Concile Vatican Ier

20ᵉ œcuménique ; 8 déc. 1869-20 oct. 1870

24 avril 1870, 3e session

Constitution Dogmatique Dei Filius

La foi catholique et la Révélation divine

Table des matières

Pie, Évêque,
Serviteur des ser­vi­teurs de Dieu,

Le saint Concile approu­vant, en per­pé­tuel souvenir.

Le Fils de Dieu et Rédempteur du genre humain, Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, sur le point de retour­ner à son Père céleste, a pro­mis d’être avec son Église mili­tante sur la terre, tous les jours, jus­qu’à la consom­ma­tion des siècles. C’est pour­quoi, il n’a ces­sé jamais en aucun temps d’être près de son épouse bien-​aimée, de l’as­sis­ter dans son ensei­gne­ment, de bénir ses œuvres et de la secou­rir en ses périls. Or, tan­dis que cette Providence salu­taire a constam­ment écla­té par beau­coup d’autres bien­faits innom­brables, elle s’est mon­trée très-​manifestement par les fruits abon­dants que l’u­ni­vers chré­tien a reti­rés des Conciles, et nom­mé­ment du Concile de Trente, bien qu’il ait été célé­bré en des temps mau­vais. En effet, grâce à cette assis­tance, les dogmes très-​saints de la reli­gion ont été défi­nis avec plus de pré­ci­sion et expo­sés avec plus de déve­lop­pe­ments, les erreurs condam­nées et arrê­tées, la dis­ci­pline ecclé­sias­tique réta­blie et plus soli­de­ment raf­fer­mie, le cler­gé exci­té à l’a­mour de la science et de la pié­té, des col­lèges éta­blis pour pré­pa­rer les ado­les­cents à la sainte milice, enfin les mœurs du peuple chré­tien res­tau­rées par un ensei­gne­ment plus atten­tif des fidèles et par un plus fré­quent usage des sacre­ments. Par là encore la com­mu­nion des membres avec le chef visible a été ren­due plus étroite et une nou­velle vigueur a été appor­tée à tout le corps mys­tique du Christ ; les familles reli­gieuses se sont mul­ti­pliées ain­si que d’autres ins­ti­tu­tions de la pié­té chré­tienne ; et par là aus­si une ardeur constante et assi­due s’est mon­trée, jus­qu’à l’ef­fu­sion du sang, pour pro­pa­ger au loin dans l’u­ni­vers le règne de Jésus-Christ.

Cependant, tout en rap­pe­lant, comme il convient à Notre âme recon­nais­sante, ces bien­faits insignes et d’autres encore, que la divine Providence a accor­dés à l’Église, sur­tout par le der­nier Concile œcu­mé­nique, Nous ne pou­vons rete­nir l’ex­pres­sion de notre dou­leur amère à cause des maux très-​graves sur­ve­nus prin­ci­pa­le­ment parce que, chez un grand nombre, on a ou mépri­sé l’au­to­ri­té de ce saint Synode ou négli­gé ses sages décrets.

En effet, per­sonne n’i­gnore qu’a­près avoir reje­té le divin magis­tère de l’Église, et les choses de la reli­gion étant lais­sées ain­si au juge­ment pri­vé de cha­cun, les héré­sies pros­crites par les Pères de Trente se sont divi­sées peu à peu en sectes mul­tiples, de telle sorte que, sépa­rées d’o­pi­nion et se déchi­rant entre elles, plu­sieurs enfin ont per­du toute foi en Jésus-​Christ. Ainsi elles ont com­men­cé à ne plus tenir pour divine la sainte Bible elle-​même, qu’elle affir­maient autre­fois être la source unique et le seul juge de la doc­trine chré­tienne, et même à l’as­si­mi­ler aux fables mythiques.

