Concile de Clermont, en novembre 1095, prê­cher la guerre sainte et pous­ser le cri de la déli­vrance : « Dieu le veut ! » Philippe res­ta, il est vrai, étran­ger au mou­ve­ment géné­ral d’enthousiasme, mais il sen­tait que sa situa­tion deve­nait cri­tique, un cer­tain nombre de sei­gneurs pro­fi­tant de l’hostilité d’une par­tie du haut cler­gé pour secouer l’autorité royale. Après deux ans d’égarements, il se mon­tra un moment tou­ché. En 1096, ayant appris que le Pape devait séjour­ner quelque temps à Montpellier ou dans le Languedoc, il dépu­ta vers le Souverain Pontife Ives de Chartres lui-​même, avec charge de faire les pre­mières ouver­tures de soumission.

Le choix du négo­cia­teur était de nature à ins­pi­rer la plus grande confiance. Le Pape accueillit avec joie les démons­tra­tions de repen­tir que mani­fes­tait Philippe. Il vou­lut bien se conten­ter d’une renon­cia­tion pri­vée. Le roi vint donc à Nîmes, et prê­ta entre les mains d’Urbain II le ser­ment de ren­voyer Bertrade ; moyen­nant quoi, l’excommunication fut levée.

Le désir de la paix l’entraîne à des concessions excessives

On peut sup­po­ser que le roi était sin­cère, et que le retour à sa pas­sion n’était qu’une nou­velle fai­blesse. En tout cas, la femme adul­tère fut rap­pe­lée. Vraie ou feinte, la sou­mis­sion momen­ta­née de Philippe allait lui per­mettre de trom­per plus sûre­ment la bonne foi de l’é­vêque de Chartres.

Apprenant qu’Hugues de Bourgogne s’occupait acti­ve­ment de la convo­ca­tion d’un pro­chain Concile, le roi crai­gnit, non sans rai­son, d’y être frap­pé d’une nou­velle sen­tence d’ex­com­mu­ni­ca­tion. Il se plai­gnit donc vive­ment près d’Ives de ces pré­pa­ra­tifs qui avaient lieu sans l’as­sen­ti­ment royal. L’évêque de Chartres, sans vou­loir condam­ner le légat, don­na au roi ce qu’on pour­rait appe­ler plu­tôt une consul­ta­tion juri­dique, décla­rant qu’un nou­veau Concile ne pou­vait, en ver­tu des lois cano­niques, avoir lieu à une date si rap­pro­chée. Il y avait là d’ailleurs une erreur regret­table puisque Ives appli­quait aux Conciles géné­raux une règle qui concer­nait seule­ment les synodes ou Conciles provinciaux.

D’autre part, sur­tout à cette période de sa vie, le pré­lat semble pré­oc­cu­pé par le sou­ci de sau­ve­gar­der avant tout l’intérêt géné­ral de l’Eglise ; pour ce motif, et en vue d’éviter de plus grands maux, il incline aux solu­tions paci­fiques, toutes les fois que celles-​ci lui paraissent pou­voir se conci­lier avec la sau­ve­garde des prin­cipes, pour les­quels il entend gar­der un res­pect absolu.

Cette remarque parait plus par­ti­cu­liè­re­ment exacte lorsqu’il s’agit de la ques­tion des inves­ti­tures ; alors que Rome main­tient une atti­tude nette, intran­si­geante, qui est sou­vent la grande force de la véri­té, l’évêque de Chartres accep­te­rait volon­tiers une décla­ra­tion de prin­cipe for­melle, et, chaque fois que la chose sc peut, des dis­penses, ou, selon le cas, « une dis­crète pro­tes­ta­tion ». Il juge, en effet, et l’histoire du moyen âge le confirme plu­sieurs fois, qu’il est de l’intérêt des âmes que règne une par­faite har­mo­nie entre le pou­voir spi­ri­tuel et l’autorité tem­po­relle, ou, comme il écrit, entre « le trône et l’autel, ces deux puis­sants piliers sur les­quels repo­sait prin­ci­pa­le­ment le taber­nacle de Dieu ».

