Donné à Rome, auprès de Saint-Pierre, le 15 mai de l’an 1956
A nos Vénérables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques, Évêques et autres Ordinaires en paix et communion avec le Siège Apostolique.
Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.
1. « Vous puiserez des eaux avec joie aux sources du Sauveur. » Par ces mots, le prophète Isaïe, en se servant d’images expressives, prédisait ces dons de Dieu multiples et surabondants que l’ère chrétienne allait apporter. Ces mots, disons-Nous, Nous viennent spontanément à l’esprit, au moment de célébrer le centenaire du jour où Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, Pie IX, condescendant volontiers aux vœux qui affluaient de tout le monde catholique, ordonna de célébrer la fête du Sacré-Cœur de jésus dans l’Église universelle.
2. A la vérité, il est impossible d’énumérer les dons célestes que le culte rendu au Sacré-Cœur de Jésus répand dans les cœurs des fidèles : il les purifie, les ranime par ses divines consolations et il les entraîne à l’acquisition de toutes les Vertus. C’est pourquoi, Nous souvenant du mot très sage de l’apôtre saint Jacques : « Tout beau présent, tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières », Nous voyons à bon droit, dans ce culte même, qui plus ardent que jamais prospère dans le monde entier, le don inestimable que le Verbe incarné et notre divin Sauveur, en tant que médiateur unique de grâce et de vérité entre son Père céleste et le genre humain, a communiqué à l’Église, sa mystique Épouse, dans le cours de ces derniers siècles, où il lui faut surmonter tant de difficultés et supporter tant d’épreuves. Grâce à ce don inestimable, l’Église peut en effet manifester une charité plus ardente à l’égard de son divin Fondateur et, pour ainsi dire, réaliser plus largement cette exhortation que, nous dit saint jean l’Évangéliste, Jésus proféra lui-même : « Le dernier jour de la fête, le plus solennel, Jésus debout, s’écria : “Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, Celui qui croit en moi, comme l’a dit l’Écriture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein”. Il disait cela de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient m lui ». Il n’était pas difficile pour ceux qui l’entendaient parler, de rapporter ces mots, par lesquels il promettait une source d’eau vive qui devait naître de leur sein, aux paroles des saints prophètes Isaïe, Ézéchiel et Zacharie dans leurs prédictions du règne du Messie, ou encore à cette pierre symbolique d’où l’eau jaillit miraculeusement sous la verge de Moïse.
3. La charité divine tire sa première source du Saint-Esprit, qui est l’Amour personnel tant du Père que du Fils au sein de l’auguste Trinité. C’est donc très justement que l’Apôtre des nations, faisant comme écho aux paroles de Jésus-Christ, attribue l’effusion de la charité dans les âmes des fidèles à cet Esprit d’amour : « L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné ».
4. Ce lien très étroit que les Saintes Écritures affirment intervenir entre la divine charité, qui doit brûler dans les cœurs des chrétiens, et l’Esprit-Saint – qui est essentiellement Amour – nous dévoile à tous, Vénérables Frères, la nature intime elle-même de ce culte que l’on doit rendre au très saint Cœur de Jésus-Christ, car, s’il est manifeste que ce culte, si nous considérons sa nature particulière, est l’acte de religion par excellence – puisqu’il requiert de notre part une volonté pleine et absolue de nous vouer et consacrer à l’amour du divin Rédempteur, dont son Cœur transpercé est le vivant témoignage et le signe, – de même il est également manifeste, et dans un sens encore plus profond, que ce même culte suppose avant tout que nous rendions amour pour amour à ce divin Amour, En effet, du fait seul de la charité découle cette conséquence que les cœurs des hommes se soumettent pleinement et parfaitement à l’autorité suprême du Seigneur, puisque, en réalité, le sentiment de notre amour s’attache à la volonté divine au point de ne faire qu’un en quelque sorte, selon ce qui est dit : Celui qui s’unit au Seigneur n’est avec lui qu’un esprit ».
5. Pourtant, bien que l’Église ait eu et ait encore en telle estime le culte du Cœur très saint de Jésus, au point qu’elle prend soin de le propager et de le faire prospérer dans les peuples chrétiens du monde entier, et qu’elle s’efforce, en outre, de tout son pouvoir, de le défendre contre les attaques du naturalisme et du sentimentalisme, il est néanmoins bien regrettable que dans les temps passés, et même de nos jours, ce culte très noble ne jouisse pas d’une égale estime et d’un égal honneur prés de quelques chrétiens, même parfois de la part de ceux qui font montre de zèle pour la religion et l’acquisition de la sainteté.
6. « Si tu savais le don de Dieu ». Par ces mots, Vénérables Frères, Nous, qui par un secret conseil de Dieu avons été choisis comme gardien et dispensateur de ce trésor de foi et de piété que le divin Rédempteur a confié à son Église, conscient du devoir de Noue charge, Nous avertissons tous ceux qui, bien qu’étant Nos fils, et bien que le culte du Sacré-Cœur de Jésus, triomphant, pour ainsi dire, des erreurs et de l’indifférence des hommes, se répande dans son Corps mystique, cèdent aux préjugés et opinions et vont parfois jusqu’à estimer ce culte moins adapté, pour ne pas dire nuisible, aux nécessités spirituelles de l’Église et de l’humanité, les plus urgentes à l’heure actuelle.
Il n’en manque pas en effet qui, parce qu’ils confondent et mettent sur le même plan la nature supérieure de ce culte avec les formes particulières et diverses de dévotion que l’Église approuve et favorise sans les commander, pensent que ce culte est quelque chose de superflu que chacun peut pratiquer ou non à son gré ; certains vont jusqu’à prétendre que ce culte est importun et de peu d’utilité, voire même tout à fait inutile pour ceux qui militent pour le règne de Dieu, principalement dans le but de travailler, en y consacrant toutes leurs forces, leur temps et leurs ressources, à la défense et propagation de la vérité catholique, à la diffusion de la doctrine sociale chrétienne et à la multiplication des actes de religion et des œuvres qu’ils estiment beaucoup plus nécessaires à notre époque.
Il n’en manque pas enfin qui, bien loin de voir dans ce culte une aide efficace pour rénover et réformer honnêtement les mœurs chrétiennes, tant dans la vie privée des individus que dans les familles, y voient plutôt une piété plus nourrie de sensibilité que d’esprit et de cœur, et pour cela plutôt digne des femmes ; car ils y voient quelque chose qui ne convient guère à des hommes cultivés.
7. Il y en a encore, d’autre part qui, du fait qu’ils considèrent que ce culte fait appel surtout à la pénitence, à l’expiation et aux autres vertus qu’on déclare « passives » parce que privées apparemment de fruits extérieurs, ne l’estiment pas propre à ranimer la spiritualité de notre époque à qui incombe e devoir d’entreprendre une action franche et d’envergure pour le triomphe de la foi catholique et la défense vigoureuse des mœurs chrétiennes. Car ces mœurs, de nos jours, comme tout le monde le sait, se trouvent facilement entachées des erreurs de ceux qui pratiquent l’indifférence pour toute forme de religion, sans que leur esprit distingue le vrai du faux, et sont malheureusement pénétrés des principes du matérialisme athée et du laïcisme.
8. Qui ne voit, Vénérables Frères, que de telles manières de penser sont en totale opposition avec les déclarations qu’ont faites solennellement de cette chaire de vérité Nos Prédécesseurs, en approuvant le culte du Sacré-Cœur de Jésus ?
Qui oserait déclarer inutile et moins adaptée à notre présente époque cette piété que Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, Léon XIII, a déclaré être « la forme de religion la plus estimable ? » et il ne doutait pas qu’on y trouvât un remède capable de guérir les maux qui, de nos jours mêmes, et sans aucun doute d’une manière plus ample et plus aiguë, inquiètent et font souffrir les individus et la société. « Cette consécration qu’à tous Nous conseillons, sera pour tous d’un grand profit », disait-il. Et il y ajoutait cet avertissement et cette exhortation qui se rapportent au culte même du Sacré-Cœur de Jésus : « De là cette virulence des maux qui nous accablent et nous pressent vivement de demander le secours de Celui-là seul qui a pouvoir de les éloigner. Qui peut-il être Celui-là, sinon Jésus-Christ, Fils unique de Dieu ? » « Car il n’est sous le ciel aucun autre nom, parmi ceux qui ont été donnés chez les hommes, qui doive nous sauver ». « Il faut donc recourir à Celui qui est la Voie, la Vérité et la Vie ».
9. Et Notre Prédécesseur immédiat d’heureuse mémoire, Pie XI, déclarait également ce culte non moins recommandable et non moins apte à nourrir la piété chrétienne quand il écrivait dans son Encyclique : « Dans cette… forme de la dévotion, n’y a‑t-il pas la synthèse de toute la religion et plus encore la norme d’une vie plus parfaite, capable d’acheminer les âmes à connaître plus profondément et plus rapidement le Christ Seigneur, à l’aimer plus ardemment, à l’imiter avec plus d’application et plus d’efficacité ? »
Pour Nous, non moins que Nos Prédécesseurs, ce point capital de vérité Nous paraît évident et probant ; et lorsque Nous avons pris en charge le souverain pontificat, Nous Nous sommes félicité de voir ce culte du Sacré-Cœur de Jésus se développer heureusement dans les nations chrétiennes, triomphalement pour ainsi dire. Nous Nous sommes réjoui des innombrables fruits de salut qui en découlaient sur l’Église tout entière. Il Nous a plu de le faire savoir dès Notre première Encyclique.
Ces fruits mêmes, au cours des années de Notre pontificat – elles ne furent pas remplies seulement de peines et d’angoisses, mais aussi de consolations ineffables – n’ont diminué ni en nombre, ni en force, ni en beauté ; mais ils ont plutôt augmenté. A la vérité, des entreprises variées ont heureusement vu le jour, capables de renouveler ce culte, tout en étant des plus adaptées aux besoins de noue temps : des associations pour promouvoir la culture de l’esprit, la religion et la bienfaisance ; des publications pour en expliquer la doctrine, des points de vue historique, ascétique et mystique ; des pratiques de réparation et, surtout, mentionnons ces manifestations de piété très ardente que multiplie l’Association de l’Apostolat de la Prière. On a vu, surtout, sous sa direction et son impulsion, des familles, des collèges, des Instituts et parfois même des nations se consacrer au très saint Cœur de Jésus, et plus d’une fois Nous Nous en sommes réjoui d’un cœur paternel dans des Lettres, des Allocutions publiques, ou même des Radiomessages que Nous avons donnés à cette intention.
