Clément V

195ᵉ Pape ; de 1305 à 1314

3 avril 1312

Bulle pontificale Vox in excelso

Dissolution de l'Ordre du Temple

Lire aus­si : Bulle pon­ti­fi­cale Ad pro­vi­dam Christi Vicarii du 2 mai 1312 attri­buant les biens de l’ordre du Temple aux Hospitaliers

Donné à Vienne, le onze des calendes d’a­vril, de notre pon­ti­fi­cat la sep­tième année.

CLÉMENT, évêque, ser­vi­teur des ser­vi­teurs de Dieu, en mémoire per­pé­tuelle de la chose.

Une voix a été enten­due dans les hau­teurs, voix de lamen­ta­tion, de deuil et de pleurs ; car le temps est venu, il est venu le temps où le Seigneur, par la bouche du pro­phète, fait entendre cette plainte : « Cette mai­son est deve­nue l’ob­jet de ma fureur et de mon indi­gna­tion ; elle sera enle­vée de devant ma face à cause de la malice de ses enfants ; car ils m’ont pro­vo­qué à la colère ; ils m’ont tour­né le dos et non le visage ; ils ont mis des idoles dans la mai­son où mon nom a été invo­qué, afin de la souiller. Ils ont éle­vé des autels à Baal pour ini­tier et consa­crer leurs fils aux idoles et aux démons. » « Ils ont gra­ve­ment péché, comme dans les jours de Gabaa. » A une nou­velle si affreuse, en pré­sence d’une infa­mie publique si hor­rible (qui a jamais enten­du, qui a jamais rien vu de sem­blable ?) Je suis tom­bé quand j’ai enten­du, j’ai été contris­té quand j’ai vu, mon cœur s’est rem­pli d’a­mer­tume, les ténèbres m’ont enve­lop­pé. Car c’est la voix du peuple de la cité, la voix du temple, la voix du Seigneur qui rend à ces enne­mis ce qu’ils ont méri­té. Le pro­phète sent le besoin de s’é­crier : « Donnez-​leur, Seigneur, donnez-​leur des entrailles qui ne portent point d’en­fants et des mamelles des­sé­chées » car leur malice a rele­vé leurs ini­qui­tés. Chassez-​les de votre mai­son ; que leur racine soit des­sé­chée, qu’ils ne fassent plus de fruits, que cette mai­son ne soit plus une cause d’a­mer­tume et « une épine dou­lou­reuse ; car elle n’est pas légère la for­ni­ca­tion de celle qui immole ses fils, qui les donne et les consacre aux démons et non à Dieu, à des dieux qu’ils ignoraient.

