Benoît XII

197e pape ; de 1334 à 1342

29 Janvier 1336

Constitution Benedictus Deus

Sur le sort de l'homme après la mort - La vision béatifique de Dieu

La pré­sente défi­ni­tion de Benoît XII inter­vient pour cou­per court à la contro­verse avec le pré­dé­ces­seur immé­diat de Benoit XII, le pape Jean XXII. En effet, le pape Jean XXII sou­te­nait – de manière pri­vée et non infaillible – la thèse contraire à la pré­sente défi­ni­tion en cher­chant à inter­pré­ter un ser­mon de saint Bernard de Clairvaux [1]. Il affir­mait ain­si que les âmes saintes des défunts n’ont pas accès au ciel avant le juge­ment der­nier. Entre-​temps, celles-​ci sont « sub altare Dei » [2] et n’ont donc pas accès à la vision béa­ti­fique. Déjà comme car­di­nal, Benoit XII avait rédi­gé un ample trai­té où il défen­dait la thèse adverse, dans la ligne de saint Thomas d’Aquin et de la Tradition. Arrivé au sou­ve­rain pon­ti­fi­cat, il fit exa­mi­ner atten­ti­ve­ment le pro­blème par une com­mis­sion de théo­lo­gien et tran­cha la contro­verse en faveur de la vision immédiate.

Rome, le 29 jan­vier 1336

Bulle de S. S. Benoît XII
Évêque, ser­vi­teur des ser­vi­teurs de Dieu

Pour en conser­ver le per­pé­tuel souvenir.

Par cette consti­tu­tion qui res­te­ra à jamais en vigueur, et en ver­tu de l’au­to­ri­té apos­to­lique nous définissons :

  • que selon la dis­po­si­tion géné­rale de Dieu, les âmes de tous les saints qui ont quit­té ce monde avant la Passion de notre Seigneur Jésus Christ, ain­si que celles des saints apôtres, mar­tyrs, confes­seurs, vierges et autres fidèles morts après avoir reçu le saint bap­tême du Christ, en qui il n’y avait rien à puri­fier lors­qu’ils sont morts, et en qui il n’y aura rien à puri­fier lors­qu’ils mour­ront à l’a­ve­nir, ou s’il y a eu ou s’il y aura quelque chose à puri­fier, lorsque, après leur mort, elles auront été purifiées,
  • et que les âmes des enfants régé­né­rés par ce même bap­tême du Christ ou encore à bap­ti­ser, une fois qu’ils l’au­ront été, s’ils viennent à mou­rir avant d’u­ser de leur libre arbitre, aus­si­tôt après leur mort et la puri­fi­ca­tion dont nous avons par­lé pour celles qui en auraient besoin, avant même de reprendre leurs corps et avant même le juge­ment et cela depuis l’Ascension de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ au ciel, ont été, sont et seront au ciel, au Royaume des cieux et au para­dis céleste avec le Christ, réunis dans la com­pa­gnie des saints anges,
  • et que depuis la Passion et la mort du Seigneur Jésus Christ elles ont vu et voient l’es­sence divine d’une vision intui­tive et même face à face – sans la média­tion d’au­cune créa­ture qui serait un objet de vision ; au contraire l’es­sence divine se mani­feste à eux immé­dia­te­ment à nu, clai­re­ment et à décou­vert –, et que par cette vision elles jouissent de cette même essence divine ; et qu’en outre, en rai­son de cette vision et de cette jouis­sance, les âmes de ceux qui sont déjà morts sont vrai­ment bien­heu­reuses et pos­sèdent la vie et le repos éter­nel, et que de même les âmes de ceux qui mour­ront dans la suite ver­ront cette même essence divine et en joui­ront avant le juge­ment général ;
  • et que cette vision de l’es­sence divine et sa jouis­sance font dis­pa­raître en elles les actes de foi et d’es­pé­rance, dans la mesure où la foi et l’es­pé­rance sont des ver­tus pro­pre­ment théologiques ;
  • et que, après qu’une telle vision intui­tive face à face et une telle jouis­sance ont ou auront com­men­cé, cette même vision et cette même jouis­sance existent de façon conti­nue, sans inter­rup­tion ni amoin­dris­se­ment de cette vision et de cette intui­tion, et demeurent sans fin jus­qu’au juge­ment der­nier, et après lui pour toujours.

En outre nous défi­nis­sons que,

  • selon la dis­po­si­tion géné­rale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mor­tel des­cendent aus­si­tôt après leur mort en enfer, où elles sont tour­men­tées de peines éter­nelles, et que néan­moins au jour du juge­ment tous les hommes com­pa­raî­tront avec leurs corps « devant le tri­bu­nal du Christ » pour rendre compte de leurs actes per­son­nels, « afin que cha­cun reçoive le salaire de ce qu’il aura fait pen­dant qu’il était dans son corps, soit en bien, soit en mal » [3]

Benoît XII, Pape.

Notes de bas de page
  1. « Karissimi, adver­ta­tis parum. Beatus Bernardus in quo­dam ser­mone vide­tur dicere quod merces sanc­to­rum ante adven­tum Christi erat sinus Abrahae, post adven­tum Christi et eius pas­sio­nem et ascen­sio­nem in cae­lo, merces sanc­to­rum est et erit usque ad diem iudi­cii esse “sub altare Dei”. Unde est dicere quod usque ad diem iudi­cii, sub altare Dei erunt, et non in cae­lo » Jean XXII, Sermones in fes­ti­vi­tate omnium sanc­to­rum (désor­mais : Sermones), I [1–11-1331], M. DYKMANS ed., Les ser­mons de Jean XXII sur la vision béa­ti­fique, Roma, 1973 (Miscellanea Historiae Pontificiae, 34), pp. 93, 20–94, 2.[]
  2. Allusion à Ap 6, 9.[]
  3. 2 Co 5,10.[]