10. Aussi, en voyant cette féconde abondance des eaux de salut, c’est-à-dire des dons célestes de l’amour surnaturel, jaillir du Cœur sacré de notre divin Rédempteur et se répandre sur les fils sans nombre de l’Église catholique, sous l’inspiration et l’action de l’Esprit-Saint, Nous ne pouvons Nous empêcher, Vénérables Frères, de vous exhorter d’un cœur paternel à rendre avec Nous les plus hautes louanges et les plus grandes grâces à Dieu dispensateur de tout bien, Nous écriant avec l’Apôtre des nations : « A Celui qui peut, par la puissance qui agit en nous, faire infiniment au delà de nos demandes ou de nos pensées, à lui soit la gloire dans l’Église et le Christ-Jésus, pour tous les âges et dans le cours des siècles ! Amen ».
Mais, après avoir rendu grâces comme il faut à l’éternelle Divinité, Nous désirons vous exhorter, vous et tous Nos très chers fils de l’Église, par cette Encyclique, à étudier avec un esprit plus attentif ces principes qui, découlant de nos Saints Livres et de la doctrine des saints Pères et des théologiens, établissent comme sur des bases solides ce culte du très saint Cœur de Jésus. Car Nous sommes entièrement persuadé que c’est seulement après avoir considéré à fond l’essence et la sublime nature de ce culte dans l’éclat de la lumière de la vérité divinement révélée, c’est seulement alors, disons-Nous, que nous pourrons exactement et pleinement estimer son incomparable excellence et son abondance jamais épuisée des dons célestes. Alors surtout, ayant médité et contemplé pieusement les bienfaits sans nombre qui en ont découlé, nous pourrons ainsi commémorer dignement le premier centenaire de l’extension à l’Église universelle de la fête du très saint Cœur de Jésus.
11. Dans le but d’offrir aux fidèles un aliment à de salutaires réflexions dont ils puissent plus facilement se nourrir pour comprendre plus à fond la véritable nature de ce culte et en recevoir des fruits abondants, Nous allons parcourir ces pages de l’Ancien et du Nouveau Testament qui nous révèlent et nous proposent la charité infinie de Dieu à l’égard du genre humain. Nous ne pourrons jamais l’approfondir assez. Nous aborderons dans leurs grandes lignes les commentaires que nous ont laissés les Pères et les Docteurs de l’Église. Enfin, Nous prendrons soin de mettre en lumière ce lien très étroit qui intervient entre cette forme de dévotion que l’on doit au Cœur du divin Rédempteur et le culte qui est dû à son amour et à l’amour de l’auguste Trinité envers tous les hommes.
Nous pensons, en effet, que déjà en projetant de cette lumière qui nous vient des saintes Écritures et de la tradition patristique sur les principaux éléments fondamentaux de cette très noble forme de piété, il sera plus facile aux chrétiens de puiser « les eaux avec joie aux sources du salut ».
On le fera, en considérant toute l’importance particulièrement grave dont jouit le culte du très saint Cœur de Jésus dans la liturgie de l’Église et dans sa vie et son action, tant au dedans qu’au dehors. On pourra plus facilement alors recueillir ces fruits spirituels qui permettront à chacun de renouveler ses mœurs pour son salut, comme le désirent les pasteurs du troupeau du Christ.
12. Pour que tous puissent comprendre plus exactement la valeur de la doctrine dont témoignent les textes cités de l’Ancien et du Nouveau Testament relatifs à ce culte, il faut avoir bien présente à l’esprit la raison pour laquelle l’Église accorde un culte de latrie au Cœur du divin Rédempteur. Comme vous le savez parfaitement, Vénérables Frères, il y a une double raison. La première, qui se rapporte également aux autres membres saints du Corps de Jésus-Christ, repose sur ce principe par lequel nous savons que son Cœur, en tant que la plus noble part de sa nature humaine, est uni hypostatiquement à la personne du Verbe divin.
C’est pourquoi on doit lui attribuer te même culte d’adoration dont l’Église honore la personne même du Fils de Dieu incarné. C’est là une vérité qu’il faut professer, de foi catholique, car elle a été sanctionnée solennellement dans te Concile œcuménique d’Éphèse et le deuxième de Constantinople.
La seconde raison qui se rapporte particulièrement au Cœur du divin Rédempteur et qui, pour un motif également particulier, exige qu’on lui rende un culte de latrie, découle du fait que son Cœur, plus que tout autre membre de son Corps, est un signe ou symbole naturel de son immense charité envers le genre humain. Comme le remarquait Notre Prédécesseur d’immortelle mémoire, Léon XIII : « Il y a dans le Sacré-Cœur de Jésus un symbole et une image claire de l’amour infini de Jésus-Christ, autour qui nous pousse à nous aimer les uns les autres ».
13. Sans aucun doute, certes, les Livres Saints ne font jamais une mention claire d’un culte particulier d’amour et de dévotion rendu au Cœur physique du Verbe incarné comme symbole de sa très ardente charité. S’il faut assurément le reconnaître franchement, cela ne doit pas cependant nous étonner et ne peut en aucune façon nous amener à douter que l’amour de Dieu à notre égard, principale raison de ce culte, est proclamé et inculqué, tant dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, par de telles images que les cœurs en sont vivement émus. Ces images, puisqu’elles étaient mises en avant déjà dans les Saintes Écritures pour annoncer la venue du Fils de Dieu fait homme, peuvent donc être considérées comme un présage du signe et du témoignage de cet amour divin très noble, c’est-à-dire du très saint et adorable Cœur du divin Rédempteur.
14. En ce qui concerne notre sujet, Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire de citer de nombreux passages des Livres de l’Ancien Testament qui contiennent les premières vérités divinement révélées. Nous estimons qu’il suffit de rappeler que le souvenir de cette Alliance conclue entre Dieu et son peuple et consacrée par des victimes pacifiques – dont Moïse publia la Loi fondamentale gravée sur les deux Tables et que les prophètes ont expliquée – ne fut pas seulement un pacte ratifié par les engagements de l’autorité suprême de Dieu et l’obéissance à elle due par les hommes, mais un pacte confirmé et vivifié par les plus nobles motifs d’amour.
Car même pour le peuple d’Israël, la suprême raison d’obéir à Dieu n’était pas la crainte des châtiments divins que les tonnerres et les éclairs de la cime du Sinaï jetaient dans les cœurs, mais plutôt l’amour dû à Dieu : « Écoute, Israël : Yahweh est notre Dieu, Yahweh est unique. Tu aimeras Yahweh, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Et ces commandements que je te donne aujourd’hui seront sur ton cœur ».
15. Ne nous étonnons donc pas si Moïse et les prophètes, que le docteur Angélique appelle à bon droit les ancêtres du peuple élu, convaincus que le fondement de toute la Loi repose sut ce précepte de l’amour, ont décrit les liens et rapports qui existaient entre Dieu et son peuple par des images empruntées à l’amour mutuel entre père et fils, ou entre époux, plutôt qu’à l’aide d’images sévères inspirées par l’autorité suprême de Dieu ou l’obéissance obligatoire et craintive due par nous tous.
Ainsi, pour donner des exemples, Moïse lui-même, quand il entonne son chant si célèbre pour l’affranchissement de son peuple libéré de la servitude d’Égypte, formula ces pensées et images qui émeuvent si fortement le cœur : « Tel un aigle qui, éveillant sa nichée, plane au-dessus de ses petits, il (Dieu) déploya ses ailes, le prit et l’emporta sur son pennage ».
Mais peut-être nul autre des saints prophètes mieux qu’osée ne dévoile et ne décrit aussi nettement et aussi fortement l’amour dont Dieu poursuit sans cesse son peuple. Dans les écrits de ce prophète, en effet, qui se distingue parmi les autres petits prophètes par la sublimité de sa phrase concise, Dieu professe, à l’égard de son peuple élu, cet amour juste et saintement soucieux comme l’est l’amour d’un père aimant et miséricordieux, ou d’un époux, dont l’honneur est blessé. Il s’agit d’un amour qui, bien loin de diminuer ou de cesser à cause de la perfidie des trahisons ou de crimes affreux, les punit plutôt comme ils le méritent, dans ce seul but de laver de leurs fautes, de purifier et – bien loin de les répudier ou de les abandonner – de s’attacher par des liens nouveaux et raffermis l’épouse infidèle et égarée et ses fils ingrats : « Quand Israël était jeune, je l’aimais et j’appelais mon fils hors de l’Égypte… C’est moi qui guidais les pas d’Éphraïm, le soutenant par ses bras ; et ils n’ont pas vu que je les guérissais. Je les tirais avec des liens d’humanité, avec des liens d’amour… Je guérirai leur infidélité, j’aurai pour eux un amour sincère, car ma colère s’est détournée d’eux. Je serai comme la rosée pour Israël, il fleurira comme le lis et il poussera des racines comme le Liban ».
16. Ce sont de semblables pensées que traduit le prophète Isaïe quand il montre Dieu lui-même et son peuple élu conversant et discutant ensemble de points de vue opposés : « Sion disait : “Yahweh m’a abandonnée, le Seigneur m’a oubliée !” Une femme peut-elle oublier son nourrisson, n’ayant pas pitié du fruit de ses entrailles ? Si même celles-ci oubliaient, moi je ne t’oublierai pas ». Et ces paroles ne sont pas moins émouvantes pour le cœur que celles de l’auteur du Cantique des cantiques, qui, à l’aide des images de l’amour conjugal, décrit d’une manière expressive les liens de mutuel amour qui lient entre eux Dieu et la nation qu’il chérit : « Comme un lis au milieu des épines, telle est mon amie parmi les jeunes filles… Je suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi ; il fait paître son troupeau parmi les lis… Mets-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras ; car l’amour est fort comme la mort, la jalousie est inflexible comme le séjour des morts ; ses ardeurs sont des traits de feu, une flamme de Yahweh ».
17. Cet amour de Dieu, très tendre, indulgent et patient, qui, s’il se détourne de son peuple d’Israël à cause de ses crimes accumulés, ne le répudie cependant pas, nous semble certes fort et sublime, mais il ne fut, en somme, que le présage prophétique de cette charité très ardente que le Rédempteur promis aux hommes allait faire déborder pour tous de son Cœur très aimant et qui devait être l’exemplaire de notre dilection et le fondement de la Nouvelle Alliance. Car, en réalité, Celui seul qui est le Fils unique du Père, et le Verbe fait chair « plein de grâce et de vérité », en venant vers les hommes écrasés de péchés innombrables et de misères, put faire jaillir de sa nature humaine unie hypostatiquement à la Personne divine, sur le genre humain, « « une source d’eau vive » qui arroserait très largement la terre aride et la transformerait en jardin florissant et plein de fruits.
