Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

3 mai 1932

Lettre encyclique Caritate Christi compulsi

Sur les prières et les sacrifices à présenter au Sacré-Cœur dans les épreuves présentes du genre humain

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre en la fête de l’Invention de la Sainte Croix, le 3 mai de l’an 1932

A nos véné­rables frères Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres Ordinaires des lieux, demeu­rant en paix et en com­mu­nion avec le Siège apostolique

Vénérables Frères,
Salut et Bénédiction apostolique !

La cha­ri­té du Christ Nous pous­sait, le 2 octobre de l’année pas­sée, à invi­ter, par l’Encyclique Nova impen­det, tous les fils de l’Église catho­lique, tous les hommes de cœur à s’unir dans une sainte croi­sade d’amour et d’aide mutuelle pour allé­ger quelque peu les ter­ribles consé­quences de la crise éco­no­mique, dans laquelle se débat le genre humain. Et c’est vrai­ment avec un accord et un élan admi­rables qu’ont répon­du à Notre appel la géné­ro­si­té et l’activité de tous. Mais le mal est allé crois­sant, le nombre des chô­meurs a aug­men­té dans presque tous les pays, et les par­tis avides de bou­le­ver­se­ment en pro­fitent pour leur pro­pa­gande ; aus­si l’ordre public est-​il tou­jours plus mena­cé, et les dan­gers du ter­ro­risme et de l’anarchie pèsent-​ils tou­jours plus graves sur la société.

Dans un tel état de choses, la même cha­ri­té du Christ Nous presse de Nous adres­ser de nou­veau à vous, Vénérables Frères, à vos fidèles, au monde entier, pour exhor­ter tous les hommes à s’unir et à s’opposer de toutes leurs forces aux maux qui accablent toute l’humanité et à ceux, encore pires, qui la menacent..

L’ampleur de la crise actuelle

2. Si nous remon­tons, par la pen­sée, la longue et dou­lou­reuse suite de maux qui, triste héri­tage du péché, ont mar­qué pour l’homme déchu les étapes du pèle­ri­nage ter­restre, dif­fi­ci­le­ment, depuis le Déluge, rencontrons-​nous une crise spi­ri­tuelle et maté­rielle aus­si pro­fonde, aus­si uni­ver­selle que celle que nous tra­ver­sons main­te­nant : les plus grands fléaux eux-​mêmes, ceux dont les traces sont res­tées indé­lé­biles dans la vie et dans la mémoire des peuples, s’abattaient tan­tôt sur l’une nation, tan­tôt sur l’autre. Maintenant, au contraire, c’est l’humanité entière qui se trouve étreinte par la crise finan­cière et éco­no­mique et de façon si tenace que, plus elle cherche à se déga­ger, plus ses liens semblent impos­sibles à rompre : il n’y a pas de peuple, il n’y a pas d’État, de socié­té ou de famille, qui ne soit plus ou moins gra­ve­ment acca­blé par les cala­mi­tés ou ne sente le contre­coup de celles des autres.

Ceux-​là mêmes, un tout petit nombre, qui semblent avoir entre leurs mains, avec les richesses les plus déme­su­rées, les des­ti­nées du monde, ces quelques hommes eux-​mêmes qui, par leurs spé­cu­la­tions, ont été et res­tent en grande par­tie la cause d’un tel mal, en sont bien sou­vent, eux aus­si, les pre­mières et scan­da­leuses vic­times, entraî­nant avec eux dans l’abîme les for­tunes d’une masse innom­brable d’autres hommes ; et ain­si se véri­fie ter­ri­ble­ment pour le monde entier ce que le Saint-​Esprit avait déjà pro­cla­mé de chaque pécheur en par­ti­cu­lier : Ce qui sert à l’homme pour pécher, sert aus­si à son châ­ti­ment. [1]

La cupidité racine de tous les maux

3. Déplorable condi­tion des choses, Vénérables Frères, qui fait gémir Notre cœur de Père et Nous fait sen­tir tou­jours plus inti­me­ment le besoin d’exprimer selon la mesure de Notre peti­tesse les sublimes sen­ti­ments du Sacré-​Cœur de Jésus : J’ai pitié de cette foule. (Marc. viii, 2.)

Mais encore plus déplo­rable est la racine d’où naît cette lamen­table condi­tion de choses : car si ce que le Saint-​Esprit affirme par la bouche de saint Paul est tou­jours vrai : La racine de tous les maux est l’amour de l’argent [2], com­bien plus cette parole s’applique-t-elle au cas pré­sent ! N’est-ce pas, en effet, cette avi­di­té des biens de cette vie que le poète païen appe­lait déjà dans sa juste indi­gna­tion auri sacra fames ; n’est-ce pas ce sor­dide égoïsme qui trop sou­vent pré­side aux rela­tions indi­vi­duelles et sociales ; n’est-ce pas, en somme, la cupi­di­té, quelles qu’en soient l’espèce et la forme, qui a entraî­né le monde aux extré­mi­tés que tous nous voyons et déplo­rons ? De la cupi­di­té, en effet, naît la mutuelle défiance qui sté­ri­lise toutes les rela­tions des hommes entre eux ; de la cupi­di­té, l’odieuse jalou­sie qui fait consi­dé­rer comme un dom­mage pour soi tout avan­tage d’autrui ; de la cupi­di­té, le mes­quin indi­vi­dua­lisme qui uti­lise et subor­donne tout à son avan­tage propre, sans s’occuper des autres, bien plus, en fou­lant cruel­le­ment tous leurs droits. De là, ce désordre et ce dés­équi­libre injuste par lequel on voit les richesses des nations accu­mu­lées entre les mains de quelques indi­vi­dus qui règlent, selon leur caprice, le mar­ché mon­dial, pour l’immense dom­mage des masses, comme nous l’avons expo­sé l’année der­nière dans Notre Encyclique Quadragesimo anno.