Ce désir de paci­fi­ca­tion aurait entraî­né Ives à sacrer un évêque nom­mé par le roi ; il en accep­tait la res­pon­sa­bi­li­té, pour­vu que l’investiture du pou­voir civil fût pos­té­rieure à la consé­cra­tion épis­co­pale, et que cette inves­ti­ture fût regar­dée comme réduite à des effets temporels.

Une telle atti­tude, peu clair­voyante sans doute, mais par­fai­te­ment dés­in­té­res­sée, éton­na d’abord le légat. Bientôt, il crut devoir l’entraver.

C’est ain­si qu’il inter­dit en 1097, à l’évêque de Chartres, de sacrer son nou­veau métro­po­li­tain Daimbert, arche­vêque de Sens, qui avait déjà reçu, dit-​on, l’investiture de Philippe, et il récla­ma aupa­ra­vant de l’élu une pro­fes­sion de foi. Ives se sou­mit, mais s’efforça de résoudre paci­fi­que­ment l’affaire ; dans la cir­cons­tance il se lais­sa entraî­ner à des récri­mi­na­tions injustes envers le légat. Ce mal­en­ten­du, qui, en se pro­lon­geant, n’aurait pu qu’aggraver les torts de l’évêque de Chartres, ne dura pas ; le cou­pable s’humilia, recon­nut loya­le­ment qu’il s’était trom­pé et à peine eut-​il appris que le Pape réprou­vait sa conduite, qu’il s’empressa d’écrire au bien­heu­reux Urbain II une lettre fort édi­fiante. « Je ne pré­tends pas, disait-​il, sou­te­nir ma lettre ni entrer en juge­ment avec vous. » Et, avec une humi­li­té qui est le propre de tous les grands Saints quand ils se recon­naissent cou­pables, il sup­pliait le Souverain Pontife de le déchar­ger d’un far­deau que ses épaules trop faibles ne pou­vaient pas por­ter. Mais le Pape connais­sait trop bien la valeur d’un tel cham­pion pour lui per­mettre le repos, au moment où Philippe Ier, dou­ble­ment adul­tère, affli­geait de plus en plus l’Eglise de Dieu.

Les droits de la morale proclamés au concile de Poitiers

Sur ces entre­faites, Urbain II mou­rut le 29 juillet 1099. Ives s’empressa aus­si­tôt de mettre son dévoue­ment au ser­vice du nou­veau Pontife, Pascal II. Brusquant les choses, le roi de France avait fait cou­ron­ner Bertrade par l’archevêque de Reims, Manassès de Châtillon, et pro­po­sait lui-​même à Pascal II de convo­quer un nou­veau Concile.

De son côté, Ives vou­lut, aux envi­rons de l’année 1100, aller trou­ver le Souverain Pontife avec ce double objec­tif de défendre tous les droits de la morale outra­gée et tons les droits de l’Eglise, et d’engager le Pape à la conci­lia­tion. Il trou­va les Alpes gar­dées par les agents du roi et il dut renon­cer à son pro­jet. Il par­vint cepen­dant à faire remettre à Pascal II deux lettres sur la triste situa­tion du royaume. En les lisant, le Souverain Pontife recon­nut que la gran­deur du mal néces­si­tait des remèdes éner­giques. Ives de Chartres récla­mait de nou­veau le réta­blis­se­ment d’Hugues dans la charge de légat, mais l’ar­che­vêque de Lyon était par­ti pour la Terre Sainte. A sa place, deux car­di­naux furent envoyés de Rome.

De concert avec ces légats, l’évêque de Chartres essaya de rame­ner le cou­pable : l’un des deux car­di­naux parut même à la cour. Mais tous les efforts échouèrent devant la pas­sion. Une seconde excom­mu­ni­ca­tion deve­nait néces­saire. Ives gui­da les tra­vaux des repré­sen­tants du Pape, choi­sit la ville et l’é­poque où devait avoir lieu le Concile. Enfin la sen­tence fut, grâce à ses efforts, ful­mi­née au Concile de Poitiers, le 18 novembre 1100, mal­gré les cris de mort pro­fé­rés par une sol­da­tesque impu­dente. En dépit des dif­fi­cul­tés, l’é­glise Saint-​Hilaire, où se tenait le Concile, ne réunis­sait pas moins de cent qua­rante évêques et prélats.