C’est ce prodige si étonnant qu’allait produire l’éternel et très miséricordieux amour de Dieu que le prophète Jérémie semble annoncer en quelque sorte par ces mots : « C’est d’un amour éternel que je t’ai aimée, aussi je t’ai conservé ma faveur… Voici que des jours viennent – oracle de Yahweh – où je conclurai avec la maison d’Israël et avec la maison de Juda une alliance nouvelle… Voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël, après ces jours-là – oracle de Yahweh – ; je mettrai ma loi au dedans d’eux ; je l’écrirai dans leur cœur ; et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple… ; car je pardonnerai leur iniquité, et je ne me souviendrai plus de leur péché ».
18. Toutefois, c’est grâce aux seuls Évangiles que nous avons la certitude et la preuve de cette Nouvelle Alliance conclue entre Dieu et les hommes – car ce pacte que Moïse avait conclu entre Dieu et le peuple d’Israël n’était que le signe et le symbole de celui que le prophète Jérémie avait prédit, – la Nouvelle Alliance, disons-Nous, est en réalité celle qui a été établie et réalisée grâce au Verbe incarné qui nous a concilié la faveur divine. Il faut reconnaître que cette Alliance est, d’une manière incomparable, plus noble et plus ferme, du fait qu’elle n’a pas été sanctionnée comme la précédente dans le sang des boucs et des veaux, mais dans le Sang très saint de Celui que ces animaux pacifiques et privés de raison annonçaient : « L’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde ».
L’Alliance chrétienne, en effet, bien mieux que l’ancienne, se montre franchement comme un pacte fondé, non sur l’assujettissement, ni la crainte, mais conclu en vertu de cet amour qui doit unir le père et les fils. Elle s’entretient et se renforce par une effusion plus généreuse de grâce divine et de vérité, selon ce mot de l’apôtre saint Jean : « De sa plénitude, nous avons tous reçu, et grâce sur grâce ; car la Loi a été donnée par Moïse, mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ ».
19. Puisque cette parole du disciple « que Jésus aimait, et qui, pendant la Cène, reposa sur sa poitrine », nous introduit dans le mystère de l’amour infini du Verbe incarné, il semble juste, équitable et salutaire, Vénérables Frères, de nous arrêter un peu dans la contemplation très douce de ce mystère. Ainsi, baignés par la lumière que reflète l’Évangile pour éclairer ce mystère, puissions-nous parvenir à réaliser le vœu qu’exprimait l’Apôtre des nations dans sa lettre aux Éphèsiens : « Que le Christ habite en vos cœurs par la foi ; soyez enracinés dans la charité et fondés sur elle, afin de pouvoir comprendre avec tous les saints ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur, et connaître l’amour du Christ qui défie toute connaissance. Ainsi serez-vous remplis de la plénitude même de Dieu ».
20. Le mystère de la Rédemption divine est, en effet, par une raison de premier ordre et toute naturelle, un mystère d’amour ; c’est-à-dire de cet amour équitable du Christ pour son Père céleste à qui il présente le sacrifice de la croix, offert d’un cœur aimant et soumis, et la satisfaction surabondante et infinie qui lui était due pour les fautes du genre humain : « Le Christ en souffrant, par amour et obéissance, a offert à Dieu quelque chose de plus grande valeur que ne l’exigerait la compensation de toute l’offense du genre humain ». C’est de plus, un mystère d’amour miséricordieux de l’auguste Trinité et du divin Rédempteur à l’égard de tous les hommes : puisque ceux-ci étaient dans l’impuissance totale d’expier leurs crimes, le Christ, par les richesses insondables de ses mérites que, par l’effusion de son Sang très précieux, il s’est acquis, a pu rétablir et perfectionner ce pacte d’amitié entre Dieu et les hommes que la misérable faute d’Adam une première fois, puis les innombrables péchés du peuple élu avaient violé.
Ainsi le divin Rédempteur – en tant que Médiateur légitime et parfait – du fait que, par son amour très ardent à notre égard, il a parfaitement concilié les devoirs et obligations du genre humain avec les droits de Dieu, a été sans contredit l’auteur de cette conciliation admirable réalisée entre la divine justice et la divine miséricorde qui constitue le mystère transcendant de notre salut. Le Docteur Angélique en parle en ces termes : « Il faut dire qu’il convenait à sa miséricorde et à Sa justice de délivrer l’homme par la Passion du Christ. A sa justice, d’une part, parce que, par sa Passion, le Christ a satisfait pour le péché du genre humain ; et ainsi, par la justice du Christ, l’homme a été libéré. A Sa miséricorde, d’autre part, parce que, du fait que l’homme ne pouvait lui-même satisfaire pour le péché de l’humanité tout entière, Dieu lui a fait don dans Son Fils d’un Rédempteur. Et ce fut le fait d’une miséricorde plus abondante que s’il avait pardonné les péchés sans satisfaction. Aussi, il est dit ; “Dieu qui est riche en miséricorde et poussé par le grand amour dont il nous a aimés, alors même que nous étions morts par suite de nos fautes, Dieu nous a fait revivre avec le Christ” ».
21. Mais, pour que nous puissions, autant qu’il est possible à des mortels, « comprendre avec tous les saints ce qu’est la Largeur, la Longueur, la Hauteur et la Profondeur » de l’amour mystérieux du Verbe incarné envers son Père céleste et les hommes souillés de la tache de leurs péchés, il faut remarquer que son amour ne fut pas uniquement spirituel, comme il convient à Dieu en tant que « Dieu est Esprit ». Il était, certes, de cette nature, l’amour dont Dieu aima nos parents et le peuple hébreux ; et ainsi, les expressions d’amour humain conjugal ou paternel, qu’on lit dans les psaumes, les écrits des prophètes et le Cantique des cantiques, sont des témoignages et des manifestations de l’amour authentique, mais entièrement spirituel dont Dieu poursuivait le genre humain.
Par contre, l’amour qui s’exhale dans l’Évangile, les lettres des apôtres et les pages de l’Apocalypse, où est décrit l’amour du Cœur même de Jésus-Christ, exprime non seulement la charité divine, mais encore les sentiments d’une affection humaine ; et cela, pour tous ceux qui sont catholiques, est absolument certain. Le Verbe de Dieu, en effet, n’a pas pris un corps impalpable et artificiel, comme déjà au premier siècle du christianisme le prétendaient certains hérétiques que l’apôtre saint Jean condamne par ces mots : « Car beaucoup de séducteurs se sont répandus dans le monde qui ne professent pas que Jésus-Christ se soit incarné. Le voilà bien le séducteur et l’Antéchrist ! » Mais, en réalité, il a uni à sa Personne divine une nature humaine, individuelle, complète et parfaite, qui fut conçue dans le sein très pur de la Vierge Marie par la puissance du Saint-Esprit. Il ne manqua donc rien à cette nature humaine que s’est uni le Verbe de Dieu. Lui-même l’a prise, en vérité, sans aucune diminution ni aucun changement, tant pour ce qui est du corps que pour ce qui est de l’esprit : c’est-à-dire douée d’intelligence et de volonté, et de toutes les autres facultés de connaissance internes et externes, des facultés sensibles d’affection et de toutes les passions naturelles. Toutes ces choses sont enseignées par l’Église comme solennellement proclamées et confirmées par les Pontifes de Rome et les Conciles œcuméniques : « Tout entier dans sa nature, tout entier dans la nôtre », « parfait dans sa divinité, et également parfait dans son humanité », « entièrement Dieu-homme et entièrement homme-Dieu ».
22. C’est pourquoi, comme on ne peut mettre en doute d’aucune façon que Jésus-Christ a pris un Corps véritable qui jouit de tous les sentiments qui lui sont propres et parmi lesquels l’amour surpasse tous les autres, il ne peut y avoir également aucun doute qu’il a été doué d’un cœur physique et semblable au nôtre, puisque, sans cette partie très excellente du corps, il ne peut y avoir de vie d’homme, même en ce qui concerne ses affections. Aussi, le Cœur de Jésus-Christ, uni hypostatiquement à la divine Personne du Verbe a, sans aucun doute, palpité d’amour et de tout autre sentiment, et cependant, tous ces sentiments étaient en parfait accord et s’harmonisaient et avec sa volonté d’homme pleine de divine charité, et avec l’amour divin lui-même que le Fils partage en commun avec le Père et avec l’Esprit-Saint, de telle sorte qu’il n’y eut jamais entre ces trois amours aucun manque d’accord ou d’harmonie.
23. Cependant que le Verbe de Dieu ait pris pour lui une nature humaine véritable et parfaite, et se soit formé et modelé un cœur de chair qui, non moins que le nôtre, pouvait souffrir et être transpercé, cela, disons-Nous, à moins de le mettre et le considérer dans la lumière qui se dégage non seulement de l’union hypostatique et substantielle, mais également dans cette lumière qui vient de la Rédemption de l’homme comme de son complément, peut paraître scandale et folie pour certains, comme ce fut le cas du Christ crucifié pour les Juifs et les gentils. Car les symboles de la foi catholique, en accord parfait avec les Saintes Lettres nous assurent que le Fils unique de Dieu a pris une nature humaine capable de souffrir et mortelle pour cette raison principale qu’il désirait offrir, suspendu à la croix, un sacrifice sanglant pour consommer l’œuvre du salut des hommes. C’est d’ailleurs ce que nous enseigne l’Apôtre des nations par ces mots : « Car Sanctificateur et sanctifiés ont tous une même origine. C’est pour cette raison qu’il ne rougit pas de les appeler frères, quand il dit : “j’annoncerai ton nom à mes frères”. Et encore : “me voici, moi et les enfants que Dieu m’a donnés”. Puis donc que les enfants avaient en partage une nature de sang et de chair, il en a, lui aussi, pris une toute semblable… Voilà pourquoi il devait se faire en tout semblable à ses frères pour devenir ainsi un grand prêtre miséricordieux et fidèle, capable d’expier les péchés du peuple. C’est pour avoir connu lui-même l’épreuve et la souffrance qu’il peut venir en aide à ceux qui sont dans l’épreuve ».
24. Aussi, les saints Pères, témoins véridiques de la doctrine divinement révélée, ont parfaitement compris ce que l’apôtre Paul avait déjà affirmé très clairement, que le mystère de l’amour divin était comme le principe et le couronnement, tant de l’Incarnation que de la Rédemption. On lit souvent et clairement dans leurs écrits que Jésus-Christ a pris une nature humaine parfaite, avec un corps fragile et périssable comme le nôtre, pour entreprendre notre salut éternel, et nous manifester et nous dévoiler, de la manière la plus évidente. son amour infini aussi bien que sensible.