C’est pour­quoi cette mai­son sera vouée à la soli­tude et à l’op­probre, à la malé­dic­tion et au désert ; « cou­verte de confu­sion et éga­lée à la pous­sière, elle sera mise au der­nier rang ; elle sera déserte, sans che­min et sans eau ; elle sera brû­lée par la colère du Seigneur qu’elle a mépri­sé. Qu’elle ne soit point habi­tée, mais réduite en un désert ; que tous, en la voyant, soient frap­pés de stu­peur et se rient de toutes ses plaies. » Car le Seigneur n’a pas choi­si la nation à cause du lieu, mais le lieu à cause de la nation ; or, comme le lieu même du temple a par­ti­ci­pé aux for­faits du peuple, et que Salomon, qui était rem­pli de la sagesse comme d’un fleuve, a enten­du ces paroles for­melles de la bouche du Seigneur, lors­qu’il lui construi­sait un temple : « Si vos enfants se détournent de moi, s’ils cessent de me suivre et de m’ho­no­rer ; s’ils vont trou­ver des dieux étran­gers, et s’ils les adorent, je les repous­se­rai de devant ma face, et je les chas­se­rai de la terre que je leur ai don­née, et je rejet­te­rai de ma pré­sence le temple que j’ai consa­cré à mon nom, et il devien­dra un sujet de pro­verbe et de fable, et un exemple pour les peuples. Et tous les pas­sants, à sa vue, seront éton­nés et lâche­ront leurs sif­flets ; ils diront : Pourquoi le Seigneur a‑t-​il trai­té ain­si cette terre et cette mai­son ? Et on lui répon­dra : Parce qu’ils se sont éloi­gnés de Dieu, leur Seigneur, qui les a ache­tés et rache­tés, et qu’ils ont sui­vi Baal et les dieux étran­gers, et qu’ils les ont ado­rés et ser­vis. Voilà pour­quoi le Seigneur les a frap­pés de ces maux ter­ribles. » Déjà vers le com­men­ce­ment de notre pro­mo­tion au sou­ve­rain pon­ti­fi­cat, avant même que nous vins­sions à Lyon, où nous avons reçu les insignes de notre cou­ron­ne­ment, on nous avait insi­nué secrè­te­ment, là et ailleurs, que le maître, les com­man­deurs et autres frères de la milice du temple de Jérusalem, y com­pris l’ordre lui-​même, qui avaient été éta­blis dans les régions Trans mari­times pour défendre le patri­moine de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, et qui sem­blaient être tout par­ti­cu­liè­re­ment les cham­pions de la foi catho­lique, les défen­seurs de la Terre sainte et les pro­tec­teurs de ses inté­rêts (c’est pour cela que la sainte Église romaine, ver­sant sur ces mêmes frères et sur cet ordre la plé­ni­tude de sa par­ti­cu­lière faveur, les avait armés contre les enne­mis du Christ du signe de la croix, entou­rés de nom­breux hon­neurs, munis de liber­tés et de pri­vi­lèges divers, et que l’Église, aus­si bien que tous les fidèles, avaient cru devoir les com­bler de toutes sortes de biens et venir à leur aide de diverses manières), on nous avait insi­nué qu’ils étaient tom­bés dans le crime d’une apos­ta­sie abo­mi­nable contre Seigneur Jésus-​Christ lui-​même, dans le vice odieux de l’i­do­lâ­trie, dans le crime exé­crable de Sodome et dans diverses héré­sies. Cependant, comme il était hors de vrai­sem­blance et qu’il ne sem­blait pas croyable que des hommes si reli­gieux, qui avaient si sou­vent répan­du leur sang spé­cia­le­ment pour le nom du Christ, qui sem­blaient expo­ser fré­quem­ment leurs per­sonnes à des dan­gers de mort, qui parais­saient don­ner sou­vent de grands signes de pié­té tant dans leurs offices divins que dans leurs jeûnes et autres obser­vances, oubliassent leur salut au point de com­mettre de tels crimes, d’au­tant plus que cet ordre avait bien et sain­te­ment com­men­cé, et qu’il avait été approu­vé par le Siège apos­to­lique ; que sa règle elle même avait méri­té d’être approu­vée par ce même Siège comme sainte, rai­son­nable et juste, nous n’a­vons pas vou­lu, ins­truit par des exemples de Notre Seigneur et par les ensei­gne­ments des Écritures cano­niques, prê­ter l’o­reille à des insi­nua­tions et à des rap­ports de ce genre.