4. Que si ce même égoïsme, abu­sant du légi­time amour de la patrie et pous­sant à l’exagération ce sen­ti­ment de juste natio­na­lisme que l’ordre légi­time de la cha­ri­té chré­tienne non seule­ment ne désap­prouve pas, mais sanc­ti­fie et vivi­fie en le réglant, si cet égoïsme s’insinue dans les rela­tions entre peuple et peuple, il n’y a plus d’excès qui ne semble jus­ti­fié, et ce qui entre indi­vi­dus serait par tous esti­mé condam­nable est dès lors consi­dé­ré comme per­mis et digne de louanges, du moment qu’on l’accomplit au nom de ce natio­na­lisme exagéré.

À la place de la grande loi de l’amour et de la fra­ter­ni­té humaine, qui embrasse toutes les races et tous les peuples et les unit en une seule famille sous un seul Père qui est dans les cieux, c’est la haine qui s’insinue et pousse tout à la ruine. Dans la vie publique, on foule aux pieds les prin­cipes sacrés qui étaient la règle de toute vie en socié­té, on en vient à saper les solides fon­de­ments du droit et de la fidé­li­té sur les­quels devrait s’appuyer l’État, on voit conta­mi­ner et tarir les sources de ces vieilles tra­di­tions qui, dans la foi en Dieu et la fidé­li­té à Sa loi, voyaient les bases les plus sûres pour le vrai pro­grès des peuples.

La guerre ouverte contre Dieu

5. Profitant d’un si grand malaise éco­no­mique et d’un si grand désordre moral, les enne­mis de tout ordre social, quel que soit leur nom : com­mu­nistes ou autres – et cela est le mal le plus redou­table de notre temps – s’emploient avec audace à rompre tout frein, à bri­ser tout lien impo­sé par une loi divine ou humaine, à enga­ger, ouverte ou sour­noise, la lutte la plus achar­née contre la reli­gion, contre Dieu même, en exé­cu­tant ce pro­gramme dia­bo­lique : ban­nir du cœur de tous, même des enfants, toute idée et tout sen­ti­ment reli­gieux, car ils savent fort bien qu’une fois enle­vée du cœur des hommes la foi en Dieu, ils pour­ront faire tout ce qu’ils vou­dront. Et ain­si, nous voyons aujourd’hui ce qui ne se vit jamais dans l’histoire : le dra­peau de la guerre sata­nique contre Dieu et contre la reli­gion effron­té­ment déployé par la rage abo­mi­nable des impies à tra­vers tous les peuples et dans toutes les par­ties de l’univers.

6. Il n’a jamais man­qué de méchants ; il n’a même jamais man­qué de néga­teurs de Dieu : mais ceux-​ci étaient rela­ti­ve­ment peu nom­breux, iso­lés, et consti­tuant des excep­tions ; ils n’avaient pas l’audace ou ne croyaient pas oppor­tun de révé­ler trop ouver­te­ment leur men­ta­li­té impie, ain­si que semble vou­loir insi­nuer lui-​même l’auteur des Psaumes quand il s’écrie : L’insensé dit dans son cœur : Il n’y a pas de Dieu ! [3]. L’impie, l’athée, indi­vi­dua­li­té au milieu de la mul­ti­tude, nie Dieu, son Créateur, mais dans le secret de son cœur.

Aujourd’hui, au contraire, l’athéisme a déjà péné­tré dans de larges masses humaines : avec ses orga­ni­sa­tions, il s’insinue aus­si dans les écoles popu­laires, se mani­feste au théâtre, et uti­lise, pour une plus large dif­fu­sion, les inven­tions les plus récentes, films ciné­ma­to­gra­phiques, pho­no­graphe, concerts et confé­rences radio­pho­niques ; il a ses librai­ries à lui ; il imprime des opus­cules dans toutes les langues, orga­nise des cor­tèges publics, des expo­si­tions de docu­ments et monu­ments de son impié­té. Bien plus, il a consti­tué des par­tis poli­tiques à lui, des for­ma­tions éco­no­miques et mili­taires à lui.

L’infernale propagande de l’athéisme.

Cet athéisme orga­ni­sé et mili­tant tra­vaille inlas­sa­ble­ment par l’organe de ses agi­ta­teurs, au moyen de confé­rences et d’images, avec tous les pro­cé­dés de pro­pa­gande occulte et ouverte dans toutes les classes, sur toutes les voies publiques ; il donne à cette acti­vi­té néfaste l’appui moral de ses propres Universités et enlace les impru­dents dans les liens puis­sants de ses fortes orga­ni­sa­tions. À voir tant d’activité mise au ser­vice d’une cause détes­table, elle Nous vient en réa­li­té spon­ta­né­ment à l’esprit et aux lèvres la plainte attris­tée du Christ : Les enfants de ce siècle sont plus habiles entre eux que les enfants de la lumière. (Luc. xvi, 8.)

7. De plus, les chefs de toute cette cam­pagne d’athéisme, tirant par­ti de la crise éco­no­mique actuelle, cherchent avec une dia­lec­tique infer­nale à faire croire aux masses que Dieu et la reli­gion sont la cause de cette misère uni­ver­selle. La Croix sainte de Notre-​Seigneur, sym­bole d’humilité et de pau­vre­té, se trouve asso­ciée aux sym­boles de l’impérialisme moderne, comme si la reli­gion était alliée à ces forces téné­breuses qui pro­duisent tant de maux par­mi les hommes.

Ils essayent ain­si, et non sans suc­cès, d’unir la lutte contre Dieu avec la lutte pour le pain quo­ti­dien, avec le désir de pos­sé­der en propre un coin de terre, d’avoir des salaires conve­nables, des habi­ta­tions décentes, en somme une condi­tion de vie digne de l’homme.