C’est alors qu’a pris nais­sance et que s’est répan­due au loin dans le monde cette doc­trine du ratio­na­lisme ou du natu­ra­lisme qui, s’at­ta­quant par tous les moyens à la reli­gion chré­tienne, parce qu’elle est une ins­ti­tu­tion sur­na­tu­relle, s’ef­force avec une grande ardeur d’é­ta­blir le règne de ce qu’on appelle la rai­son pure et la nature, après avoir arra­ché le Christ, notre seul Seigneur et Sauveur, de l’âme humaine, de la vie et des mœurs des peuples. Mais la reli­gion chré­tienne étant ain­si lais­sée et reje­tée, Dieu et son Christ niés, l’es­prit d’un grand nombre est tom­bé dans l’a­bîme du pan­théisme, du maté­ria­lisme et de l’a­théisme, à ce point que, niant la nature rai­son­nable elle-​même et toute règle du droit et du juste, ils s’ef­forcent de détruire les der­niers fon­de­ments de la socié­té humaine.

Il est donc arri­vé mal­heu­reu­se­ment que, cette impié­té s’é­ten­dant de toutes parts, plu­sieurs des Fils de l’Église catho­lique eux-​mêmes sont sor­tis du che­min de la vraie pié­té, et qu’en eux le sens catho­lique s’est obli­té­ré par l’a­moin­dris­se­ment suc­ces­sif des véri­tés. Car, entraî­nés par des doc­trines diverses et étran­gères, et confon­dant à tort la nature et la grâce, la science humaine et la foi divine, ils finissent par alté­rer le sens propre des dogmes que tient et enseigne notre Mère la sainte Église, et par mettre en péril l’in­té­gri­té et la sin­cé­ri­té de la foi.

En pré­sence de toutes ces cala­mi­tés, com­ment se pourrait-​il faire que l’Église ne fût pas émue jus­qu’au fond de ses entrailles ? Car, de même que Dieu veut que tous les hommes soient sau­vés et qu’ils arrivent à la connais­sance de la véri­té, de même que Jésus-​Christ est venu afin de sau­ver ce qui était per­du et de ras­sem­bler dans l’u­ni­té les enfants de Dieu qui étaient dis­per­sés ; de même l’Église, éta­blie par Dieu mère et maî­tresse des peuples, sait qu’elle se doit à tous, et elle est tou­jours dis­po­sée et pré­pa­rée à rele­ver ceux qui sont tom­bés, à sou­te­nir les défaillants, à embras­ser ceux qui reviennent à elle, à confir­mer les bons et à les pous­ser vers la per­fec­tion. C’est pour­quoi elle ne peut s’abs­te­nir en aucun temps d’at­tes­ter et de prê­cher la véri­té de Dieu qui gué­rit toutes choses, car elle n’i­gnore pas que c’est à elle qu’il a été dit : « Mon Esprit qui est en toi et mes paroles que j’ai posées en ta bouche ne s’é­loi­gne­ront jamais de ta bouche, main­te­nant et pour l’é­ter­ni­té. » (Is. LIX, 21)

C’est pour­quoi, per­sis­tant à mar­cher sur les traces de Nos pré­dé­ces­seurs, et selon le devoir de Notre charge apos­to­lique, Nous n’a­vons jamais ces­sé d’en­sei­gner et de défendre la véri­té catho­lique et de réprou­ver les doc­trines per­verses. Mais, à pré­sent, au milieu des Évêques du monde entier sié­geant avec Nous et jugeant, réunis dans le Saint-​Esprit par Notre auto­ri­té en ce synode œcu­mé­nique, appuyés sur la parole de Dieu écrite ou trans­mise par la tra­di­tion, telle que nous l’a­vons reçue, sain­te­ment conser­vée et fidè­le­ment expo­sée par l’Église catho­lique, Nous avons réso­lu de pro­fes­ser et de décla­rer, du haut de cette chaire de Pierre, en face de tous, la doc­trine salu­taire de Jésus-​Christ en pros­cri­vant et condam­nant les erreurs contraires avec l’au­to­ri­té qui nous a été confiée par Dieu.

Chapitre Ier. De Dieu, Créateur de toutes choses.

