Benoît XV

258e pape ; de 1914 à 1922

1er août 1917

Lettre aux chefs des peuples belligérants

Dès le début de Notre Pontificat, au milieu des hor­reurs de la ter­rible guerre déchaî­née sur l’Europe, Nous Nous sommes pro­po­sé trois choses entre toutes : gar­der une par­faite impar­tia­li­té à l’égard de tous les bel­li­gé­rants, comme il convient à Celui qui est le Père com­mun et qui aime tous ses enfants d’une égale affec­tion ; Nous effor­cer conti­nuel­le­ment de faire à tous le plus de bien pos­sible, et cela sans accep­tion de per­sonnes, sans dis­tinc­tion de natio­na­li­té ou de reli­gion, ain­si que Nous le dicte aus­si bien la loi uni­ver­selle de la cha­ri­té que la suprême charge spi­ri­tuelle à Nous confiée par le Christ ; enfin, comme le requiert éga­le­ment Notre mis­sion paci­fi­ca­trice, ne rien omettre, autant qu’il était en Notre pou­voir, de ce qui pour­rait contri­buer à hâter la fin de cette cala­mi­té, en essayant d’amener les peuples et leurs chefs à des réso­lu­tions plus modé­rées, aux déli­bé­ra­tions sereines de la paix, d’une paix « juste et durable ».

Quiconque a sui­vi Notre œuvre pen­dant ces trois dou­lou­reuses années, qui viennent de s’écouler, a pu faci­le­ment recon­naître que, si Nous sommes res­tés tou­jours fidèles à Notre réso­lu­tion d’absolue impar­tia­li­té et à Notre action de bien­fai­sance, Nous n’avons pas ces­sé non plus d’exhorter peuples et gou­ver­ne­ments bel­li­gé­rants à rede­ve­nir frères, bien que la publi­ci­té n’ait pas été don­née à tout ce que Nous avons fait pour atteindre ce très noble but.

Vers la fin de la pre­mière année de guerre, Nous adres­sions aux nations en lutte les plus vives exhor­ta­tions, et de plus Nous indi­quions la voie à suivre pour arri­ver à une paix stable et hono­rable pour tous. Malheureusement Notre appel ne fut pas enten­du ; et la guerre s’est pour­sui­vie, achar­née, pen­dant deux années encore, avec toutes ses hor­reurs : elle devint même plus cruelle et s’étendit sur terre, sur mer, jusque dans les airs ; et l’on vit s’abattre sur des cités sans défense, sur de tran­quilles vil­lages, sur leurs popu­la­tions inno­centes, la déso­la­tion et la mort. Et main­te­nant per­sonne ne peut ima­gi­ner com­bien se mul­ti­plie­raient et s’aggraveraient les souf­frances de tous, si d’autres mois, ou, pis encore, si d’autres années venaient s’ajouter à ce san­glant trien­nat. Le monde civi­li­sé devra-​t-​il donc n’être plus qu’un champ de mort ? Et l’Europe, si glo­rieuse et si flo­ris­sante, va-​t-​elle donc, comme entraî­née par une folie uni­ver­selle, cou­rir à l’abîme et prê­ter la main à son propre suicide ?

Dans une situa­tion si angois­sante, en pré­sence d’une menace aus­si grave, Nous qui n’avons aucune visée poli­tique par­ti­cu­lière, qui n’écoutons les sug­ges­tions ou les inté­rêts d’aucune des par­ties bel­li­gé­rantes, mais uni­que­ment pous­sé par le sen­ti­ment de Notre devoir suprême de Père com­mun des fidèles, par les sol­li­ci­ta­tions de Nos enfants qui implorent Notre inter­ven­tion et Notre parole paci­fi­ca­trice, par la voix même de l’humilité et de la rai­son, Nous jetons de nou­veau un cri de paix et Nous renou­ve­lons un pres­sant appel à ceux qui tiennent en leurs mains les des­ti­nées des nations. Mais pour ne plus Nous ren­fer­mer dans des termes géné­raux, comme les cir­cons­tances Nous l’avaient conseillé par le pas­sé, Nous vou­lons main­te­nant des­cendre à des pro­po­si­tions plus concrètes et pra­tiques, et invi­ter les gou­ver­ne­ments des peuples bel­li­gé­rants à se mettre d’accord sur les points sui­vants, qui semblent devoir être les bases d’une paix juste et durable, leur lais­sant le soin de les pré­ci­ser et de les compléter.

Tout d’abord le point fon­da­men­tal doit être, qu’à la force maté­rielle des armes soit sub­sti­tuée là force morale du droit ; d’où un juste accord de tous pour la dimi­nu­tion simul­ta­née et réci­proque des arme­ments, selon des règles et des garan­ties à éta­blir, dans la mesure néces­saire et suf­fi­sante au main­tien de l’ordre public en chaque État ; puis, en sub­sti­tu­tion des armées, l’institution de l’arbitrage, avec sa haute fonc­tion paci­fi­ca­trice, selon des normes à concer­ter et des sanc­tions à déter­mi­ner contre l’État qui refu­se­rait soit de sou­mettre les ques­tions inter­na­tio­nales à l’arbitrage soit d’en accep­ter les décisions.