Pour comble de malice, les aspi­ra­tions les plus légi­times et les plus néces­saires comme les ins­tincts les plus bru­taux, tout sert à leur pro­gramme anti­re­li­gieux, comme si les lois éter­nelles pro­mul­guées par Dieu étaient en oppo­si­tion avec le bien de l’humanité, et comme s’il n’en était pas, au contraire, le seul pro­tec­teur sûr ; comme si les forces humaines, même avec les moyens de la tech­nique moderne, étaient capables d’introduire contre la volon­té du Dieu tout-​puissant un ordre de choses nou­veau et meilleur.

8. Hélas ! tant de mil­lions d’hommes, croyant lut­ter pour l’existence, s’attachent à de telles théo­ries dans un ren­ver­se­ment total de la véri­té, et voci­fèrent contre Dieu et la reli­gion. Et ces assauts ne sont pas diri­gés seule­ment contre la reli­gion catho­lique, mais aus­si contre qui­conque recon­naît Dieu comme Créateur du ciel et de la terre et comme Maître abso­lu de toutes choses. Quant aux socié­tés secrètes, tou­jours prêtes à sou­te­nir les enne­mis de Dieu et de l’Église, quels qu’ils soient, elles ne manquent pas de ravi­ver tou­jours davan­tage cette haine insen­sée, qui ne peut don­ner ni la paix ni le bon­heur, mais qui condui­ra cer­tai­ne­ment à la ruine.

9. Ainsi, cette nou­velle forme d’athéisme, tan­dis qu’elle déchaîne les plus vio­lents ins­tincts de l’homme, pro­clame avec une cynique impu­dence qu’il n’y aura ni paix ni bien-​être sur terre tant que ne sera pas arra­ché jusqu’au der­nier reste de reli­gion, et sup­pri­mé son der­nier fidèle. Comme s’ils croyaient pou­voir étouf­fer l’admirable concert dans lequel la créa­ture chante la gloire du Créateur (Ps. xviii, 2.).

Le grand remède : la prière

Motifs d’espérance

10. Nous savons par­fai­te­ment, Vénérables Frères, que tous ces efforts sont vains et qu’à l’heure fixée par lui Dieu se lève­ra et ses enne­mis seront dis­si­pés (Ps. lxviii, 2.) ; nous savons que les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas [4] ; nous savons que notre divin Rédempteur, comme il l’a pré­dit lui-​même, frap­pe­ra la terre de la verge de sa bouche et par le souffle de ses lèvres fera mou­rir le méchant [5] et que sur­tout ter­rible sera pour ces mal­heu­reux l’heure où ils tom­be­ront dans les mains de Dieu vivant (Heb. x, 31.).

11. Cette confiance inébran­lable dans le triomphe final de Dieu et de l’Église se trouve, par l’infinie bon­té de Notre-​Seigneur, tous les jours raf­fer­mie en nous au conso­lant spec­tacle du géné­reux élan vers Dieu d’âmes innom­brables dans toutes les par­ties du monde et toutes les classes de la socié­té. C’est vrai­ment un souffle puis­sant du Saint-​Esprit qui passe en ce moment sur la terre, atti­rant les âmes, de jeunes gens en par­ti­cu­lier, vers le plus haut idéal chré­tien, les éle­vant au-​dessus de tout res­pect humain, les ren­dant prêts à tous les sacri­fices, même les plus héroïques ; c’est un souffle divin qui secoue toutes les âmes, fût-​ce mal­gré elles, et fait éprou­ver une inquié­tude intime, une vraie soif de Dieu, même à celles qui n’osent pas l’avouer.

Notre appel aux laïques à col­la­bo­rer avec l’apostolat hié­rar­chique dans les rangs de l’Action Catholique a été lui aus­si doci­le­ment et géné­reu­se­ment écou­té : dans les villes et dans les cam­pagnes le nombre va sans cesse crois­sant de ceux qui s’emploient de toutes leurs forces à répandre les prin­cipes chré­tiens et à les faire pas­ser en pra­tique jusque dans la vie publique, s’appliquant eux aus­si à appuyer leurs paroles par les exemples d’une vie sans reproche.

12. Toutefois, devant une telle impié­té, une telle ruine de toutes les tra­di­tions les plus saintes, une telle perte d’âmes immor­telles, un tel mépris de la Majesté Divine, Nous ne pou­vons pas, Vénérables Frères, ne pas lais­ser s’épancher toute l’amère dou­leur que Nous en res­sen­tons ; Nous ne pou­vons pas ne pas éle­ver Notre voix et ne pas prendre, avec toute l’énergie de Notre cœur apos­to­lique, la défense des droits de Dieu fou­lés aux pieds et des sen­ti­ments les plus sacrés du cœur humain, pour qui Dieu est un besoin abso­lu. D’autant plus que ces troupes pleines de l’esprit dia­bo­lique ne se contentent pas de voci­fé­rer, mais unissent toutes leurs forces pour réa­li­ser au plus tôt leur néfaste entre­prise. Malheur à l’humanité, si Dieu, outra­gé à ce point par ses créa­tures, lais­sait dans sa jus­tice libre cours à cette inon­da­tion dévas­ta­trice et s’en ser­vait comme de verges pour le châ­ti­ment du monde !

Le choix s’impose : pour Dieu ou contre Dieu

13. Il est donc néces­saire, Vénérables Frères, qu’inlassablement nous éle­vions une muraille autour de la mai­son d’Israël [6] unis­sant, nous aus­si, toutes nos forces en un groupe com­pact, qui oppose un front unique et solide aux pha­langes mal­fai­santes, enne­mies de Dieu aus­si bien que du genre humain. Dans cette lutte, en effet, il s’agit de la déci­sion la plus impor­tante qui puisse être deman­dée à la liber­té humaine : pour Dieu ou contre Dieu, c’est là de nou­veau le choix qui doit déci­der du sort de toute l’humanité : dans la poli­tique, dans les ques­tions éco­no­miques, dans la morale, dans la science, dans l’art, dans l’État, dans la socié­té, dans la famille, en Orient et en Occident, par­tout ce pro­blème se pré­sente comme déci­sif, par les consé­quences qui en dérivent. Au point que les repré­sen­tants mêmes d’une concep­tion entiè­re­ment maté­ria­liste du monde voient sans cesse repa­raître devant eux cette ques­tion de l’existence de Dieu qu’ils croyaient écar­tée pour tou­jours, et dont ils sont tou­jours obli­gés de reprendre la discussion.