La sainte Église catho­lique apos­to­lique romaine croit et confesse qu’il y a un seul Dieu vrai et vivant, Créateur et Seigneur du ciel et de la terre, tout-​puissant, éter­nel, immense, incom­pré­hen­sible, infi­ni en intel­li­gence et en volon­té et en toute per­fec­tion ; qui, étant une sub­stance spi­ri­tuelle unique, abso­lu­ment simple et immuable, doit être pro­cla­mé comme réel­le­ment et par essence dis­tinct du monde, très-​heureux en soi et de soi, et indi­ci­ble­ment éle­vé au-​dessus de tout ce qui est et peut se conce­voir en dehors de lui.

Ce seul vrai Dieu, par sa bon­té et sa ver­tu toute-​puissante, non pas pour aug­men­ter son bon­heur, ni pour acqué­rir sa per­fec­tion, mais pour la mani­fes­ter par les biens qu’il dis­tri­bue aux créa­tures, et de sa volon­té plei­ne­ment libre, a créé de rien, dès le com­men­ce­ment du temps, l’une et l’autre créa­ture, la spi­ri­tuelle et la cor­po­relle, c’est-​à-​dire l’an­gé­lique et celle qui appar­tient au monde, et ensuite la créa­ture humaine for­mée, comme étant com­mune, d’un esprit et d’un corps1.

Or, Dieu pro­tège et gou­verne par sa Providence tout ce qu’il a créé, attei­gnant avec force d’une fin à l’autre et dis­po­sant toutes choses avec sua­vi­té (Sagesse, VIII, 1), car, toutes choses sont nues et ouvertes devant ses yeux (Cf. Hébr. IV, 13), même celles qui doivent arri­ver par l’ac­tion libre des créatures.

Chapitre II. De la Révélation.

La même sainte Mère Église tient et enseigne que Dieu, prin­cipe et fin de toutes choses, peut être cer­tai­ne­ment connu par les lumières natu­relles de la rai­son humaine, au moyen des choses créées ; « car les choses invi­sibles de Dieu sont aper­çues au moyen de la créa­tion du monde et com­prises à l’aide des choses créées. » (Rom. 1, 20) Cependant il a plu à la sagesse et à la bon­té de Dieu de se révé­ler lui-​même à nous et de nous révé­ler les décrets éter­nels de sa volon­té par une autre voie sur­na­tu­relle, selon ce que dit l’Apôtre : « Dieu, qui a par­lé à nos pères par les Prophètes plu­sieurs fois et de plu­sieurs manières, nous a par­lé en ces der­niers temps et de nos jours par son Fils. » (Hébr. I, 1,2)

C’est bien à cette révé­la­tion divine que l’on doit que tous les hommes puissent promp­te­ment connaître, même dans l’é­tat pré­sent du genre humain, d’une cer­ti­tude incon­tes­table et sans aucun mélange d’er­reur, celles des choses divines qui ne sont pas de soi inac­ces­sibles à la rai­son humaine. Cependant, ce n’est pas à cause de cela, que l’on doit dire la révé­la­tion abso­lu­ment néces­saire, mais c’est parce que Dieu, dans sa bon­té infi­nie, a éle­vé l’homme à une fin sur­na­tu­relle, c’est-​à-​dire pour le mettre en état de par­ti­ci­per aux biens divins qui sur­passent tout à fait l’in­tel­li­gence de l’homme, « car l’œil de l’homme n’a point vu, son oreille n’a point enten­du, son cœur n’a pu s’é­le­ver à com­prendre ce que Dieu a pré­pa­ré pour ceux qui l’aiment. » (I. Cor., II, 9)