A la fin, cepen­dant, notre très-​cher fils en Jésus-​Christ, Philippe, l’illustre roi de France, à qui ces mêmes crimes avaient été dénon­cés, pous­sé non par un sen­ti­ment d’a­va­rice (car il ne pré­ten­dait point reven­di­quer ou s’ap­pro­prier aucun des biens des Templiers, puis­qu’il s’en est désis­té dans son propre royaume, et en a com­plè­te­ment éloi­gné ses mains), mais par le zèle de la foi ortho­doxe, sui­vant les illustres traces de ses ancêtres, s’in­for­ma autant qu’il put de ce qui s’é­tait pas­sé, et nous fit par­ve­nir, par ses envoyés et par ses lettres, de nom­breux et impor­tants ren­sei­gne­ments pour nous ins­truire et nous infor­mer de ces choses. Ces crimes n’ont fait qu’ac­croître la mau­vaise répu­ta­tion des Templiers et de leur ordre. En outre, un sol­dat de cet ordre, d’une haute noblesse et qui jouis­sait dans l’ordre d’un grand cré­dit, nous a décla­ré en secret et avec ser­ment que lui-​même, lors de sa récep­tion, sur les conseils de celui qui le rece­vait et en pré­sence d’autres sol­dats de la milice du Temple, avait renié le Christ et cra­ché sur la croix qui lui était pré­sen­tée par celui qui le rece­vait. Ce même sol­dat a dit encore que le maître de la milice du Temple encore vivant, avait reçu de la même façon jus­qu’à soixante-​douze, avec l’as­sis­tance fidèle de plu­sieurs de nos frères, et aus­si­tôt, en notre pré­sence et en pré­sence des dits frères, nous avons fait rédi­ger leurs confes­sions en écri­ture authen­tique, par des mains publiques. Puis, après un laps de quelques jours, nous les avons fait lire devant eux en consis­toire et expli­quer à cha­cun dans sa langue natale. Persévérant dans leurs dépo­si­tions, ils les ont approu­vées expres­sé­ment et libre­ment, telles qu’elles venaient d’être lues. Désirant ensuite ins­ti­tuer nous-​même une enquête à ce sujet, de concert avec le grand-​maître, le visi­teur de France et les prin­ci­paux com­man­deurs de l’ordre, nous avons, pen­dant notre séjour à Poitiers, man­dé devant nous le grand-​maitre, le visi­teur de France, ain­si que les grands com­man­deurs de Normandie, d’Aquitaine et de Poitou. Mais comme plu­sieurs d’entre eux étaient alors tel­le­ment malades qu’ils ne pou­vaient ni venir à che­val, ni se faire ame­ner com­mo­dé­ment en notre pré­sence, et que nous, nous vou­lions savoir la véri­té sur tout ce qui vient d’être dit, nous assu­rer de la réa­li­té de ce que ren­fer­maient les confes­sions et les dépo­si­tions qu’on disait qu’ils avaient faites en France devant l’in­qui­si­teur de l’hé­ré­sie, en pré­sence des notaires publics et de plu­sieurs hommes de bien, nous avons confié ces dépo­si­tions, que l’in­qui­si­teur avait mon­trées et four­nies à nous et à nos frères par l’en­tre­mise de notaires publics, nous les avons confiées à nos fils bien-​aimés Bérenger, du titre de Nérée-​et-​Achillée, main­te­nant évêque de Tusculum ; à Étienne, du titre de Saint-​Cyriaque, prêtre des Thermes, et à Landulfe, du titre de Sainte-​Angèle, diacre, dont la sagesse, l’ex­pé­rience et l’exac­ti­tude nous ins­pi­raient une assu­rance entière, et nous leur avons ordon­né de faire avec le grand-​maître, le visi­teur et les com­man­deurs sus­dits une enquête tant sur ceux-​ci que sur chaque membre de l’ordre en géné­ral et sur l’ordre lui même, de nous man­der l’exacte véri­té et tout ce qu’ils trou­ve­raient dans cette affaire, de faire rédi­ger leurs confes­sions et dépo­si­tions par un notaire public, de les faire pré­sen­ter à notre apos­to­lat, et d’ac­cor­der aux­dits maître, visi­teurs et com­man­deurs, d’a­près la forme de l’Église, le béné­fice de l’ab­so­lu­tion de la sen­tence d’ex­com­mu­ni­ca­tion qu’ils auraient encou­rue pour ces crimes, au cas où ils seraient trou­vés réels, si, comme ils le devraient, ils deman­daient hum­ble­ment et dévo­te­ment l’absolution.