14. Nous conju­rons donc dans le Seigneur aus­si bien les indi­vi­dus que les nations de vou­loir, en face de tels pro­blèmes et dans un moment de luttes si achar­nées et si vitales pour l’humanité, lais­ser de côté cet étroit indi­vi­dua­lisme, ce bas égoïsme qui aveugle les esprits les plus pers­pi­caces et sté­ri­lise les ini­tia­tives les plus nobles, pour peu qu’elles sortent d’un cercle étroit de petits inté­rêts par­ti­cu­liers ; qu’ils s’unissent tous, au prix même de lourds sacri­fices pour leur propre salut et pour celui de l’humanité entière.

Dans une telle union d’esprits et de forces, ceux-​là, natu­rel­le­ment, doivent être les pre­miers qui se glo­ri­fient du nom de chré­tiens, fidèles à la glo­rieuse tra­di­tion des temps apos­to­liques, quand la mul­ti­tude des croyants n’avait qu’un cœur et qu’une âme [7] ; mais que tous ceux qui admettent encore un Dieu et lui adressent leurs ado­ra­tions apportent, eux aus­si, leur concours sin­cère et cor­dial, afin d’éloigner de l’humanité le grand dan­ger qui la menace tout entière. La croyance en Dieu est, en effet, sur la terre le fon­de­ment inébran­lable de tout ordre social et toute auto­ri­té humaine ; tous ceux donc qui ne veulent pas de l’anarchie et du ter­ro­risme doivent s’employer éner­gi­que­ment à empê­cher les enne­mis de la reli­gion d’atteindre leur but si for­te­ment et si ouver­te­ment proclamé.

Les moyens humains

15. Nous savons, Vénérables Frères, que dans cette lutte pour la défense de la reli­gion il faut avoir recours à tous les moyens humains légi­times qui sont en notre pou­voir. C’est pour cela que, sui­vant les traces lumi­neuses de Notre pré­dé­ces­seur de sainte mémoire Léon XIII, Nous avons, dans Notre Encyclique Quadragesimo anno, reven­di­qué si éner­gi­que­ment une plus juste répar­ti­tion des biens de la terre, et mar­qué les moyens les plus effi­caces pour faire retrou­ver san­té et force au corps social si malade et rendre le repos et la paix à ses membres souf­frants. L’irrésistible aspi­ra­tion à trou­ver même sur la terre le bon­heur conve­nable n’est-elle pas mise dans le cœur de l’homme par le Créateur de toutes choses, et le chris­tia­nisme n’a‑t-il pas tou­jours recon­nu et favo­ri­sé tous les justes efforts de la vraie civi­li­sa­tion et du pro­grès bien com­pris pour le per­fec­tion­ne­ment et le déve­lop­pe­ment de l’humanité ?

Ils ne suffisent pas

16. Mais, en face de cette haine sata­nique contre la reli­gion, qui fait pen­ser au mys­tère d’iniquité [8] dont parle saint Paul, les seuls moyens humains et les res­sources de la pré­voyance des hommes ne suf­fisent plus : Nous croi­rions, Vénérables Frères, man­quer à Notre charge apos­to­lique, si Nous ne rap­pe­lions pas à l’humanité ces mer­veilleux mys­tères de la lumière qui seuls recèlent en eux les forces néces­saires pour domi­ner le déchaî­ne­ment des puis­sances des ténèbres. Lorsque Notre-​Seigneur, des­cen­dant des splen­deurs du Thabor, gué­rit l’enfant tour­men­té par le démon et que les dis­ciples n’avaient pu gué­rir, à leur humble demande : Pourquoi n’avons-nous pas pu le chas­ser ? Il répon­dit par ces mémo­rables paroles : Ce genre de démon n’est chas­sé que par le jeûne et la prière [9]. Il nous semble, Vénérables Frères, que ces divines paroles s’appliquent exac­te­ment aux maux de notre temps, qui ne peuvent être conju­rés que par la prière et la pénitence.

La prière est le grand remède

17. Nous sou­ve­nant donc de notre condi­tion d’êtres essen­tiel­le­ment limi­tés et abso­lu­ment dépen­dant de l’Être suprême, recou­rons avant tout à la prière. Nous savons par la foi com­bien grande est la puis­sance de la prière humble, confiante, per­sé­vé­rante : à aucune autre œuvre de pié­té le Dieu Tout-​Puissant n’a jamais atta­ché de pro­messes aus­si amples, aus­si uni­ver­selles, aus­si solen­nelles qu’à la prière. Demandez, et l’on vous don­ne­ra ; cher­chez et vous trou­ve­rez ; frap­pez et l’on vous ouvri­ra. Car qui­conque demande reçoit, qui cherche trouve, et l’on ouvri­ra à celui qui frappe (Matth. vii, 7–8.).

En véri­té, en véri­té, je vous le dis ; Tout ce que vous deman­de­rez à mon Père en mon nom, il vous le don­ne­ra. (Jo. xvi, 23.)