25. Saint Justin, comme un écho à la voix de l’Apôtre des nations, écrit ceci : « Nous adorons et aimons le Verbe Fils du Dieu incréé et ineffable ; puisqu’il s’est fait homme pour nous, pour que, devenu participant à nos affections, il leur apporte le remède ». De même, saint Basile, le premier des trois Pères de Cappadoce, affirme qu’il y eut dans le Christ de véritables affections sensibles et saintes : « Il est évident que le Seigneur a assumé les affections naturelles pour confirmer sa véritable et non fantastique incarnation ; quant aux affections des vices qui souillent la pureté de notre vie, il les rejeta comme indignes de sa divinité sans tache ». Pareillement, saint Jean Chrysostome, lumière de l’Église d’Antioche, reconnaît que les émotions sensibles qu’éprouvait le divin Rédempteur démontraient clairement qu’il avait revêtu la nature humaine dans son intégrité : « S’il n’avait pas été de notre nature il n’aurait pas été ému par la douleur ». Parmi les Pères latins, méritent d’être évoqués ceux que l’Église vénère de nos jours comme les plus grands docteurs. Ainsi saint Ambroise témoigne que les émotions sensibles et les affections dont le Verbe incarné ne fut pas exempt, naissaient comme d’un principe naturel : « Et c’est pourquoi, ayant pris une âme, il prit aussi les affections de l’âme ; Dieu, en effet, du fait qu’il était Dieu, n’aurait pu être ému ou mourir ». C’est de ces affections que saint Jérôme tire son principal argument que le Christ a réellement pris la nature humaine : Notre-Seigneur pour prouver la vérité de sa nature humaine, a vraiment été sujet à la tristesse. Saint Augustin reconnaît particulièrement ces rapports qui existent entre les affections du Verbe incarné et la fin de la Rédemption de l’homme : « Mais ces affections de l’infirmité humaine, comme la chair même de l’humanité infirme et la mort de la chair humaine, le Seigneur Jésus les a prises, non par nécessité de sa condition, mais par une volonté de miséricorde, pour transfigurer en lui-même son Corps, qui est l’Église, dont il a daigné être la tête, c’est-à-dire ses membres qui sont ses saints et ses fidèles : en sorte que si l’un d’eux venait, dans les épreuves humaines, à s’attrister et à souffrir, qu’il ne s’estime pas pour cela soustrait à l’action de sa grâce ; ce ne sont pas là des péchés, mais des marques de l’infirmité humaine, et, comme le chœur s’accorde à la voix qui entonne, ainsi son corps se modèlerait sur son propre Chef ». Avec plus de concision, mais non moins d’efficacité, les citations qui suivent, de saint Jean Damascène, proclament la doctrine manifeste de l’Église, « Dieu tout entier m’a pris entièrement, comme un tout uni au tout, pour apporter le salut à tout l’homme. Car n’aurait pu être guéri ce qui n’a pas été pris ». « Il a donc pris tout pour tout sanctifier ».
26. Il faut remarquer cependant que ces citations de la Sainte Écriture et des Pères, et de nombreux passages semblables que nous n’avons pas cités, bien que témoignant nettement que Jésus-Christ fut doué d’affections et d’émotions sensibles et qu’il prit la nature humaine pour réaliser notre salut éternel, ne rapportent néanmoins jamais ces affections à son Cœur physique de manière à en faire expressément un symbole de son amour infini, Mais si les Évangélistes et les autres écrivains ecclésiastiques ne décrivent pas directement le Cœur de notre Rédemption, Cœur vivant et doué de la faculté de sentir non moins que le nôtre, et palpitant et tressaillant des émotions et affections diverses de son âme, néanmoins, ils mettent souvent dans sa pleine lumière son amour divin et les émotions sensibles qui l’accompagnent, telles que désir, joie, peine, crainte et colère, comme ils se manifestent dans ses regards, ses paroles et ses gestes.
La face surtout de notre adorable Sauveur fut le témoignage et comme le miroir le plus fidèle de ces affections qui, émouvant diversement son âme, atteignaient comme dans un reflux son Cœur et en activaient les battements. A la venté, en cette question, garde toute sa valeur ce que le Docteur Angélique instruit par l’expérience commune, note à propos de la psychologie humaine et de ce qui en découle : « L’ébranlement de la colère s’étend jusqu’aux membres extérieurs, et surtout à ces parties du corps où l’influence du cœur se révèle d’une manière plus expressive, comme les yeux, la face et la langue ».
27. C’est à bon droit, par conséquent, que le Cœur du Verbe incarné est considéré comme le signe et le principal symbole de ce triple amour dont le divin Rédempteur aime et continue d’aimer son Père éternel et tous les hommes, car il est le symbole de cet amour divin qu’il partage avec le Père et l’Esprit-Saint, mais qui pourtant, en lui seul, en tant que Verbe fait chair se manifeste à nous par son corps humain périssable et fragile, puisque « c’est en lui qu’habite corporellement toute la plénitude de la divinité » il est, de plus, le symbole de cet amour très ardent qui, répandu dans son âme, enrichit la volonté du Christ, et dont les actes sont éclairés et dirigés par une double science très parfaite, à savoir la science bienheureuse et infuse. Enfin, il est aussi – et cela d’une manière plus naturelle et directe – le symbole de son amour sensible, car le Corps de Jésus-Christ, formé par le Saint-Esprit dans le sein de la Vierge Marie, jouit d’un pouvoir de sentir et de percevoir très parfait, plus, assurément, que tous les autres corps des hommes.
28.L’Écriture Sainte et les symboles de la foi catholique nous enseignent donc que dans l’âme très sainte de Jésus-Christ règne la plus haute consonance et harmonie, et qu’il a appliqué manifestement son triple amour à la réalisation de la fin poursuivie dans notre Rédemption. Par conséquent, il est évident que c’est à très bon droit que nous pouvons voir et vénérer le Cœur du divin Rédempteur comme l’image expressive de son amour et le témoignage de notre Rédemption, et comme aussi l’échelle mystique qui nous élève jusqu’à embrasser « Dieu notre Sauveur ». C’est pourquoi dans ses paroles, ses actes, ses préceptes, ses miracles et particulièrement dans ses œuvres qui nous témoignent plus clairement son amour – comme l’Institution de la divine Eucharistie, sa Passion si douloureuse et sa mort, le don affectueux qu’il nous fit de sa très Sainte Mère, l’Église qu’il fonda pour nous et, enfin, le Saint-Esprit envoyé à ses apôtres comme à nous – en tout cela, disons-Nous, nous devons admirer comme des preuves de son triple amour.
Nous devons pareillement méditer avec beaucoup d’amour les battements de son très saint Cœur, dont il a comme mesuré le temps de son passage sur cette terre jusqu’au moment suprême où, au témoignage des Évangélistes, « poussant un grand cri, il dit : “Tout est consommé”. Et ayant incliné la tête, il rendit l’esprit ».
Alors, son Cœur s’arrêta et cessa de battre et son amour sensible fut suspendu jusqu’au jour où, triomphant de la mort, le Christ ressuscita du tombeau. Depuis que son Corps, revêtu de l’état de gloire éternelle, s’est réuni à l’âme du divin Rédempteur vainqueur de la mort, son Cœur très saint n’a jamais cessé et ne cessera de battre d’un mouvement paisible et imperturbable. Il ne cessera jamais pareillement de signifier le triple amour qui lie le Fils de Dieu à son Père céleste et à toute la communauté des hommes, dont il est de plein droit le Chef mystique.
29. Maintenant, Vénérables Frères, afin de recueillir des pieuses considérations que Nous venons de faire des fruits abondants et salutaires, il convient de méditer un moment sur les nombreuses manifestations d’affections divines et humaines de notre Sauveur Jésus-Christ et de les contempler, affections que son Cœur a exprimées pendant sa vie mortelle, qu’il exprime maintenant et qu’il exprimera pendant toute l’éternité. Des pages de l’Évangile, tout particulièrement, nous vient une lumière qui nous éclaire et nous réconforte pour nous permettre de pénétrer dans le sanctuaire de ce divin Cœur et d’admirer avec l’Apôtre des gentils « l’infinie richesse de la grâce (de Dieu) par sa bonté envers nous en Jésus-Christ ».
30. C’est un amour à la fois humain et divin qui habite le Cœur de Jésus-Christ, après que la Vierge Marie eut prononcé son « Fiat » magnanime et que le Verbe de Dieu, selon les paroles de l’Apôtre : « dit en entrant dans le monde : Vous n’avez voulu ni sacrifice ni oblation, mais vous m’avez formé un corps ; vous n’avez agréé ni holocauste ni sacrifices pour le péché. Alors j’ai dit : “Me voici (car il est question de moi dans le rouleau du livre), je viens, ô Dieu, pour faire votre volonté… C’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés, par l’oblation que Jésus-Christ a faite, une fois pour toutes, de son propre corps.”»
Il était animé du même amour, en parfaite harmonie avec les désirs de sa volonté humaine et l’amour divin, lorsque dans la maison de Nazareth il s’entretenait des choses divines avec sa très douce Mère et Joseph, son père putatif, qu’il secondait laborieusement et avec obéissance dans son métier de charpentier.
Et il était animé de ce triple amour dont Nous avons parlé dans ses continuelles courses apostoliques ; dans les innombrables miracles qu’il accomplissait, ressuscitant les morts ou guérissant des maladies de toutes sortes ; dans ses travaux épuisants ; dans la sueur, la faim, la soif ; dans les veilles au cours desquelles il priait avec beaucoup d’amour son Père céleste ; dans les prières qu’il faisait, dans les paraboles qu’il proposait et expliquait ; dans celles, particulièrement, qui ont trait à la miséricorde, celle de la drachme perdue, de la brebis égarée et du fils prodigue ; c’est dans ces actes et ces paroles, comme le dit saint Grégoire le Grand, que se manifeste le Cœur même de Dieu : « Apprends à connaître le Cœur de Dieu par les paroles de Dieu, afin que tu aspires plus ardemment aux choses éternelles. »
31. Une plus grande charité encore remplissait le Cœur de Jésus-Christ lors qu’il prononçait des paroles exprimant l’amour le plus ardent. Lorsque, par exemple, il s’exclamait devant la foule fatiguée et affamée : « J’ai compassion de cette foule » ; et lorsqu’il contemplait Jérusalem, sa ville qu’il aimait, aveuglée de ses péchés et à cause de cela destinée à une ruine extrême, il disait : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés ! Que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu ! »
Son Cœur frémissait d’amour envers son Père et d’une sainte indignation lorsqu’il vit le commerce sacrilège qui se faisait dans le Temple et qu’il adressa aux coupables ces paroles : “Il est écrit : Ma maison sera appelée maison de prière ; mais vous, vous en avez fait une caverne de voleurs”.