Or, cette révé­la­tion sur­na­tu­relle, selon la foi de l’Église uni­ver­selle qui a été décla­rée par le saint Concile de Trente, est conte­nue dans les livres écrits et dans les tra­di­tions non écrites qui, reçues de la bouche de Jésus-​Christ même par les Apôtres, ou trans­mises comme par les mains des Apôtres, sous l’ins­pi­ra­tion du Saint-​Esprit, sont venues jus­qu’à nous2 Et ces livres de l’Ancien et du Nouveau Testament doivent être recon­nus pour saints et cano­niques en entier, dans toutes leurs par­ties, tels qu’ils sont énu­mé­rés dans le décret du Concile de Trente et comme on les lit dans l’an­tique édi­tion latine de la Vulgate. Ces livres, l’Église les tient pour saints et cano­niques, non point parce que, com­po­sés par la seule habi­le­té humaine, ils ont été ensuite approu­vés par l’au­to­ri­té de l’Église ; et non pas seule­ment parce qu’ils contiennent la révé­la­tion sans erreur, mais parce que, écrits sous l’ins­pi­ra­tion de l’Esprit saint, ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été livrés comme tels à l’Église elle-même.

Mais parce que quelques hommes com­prennent mal ce que le saint Concile de Trente a décré­té salu­tai­re­ment tou­chant l’in­ter­pré­ta­tion de la divine Écriture, afin de maî­tri­ser les esprits témé­raires, Nous, renou­ve­lant le même décret, Nous décla­rons que l’es­prit de ce décret est que, dans les choses de la foi et des mœurs qui concernent l’é­di­fice de la doc­trine chré­tienne, il faut tenir pour le vrai sens de la sainte Écriture celui qu’a tou­jours tenu et que tient Notre sainte Mère l’Église, à qui il appar­tient de juger du vrai sens et de l’in­ter­pré­ta­tion des saintes Écritures ; en sorte qu’il n’est per­mis à per­sonne d’in­ter­pré­ter l’Écriture contrai­re­ment à ce sens, ou même contrai­re­ment au sen­ti­ment una­nime des Pères.

Chapitre III. De la Foi.

Puisque l’homme dépend tout entier de Dieu comme de son Créateur et Seigneur, puisque la rai­son créée est abso­lu­ment sujette de la véri­té incréée, nous sommes tenus de rendre par la foi à Dieu révé­la­teur l’hom­mage com­plet de notre intel­li­gence et de notre volon­té. Or, cette foi, qui est le com­men­ce­ment du salut de l’homme, l’Église catho­lique pro­fesse que c’est une ver­tu sur­na­tu­relle, par laquelle, avec l’aide de la grâce de Dieu aspi­rante, nous croyons vraies les choses révé­lées, non pas à cause de la véri­té intrin­sèque des choses per­çue par les lumières natu­relles de la rai­son, mais à cause de l’au­to­ri­té de Dieu lui-​même, qui nous les révèle et qui ne peut ni être trom­pé ni trom­per. Car la foi, selon le témoi­gnage de l’Apôtre, « est la sub­stance des choses que l’on doit espé­rer, la rai­son des choses qui ne paraissent pas ». (Héb. XI, 1)

Néanmoins, afin que l’hom­mage de notre foi fût d’ac­cord avec la rai­son, Dieu a vou­lu ajou­ter aux secours inté­rieurs de l’Esprit saint les argu­ments exté­rieurs de sa révé­la­tion, à savoir les faits divins et sur­tout les miracles et les pro­phé­ties, les­quels, en mon­trant abon­dam­ment la toute-​puissance et la science infi­nie de Dieu, sont les signes très-​certains de la révé­la­tion divine et appro­priés à l’in­tel­li­gence de tous. C’est pour cela que Moïse et les Prophètes et sur­tout le Christ Seigneur lui-​même ont fait tant de miracles et de pro­phé­ties d’un si grand éclat ; c’est pour cela qu’il est dit des apôtres : « Pour eux, s’en étant allés, ils prê­chèrent par­tout avec la coopé­ra­tion du Seigneur, qui confir­mait leurs paroles par les miracles qui sui­vaient. » (Marc XVI, 20) Et encore : « Nous avons une parole pro­phé­tique cer­taine, à laquelle vous faites bien de prendre garde, comme à une lumière qui luit dans un endroit téné­breux. » (II. Petr. 1, 19)