Ces car­di­naux se sont ren­dus en per­sonne auprès du grand-​maître géné­ral, du visi­teur et des com­man­deurs, et leur ont expo­sé le motif de leur visite. Et leurs per­sonnes et celles des autres Templiers rési­dant en France, un sol­dat a confes­sé dans l’as­sem­blée ultra mari­time de cet ordre, c’est-​à-​dire qu’on lui avait fait renier le Christ et cra­cher sur la croix, en pré­sence d’en­vi­ron deux cents frères du même ordre ; qu’il avait ouï dire qu’on en usait ain­si dans la récep­tion des frères dudit ordre ; que, sur l’in­vi­ta­tion du chef ou de son délé­gué, le réci­pien­daire reniait Jésus-​Christ et cra­chait sur la croix pour insul­ter le Christ cru­ci­fié : que le chef et le réci­pien­daire fai­saient d’autres actes illi­cites et contraires à l’hon­nê­te­té chré­tienne. Pressé par le devoir de notre charge, il nous a été impos­sible de ne point prê­ter l’o­reille à tant et à de si grandes cla­meurs. Mais lorsque, grâce à la renom­mée publique et aux vives ins­tances du roi, des ducs, des comtes, des barons et autres nobles, ain­si que du cler­gé et du peuple de ce royaume, qui s’a­dres­saient à nous en per­sonne, ou par des pro­cu­reurs et des syn­dics, nous apprîmes (nous le disons avec dou­leur) que le maître, les com­man­deurs et autres frères de cet ordre, que l’ordre lui-​même étaient enta­chés des­dits crimes et de plu­sieurs autres, et que ces crimes nous sem­blaient en quelque sorte démon­trés par plu­sieurs aveux, attes­ta­tions et dépo­si­tions faites en France par ledit maître, le visi­teur de France, plu­sieurs com­man­deurs et frères de l’ordre, en pré­sence d’une foule de pré­lats et de l’in­qui­si­teur de l’hé­ré­sie, ayant à leur tête l’au­to­ri­té apos­to­lique, attes­ta­tions consi­gnées et rédi­gées en écri­ture publique, mon­trées à nous et à nos frères, et que cepen­dant le bruit et les cla­meurs sou­le­vés par cet ordre ne fai­saient qu’aug­men­ter et mon­traient assez, tant en ce qui regarde l’ordre que les per­sonnes qui le com­posent, qu’on ne pou­vait point pas­ser outre sans un grand scan­dale, ni user de tolé­rance sans un dan­ger immi­nent pour la foi, nous, mar­chant sur les traces de Celui dont, quoique indigne, nous tenons la place ici-​bas, nous avons jugé qu’il fal­lait ins­ti­tuer une enquête sur ces choses. Nous avons donc cité devant nous plu­sieurs com­man­deurs, prêtres, sol­dats et autres frères de cet ordre d’une haute répu­ta­tion (et leur ayant fait prê­ter ser­ment, nous les avons adju­rés avec beau­coup d’af­fec­tion, au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit, en les mena­çant du juge­ment de Dieu et de la malé­dic­tion éter­nelle, en ver­tu de la sainte obéis­sance, puis­qu’ils se trou­vaient en lieu sûr et pro­pice où ils n’a­vaient rien à craindre), non­obs­tant les confes­sions qu’ils avaient faites devant d’autres et qui ne devaient leur cau­ser aucun pré­ju­dice s’ils s’a­vouaient devant nous, de nous dire sur ces choses la véri­té pure et simple : nous les avons inter­ro­gés là-​dessus, nous en avons exa­mi­né qui nous avaient été remises ; ils leur enjoi­gnirent, en ver­tu de l’au­to­ri­té apos­to­lique, de leur décla­rer libre­ment et sans nulle crainte, pure­ment et sim­ple­ment, la véri­té sur toutes ces choses. Le grand-​maître, le visi­teur et les com­man­deurs de Normandie, d’Aquitaine et de Poitou, en pré­sence des trois car­di­naux et quatre notaires publics et de plu­sieurs autres hommes de bien, firent ser­ment, la main sur les saints Évangiles, de dire la pure et entière véri­té sur ces griefs ; ils dépo­sèrent et avouèrent entre autres choses, devant cha­cun d’eux, libre­ment et volon­tai­re­ment, sans vio­lence ni ter­reur, que lors­qu’ils avaient été reçus dans l’ordre ils avaient renié le Christ et cra­ché sur la croix.