32. Son Cœur était particulièrement affecté par l’amour et la crainte lorsque devant l’imminence de son atroce passion et la répulsion naturelle que lui causaient ses immenses souffrances et la mort, il s’écria : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s’éloigne de moi ! » c’est avec un amour invincible et une profonde tristesse, qu’après avoir reçu le baiser du traître, il lui adressa ces paroles qui apparaissent comme le suprême appel adressé par son Cœur très miséricordieux à l’ami qui, imprégné avec une obstination extrême de sentiments impies et infidèles, devait le livrer à ses bourreaux : “Ami, tu es là pour cela ? C’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme !” ; au moment de subir le supplice immérité de la croix, il dit, avec une commisération et un amour très profonds, aux saintes femmes qui pleuraient sur lui : “Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants… ; car, si l’on traite ainsi le bois vert, qu’en sera-t-il du sec ?”
33. Enfin, lorsqu’il fut suspendu à la croix, notre divin Rédempteur sentit son Cœur bouillonner de sentiments divers et impétueux, d’un amour intense, d’épouvante, de miséricorde, de violent désir et de paix sereine, sentiments qui sont exprimés d’une façon significative par ces paroles : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » ; « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » ; « Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » ; « J’ai soif » ; « Père, je remets mon esprit entre vos mains. »
34. Qui pourrait décrire dignement les sentiments dont était imprégné le Cœur divin, indices de son amour infini, aux moments où il se donnait lui-même aux hommes dans le sacrement de l’Eucharistie, où il leur donnait sa Mère très Sainte et nous faisait participer à la charge sacerdotale ?
35. Avant de partager la dernière Cène avec ses disciples, le Christ Notre-Seigneur, qui savait qu’il devait instituer le sacrement de son corps et de son sang, par l’effusion duquel une nouvelle alliance devait être scellée, sentit son Cœur s’animer de sentiments ardents, qu’il exprima à ses apôtres par ces paroles : « J’ai ardemment désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. » Ces sentiments ont, sans aucun doute, été plus ardents lorsque « Il prit du pain et, après avoir rendu grâces, il le rompit et le leur donna, en disant : “Ceci est mon corps, donné pour vous. Faites ceci en mémoire de moi.” Et pareillement pour la coupe, après qu’ils eurent soupé, en disant : “Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, répandu pour vous.”»
36. On peut donc affirmer que la divine Eucharistie, en tant que sacrement par lequel il se donne aux hommes et sacrifice par lequel il s’immole perpétuellement « du lever jusqu’au coucher du soleil », ainsi que le sacerdoce, sont des dons du Cœur très sacré de Jésus.
37. Un don très précieux également de ce Cœur très sacré est comme Nous l’avons dit, Marie, la Mère de Dieu et aussi notre Mère très aimante à tous. Elle a été la Mère de notre Rédempteur selon la chair et son Associée pour ramener les fils d’Ève à la vie de la grâce, ce qui lui valut d’être appelée la Mère spirituelle de tout le genre humain.
Saint Augustin a écrit à ce sujet : « Elle est la Mère des membres du Sauveur que nous sommes, parce qu’elle a coopéré par sa charité à ce que naissent à l’Église des fidèles qui sont membres de cette tête. »
38. Au don non sanglant de lui-même, sous les espèces du pain et du vin, notre Sauveur Jésus-Christ a voulu ajouter comme témoignage principal de son intime et infini amour, le sacrifice cruel de la croix. Il a ainsi donné un exemple de cette charité suprême qu’il a proposée à ses disciples comme le plus haut point d’amour, lorsqu’il leur a dit : « Nul ne peut avoir d’amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis. » C’est pourquoi l’amour de Jésus-Christ, Fils de Dieu, par le sacrifice du Golgotha, révèle excellemment et d’une façon significative l’amour de Dieu lui-même : « À ceci nous avons connu l’amour, c’est que lui a donné sa vie pour nous. Nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères. » C’est pourquoi notre Rédempteur a été cloué sur la croix par ses bourreaux plus par amour que par force ; et son sacrifice volontaire est le don suprême qu’il a fait à tous les hommes, selon cette phrase concise de l’Apôtre : « Il m’a aimé et il s’est livré lui-même pour moi. »
39. Il ne peut y avoir aucun doute que le Cœur très sacré de Jésus, puisqu’il participe intimement à la vie du Verbe incarné et que par là il est devenu comme un instrument de la divinité, non moins que les autres membres de la nature humaine, pour accomplir les œuvres de la grâce et de la toute-puissance divine, est le symbole légitime de cette immense charité dont était animé notre Sauveur en contractant son union mystique avec l’Église par son sang : « Il a souffert par amour, pour faire de l’Église son épouse. » C’est donc du Cœur blessé de notre Rédempteur qu’est née l’Église, comme dispensatrice du sang de la Rédemption, et c’est aussi de lui que coule avec abondance la grâce des sacrements où les fils de l’Église puisent la vie suprême, comme nous le lisons dans la sainte liturgie ; « C’est du Cœur transpercé que l’Église, épouse du Christ, prend naissance…, qui de ton Cœur donne la grâce. »
De ce symbole, qui n’était pas inconnu des anciens Pères de l’Église et des anciens auteurs, le Docteur commun écrit, comme faisant écho à leurs voix : « Du côté du Christ a coulé l’eau pour nous laver, le sang pour nous racheter. C’est pourquoi le sang concerne le sacrement de l’Eucharistie, et l’eau le sacrement du Baptême ; lequel cependant, a le pouvoir de laver par la vertu du sang du Christ. » Ce qui est écrit ici du côté du Christ, ouvert par le soldat, doit également être dit de son Cœur qui a été atteint par le coup de lance donné par lui pour s’assurer de la mort de Jésus-Christ crucifié. C’est pourquoi la blessure du Cœur très sacré de Jésus, qu’avait déjà quitté cette vie mortelle, restera pendant le cours des siècles l’image vivante de cet amour, manifesté de plein gré, par lequel Dieu a donné son Fils unique pour racheter les hommes ; amour dont le Christ nous a tous aimés si fortement qu’il s’est immolé pour nous sur le calvaire en hostie sanglante : « Le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu, pour nous, comme une oblation et un sacrifice d’agréable odeur. »
40. Après que notre Sauveur fut monté au ciel, avec son corps, orné des splendeurs de la gloire éternelle, et qu’il se fut assis à la droite du Père, il n’a pas cessé d’entourer l’Église, son épouse, de cet amour très ardent dont brûle son Cœur.
Il porte dans ses mains, ses pieds et son côté les signes manifestes de ses blessures, qui représentent sa triple victoire sur le démon, le péché et la mort. Il a de même dans son Cœur, comme dans un écrin très précieux, les immenses trésors de ses mérites, fruits de son triple triomphe, qu’il dispense largement au genre humain racheté. C’est là la vérité très consolante que l’Apôtre exprime par ces paroles : « Il est monté dans les hauteurs, il a emmené des captifs et il a fait des largesses aux hommes… Celui qui est descendu est celui-là même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de tout remplir. »
41. Le don du Saint-Esprit, envoyé aux apôtres, a été la première manifestation de sa généreuse charité, après sa triomphale ascension à la droite du Père. Dix jours après, l’Esprit-Saint, envoyé par le Père, est descendu sur eux, qui étaient réunis au Cénacle, selon qu’il le leur avait promis à la dernière Cène : « Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre intercesseur pour qu’il soit avec vous toujours. » Le Saint-Esprit, étant amour personnel mutuel, c’est-à-dire du Père à l’égard du Fils et du Fils à l’égard du Père, est envoyé par l’un et l’autre, sous forme de langues de feu, et il a infusé dans leurs âmes l’abondance de la charité divine et des autres dons célestes. Cette infusion de l’amour divin est également née du Cœur de notre Sauveur « dans lequel sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science ».
Cet amour est, en effet, un don du Cœur de Jésus et de son Esprit, lequel est l’Esprit du Père et du Fils ; c’est lui qui explique la naissance de l’Église et son admirable propagation dans toutes les nations qui étaient livrées au culte des idoles, à la haine fraternelle, à la corruption des mœurs et à la violence.
Cet amour divin est le don très précieux du Cœur de Jésus et de son Esprit ; c’est lui qui a donné aux apôtres et aux martyrs ce courage qui leur a permis de lutter jusqu’à leur mort héroïque, afin de prêcher la vérité de l’Évangile et d’en témoigner par leur sang ; c’est lui qui a fait grandir les vertus des confesseurs et les a incités à faire des œuvres très utiles et remarquables qui devaient profiter pour leur propre salut temporel et éternel et celui des autres ; c’est lui, enfin, qui a amené des vierges à renoncer spontanément et joyeusement aux voluptés des sens et à se consacrer complètement au céleste Époux. Pour célébrer cet amour divin qui coule du Cœur du Verbe incarné et qui est infusé par le Saint-Esprit dans les âmes de tous les croyants, l’Apôtre des gentils a écrit cet hymne victorieux qui prédisait le triomphe de Jésus-Christ et des membres du Corps mystique, dont il est la tête, sur tous ceux qui entraveraient de quelque manière l’instauration parmi les hommes du divin royaume de l’amour : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l’épée ?… Mais dans toutes ces épreuves, nous sommes plus que vainqueurs, par Celui qui nous a aimés. Car j’ai l’assurance que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu dans le Christ Jésus Notre-Seigneur. »
42. Rien par conséquent ne s’oppose à ce que nous adorions le Cœur très sacré de Jésus-Christ en tant que participation et symbole naturel et très expressif de cet amour inépuisable que notre divin Rédempteur ne cesse d’éprouver à l’égard du genre humain. Bien qu’il ne soit plus soumis aux vicissitudes de cette vie mortelle, il n’en continue pas moins de vivre et de battre, il est uni d’une façon indissoluble à la Personne du Verbe divin, et, en elle et par elle, à la volonté divine.
C’est pourquoi, puisque le Cœur du Christ déborde d’amour divin et humain, et qu’il est rempli des trésors de toutes les grâces que notre Rédempteur a acquis durant sa vie par ses souffrances et par sa mort, il est la source éternelle de cet amour que son Esprit répand dans tous les membres de son Corps mystique.