18. Et quel objet plus digne de notre prière et conve­nant mieux à la per­sonne ado­rable de Celui qui est l’unique média­teur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus fait homme (I Tim. ii, 5.), que de l’implorer pour la conser­va­tion sur terre de la foi dans le seul Dieu vivant et vrai ? Une telle prière porte déjà en elle-​même une part de son exau­ce­ment, puisque là où prie un homme, là il s’unit à Dieu et pour ain­si dire main­tient déjà vivante sur la terre l’idée de Dieu. L’homme qui prie, par l’humilité même de son atti­tude, pro­fesse devant le monde sa foi dans le Créateur et Seigneur de toutes choses ; en outre, lorsqu’il le fait en com­mun avec autrui et non plus en par­ti­cu­lier, par cela seul, il recon­naît que non seule­ment l’individu, mais aus­si la socié­té humaine ont au-​dessus d’eux un Maître suprême et absolu.

19. Quel spec­tacle n’offre pas au ciel et à la terre l’Église en prières ! Sans inter­rup­tion, le jour entier et la nuit entière, se répète sur la terre la divine psal­mo­die des chants ins­pi­rés ; il n’est pas d’heure du jour qui ne soit sanc­ti­fiée de sa litur­gie spé­ciale ; il n’est pas de période, brève ou courte, de la vie, qui n’ait une place dans l’action de grâces, dans la louange, dans les demandes, dans la répa­ra­tion de cette prière com­mune du Corps mys­tique du Christ, qui est l’Église. Ainsi la prière elle-​même assure la pré­sence de Dieu par­mi les hommes, comme le pro­mit le divin Rédempteur : Là où deux ou trois sont ras­sem­blés en mon nom, je suis au milieu d’eux. (Matth. xviii, 20.)

La prière source de paix intérieure et extérieure

20. La prière, de plus, fera pré­ci­sé­ment dis­pa­raître la cause elle-​même des dif­fi­cul­tés actuelles, signa­lées plus haut par Nous. Nous vou­lons dire l’insatiable cupi­di­té des biens ter­restres. L’homme qui prie regarde en haut, vers les biens du ciel, qu’il médite et désire ; tout son être se plonge dans la contem­pla­tion de l’ordre admi­rable éta­bli par Dieu, qui ne connaît pas la pas­sion des vains suc­cès ni les vaines luttes pour une vitesse tou­jours plus grande ; et ain­si, comme spon­ta­né­ment, se réta­bli­ra cet équi­libre entre le tra­vail et le repos qui, au grand dom­mage de la vie phy­sique, éco­no­mique et morale, manque tota­le­ment à la socié­té d’aujourd’hui. Si ceux qui, par suite d’une exces­sive sur­pro­duc­tion, ont été jetés dans le chô­mage et le dénue­ment, vou­laient don­ner le temps conve­nable à la prière, tra­vail et pro­duc­tion ren­tre­raient bien vite dans les limites conve­nables, et la lutte qui divise actuel­le­ment l’humanité en deux grandes armées de com­bat­tants pour la défense d’intérêts pas­sa­gers, ferait place à la lutte noble et paci­fique pour l’acquisition des biens célestes et éternels.

21. De la sorte s’ouvrirait aus­si la voie vers la paix tant dési­rée, comme l’indique heu­reu­se­ment saint Paul, lorsqu’il unit pré­ci­sé­ment le pré­cepte de la prière avec les saints dési­rs de la paix et du salut de tous les hommes : Avant tout, j’exhorte donc à faire des prières, des sup­pli­ca­tions, des inter­ces­sions, des actions de grâces pour les âmes, pour les rois et pour ceux qui sont consti­tués en digni­té, afin que nous pas­sions une vie pai­sible en toute tran­quilli­té et hon­nê­te­té. Cela est bon et agréable aux yeux de Dieu, notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sau­vés et par­viennent à la connais­sance de la véri­té. (I Tim. ii, 1–4.)

22. C’est pour tous les hommes qu’on doit implo­rer la paix, mais spé­cia­le­ment pour ceux qui, dans la socié­té humaine, ont les graves res­pon­sa­bi­li­tés du gou­ver­ne­ment : com­ment pourraient-​ils don­ner la paix à leurs peuples, s’ils ne l’ont pas eux-​mêmes ? Et c’est pré­ci­sé­ment la prière, qui, sui­vant l’Apôtre, doit appor­ter le don de la paix : la prière, qui s’adresse au Père céleste qui est père de tous les hommes ; la prière, qui est l’expression com­mune des sen­ti­ments de famille, de cette grande famille qui s’étend au-​delà des fron­tières de tous les pays et de tous les continents.

23. Des hommes qui, dans toute nation, prient le même Dieu pour la paix sur la terre ne peuvent pas être en même temps les agents de la dis­corde entre les peuples ; des hommes qui se tournent, dans la prière, vers la divine Majesté ne peuvent pas fomen­ter cet impé­ria­lisme natio­na­liste qui, de chaque peuple, fait son propre Dieu : des hommes qui jettent leur regard vers le Dieu de paix et d’amour (II Cor. xiii, 11.), qui s’adressent à lui par l’intermédiaire du Christ qui est Pax nos­tra (Eph. ii, 14.), ne s’accorderont pas de repos jusqu’à ce que, fina­le­ment, la paix, que le monde ne peut pas don­ner, des­cende de l’Auteur de tout bien sur les hommes de bonne volon­té (Luc. ii, 14.).

La paix soit avec vous (Jo. xx, 19, 26.) fut le salut pas­cal du Seigneur à ses apôtres et à ses pre­miers dis­ciples ; ce salut béni, de ces pre­miers temps jusqu’à nous, n’a jamais ces­sé dans la litur­gie sacrée de l’Église, et aujourd’hui plus que jamais, c’est lui qui doit récon­for­ter et sou­la­ger les cœurs humains ulcé­rés et oppressés.

Il faut joindre la pénitence à la prière

24. Mais à la prière doit aus­si se joindre la péni­tence, l’esprit de péni­tence et la pra­tique de la péni­tence chré­tienne. C’est là l’enseignement du divin Maître, dont la pre­mière pré­di­ca­tion fut pré­ci­sé­ment la péni­tence : Jésus com­men­ça à prê­cher, disant : Faites péni­tence (Matth. iv, 17.).