Mais encore bien que l’as­sen­ti­ment de la foi ne soit pas un aveugle mou­ve­ment de l’es­prit, per­sonne cepen­dant ne peut adhé­rer à la révé­la­tion évan­gé­lique, comme il le faut pour obte­nir le salut, sans une illu­mi­na­tion et une ins­pi­ra­tion de l’Esprit saint qui fait trou­ver à tous la sua­vi­té dans le consen­te­ment et la croyance à la véri­té3. C’est pour­quoi la foi en elle-​même, alors même qu’elle n’o­père pas par la cha­ri­té, est un don de Dieu, et son acte est une œuvre qui se rap­porte au salut, acte par lequel l’homme offre à Dieu lui-​même une libre obéis­sance, en consen­tant et en coopé­rant à sa grâce, à laquelle il pour­rait résister.

Or, on doit croire d’une foi divine et catho­lique tout ce qui est conte­nu dans les saintes Écritures et dans la tra­di­tion, et tout ce qui est pro­po­sé par l’Église comme véri­té divi­ne­ment révé­lée, soit par un juge­ment solen­nel, soit par son magis­tère ordi­naire et universel.

Mais, parce qu’il est impos­sible sans la foi de plaire à Dieu et d’être comp­té au nombre de ses enfants, per­sonne ne se trouve jus­ti­fié sans elle, et ne par­vient à la vie éter­nelle s’il n’y a per­sé­vé­ré jus­qu’à la fin. Et pour que nous puis­sions satis­faire au devoir d’embrasser la vraie foi et d’y demeu­rer constam­ment atta­chés, Dieu, par son Fils unique, a ins­ti­tué l’Église et l’a pour­vue de marques visibles de son ins­ti­tu­tion, afin qu’elle puisse être recon­nue de tous comme la gar­dienne et la maî­tresse de la parole révé­lée. Car à l’Église catho­lique seule appar­tiennent tous ces carac­tères si nom­breux et si admi­rables éta­blis par Dieu pour rendre évi­dente la cré­di­bi­li­té de la foi chré­tienne. Bien plus, l’Église, par elle-​même, avec son admi­rable pro­pa­ga­tion, sa sain­te­té émi­nente et son inépui­sable fécon­di­té pour tout bien, avec son uni­té catho­lique et son immuable sta­bi­li­té, est un grand et per­pé­tuel argu­ment de cré­di­bi­li­té, un témoi­gnage irré­fra­gable de sa mis­sion divine. Et par là, il se fait que, comme un signe dres­sé au milieu des nations (Is. XI. 12), elle attire à elle ceux qui n’ont pas encore cru, et elle donne à ses enfants la cer­ti­tude que la foi qu’ils pro­fessent repose sur un très solide fondement.

À ce témoi­gnage s’a­joute le secours effi­cace de la ver­tu d’en-​haut. Car le Seigneur très-​miséricordieux excite et aide par sa grâce les errants, afin qu’ils puissent arri­ver à la connais­sance de la véri­té, et ceux qu’il a tirés des ténèbres à son admi­rable lumière, il les confirme par sa grâce afin qu’ils demeurent dans cette même lumière, n’a­ban­don­nant per­sonne, à moins d’être aban­don­né. Aussi la condi­tion de ceux qui ont adhé­ré à la véri­té catho­lique par le don divin de la foi n’est nul­le­ment la même que celle de ceux qui, conduits par les opi­nions humaines, suivent une fausse reli­gion ; car ceux qui ont embras­sé la foi sous le minis­tère de l’Église ne peuvent jamais avoir un juste motif de l’a­ban­don­ner et de révo­quer en doute cette foi. C’est pour­quoi, ren­dant grâces à Dieu le Père, qui nous a fait dignes de par­ti­ci­per au sort des saints dans la lumière, ne négli­geons pas le salut qui est d’un si grand prix ; mais plu­tôt, les yeux atta­chés sur Jésus, l’au­teur et le consom­ma­teur de la foi, gar­dons le témoi­gnage inébran­lable de notre espérance.

Chapitre IV. De la Foi et de la Raison.