43. Le Cœur de notre Sauveur reflète donc d’une certaine façon l’image de la divine Personne du Verbe et de sa double nature humaine et divine, et en lui nous pouvons considérer non seulement le symbole, mais comme la somme de tout le mystère de notre Rédemption. Lorsque nous adorons le Cœur très sacré de Jésus-Christ, nous adorons en lui et par lui tant l’amour incréé du Verbe divin que son amour humain, ses autres sentiments et ses autres vertus, puisque c’est l’un et l’autre amours qui ont poussé notre Rédempteur à s’immoler pour nous et pour toute l’Église son épouse, selon les paroles de l’Apôtre : « Le Christ a aimé l’Église et s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, après l’avoir purifiée dans l’eau baptismale, avec la parole, pour la faire paraître devant lui, cette Église, glorieuse, sans tache, sans ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée. »
44. Le Christ a aimé l’Église d’un triple amour, comme Nous l’avons dit, et il continue à l’aimer ardemment, lui qui se fait comme notre Avocat pour nous concilier la grâce et la miséricorde du Père, « toujours vivant pour intercéder en notre faveur ». Les prières qui naissent de son amour inépuisable et sont adressées au Père ne cessent jamais. Comme « dans les jours de sa chair », aujourd’hui, triomphant dans le ciel, il prie son Père céleste avec non moins d’efficacité, et à Celui qui « a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais ait la vie éternelle », il montre son Cœur vivant et comme blessé, brûlant d’un amour plus intense que lorsque, inanimé, il fut blessé par la lance du soldat romain : « (ton Cœur), a été blessé afin que, par la blessure visible, nous voyions la blessure de l’amour invisible »…
45. Il ne fait donc aucun doute que le Père céleste, « qui n’a pas épargné son propre Fils, mais l’a livré à la mort pour nous tous », lorsque des prières lui sont adressées par un tel avocat, avec un amour si ardent, ne refusera jamais de faire descendre par lui sur tous les hommes l’abondance de ses grâces divines.
46. Nous avons voulu, Vénérables Frères, vous exposer, à vous et au peuple chrétien, dans ses grands traits, la nature intime du culte du Cœur très sacré de Jésus et les éternelles richesses qui en découlent, telles qu’elles résultent, comme de leur source première, de la doctrine révélée. Nous pensons cependant que Nos considérations, éclairées de la lumière de l’Évangile, ont fait ressortir que ce culte n’est rien d’autre en substance que le culte de l’amour divin et humain du Verbe incarné, et même que le culte de cet amour dont également le Père et l’Esprit-Saint entourent les pécheurs ; car, comme l’enseigne le Docteur Angélique, l’amour de la Sainte Trinité est le principe de la Rédemption humaine, puisqu’il débordait sur la volonté humaine de Jésus-Christ et son Cœur adorable, et que c’est ce même amour qui l’a conduit à répandre son Sang pour nous délivrer de la captivité du péché : « J’ai à recevoir un baptême, et comme je suis dans l’angoisse jusqu’à ce qu’il soit accompli ! »
47. Nous sommes donc persuadés que le culte par lequel nous honorons l’amour de Dieu et de Jésus-Christ envers le genre humain, à travers le signe auguste du Cœur transpercé du Rédempteur crucifié, n’a jamais été complètement étranger à la piété des fidèles, bien qu’il ait été mis en pleine lumière et qu’il ait été répandu universellement d’une façon remarquable dans l’Église à une époque qui n’est pas si éloignée de la nôtre, particulièrement après que le Seigneur eut lui-même révélé en privé ce mystère divin à certains de ses fils privilégiés qu’il avait choisis pour être ses messagers et ses hérauts.
48. À la vérité, il y eut toujours des hommes spécialement dévoués à Dieu, qui, suivant l’exemple de la Mère de Dieu, des apôtres et des illustres Pères de l’Église, ont rendu un culte d’adoration, d’action de grâce et d’amour à la nature humaine très sainte du Christ, et particulièrement aux blessures dont son Corps a été déchiré lors de ses salutaires tourments.
49. Ces paroles de l’apôtre Thomas : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » qui expriment que de l’incrédule qu’il était il est devenu un héraut de la foi, ne contiennent-elles pas, sans aucun doute, une profession de foi, d’adoration et d’amour qui, au delà de la nature humaine blessée du Seigneur, s’élève à la majesté de la Personne divine ?
50. Si, par le Cœur transpercé du Sauveur, les hommes sont toujours plus ardemment portés à honorer son amour infini qui embrasse le genre humain – les paroles du prophète Zacharie, appliquées par saint Jean l’Évangéliste à Jésus crucifié : « Ils regarderont Celui qu’ils ont transpercé », s’adressent aux chrétiens de tous les temps – il faut cependant reconnaître que ce n’est que peu à peu et progressivement que ce même Cœur a fait l’objet d’un culte particulier, en tant qu’image de l’amour divin et humain du Verbe incarné.
51. Si Nous voulons évoquer les étapes glorieuses parcourues par ce culte au cours de l’histoire de la piété chrétienne, nous voyons tout de suite se présenter à nous les noms de certains de ceux qui ont acquis une célébrité particulière dans ce domaine et qui doivent être tenus pour les pionniers d’une forme de religion qui se répandait de plus en plus privément et progressivement dans les communautés religieuses. Nous citons par exemple, parmi ceux qui ont affermi ce culte du Cœur très sacré de Jésus, l’ont fait progressivement se développer et ont, ainsi, bien mérité de lui : saint Bonaventure, saint Albert le Grand, sainte Gertrude, sainte Catherine de Sienne, le bienheureux Henri Suso, saint Pierre Canisius, saint François de Sales. Saint Jean Eudes fut l’auteur du premier office liturgique célébré en l’honneur du Cœur très sacré de Jésus, dont la fête solennelle, avec l’approbation de nombreux évêques de France, fut célébrée pour la première fois le 20 octobre 1672. Mais, parmi ceux qui ont promu ce mode très noble de religion, il faut assurément faire une place spéciale à sainte Marguerite-Marie Alacoque, qui, avec le bienheureux Claude de la Colombière, son directeur spirituel, réussit, par son zèle remarquable, à ce que soit établit ce culte, qui prit tant d’extension, à la grande admiration des fidèles, et que, à cause de ses propriétés d’amour et de réparation, il soit distingué des autres formes de la piété chrétienne.
52. Il suffit d’évoquer cette époque où se développait le culte du Cœur très sacré de Jésus pour comprendre parfaitement que son admirable progression tenait à ce qu’il convenait parfaitement à la nature de la religion chrétienne, qui est une religion d’amour. On ne doit donc pas dire que ce culte tire son origine d’une révélation privée faite par Dieu ni qu’il est apparu soudainement dans l’Église, mais qu’il a fleuri spontanément de la foi vivante et de la piété fervente dont étaient animées des personnes privilégiées à l’égard du Rédempteur adorable et de ses glorieuses blessures, témoignages les plus éloquents de son immense amour.
Ainsi, comme on le voit, ce qui a été révélé à sainte Marguerite-Marie n’a rien apporté de nouveau à la doctrine catholique. Son importance vient de ce que le Christ Notre-Seigneur, en montrant son Cœur très sacré, a voulu retenir d’une façon extraordinaire et singulière les esprits des hommes pour qu’ils contemplent et honorent le mystère de l’amour miséricordieux de Dieu à l’égard du genre humain. Par cette manifestation particulière, le Christ, en des paroles expresses et réitérées, a montré son Cœur comme le symbole qui attirerait les hommes à la connaissance de son amour ; en même temps, il en a fait comme le signe et le gage de sa miséricorde et de sa grâce pour les besoins de l’Église de notre temps.
53. En outre, le fait que le Siège apostolique ait approuvé cette liturgie solennelle avant les écrits de sainte Marguerite-Marie montre manifestement que ce culte découle des principes mêmes de la doctrine chrétienne ; ce n’est pas proprement à cause d’une révélation divine privée, mais pour répondre aux vœux des fidèles que la Sacrée Congrégation des Rites, par un décret du 25 janvier 1765, approuvé par Notre Prédécesseur Clément XIII le 6 février de la même année, a autorisé les évêques de Pologne et l’Archiconfrérie romaine, dite du Cœur très sacré de Jésus, à célébrer la fête liturgique ; ce faisant, le Siège apostolique a voulu développer un culte déjà en vigueur dont le symbole était de « rappeler le souvenir de ce divin amour », qui a conduit notre Sauveur à s’offrir comme victime pour expier les crimes des hommes.
54. Cette première approbation, qui était un privilège et se restreignait à certaines fins, fut suivie, presque un siècle plus tard, d’une autre beaucoup plus importante et exprimée en paroles plus solennelles. Nous voulons parler du décret que nous avons rappelé plus haut, de la Sacrée Congrégation des Rites, du 23 août 1856, par lequel Notre prédécesseur d’immortelle mémoire, Pie IX, répondant aux prières des évêques de France et de presque tout le monde catholique, a ordonné que la fête du Cœur très sacré de Jésus fût étendue à l’Église entière et fût célébrée par elle comme il convient. Ce fait, doit être avec juste raison recommandé au souvenir éternel des fidèles car, comme nous le lisons dans la liturgie de cette fête : “Le culte du Cœur très sacré de Jésus, comme un fleuve débordant, renversant tous les obstacles, se répand dans le monde entier”.
55. Après ce que Nous venons d’exposer, Vénérables Frères, il ressort avec évidence de la Sainte Écriture, de la Tradition, de la Liturgie sacrée, comme d’une source claire et profonde, que les fidèles doivent revenir au culte du Cœur très sacré de Jésus s’ils désirent pénétrer dans son intimité et y trouver dans la méditation un aliment pour entretenir et augmenter leur ardeur religieuse. Si ce culte est pratiqué assidûment, avec un esprit éclairé et des vues élevées, il est impossible qu’une âme fidèle ne parvienne pas à cette douce connaissance de l’amour du Christ, qui est la somme de vie chrétienne, comme l’enseigne l’Apôtre, se référant à son expérience personnelle : « À cause de cela, je fléchis le genou devant le Père…, afin qu’il vous donne, selon les trésors de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit en vue de l’homme intérieur et que le Christ habite dans vos cœurs par la foi, de sorte que, étant enracinés et fondés dans la charité vous deveniez capables de… connaître l’amour du Christ, qui surpasse toute connaissance, en sorte que vous soyez remplis de toute la plénitude de Dieu. »
Le Cœur du Christ Jésus est lui-même une image très claire de cette plénitude universelle de Dieu : plénitude de miséricorde, voulons-Nous dire, qui est propre au Nouveau Testament, dans lequel « se sont manifestés la bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes » : « Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour condamner le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. »
56. Ce fut toujours la conviction de l’Église, à qui il revient d’enseigner les hommes dès les premiers documents officiels concernant le culte du Cœur très sacré de Jésus, que les raisons qui en sont à la base, c’est-à-dire l’acte d’amour et de réparation par lequel on honore l’amour infini de Dieu envers le genre humain, ne sont pas du tout entachées de superstition et de ce que l’on appelle « matérialisme », mais que ce culte est une forme de piété qui parfait pleinement la religion du point de vue spirituel et que le Sauveur lui-même avait annoncée lorsqu’il disait à la Samaritaine : « Mais l’heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité ; aussi bien, le Père désire que soient tels ceux qui l’adorent ; Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité. »
57- Il est donc faux de dire que la contemplation du Cœur physique de Jésus empêche de parvenir à l’amour intime de Dieu et qu’elle retarde l’âme dans le chemin qui conduit aux plus hautes vertus. L’Église rejette complètement cette fausse doctrine mystique, comme par la voix de Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire, Innocent XI, elle a rejeté les assertions de ceux qui disaient : « Elles (les âmes de cette voie intérieure) ne doivent pas exprimer des mouvements d’amour à l’égard de la Sainte Vierge, des saints ou de l’humanité du Christ, parce que ces objets étant sensibles, il en est de même de l’amour à leur égard. Aucune créature, ni la Sainte Vierge, ni les saints, ne doivent avoir de place dans notre cœur, parce que seul Dieu veut l’occuper et le posséder. »
Il est manifeste que ceux qui pensent ainsi estiment que l’image du Cœur du Christ ne signifie rien de plus élevé que son amour sensible, et même qu’il n’y a rien en elle qui puisse constituer le nouveau fondement d’un culte de latrie, ce culte ne convenant qu’à ce qui est divin de nature. Mais il n’est personne qui ne voie que cette façon d’interpréter les saintes images est absolument fausse, puisqu’elle circonscrit dans des limites trop étroites leur signification transcendante. Les théologiens catholiques ne pensent ni n’enseignent ainsi. Saint Thomas écrit : « Il n’est pas rendu de culte religieux aux images considérées en elles-mêmes comme des choses, mais en tant qu’elles sont des images conduisant au Dieu incarné. Le sentiment qui est lié à l’image en tant qu’image ne se limite pas à elle, mais il tend vers Celui dont elle est l’image. C’est pourquoi, lorsque l’on rend un culte religieux aux images du Christ il n’y a pas de déviation du culte de latrie ni de la vertu de religion. » C’est donc à la Personne même du Verbe incarné en tant que fin que s’adresse le culte relatif qui est rendu aux images, soit aux reliques se rapportant aux affreux tourments que notre Sauveur a supportés pour nous, soit à cette image dont la puissance et la signification dépassent tout le reste, le Cœur du Christ qui a été transpercé sur la croix.