C’est aus­si l’enseignement de toute la tra­di­tion chré­tienne, de toute l’histoire de l’Église : dans les grandes cala­mi­tés, dans les grandes épreuves de la chré­tien­té, lorsque le besoin du secours divin se fai­sait plus urgent, les fidèles, soit spon­ta­né­ment, soit plus sou­vent mus par l’exemple et les exhor­ta­tions de leurs pas­teurs, ont tou­jours pris en main l’une et l’autre des deux plus puis­santes armes spi­ri­tuelles : la prière et la péni­tence. Grâce à cet ins­tinct reli­gieux par lequel le peuple chré­tien se laisse gui­der presque sans le savoir, lorsque les semeurs de ziza­nie ne viennent pas le dévoyer, et qui du reste n’est pas autre chose que ce sens du Christ [10] dont parle l’Apôtre, les fidèles ont tou­jours en pareil cas sen­ti aus­si­tôt le besoin de puri­fier leurs âmes du péché par la contri­tion du cœur et par le sacre­ment de la récon­ci­lia­tion, et d’apaiser aus­si la divine jus­tice par des œuvres exté­rieures de pénitence.

Vertus méprisées qu’il faut remettre en honneur

25. Nous le savons, assu­ré­ment, et Nous le déplo­rons avec vous, Vénérables Frères, de nos jours l’idée et les mots mêmes d’expiation et de péni­tence ont, auprès de beau­coup d’âmes, per­du en grande par­tie le pou­voir de sus­ci­ter ces élans de cœur et ces héroïsmes de sacri­fices qu’ils savaient ins­pi­rer en d’autres temps, quand ils se pré­sen­taient aux yeux des hommes de foi mar­qués d’un carac­tère divin par les exemples du Christ et de ses saints : il ne manque pas d’hommes qui vou­draient qu’on lais­sât de côté les mor­ti­fi­ca­tions comme choses d’un autre âge ; sans même par­ler de l’homme moderne qui, au nom de l’autonomie de la volon­té, méprise orgueilleu­se­ment la péni­tence comme un acte ser­vile. Il est, en effet, bien natu­rel que plus s’affaiblit la foi en Dieu, plus devienne confuse et finisse par dis­pa­raître l’idée d’une faute ori­gi­nelle et d’une révolte pri­mi­tive de l’homme contre Dieu, et que par suite plus encore se perde la pen­sée d’une néces­si­té de la péni­tence et de l’expiation.

26. Mais Nous, Vénérables Frères, Nous devons en ver­tu de Notre charge pas­to­rale main­te­nir bien haut ces mots et idées et les conser­ver dans leur vraie signi­fi­ca­tion, dans leur authen­tique noblesse, et plus encore pro­cu­rer leur appli­ca­tion pra­tique à la vie chrétienne.

La défense même de Dieu et de la reli­gion pour laquelle Nous com­bat­tons Nous en fait un devoir : la péni­tence, en effet, est par sa nature même une recon­nais­sance et une res­ti­tu­tion de l’ordre moral dans le monde, de cet ordre moral qui se fonde sur la loi éter­nelle, c’est-à-dire sur le Dieu vivant. Qui satis­fait à Dieu pour le péché recon­naît par là-​même la sain­te­té des prin­cipes suprêmes de la morale, leur force propre d’obligation, la néces­si­té d’une sanc­tion contre leur violation.

27. C’est assu­ré­ment une des erreurs les plus dan­ge­reuses de notre temps que d’avoir pré­ten­du sépa­rer la morale de la reli­gion, enle­vant ain­si toute base solide à n’importe quelle légis­la­tion. Cette erreur d’ordre intel­lec­tuel pou­vait peut-​être pas­ser inaper­çue et sem­bler moins dan­ge­reuse tant qu’elle n’était le fait que d’un petit nombre, et que la foi en Dieu était encore un patri­moine com­mun de l’humanité et res­tait taci­te­ment sup­po­sée même de ceux qui n’en fai­saient plus une pro­fes­sion explicite.

Mais aujourd’hui, quand l’athéisme se répand dans les masses popu­laires, les ter­ribles consé­quences de cette erreur deviennent chaque jour plus tan­gibles et se montrent par­tout. À la place des lois morales qui dis­pa­raissent avec la perte de la foi en Dieu, c’est le règne de la force bru­tale, fou­lant aux pieds tous les droits. Les antiques ver­tus de fidé­li­té et d’honnêteté dans la conduite per­son­nelle et dans les rela­tions avec autrui, si louées même par les rhé­teurs et poètes païens, font place aujourd’hui à des spé­cu­la­tions sans rete­nue et sans conscience, aus­si bien dans les affaires propres de cha­cun que dans celles des autres. Et de fait, com­ment peut tenir un contrat quel­conque, et quelle valeur peut avoir un trai­té, là où manque toute garan­tie de conscience ? Et com­ment peut-​on par­ler de garan­tie de conscience, là où a dis­pa­ru toute foi en Dieu, toute crainte en Dieu ? Enlevée cette base, toute loi morale s’écroule avec elle, et il n’y a plus aucun remède qui puisse empê­cher de se pro­duire, peu à peu, mais inévi­ta­ble­ment, la ruine des peuples, des familles, de l’État, de la civi­li­sa­tion même.