Une fois la supré­ma­tie du droit ain­si éta­blie, que l’on enlève tout obs­tacle aux voies de com­mu­ni­ca­tion des peuples, en assu­rant, par des règles à fixer éga­le­ment, la vraie liber­té et com­mu­nau­té des mers, ce qui, d’une part, éli­mi­ne­rait de mul­tiples causes de conflit, et, d’autre part, ouvri­rait à tous de nou­velles sources de pros­pé­ri­té et de progrès.

Quant aux dom­mages à répa­rer et aux frais de guerre, Nous ne voyons d’autre moyen de résoudre la ques­tion, qu’en posant, comme prin­cipe géné­ral, une remise entière et réci­proque, jus­ti­fiée du reste par les bien­faits immenses à reti­rer du désar­me­ment ; d’autant plus qu’on ne com­pren­drait pas la conti­nua­tion d’un pareil car­nage uni­que­ment pour des rai­sons d’ordre éco­no­mique. Si, pour cer­tains cas, il existe, à l’encontre, des rai­sons par­ti­cu­lières, qu’on les pèse avec jus­tice et équité.

Mais ces accords paci­fiques, avec les immenses avan­tages qui en découlent, ne sont pas pos­sibles sans la res­ti­tu­tion réci­proque des ter­ri­toires actuel­le­ment occu­pés. Par consé­quent, du côté de l’Allemagne, éva­cua­tion totale de la Belgique, avec garan­tie de sa pleine indé­pen­dance poli­tique, mili­taire et éco­no­mique, vis-​à-​vis de n’importe quelle puis­sance ; éva­cua­tion éga­le­ment du ter­ri­toire fran­çais ; du côté des autres par­ties bel­li­gé­rantes, sem­blable res­ti­tu­tion des colo­nies allemandes.

Pour ce qui regarde les ques­tions ter­ri­to­riales, comme par exemple celles qui sont débat­tues entre l’Italie et l’Autriche, entre l’Allemagne et la France, il y a lieu d’espérer qu’en consi­dé­ra­tion des avan­tages immenses d’une paix durable avec désar­me­ment, les par­ties en conflit vou­dront les exa­mi­ner avec des dis­po­si­tions conci­liantes, tenant compte, dans la mesure du juste et du pos­sible, ain­si que Nous l’avons dit autre­fois, des aspi­ra­tions des peuples, et à l’occasion coor­don­nant les inté­rêts par­ti­cu­liers au bien géné­ral de la grande socié­té humaine.

Le même esprit d’équité et de jus­tice devra diri­ger l’examen des autres ques­tions ter­ri­to­riales et poli­tiques, et notam­ment celles rela­tives à l’Arménie, aux États bal­ka­niques et aux ter­ri­toires fai­sant par­tie de l’ancien royaume de Pologne, auquel en par­ti­cu­lier ses nobles tra­di­tions his­to­riques et les souf­frances endu­rées, spé­cia­le­ment pen­dant la guerre actuelle, doivent jus­te­ment conci­lier les sym­pa­thies des nations.

Telles sont les prin­ci­pales bases sur les­quelles Nous croyons que doive s’appuyer la future réor­ga­ni­sa­tion des peuples. Elles sont de nature à rendre impos­sible le retour de sem­blables conflits et à pré­pa­rer la solu­tion de la ques­tion éco­no­mique, si impor­tante pour l’avenir et le bien-​être maté­riel de tous les États bel­li­gé­rants. Aussi, en vous les pré­sen­tant, à vous qui diri­gez à cette heure tra­gique les des­ti­nées des nations bel­li­gé­rantes, Nous sommes ani­mé d’une douce espé­rance, celle de les voir accep­tées et de voir ain­si se ter­mi­ner au plus tôt la lutte ter­rible, qui appa­raît de plus en plus comme un mas­sacre inutile. Tout le monde recon­naît, d’autre part, que, d’un côté comme de l’autre, l’honneur des armes est sauf. Prêtez donc l’oreille à Notre prière, accueillez l’invitation pater­nelle que Nous vous adres­sons au nom du divin Rédempteur, Prince de la Paix. Réfléchissez à votre très grave res­pon­sa­bi­li­té devant Dieu et devant les hommes ; de vos réso­lu­tions dépendent le repos et la joie d’innombrables familles, la vie de mil­liers de jeunes gens, la féli­ci­té en un mot des peuples, aux­quels vous avez le devoir abso­lu d’en pro­cu­rer le bien­fait. Que le Seigneur vous ins­pire des déci­sions conformes à sa très sainte volon­té. Fasse le Ciel, qu’en méri­tant les applau­dis­se­ments de vos contem­po­rains, vous vous assu­riez aus­si, auprès des géné­ra­tions futures, le beau nom de pacificateurs.

Pour Nous, étroi­te­ment uni dans la prière et dans la péni­tence à toutes les âmes fidèles qui sou­pirent après la paix, Nous implo­rons pour vous du divin Esprit lumière et conseil.

Du Vatican, 1er août 1917.

Benoît XV, Pape