Quelques-​uns d’entre eux ont encore confes­sé d’autres crimes hor­ribles et déshon­nêtes que nous tai­rons pré­sen­te­ment. Ils ont dit en outre et avoué que ce qui était conte­nu dans leurs confes­sions et dépo­si­tions faites en pré­sence de l’in­qui­si­teur était vrai. Ces confes­sions et dépo­si­tions du grand-​maître, du visi­teur et des com­man­deurs ont été rédi­gées en écri­ture publique par quatre notaires publics, en pré­sence du grand-​maître, du visi­teur, des com­man­deurs et de quelques autres per­sonnes de bien, et, après un inter­valle de quelques jours, lec­ture leur en a été don­née par ordre et en pré­sence des­dits car­di­naux, et on les a expli­quées à cha­cun dans sa propre langue. Persévérant dans leurs décla­ra­tions, ils les ont expres­sé­ment et libre­ment approu­vées telles qu’elles venaient d’être lues. Après ces aveux et dépo­si­tions, ils furent absous par les car­di­naux de l’ex­com­mu­ni­ca­tion qu’ils avaient encou­rue pour ces faits, et deman­dèrent à genoux et les mains jointes, hum­ble­ment et dévo­te­ment, et non sans ver­ser des larmes abon­dantes, l’ab­so­lu­tion. Les car­di­naux (car l’Église ne ferme pas son sein à qui revient à elle), ayant reçu du grand-​maître, du visi­teur et des com­man­deurs l’ab­ju­ra­tion de leur héré­sie, leur ont expres­sé­ment accor­dé, par notre auto­ri­té, le béné­fice de l’ab­so­lu­tion selon la forme de l’Église ; puis, reve­nant auprès de nous, ils nous ont pré­sen­té les confes­sions et les dépo­si­tions du grand-​maître, du visi­teur et des com­man­deurs, rédi­gées en écri­ture publique, par des mains publiques, et ils nous ont rap­por­té tout ce qu’ils avaient fait avec eux. Par ces confes­sions, par ces dépo­si­tions et par cette rela­tion nous avons trou­vé que le grand-​maître, le visi­teur et les com­man­deurs de Normandie, d’Aquitaine et de Poitou, étaient gra­ve­ment cou­pables, les uns sur plu­sieurs points, les autres sur un petit nombre. Or, consi­dé­rant que des crimes si hor­ribles ne pou­vaient ni ne devaient pas­ser impu­nis sans une grande offense au Dieu tout-​puissant et à tous les catho­liques, nous avons réso­lu, du consen­te­ment de nos frères, de faire sur ces crimes et ces excès, par les ordi­naires des lieux, par d’autres per­sonnes zélées et pru­dentes délé­guées par nous, une enquête contre chaque per­sonne de cet ordre et contre l’ordre lui-​même, par cer­taines per­sonnes de choix à qui nous avons cru devoir confier ce man­dat. Après cela, dans toutes les par­ties du monde où les frères de cet ordre avaient cou­tume d’ha­bi­ter, des enquêtes ont été faites contre chaque indi­vi­du de l’ordre, tant par les ordi­naires que par les hommes délé­gués par nous, puis contre l’ordre lui-​même, par les inqui­si­teurs que nous avons cru devoir char­ger de cette mis­sion. Ces enquêtes ont été ren­voyées à notre exa­men ; les unes ont été lues avec beau­coup de soin et exa­mi­nées atten­ti­ve­ment par nous et par nos frères les car­di­naux de la sainte Église romaine ; les autres, par une mul­ti­tude d’hommes très-​lettrés, pru­dents, fidèles, crai­gnant Dieu, zéla­teurs de la foi catho­lique et exer­cés, tant pré­lats que d’autres. Ensuite nous sommes allé à Vienne, où se trou­vaient déjà réunis pour le concile convo­qué par nous plu­sieurs patriarches, arche­vêques, évêques élus, abbés exempts et non exempts et autres pré­lats des Églises, outre les pro­cu­reurs des pré­lats et des cha­pitres absents. Dans une pre­mière ses­sion tenue avec les­dits car­di­naux, pré­lats et pro­cu­reurs, nous avons cru devoir leur expo­ser les causes de la convo­ca­tion du concile.