La pénitence arme salutaire…

28. La péni­tence est donc comme une arme de salut mise entre les mains des vaillants sol­dats du Christ, déci­dés à com­battre pour la défense et le réta­blis­se­ment de l’ordre moral dans l’univers. C’est une arme qui atteint la racine même de tous les maux, c’est-à-dire la concu­pis­cence des biens maté­riels et des plai­sirs désor­don­nés de la vie. Par des sacri­fices volon­taires, par des renon­ce­ments pra­tiques, même dou­lou­reux, par les diverses œuvres de péni­tence, le chré­tien vrai­ment géné­reux sub­jugue les viles pas­sions qui tendent à l’entraîner à la vio­la­tion de l’ordre moral. Mais si le zèle pour la loi divine et la cha­ri­té fra­ter­nelle sont en lui aus­si grands qu’ils doivent l’être, alors non seule­ment il s’applique à l’exercice de la péni­tence pour son propre compte et pour ses péchés per­son­nels, mais il prend encore sur lui d’expier les péchés d’autrui, à l’exemple des saints, qui sou­vent se sont faits vic­times héroïques de répa­ra­tion pour les péchés de géné­ra­tions entières ; mieux, à l’exemple du divin Rédempteur, deve­nu volon­tai­re­ment l’Agneau de Dieu qui porte les péchés du monde [11].

… et mystère de paix.

29. Mais ne se cache-​t-​il pas aus­si, Vénérables Frères, dans cet esprit de péni­tence, un suave mys­tère de paix ? Il n’y a pas de paix pour les impies [12], dit le Saint-​Esprit, parce qu’ils vivent dans une lutte et une oppo­si­tion inces­sante contre l’ordre vou­lu par la nature et par son Créateur. C’est seule­ment le jour où cet ordre sera réta­bli, où tous les peuples, spon­ta­né­ment et fidè­le­ment, le recon­naî­tront et l’observeront, où les condi­tions de la vie à l’intérieur des peuples et les rela­tions exté­rieures entre nations seront fon­dées sur cette base, c’est alors seule­ment que sera pos­sible sur la terre une paix vrai­ment stable.

Au contraire, à créer cette atmo­sphère de paix durable, ne suf­fi­ront ni les trai­tés de paix, ni les conven­tions les plus solen­nelles, ni les réunions et les confé­rences inter­na­tio­nales, ni les efforts, même les plus nobles et les plus sin­cères, des hommes d’État, si d’abord on ne recon­naît pas les droits sacrés de la loi natu­relle et divine. Aucun de ceux qui dirigent la vie éco­no­mique des peuples, aucun talent d’organisation, ne pour­ra jamais dénouer paci­fi­que­ment les dif­fi­cul­tés sociales, si d’abord, sur le ter­rain éco­no­mique lui-​même, ne triomphe la loi morale appuyée sur Dieu et sur la conscience. Là est la valeur fon­da­men­tale, source de toutes les valeurs dans la vie aus­si bien éco­no­mique que poli­tique des nations ; c’est la « mon­naie » la plus sûre : si on la conserve bien solide, toutes les autres seront stables, étant garan­ties par l’autorité la plus forte, par la loi de Dieu immuable et éternelle.

30. Mais pour les indi­vi­dus aus­si la péni­tence est fon­de­ment et source de paix véri­table : elle les détache des biens ter­restres et caducs, elle les élève jusqu’aux biens éter­nels, elle leur donne, au milieu même des pri­va­tions et des adver­si­tés, une paix que le monde, avec toutes ses richesses et tous ses plai­sirs, est inca­pable de don­ner. Un des chants les plus serei­ne­ment joyeux qui aient jamais été enten­dus dans cette val­lée de larmes, n’est-il pas le célèbre Cantique du Soleil de saint François ? Or, celui qui le com­po­sa, qui l’écrivit, qui le chan­ta, fut un des plus aus­tères par­mi les dis­ciples du Christ, le Pauvre d’Assise, qui ne pos­sé­dait abso­lu­ment rien sur la terre et por­tait sur son corps épui­sé les stig­mates dou­lou­reux de son Maître crucifié

31. Esprit de prière donc et esprit de péni­tence, ce sont là les deux esprits puis­sants que Dieu nous envoie en ces jours pour rame­ner à lui l’humanité éga­rée qui erre çà et là sans conduc­teur ; ce sont là les deux esprits qui doivent faire dis­pa­raître et gué­rir la pre­mière et prin­ci­pale cause de toute révolte et de toute révo­lu­tion, la révolte de l’homme contre Dieu. Mais ce sont les peuples eux-​mêmes qui sont appe­lés à faire leur choix défi­ni­tif : ou ils se livre­ront à ces bons et bien­fai­sants esprits, et ils se tour­ne­ront, humbles et repen­tants, vers leur Maître et leur Père misé­ri­cor­dieux, ou ils s’abandonneront, eux-​mêmes et le peu de bon­heur qui reste encore sar la terre, à la mer­ci de l’ennemi de Dieu, à l’esprit de ven­geance et de ruine spirituelle.

32. Il ne nous reste donc autre chose à faire que d’inviter ce pauvre monde qui a répan­du tant de sang, qui a ouvert tant de tombes, qui a détruit tant de biens, qui a pri­vé de pain et de tra­vail tant d’hommes, il ne nous reste, disons-​Nous, qu’à lui adres­ser les tendres paroles de la sainte litur­gie : Reviens au Seigneur ton Dieu !

Prière et réparation en l’octave du Sacré-​Cœur de Jésus

33. Et quelle occa­sion plus oppor­tune pourrions-​Nous vous indi­quer, Vénérables Frères, pour une telle union de prières et de répa­ra­tion que la fête pro­chaine du Sacré-​Cœur de Jésus ? L’esprit propre de cette solen­ni­té, comme Nous l’avons ample­ment mon­tré il y a quatre ans dans Notre Encyclique Miserentissimus, est pré­ci­sé­ment un esprit d’amour répa­ra­teur, et, c’est pour­quoi, Nous avons vou­lu qu’en un tel jour chaque année, à per­pé­tui­té, l’on fît, dans toutes les églises de la terre, acte public d’amende hono­rable pour tant d’offenses qui blessent ce Cœur divin.