Dans son ensei­gne­ment qui n’a pas varié l’Église catho­lique a tenu et tient aus­si qu’il existe deux ordres de connais­sances, dis­tincts non seule­ment par leur prin­cipe, mais encore par leur objet : par leur prin­cipe, atten­du que dans l’un nous connais­sons par la rai­son natu­relle, dans l’autre par la foi divine ; par leur objet, parce qu’en dehors des choses aux­quelles la rai­son natu­relle peut atteindre, il y a des mys­tères cachés en Dieu, pro­po­sés à notre croyance, que nous ne pou­vons connaître que par la révé­la­tion divine. C’est pour­quoi l’Apôtre, qui atteste que Dieu est connu aux nations par les choses créées, dit cepen­dant, à pro­pos de la grâce et de la véri­té qui a été faite par Jésus-​Christ (Jean, I, 17) : « Nous par­lons de la sagesse de Dieu en mys­tère, sagesse cachée que Dieu a pré­des­ti­née pour notre gloire avant les siècles, qu’au­cun des princes de ce siècle n’a connue, mais que Dieu nous a révé­lée par son Esprit : car l’Esprit scrute toutes choses, les pro­fon­deurs même de Dieu. » (I. Cor. II, 7–9) Et le Fils unique lui-​même rend témoi­gnage au Père de ce qu’il « a caché ces choses aux sages et aux pru­dents et les a révé­lées aux petits. » (Math. XI, 25)

Lorsque la rai­son, de son côté, éclai­rée par la foi, cherche soi­gneu­se­ment, pieu­se­ment et pru­dem­ment, elle sai­sit, par un don de Dieu, quelque intel­li­gence et même très-​fructueuse des mys­tères, tant par l’a­na­lo­gie des choses qu’elle connaît natu­rel­le­ment, que par le rap­port des mys­tères entre eux et avec la fin der­nière de l’homme ; mais elle ne devient jamais apte à les per­ce­voir comme les véri­tés qui consti­tuent son objet propre. Car les mys­tères divins sur­passent tel­le­ment par leur nature l’in­tel­li­gence créée, que, bien que trans­mis par la révé­la­tion et reçus par la foi, ils demeurent encore cou­verts du voile de la foi elle-​même, et comme enve­lop­pés d’une sorte de nuage, tant que nous voya­geons en pèle­rins dans cette vie mor­telle, hors de Dieu ; « car nous mar­chons gui­dés par la foi et non par la vue. » (II. Cor. 5. 7)

Mais quoique la foi soit au-​dessus de la rai­son, il ne peut jamais y avoir de véri­table désac­cord entre la foi et la rai­son ; car c’est le même Dieu qui révèle les mys­tères et com­mu­nique la foi, qui a répan­du dans l’es­prit humain la lumière de la rai­son, et Dieu ne peut se nier lui-​même, ni le vrai contre­dire jamais le vrai. Cette vaine appa­rence de contra­dic­tion vient prin­ci­pa­le­ment ou de ce que les dogmes de la foi n’ont pas été com­pris et expo­sés sui­vant l’es­prit de l’Église, ou de ce que les écarts d’o­pi­nion sont pris pour des juge­ments de la rai­son. Nous décla­rons donc toute pro­po­si­tion contraire à une véri­té, attes­tée par la foi, abso­lu­ment fausse4. De plus, l’Église, qui a reçu, avec la mis­sion apos­to­lique d’en­sei­gner, le man­dat de gar­der le dépôt de la foi, tient aus­si de Dieu le droit et la charge de pros­crire la fausse science, afin que nul ne soit trom­pé par la phi­lo­so­phie et la vaine sophis­tique (Coloss. II, 8). C’est pour­quoi tous les chré­tiens fidèles non-​seulement ne doivent pas défendre comme des conclu­sions cer­taines de la science les opi­nions qu’on sait être contraires à la doc­trine de la foi, sur­tout lors­qu’elles ont été réprou­vées par l’Église ; mais encore ils sont obli­gés de les tenir bien plu­tôt pour des erreurs qui se couvrent de l’ap­pa­rence trom­peuse de la vérité.