Et comme il était dif­fi­cile ou plu­tôt impos­sible que tous les car­di­naux, pré­lats et pro­cu­reurs ras­sem­blés dans ce concile s’en­ten­dissent en notre pré­sence sur la manière de pro­cé­der tou­chant l’af­faire des­dits frères, on a, sur notre ordre, choi­si et nom­mé d’un com­mun accord, entre tous les pré­lats et pro­cu­reurs pré­sents au concile, quelques patriarches, arche­vêques, évêques, abbés exempts et non exempts, ain­si que d’autres pré­lats des Églises et pro­cu­reurs de toutes les par­ties de la chré­tien­té, de toute langue, nation et pays, qu’on croyait les plus habiles, les plus sages et les plus capables, pour trai­ter avec nous et avec les­dits car­di­naux cette affaire solen­nelle. Ensuite, dans le local choi­si pour le concile, c’est-​à-​dire à la cathé­drale, nous avons fait lire publi­que­ment ces attes­ta­tions sur l’en­quête de l’ordre devant les pré­lats et les pro­cu­reurs, et cela pen­dant plu­sieurs jours et autant qu’ils l’ont vou­lu ; et dans la suite les attes­ta­tions et les rubriques faites à leur sujet ont été vues, lues et exa­mi­nées avec la plus grande dili­gence et sol­li­ci­tude, non super­fi­ciel­le­ment, mais avec une mûre atten­tion, par plu­sieurs de nos véné­rables frères, par le patriarche d’Aquilée, les arche­vêques et évêques pré­sents au sacré concile, élus et dépu­tés ad hoc et choi­sis par le concile. Ces car­di­naux, patriarches, arche­vêques et évêques, abbés exempts et non exempts, et autres pré­lats et pro­cu­reurs ayant donc été nom­més par les autres pour cette affaire et s’é­tant pré­sen­tés devant nous, nous les consul­tâmes secrè­te­ment sur la manière de pro­cé­der dans cette cause, atten­du que quelques Templiers s’of­fraient à prendre la défense de l’ordre. La majeure par­tie des car­di­naux, et presque tout le concile, d’a­bord ceux qui avaient été choi­sis par le concile entier pour le repré­sen­ter, puis une par­tie beau­coup plus grande, les quatre ou les cinq par­ties des hommes de tout pays qui assis­taient au concile furent d’a­vis, ain­si que les­dits pré­lats et pro­cu­reurs, qu’il fal­lait lais­ser l’ordre se défendre, et que, sur le chef des héré­sies, objet de l’en­quête, on ne pou­vait, d’a­près ce qui était prou­vé jus­que­là, le condam­ner sans offen­ser Dieu et vio­ler la jus­tice. D’autres disaient, au contraire, qu’il ne fal­lait pas les admettre à défendre l’ordre, que nous ne devions point lui don­ner de défen­seur, que si l’on tolé­rait qu’il se défen­dît, comme le vou­laient les pre­miers, l’af­faire cour­rait des dan­gers, la Terre sainte souf­fri­rait nota­ble­ment, et il s’en­sui­vrait des alter­ca­tions, des retards et un ajour­ne­ment de la déci­sion de cette affaire. Ils ajou­taient encore plu­sieurs autres raisons.