34. Que cette année, la fête du Sacré-​Cœur soit donc pour toute l’Église un jour de sainte ému­la­tion dans la répa­ra­tion et la prière. Que les fidèles accourent nom­breux à la Sainte Table, qu’ils accourent au pied des autels pour ado­rer le Sauveur du monde sous les voiles du Saint Sacrement, que vous, Vénérables Frères, veille­rez à faire expo­ser solen­nel­le­ment en ce jour dans toutes les églises ; qu’ils répandent dans ce Cœur misé­ri­cor­dieux, qui a connu toutes les peines du cœur humain, l’abondance de leurs dou­leurs, la fer­me­té de leur foi, la confiance de leur espé­rance, l’ardeur de leur cha­ri­té Qu’ils le prient, en recou­rant à la puis­sante inter­ces­sion de Marie, Médiatrice de toutes les grâces, pour eux et pour leurs familles, pour leur patrie, pour l’Église ; qu’ils Le prient pour le Vicaire du Christ et pour les autres pas­teurs qui par­tagent avec lui le poids redou­table du gou­ver­ne­ment des âmes ; qu’ils le prient pour leurs frères dans la foi, pour leurs frères qui sont encore dans l’erreur, pour les incré­dules, pour les infi­dèles, pour les enne­mis mêmes de Dieu et de l’Église, afin qu’ils se convertissent.

35. Et que cet esprit de prière et de répa­ra­tion per­sé­vère aus­si intense, aus­si vivant et actif chez tous les fidèles pen­dant toute l’octave par laquelle Nous avons vou­lu accroître la solen­ni­té de cette fête ; que pen­dant cette octave, de la manière que cha­cun de vous, Vénérables Frères, croi­ra oppor­tun, sui­vant les cir­cons­tances locales, de pres­crire ou de conseiller, l’on fasse des prières publiques et autres exer­cices de pié­té aux inten­tions briè­ve­ment indi­quées plus haut, afin d’obtenir misé­ri­corde et de trou­ver grâce pour être secou­rus en temps oppor­tun (Heb, IV, 16).

36. Que cette octave soit vrai­ment pour tout le peuple chré­tien une octave de répa­ra­tion et de sainte tris­tesse ; que ce soient des jours de mor­ti­fi­ca­tion et de prière. Que les fidèles s’abstiennent au moins des spec­tacles, des diver­tis­se­ments mêmes licites ; quant aux per­sonnes plus aisées, qu’en esprit d’austérité chré­tienne, elles fassent quelque réduc­tion volon­taire sur leur train de vie, même déjà modeste, et donnent de pré­fé­rence aux pauvres le pro­duit d’un tel retran­che­ment, car l’aumône, elle aus­si, est un excellent moyen de satis­faire à la divine Justice et d’attirer la divine Miséricorde.

Que les pauvres, et tous ceux qui, en ce moment, sont dure­ment éprou­vés par la pénu­rie du tra­vail et le manque de pain, offrent avec un égal esprit de péni­tence, avec une plus grande rési­gna­tion, les pri­va­tions que leur imposent la dif­fi­cul­té des temps et la condi­tion sociale que la divine Providence leur a assi­gnée dans ses dis­po­si­tions mys­té­rieuses, mais, cepen­dant, tou­jours ins­pi­rées par l’amour ; qu’ils acceptent de la main de Dieu, d’un cœur humble et confiant, les effets de la pau­vre­té, ren­dus plus durs par la gêne dans laquelle se débat actuel­le­ment l’humanité ; que, par une géné­ro­si­té plus grande encore, ils s’élèvent jusqu’à la divine subli­mi­té de la Croix du Christ, se rap­pe­lant que, si le tra­vail est une des valeurs les plus grandes de cette vie, c’est, cepen­dant, l’amour d’un Dieu souf­frant qui a sau­vé le monde ; qu’ils se consolent dans la cer­ti­tude que leurs sacri­fices et leurs peines chré­tien­ne­ment sup­por­tées contri­bue­ront effi­ca­ce­ment à hâter l’heure de la misé­ri­corde et de la paix.

37. Le Divin Cœur de Jésus ne pour­ra pas ne pas exau­cer les prières et les sacri­fices de son Église, et Il dira enfin à son Épouse bien-​aimée qui gémit à ses pieds sous le poids de tant de peines et de tant de maux : Ta foi est grande ; qu’il te soit fait comme tu le désires (Matt., XV, 28).

38. Remplis de cette confiance que vient encore aug­men­ter le sou­ve­nir de la croix, signe sacré et pré­cieux ins­tru­ment de notre Rédemption, et dont nous célé­brons aujourd’hui la glo­rieuse inven­tion, à vous, Vénérables Frères, à votre cler­gé et à votre peuple, à tout l’univers catho­lique. Nous accor­dons de toute l’affection de notre cœur pater­nel la Bénédiction apostolique.

39. Donné à Rome, près Saint-​Pierre en la fête de l’Invention de la Sainte Croix, le 3 mai de l’an 1932, onzième de Notre Pontificat.

Pie XI, Pape

Notes de bas de page
  1. Sap. xi, 17.[]
  2. I Tim. vi, 10.[]
  3. Ps. xiii, 1, et lii, 1.[]
  4. Cf. Matth. xvi, 18.[]
  5. Cf. Is. xi, 4.[]
  6. Ezech. xiii, 5.[]
  7. Act. iv, 32.[]
  8. II Thess. ii, 7.[]
  9. Matth. xvii, 18–20.[]
  10. Cfr. I Cor. ii, 16.[]
  11. Jo. i, 29.[]
  12. Is. xlviii, 22.[]
19 mai 1935
Prononcée à la Messe pontificale solennelle, après l'Evan­gile, le jour de la Canonisation des bienheureux mar­tyrs Jean Fisher et Thomas More
  • Pie XI
2 octobre 1931
Sur la très dure crise économique, sur le lamentable chômage d’une multitude d’ouvriers et sur les préparatifs militaires croissants
  • Pie XI