Et non-​seulement la foi et la rai­son ne peuvent jamais être en désac­cord, mais elles se prêtent aus­si un mutuel secours ; la droite rai­son démontre les fon­de­ments de la foi, et, éclai­rée par sa lumière, elle cultive la science des choses divines ; la foi délivre et pré­mu­nit la rai­son des erreurs, et l’en­ri­chit d’amples connais­sances. Bien loin donc que l’Église soit oppo­sée à l’é­tude des arts et sciences humaines, elle la favo­rise et la pro­page de mille manières. Car elle n’i­gnore ni ne méprise les avan­tages qui en résultent pour la vie des hommes ; bien plus, elle recon­naît que les sciences et les arts venus de Dieu, le Maître des sciences, s’ils sont diri­gés conve­na­ble­ment, conduisent à Dieu, avec l’aide de sa grâce ; et elle ne défend pas assu­ré­ment que cha­cune de ces sciences, dans sa sphère, ne se serve de ses propres prin­cipes et de sa méthode par­ti­cu­lière ; mais, tout en recon­nais­sant cette juste liber­té, elle veille avec soin pour les empê­cher de tom­ber dans l’er­reur en se met­tant en oppo­si­tion avec la doc­trine divine, ou en dépas­sant leurs limites propres pour enva­hir et trou­bler ce qui est du domaine de la foi.

Car la doc­trine de la foi que Dieu a révé­lée n’a pas été livrée comme une inven­tion phi­lo­so­phique aux per­fec­tion­ne­ments de l’es­prit humain, mais elle a été trans­mise comme un dépôt divin à l’Épouse du Christ pour être fidè­le­ment gar­dée et infailli­ble­ment ensei­gnée. Aussi doit-​on tou­jours rete­nir le sens des dogmes sacrés que la sainte Mère Église a déter­mi­né une fois pour toutes, et ne jamais s’en écar­ter sous pré­texte et au nom d’une intel­li­gence supé­rieure de ces dogmes. Croissent donc et se mul­ti­plient abon­dam­ment, dans cha­cun comme dans tous, chez tout homme aus­si bien que dans toute l’Église, durant le cours des âges et des siècles, l’in­tel­li­gence, la science et la sagesse ; mais seule­ment dans le rang qui leur convient, c’est-​à-​dire dans l’u­ni­té de dogme, de sens et de manière de voir5.

Canons

I. De Dieu Créateur de toutes choses.

I. Si quel­qu’un nie un seul vrai Dieu, Créateur et maître des choses visibles et invi­sibles ; qu’il soit anathème.

II. Si quel­qu’un ne rou­git pas d’af­fir­mer qu’en dehors de la matière, il n’existe rien ; qu’il soit anathème.

III. Si quel­qu’un dit qu’il n’y a qu’une seule et même sub­stance ou essence de Dieu et de toutes choses ; qu’il soit anathème.

IV. Si quel­qu’un dit que les choses finies, soit cor­po­relles, soit spi­ri­tuelles, ou du moins les spi­ri­tuelles, sont éma­nées de la sub­stance divine ; Ou que la divine essence par la mani­fes­ta­tion ou l’é­vo­lu­tion d’elle-​même devient toutes choses ; Ou enfin que Dieu est l’Être uni­ver­sel et indé­fi­ni qui, en se déter­mi­nant lui-​même, consti­tue l’u­ni­ver­sa­li­té des choses répar­ties en genres, espèces et indi­vi­dus ; qu’il soit anathème.

V. Si quel­qu’un ne confesse pas que le monde et que toutes les choses qui y sont conte­nues soit spi­ri­tuelles, soit maté­rielles, ont été, quant à toute leur sub­stance, extraites du néant par Dieu ; Ou dit que Dieu a créé, non par sa volon­té libre de toute néces­si­té, mais aus­si néces­sai­re­ment que néces­sai­re­ment il s’aime lui-​même ; Ou nie que le monde ait été fait pour la gloire de Dieu ; qu’il soit anathème.