Sans doute, les pré­cé­dentes pro­cé­dures diri­gées contre cet ordre ne per­mettent pas de le condam­ner cano­ni­que­ment comme héré­tique par une sen­tence défi­ni­tive ; cepen­dant, comme les héré­sies qu’on lui impute l’ont sin­gu­liè­re­ment dif­fa­mé, comme un nombre presque infi­ni de ses membres, entre autres le grand­maître, le visi­teur de France et les prin­ci­paux com­man­deurs, ont été convain­cus des­dites héré­sies, erreurs et crimes, par leurs aveux spon­ta­nés ; comme ces confes­sions rendent l’ordre très-​suspect, comme cette infa­mie et ce soup­çon le rendent tout-​à-​fait abo­mi­nable et odieux à la sainte Église du Seigneur, aux pré­lats, aux sou­ve­rains, aux princes et aux catho­liques ; comme, de plus, on croit vrai­sem­bla­ble­ment qu’on ne trou­ve­rait pas un homme de bien qui vou­lût désor­mais entrer dans cet ordre, toutes choses qui le rendent inutile à l’Église de Dieu et à la pour­suite des affaires de Terre sainte, dont le ser­vice lui avait été confié ; comme ensuite, nous et nos frères, avions fixé le pré­sent concile comme le terme défi­ni­tif où la déci­sion devait être prise et la sen­tence pro­mul­guée, et que le ren­voi de la déci­sion ou du règle­ment de cette affaire amè­ne­rait, comme on le croit pro­ba­ble­ment, la perte totale, la ruine et la dila­pi­da­tion des biens du Temple, don­nés, légués et concé­dés par les fidèles pour secou­rir la Terre sainte et com­battre les enne­mis de la foi chré­tienne : entre ceux qui disent qu’il faut, pour les crimes sus­dits, pro­mul­guer la sen­tence de condam­na­tion contre cet ordre, et ceux qui disent que les pro­cé­dures qui ont eu lieu ne per­mettent pas, après une longue et mûre déli­bé­ra­tion, de le condam­ner avec jus­tice, nous, n’ayant que Dieu en vue et pre­nant en consi­dé­ra­tion les biens des affaires de Terre sainte, sans incli­ner ni à droite ni à gauche, nous avons pen­sé qu’il fal­lait prendre la voie de pro­vi­sion et d’or­don­nance pour sup­pri­mer les scan­dales, évi­ter les dan­gers et conser­ver les biens des­ti­nés au secours de la Terre sainte. Considérant donc l’in­fa­mie, le soup­çon, les insi­nua­tions bruyantes et autres choses sus­dites qui s’é­lèvent contre cet ordre ; consi­dé­rant la récep­tion occulte et clan­des­tine des frères de cet ordre ; consi­dé­rant que les­dits frères se sont éloi­gnés des habi­tudes com­munes de la vie et des mœurs des autres fidèles, en ceci sur­tout que, lors­qu’ils rece­vaient des frères dans leur ordre, ceux-​ci étaient obli­gés, dans l’acte même de leur récep­tion, de pro­mettre et de jurer qu’ils ne révé­le­raient à per­sonne le mode de leur récep­tion et qu’ils seraient fidèles à ce vœu, ce qui est contre eux une pré­somp­tion évi­dente ; consi­dé­rant, en outre, le grave scan­dale que tout cela a sou­le­vé contre l’ordre, scan­dale qui ne semble pas pou­voir s’a­pai­ser tant que l’ordre sub­sis­te­ra ; consi­dé­rant aus­si le péril de la foi et des âmes, tant de faits hor­ribles per­pé­trés par un très-​grand nombre de frères, et plu­sieurs autres rai­sons et causes justes qui ont dû rai­son­na­ble­ment nous por­ter à prendre les mesures sub­sé­quentes ; atten­du que la majeure par­tie des­dits car­di­naux et pré­lats élus par tout le concile, c’est-​à-​dire les quatre ou cinq par­ties ont trou­vé plus conve­nable, plus expé­dient et plus utile à l’hon­neur du Très-​Haut, à la conser­va­tion de la foi chré­tienne et aux besoins de la Terre sainte, sans par­ler de plu­sieurs autres rai­sons valables, de suivre la voie de pro­vi­sion et d’or­don­nance du Siège apos­to­lique, en sup­pri­mant ledit ordre et en appli­quant ses biens à l’u­sage auquel ils avaient été des­ti­nés, et quant aux membres de l’ordre encore vivants, de prendre de sages mesures que de leur accor­der le droit de défense et de pro­ro­ger l’af­faire ; consi­dé­rant encore qu’en d’autres cir­cons­tances, sans qu’il y ait eu de la faute des frères, l’Église romaine a sup­pri­mé quel­que­fois d’autres ordres impor­tants pour des causes incom­pa­ra­ble­ment moindres que celles-​ci, nous sup­pri­mons par une sanc­tion irré­fra­gable et valable à per­pé­tui­té, non sans amer­tume et sans dou­leur dans le cœur, l’ordre des Templiers, son état, son cos­tume et son nom, non par une sen­tence défi­ni­tive, mais par manière de pro­vi­sion ou d’or­don­nance apos­to­lique, et nous le sou­met­tons à une inter­dic­tion per­pé­tuelle, avec l’ap­pro­ba­tion du concile, défen­dant expres­sé­ment à qui que ce soit d’en­trer désor­mais dans cet ordre, de rece­voir ou de por­ter son cos­tume et de se faire pas­ser pour Templier. Quiconque y contre­vien­dra encour­ra la sen­tence d’ex­com­mu­ni­ca­tion ipso facto.