Ives res­tait sus­pect aux yeux du roi ; ce sen­ti­ment d’hostilité en­veloppa éga­le­ment l’ami de l’évêque de Chartres, Gualon, élu en 1101 évêque de Beauvais. Pour ne pas déplaire à Philippe Ier l’archevêque de Reims, Manassès, refu­sa de le sacrer. Ives prit sa défense, s’efforçant de convaincre le pré­lat de pas­ser outre ; tou­jours enclin à employer des moyens de conci­lia­tion, tout en conser­vant la pri­mau­té du spi­ri­tuel, il conseillait à Manassès de sacrer l’élu, et il ajou­tait : « Le roi fera ce qu’il voudra. »

La réconciliation définitive de Philippe Ier. Conversion de Bertrade

Philippe sen­tit enfin la vio­lence du coup qui l’avait frap­pé. Il s’adressa encore à Ives pour lui expri­mer son repen­tir : celui qui avait été l’instrument de la puni­tion allait deve­nir l’instrument de la réha­bi­li­ta­tion. Le pré­lat fit donc les démarches néces­saires à Rome et, en 1104, le roi fut rele­vé de l’excommunication dans des cir­cons­tances qui ne sont peut-​être pas net­te­ment défi­nies. Il devait mou­rir en en 1108. Plus tard, Bertrade, qui avait échoué dans ses efforts pour assu­rer à ses enfants une situa­tion brillante, peut-​être même le trône à l’aîné d’entre eux, se reti­rait au monas­tère de Fontevrault, fon­dé par le « bien­heu­reux » Robert d’Arbrissel dont la parole apos­to­lique l’avait rap­pro­chée de Dieu ; elle devait mou­rir sous le voile vers 1117, après avoir fon­dé le monas­tère de Hautes-​Bruyères non loin de Montfort‑l’Amaury.

Derniers travaux de saint Ives. — Sa mort et son culte

Au début du XIIc siècle, Ives n’apparaît plus que de temps en temps sur la scène agi­tée du monde. Cependant, il reste l’arbitre sou­ve­rain entre tous les par­tis. La sain­te­té don­nait à ses déci­sions une force inouïe. Enfin, le véné­rable vieillard, consu­mé par les durs labeurs d’un épis­co­pat de vingt-​cinq ans, mou­rut pai­si­ble­ment le 23 décembre 1115. Plusieurs ont fait de lui un car­di­nal, mais ils ont confon­du avec un homo­nyme, qui reçut la dia­co­nie de Sainte-​Marie in Aquiro en 1135 et mou­rut vers 1139 ou peut-​être en 1145.

Son nom était entou­ré d’une auréole de sain­te­té que son époque, si trou­blée cepen­dant, n’a pas refu­sé de recon­naître, et sa mémoire conti­nua d’être hono­rée. Les héré­tiques ont détruit ses restes, et l’on sait qu’en géné­ral, ils n’a­gissent ain­si que vis-​à-​vis des reliques des Saints. En 1570, le Pape saint Pie V per­mit aux Chanoines régu­liers du Latran de célé­brer la fête d’Ives de Chartres à la date du 20 mai.

A. Fb. Br. La Bonne Presse 1ère série. 

Sources consul­tées. — Acta Sanctorum, t. V de mai (Paris et Rome, 1866). — Les Religieuses de Sainte-​Marie de Fontevrault, Histoire de l’Ordre de Fontevrault) t. I : Vie de Robert d’Arbrissel (Audi, 1911). — Paul Fournier, Yves de Chartres et le droit cano­nique, dans Revue des Questions his­to­riques (Paris, 1898), — (V S. B. P‑, n‘ 252.)