58. C’est pourquoi, de cette chose corporelle qu’est le Cœur de Jésus-Christ et de sa signification naturelle, nous pouvons et nous devons, soutenus par la foi chrétienne, nous élever non seulement jusqu’à la contemplation de son amour, qui est perçu par les sens, mais encore plus haut, jusqu’à la contemplation et l’adoration de son suprême amour infus ; et enfin, dans une certaine disposition d’âme à la fois douce et sublime, jusqu’à la méditation et l’adoration de l’amour divin du Verbe incarné. À la lumière donc de la foi, par laquelle nous croyons que les deux natures, humaine et divine, sont unies dans la personne du Christ, nous pouvons concevoir les liens très étroits qui existent entre l’amour sensible du Cœur physique de Jésus et son double amour spirituel humain et divin. On ne doit pas dire seulement de ces amours qu’ils existent ensemble dans la personne adorable du divin Rédempteur, mais qu’ils sont liés entre eux par un lien naturel, l’amour humain et l’amour sensible sont subordonnés à l’amour divin et ils reflètent en eux la ressemblance analogique de ce dernier.
Nous ne prétendons pas qu’il faille penser que dans le Cœur de Jésus l’on doive voir et adorer l’image dite formelle, c’est-à-dire le signe parfait et absolu de son amour divin, puisqu’il n’est pas possible d’en représenter l’essence intime d’une façon adéquate par une quelconque image créée ; mais le fidèle, en rendant un culte au Cœur de Jésus, adore avec l’Église un signe et comme un mémorial de l’amour divin qui a été jusqu’à aimer, également avec le Cœur du Verbe incarné, le genre humain coupable de tant de fautes.
59. Il est donc nécessaire, dans ce chapitre de doctrine si important et si délicat, que chacun ait toujours présent à l’esprit que la vérité du symbole naturel en vertu duquel le Cœur physique de Jésus est rattaché à la Personne du Verbe, repose tout entière sur la vérité fondamentale de l’union hypostatique ; si quelqu’un nie cela, il renouvelle les erreurs plusieurs fois condamnées par l’Église, parce que contraires à l’unité de personne dans le Christ ainsi qu’à la distinction et à l’intégrité des deux natures.
60. Cette vérité fondamentale fait comprendre que le Cœur de Jésus est le Cœur de la Personne divine, c’est-à-dire du Verbe incarné et qu’il représente et, pour ainsi dire, met sous nos yeux tout l’amour qu’il a eu et qu’il continue d’avoir pour nous. C’est pourquoi il faut attacher une telle importance au culte que l’on doit rendre au Cœur très sacré de Jésus, comme cela serait de la profession pratique de toute la religion chrétienne. La religion de Jésus repose en effet entièrement sur l’homme-Dieu médiateur, de sorte que l’on ne peut atteindre le Cœur de Dieu que par le Cœur du Christ, comme lui-même l’a dit : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ; personne ne va au Père que par moi. » Nous pouvons ainsi facilement conclure que le culte du Cœur très sacré de Jésus est en substance le culte de l’amour que Dieu a pour nous en Jésus et en même temps la pratique de notre amour envers Dieu et les autres hommes ; ou, en d’autres termes, ce culte se propose l’amour de Dieu envers nous comme objet d’adoration, d’action de grâce et d’imitation ; il a pour fin de nous conduire à la perfection et à la plénitude de l’amour qui nous unit à Dieu et aux autres hommes, en suivant toujours plus allègrement le commandement nouveau que le divin Maître a laissé aux apôtres comme un héritage sacré, lorsqu’il leur a dit : « Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés… Ceci est mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres. » Ce commandement est vraiment nouveau et propre au Christ, car, comme l’écrit saint Thomas d’Aquin : « La différence entre le Nouveau et l’Ancien Testament se résume à peu de chose ; le prophète Jérémie dit en effet : “Je conclurai avec la maison d’Israël une alliance nouvelle.”» L’accomplissement de ce commandement dans l’Ancien Testament, sous l’effet de la crainte et d’un amour saint, relève du Nouveau Testament : c’est pourquoi ce commandement était dans l’ancienne Loi, non comme lui étant propre, mais comme une préparation à la nouvelle Loi.
61. Avant de mettre fin à ces réflexions si belles et si consolantes sur l’authentique nature et la richesse chrétienne de ce culte, conscient des devoirs de Notre charge apostolique qui a été confiée en premier à saint Pierre après sa triple profession d’amour envers le Christ Notre-Seigneur, Nous croyons opportun de vous renouveler, Vénérables Frères, à vous et par votre intermédiaire à tous Nos chers fils dans le Christ, Nos exhortations à promouvoir activement cette forme très suave de dévotion ; Nous espérons en effet, qu’il en naîtra pour notre époque également de nombreux bienfaits.
62. En réalité, si l’on examine comme il faut les arguments sur lesquels se fonde le culte rendu au Cœur transpercé de Jésus, il est manifeste pour tout le monde qu’il ne s’agit pas d’une forme commune de piété que chacun peut arbitrairement faire passer en second rang ou déprécier, mais d’une discipline qui conduit excellemment à la perfection chrétienne. Car si, selon le concept théologique traditionnel enseigné par le Docteur Angélique « la dévotion apparaît comme n’étant rien d’autre que la volonté de se donner avec empressement aux choses qui concernent le service de Dieu », peut-il y avoir un service de Dieu plus obligatoire et plus nécessaire, plus noble et plus doux que celui qui est rendu à son amour ? Quel service peut être plus agréable à Dieu que celui qui est rendu par amour à son divin amour, puisque tout service rendu libéralement est en quelque sorte un don et que l’amour « constitue le premier don, source de tout don gratuit » ? Il faut donc avoir en très grand honneur cette forme de culte qui permet à l’homme de mieux honorer et aimer Dieu et de se consacrer avec plus de facilité et de promptitude à l’amour divin ; notre Rédempteur lui-même a daigné nous la proposer et la recommander au peuple chrétien, et les Souverains Pontifes, dans des documents mémorables, l’ont protégée et l’ont couverte de louanges élevées. Par conséquent, celui qui manifestement sous-estimerait ce bienfait donné par Jésus-Christ à l’Église agirait mal et témérairement, et offenserait Dieu lui-même.
63. Il ne fait ainsi aucun doute que les fidèles qui rendent hommage au Cœur très sacré du Rédempteur satisfont à l’obligation très importante qu’ils ont de servir Dieu, de consacrer au Créateur et Rédempteur leurs personnes, leurs sentiments intimes et leurs activités, et ils obéissent par là au commandement divin : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. » Ils ont de plus la ferme certitude que ce ne sont pas des avantages personnels, corporels ou spirituels, temporels ou éternels, qui sont leur principal motif de servir Dieu, mais la bonté de Dieu lui-même auquel ils cherchent à rendre hommage en l’aimant, en l’adorant et en lui rendant les grâces qui lui sont dues.
S’il n’en était pas ainsi, le culte au Cœur très sacré de Jésus ne répondrait pas au caractère authentique de la religion chrétienne, car alors l’homme n’aurait pas en vue dans ce culte avant tout l’amour divin ; ce serait alors à bon droit que l’on parlerait de l’excès d’amour ou de sollicitude pour soi-même que manifestent quelquefois ceux qui comprennent ou pratiquent mal cette très noble dévotion. Tous doivent donc avoir la ferme persuasion que le culte très auguste du Cœur de Jésus ne consiste pas avant tout dans des manifestations extérieures de piété, ni principalement dans la demande d’avantages dont le Christ Notre-Seigneur a parlé dans des promesses privées pour que les hommes s’acquittent avec plus de ferveur des principales obligations de la religion catholique, l’amour et l’expiation, et par là pourvoient au mieux à leurs avantages spirituels.
64. C’est pourquoi Nous exhortons tous Nos fils dans le Christ à pratiquer avec ferveur cette forme de dévotion, ceux qui ont déjà l’habitude de puiser aux eaux salutaires qui coulent du Cœur du Rédempteur, ceux surtout qui la regardent de loin, en spectateurs, avec curiosité et hésitation. Qu’ils voient bien qu’il s’agit, comme Nous l’avons déjà dit, d’un culte déjà très ancien dans l’Église, solidement fondé sur l’Écriture, qui est en accord avec la tradition et la liturgie, et que les Pontifes romains ont couvert de très nombreuses et très hautes louanges ; non seulement ils ont institué une fête en l’honneur du Cœur très auguste du Rédempteur qu’ils ont étendue à toute l’Église, mais ils lui ont consacré solennellement tout le genre humain. L’Église en a reçu des fruits abondants et très réconfortants ; de nombreux retours à la religion chrétienne, un renouveau de foi chez beaucoup, une union plus étroite des fidèles avec notre Rédempteur très aimant : tous ces fruits se sont montrés être particulièrement nombreux et importants au cours de ces derrières décennies.