Nous réser­vons à la dis­po­si­tion et à l’or­don­nance de notre Siège apos­to­lique les per­sonnes et les biens de l’ordre, et, avec la grâce d’en haut, nous enten­dons en user pour la gloire de Dieu, l’exal­ta­tion de la foi chré­tienne et la pros­pé­ri­té de la Terre sainte avant la fin du pré­sent concile. Nous défen­dons expres­sé­ment à qui que ce soit, quelle que soit sa condi­tion ou son état, de se mêler des per­sonnes ou des biens de cet ordre, de rien faire, inno­ver, atten­ter sur ces choses au pré­ju­dice de l’or­don­nance ou de la dis­po­si­tion que nous allons prendre, décla­rant dés à pré­sent nul et inva­lide tout ce qui pour­rait être atten­té par qui que ce soit, sciem­ment ou par igno­rance. Cependant nous n’en­ten­dons point par-​là déro­ger aux pro­cé­dures qui ont été faites ou qui pour­ront être faites sur chaque per­sonne des Templiers, par les évêques dio­cé­sains et par les conciles pro­vin­ciaux, comme nous l’a­vons éta­bli ailleurs. C’est pour­quoi nous défen­dons à qui que ce soit d’en­freindre cette page de notre ordon­nance, pro­vi­sion, consti­tu­tion et défense, et d’y contre­ve­nir par une témé­raire audace. Si quel­qu’un osait le faire, qu’il sache qu’il encour­ra l’in­di­gna­tion du Dieu tout-​puissant et de ses apôtres les bien­heu­reux Pierre et Paul.

Clément V

Donné à Vienne, le onze des calendes d’a­vril, de notre pon­ti­fi­cat la sep­tième année.

4 novembre 1942
La vraie fidélité a pour objet et pour fondement le don mutuel non seulement du corps des deux époux, mais de leur esprit et de leur cœur
  • Pie XII