65. En regardant le si merveilleux spectacle de la piété à l’égard du Cœur très sacré de Jésus si largement répandue dans tous les groupes de fidèles, et si ardente, Nous Nous sentons rempli de consolation, de reconnaissance et de joie ; et après avoir rendu à notre Rédempteur, qui est un trésor infini de bonté, les grâces qui lui sont dues, Nous ne pouvons que remercier paternellement tous ceux, clercs et laïcs, qui ont collaboré activement à promouvoir ce culte.
66. Mais, Vénérables Frères, malgré les fruits abondants de vie chrétienne qu’a produits partout la dévotion au Cœur très sacré de Jésus, il n’échappe à personne que l’Église militante et surtout la société civile des hommes n’ont pas encore atteint cette pleine et absolue mesure de perfection qui répond aux vœux de Jésus-Christ, Époux de l’Église mystique et Rédempteur du genre humain. Beaucoup de fils de l’Église, en effet, défigurent par de nombreuses taches et de nombreuses rides le visage de leur Mère qu’ils reflètent en eux ; tous les fidèles, n’ont pas cette sainteté de mœurs à laquelle Dieu les a appelés ; tous les pécheurs ne sont pas revenus à la maison du Père qu’ils ont fautivement quittée pour y revêtir la plus belle robe et recevoir à leur doigt l’anneau, symbole de la fidélité à l’Époux de leur âme ; tous les infidèles ne font pas encore partie du Corps mystique du Christ.
Il y a encore plus. Si Nous éprouvons une douleur amère à voir la foi languissante des bons qui, séduits par les faux attraits des choses terrestres, voient diminuer et progressivement s’éteindre l’ardeur de l’amour divin dans leurs âmes, Nous souffrons encore bien davantage des actes des hommes impies qui, aujourd’hui plus que jamais, comme excités par l’ennemi infernal, poursuivent d’une haine implacable et ouverte Dieu, l’Église, et surtout le représentant sur la terre du divin Rédempteur et de son amour envers les hommes, selon cette phrase bien connue du docteur milanais : « (Pierre) est interrogé sur ce dont on doute, mais le Seigneur qui interroge ne doute pas il interroge non pour apprendre, mais pour enseigner celui que, avant de s’élever au ciel, il nous laissait comme représentant de son amour. »
67. En vérité, la haine à l’égard de Dieu et ceux qui le représentent légitimement est une faute comme il ne peut pas en être commis de plus grande par les hommes qui ont été créés à l’image et à la ressemblance de Dieu et destinés à jouir perpétuellement de sa parfaite amitié dans le ciel ; la haine de Dieu sépare au plus haut point l’homme du Bien suprême, elle le conduit à écarter de lui et de ses proches tout ce qui vient de Dieu, tout ce qui unit à Dieu, tout ce qui mène à la joie de Dieu : la vérité, la vertu, la paix, la justice.
68. On doit malheureusement voir que le nombre des ennemis de Dieu croit en certains pays, que les erreurs du matérialisme se répandent dans l’opinion, que la licence effrénée des plaisirs augmente çà et là ; pourquoi s’étonnerait-on si dans les âmes de beaucoup diminue la charité qui est la loi suprême de la religion chrétienne, le fondement solide de la vraie et parfaite justice, la principale source de la paix et des chastes délices ? Comme nous en avertit, en effet, notre Sauveur : « À cause des progrès croissants de l’iniquité, la charité d’un grand nombre se refroidira. »
69. Devant le spectacle de tant de maux qui, aujourd’hui plus que jamais, atteignent si vivement les individus, les familles, les nations et le monde entier, où devons-nous, Vénérables Frères, chercher le remède ? Peut-on trouver une forme de piété supérieure au culte du Cœur de Jésus, qui réponde mieux au caractère propre de la foi catholique, qui subvienne mieux aux besoins actuels de l’Église et du genre humain ? Quel culte est plus noble, plus doux, plus salutaire que celui-là, tout entier dirigé vers l’amour même de Dieu ? Enfin, quel stimulant plus efficace que l’amour du Christ – avivé et augmenté sans cesse par la dévotion au Cœur très sacré de Jésus – pour amener les fidèles à mettre en pratique, dans leur vie, la loi évangélique, sans laquelle – comme nous en avertissent les paroles du Saint-Esprit : « l’œuvre de la justice sera la paix » – il ne peut pas y avoir entre les hommes de paix digne de ce nom ?
70. C’est pourquoi, suivant l’exemple de Notre Prédécesseur immédiat, il Nous plaît d’adresser de nouveau à tous nos fils dans le Christ ces paroles d’avertissement que Léon XIII, d’immortelle mémoire, adressait à la fin du siècle dernier à tous les fidèles et à tous ceux qui se préoccupent sincèrement de leur salut et de celui de la société civile : « Aujourd’hui, un autre symbole divin, présage très heureux, apparaît à nos yeux : c’est le Cœur très sacré de Jésus… resplendissant d’un éclat incomparable au milieu des flammes. Nous devons placer en lui toutes nos espérances ; c’est à lui que nous devons demander le salut des hommes, et c’est de lui qu’il faut l’espérer. »
71. C’est Notre vif désir que tous ceux qui se glorifient du nom de chrétiens et qui luttent activement pour établir le Royaume du Christ dans le monde trouvent dans la dévotion au Cœur de Jésus comme un étendard et une source d’unité, de salut et de paix. Cependant, personne ne doit penser que ce culte porte préjudice aux autres formes de dévotion dont le peuple chrétien, sous la conduite de l’Église, honore le divin Rédempteur. Au contraire, une dévotion fervente envers le Cœur de Jésus alimentera et accroîtra sans aucun doute, particulièrement, le culte de la sainte croix et l’amour envers le très auguste Sacrement de l’autel.
Nous pouvons en effet affirmer – ce qui est merveilleusement illustré par les révélations faites par Jésus-Christ à sainte Gertrude et à sainte Marguerite-Marie – que nul ne peut vraiment bien comprendre Jésus crucifié s’il n’a d’abord pénétré dans le mystérieux sanctuaire de son Cœur. Et on ne saisira bien la force de l’amour qui poussa le Christ à se donner à nous comme aliment spirituel, qu’en honorant d’un culte particulier le Cœur eucharistique de Jésus, qui a pour but de nous rappeler, selon les termes de Notre prédécesseur d’heureuse mémoire Léon XIII, « l’acte d’amour suprême par lequel notre Rédempteur, répandant toutes les richesses de son Cœur, afin de demeurer avec nous jusqu’à la fin des siècles, institua l’adorable Sacrement de l’Eucharistie ». Et certes « ce n’est pas une part minime de son Cœur que l’Eucharistie, qu’il a tirée pour nous de la si grande charité de son Cœur ».
72. Enfin, poussés par le désir ardent d’opposer de solides barrières aux machinations impies des ennemis de Dieu et de l’Église, et de ramener dans le sentier de l’amour de Dieu et du prochain les familles et les nations, Nous n’hésitons pas à présenter le culte du Cœur très sacré de Jésus comme l’école la plus efficace de l’amour divin ; Nous parlons de l’amour divin qui doit être le fondement du Royaume de Dieu dans toutes les âmes, dans les familles et les nations, pour les affermir, comme le disait avec beaucoup de sagesse Notre Prédécesseur de pieuse mémoire : “Le Royaume de Jésus-Christ trouve sa force et sa beauté dans l’amour divin : son fondement et son sommet sont d’aimer saintement et dans l’ordre. De là résultent nécessairement les principes suivants : remplir ses devoirs inviolablement ; ne pas commettre d’injustice envers son prochain ; faire passer les biens humains après les biens célestes ; mettre l’amour de Dieu au-dessus de toutes choses”.
73. Pour que des fruits plus abondants découlent dans la famille chrétienne et dans tout le genre humain du culte du Cœur très sacré de Jésus, les fidèles doivent veiller à l’associer étroitement au culte envers le Cœur immaculé de Marie. Puisque, de par la volonté de Dieu, la Bienheureuse Vierge Marie a été indissolublement unie au Christ dans l’œuvre de la Rédemption humaine, afin que notre salut vienne de l’amour de Jésus-Christ et de ses souffrances intimement unis à l’amour et aux douleurs de sa Mère, il convient parfaitement que le peuple chrétien qui a reçu la vie divine du Christ par Marie, après avoir rendu le culte qui lui est dû au Cœur très sacré de Jésus, rende aussi au Cœur très aimant de sa céleste Mère de semblables hommages de piété, d’amour, de gratitude et de réparation. C’est en parfait accord avec ce dessein très sage et très suave de la Providence divine que Nous avons, par un acte mémorable, solennellement consacré la sainte Église et le monde entier au Cœur immaculé de la Bienheureuse Vierge Marie.
74. Il y aura un siècle cette année, comme Nous le disions plus haut, qu’en vertu d’une décision de Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire Pie IX, la fête du Sacré-Cœur de Jésus est célébrée dans l’Église Universelle. Nous désirons vivement, Vénérables Frères, que le peuple chrétien fête partout solennellement ce Centenaire en rendant au divin Cœur de Jésus des hommages publics d’adoration, d’action de grâces et d’expiation. Ces fêtes de la joie et de la piété chrétiennes se célébreront avec une ferveur particulière – en union de charité et de prière avec les fidèles du monde entier – dans la Nation où Dieu voulut que naquit la Vierge consacrée qui fut l’animatrice et l’infatigable promotrice de ce culte.
75. Réconforté d’une très douce espérance et Nous réjouissant à l’avance des fruits spirituels qui, Nous en avons confiance, résulteront pour l’Église du culte du Cœur très sacré de Jésus – si du moins il est bien compris et pratiqué avec ferveur conformément à ce que Nous avons exposé, – Nous prions Dieu pour qu’il veuille bien, avec le puissant secours de sa grâce, seconder Nos vœux ardents ; que, par la grâce du Très-Haut, la piété des fidèles à l’égard du Cœur très sacré de Jésus trouve dans les solennités de cette année un accroissement continuel, et que s’étende davantage pour tous dans le monde entier sa souveraineté et son royaume très doux : royaume « de vérité et de vie, royaume de sainteté et de grâce ; royaume de justice, d’amour et de paix « .
76. En gage de ces bienfaits, à chacun de vous, Vénérables Frères, au clergé et aux fidèles qui vous sont confiés, particulièrement à ceux qui se consacrent à promouvoir et à accroître le culte du Cœur très sacré de Jésus, Nous accordons avec toute l’effusion de Notre cœur la Bénédiction apostolique.
Donné à Rome, auprès de Saint-Pierre, le 15 mai de l’an 1956, de Notre pontificat le dix-huitième.
Pie PXII, Pape.