II. De la Révélation.

I. Si quel­qu’un dit que Dieu unique et véri­table, notre Créateur et Maître, ne peut pas être connu avec cer­ti­tude par la lumière natu­relle de la rai­son humaine, au moyen des choses qui ont été créées ; qu’il soit anathème.

II. Si quel­qu’un dit qu’il ne peut pas se faire, ou qu’il ne convient pas que l’homme soit ins­truit par la révé­la­tion divine sur Dieu et sur le culte qui doit lui être ren­du ; qu’il soit anathème.

III. Si quel­qu’un dit que l’homme ne peut pas être divi­ne­ment éle­vé à une connais­sance et à une per­fec­tion qui dépasse sa nature, mais qu’il peut et doit arri­ver de lui-​même à la pos­ses­sion de toute véri­té et de tout bien par un pro­grès conti­nu ; qu’il soit anathème.

IV. Si quel­qu’un ne reçoit pas dans leur inté­gri­té, avec toutes leurs par­ties, comme sacrées et cano­niques, les Livres de l’Écriture, comme le saint concile de Trente les a énu­mé­rés, ou nie qu’ils soient divi­ne­ment ins­pi­rés ; qu’il soit anathème.

III. De la Foi.

I. Si quel­qu’un dit que la rai­son humaine est indé­pen­dante, de telle sorte que la foi ne peut pas lui être com­man­dée par Dieu ; qu’il soit anathème.

II. Si quel­qu’un dit que la foi divine ne se dis­tingue pas de la science natu­relle de Dieu et des choses morales, et que, par consé­quent, il n’est pas requis pour la foi divine que la véri­té révé­lée soit crue à cause de l’au­to­ri­té de Dieu, qui en a fait la révé­la­tion ; qu’il soit anathème.

III. Si quel­qu’un dit que la révé­la­tion divine ne peut deve­nir croyable par des signes exté­rieurs, et que, par consé­quent, les hommes ne peuvent être ame­nés à la foi que par la seule expé­rience inté­rieure de cha­cun d’eux, ou par l’ins­pi­ra­tion pri­vée ; qu’il soit anathème.

IV. Si quel­qu’un dit qu’il ne peut y avoir de miracles, et, par consé­quent, que tous les récits de miracles, même ceux que contient l’Écriture sainte, doivent être relé­gués par­mi les fables ou les mythes ; ou que les miracles ne peuvent jamais être connus avec cer­ti­tude, et que l’o­ri­gine divine de la reli­gion chré­tienne n’est pas vala­ble­ment prou­vée par eux ; qu’il soit anathème.

V. Si quel­qu’un dit que l’as­sen­ti­ment à la foi chré­tienne n’est pas libre, mais qu’il est pro­duit néces­sai­re­ment par les argu­ments de la rai­son humaine ; ou que la grâce de Dieu n’est néces­saire que pour la foi vivante, qui opère par la cha­ri­té ; qu’il soit anathème.

VI. Si quel­qu’un dit que les fidèles et ceux qui ne sont pas encore par­ve­nus à la foi uni­que­ment vraie sont dans une même situa­tion, de telle sorte que les catho­liques puissent avoir de justes motifs de mettre en doute la foi qu’ils ont reçue sous le magis­tère de l’Église, en sus­pen­dant leur assen­ti­ment jus­qu’à ce qu’ils aient obte­nu la démons­tra­tion scien­ti­fique de la cré­di­bi­li­té et de la véri­té de leur foi ; qu’il soit anathème.

IV. De la Foi et de la Raison.

I. Si quel­qu’un dit que, dans la révé­la­tion divine, il n’y a aucun mys­tère vrai et pro­pre­ment dit, mais que tous les dogmes de la foi peuvent être com­pris et démon­trés par la rai­son conve­na­ble­ment culti­vée, au moyen des prin­cipes natu­rels ; qu’il soit anathème.

II. Si quel­qu’un dit que les sciences humaines doivent être trai­tées avec une telle liber­té que l’on puisse tenir pour vraies leurs asser­tions, quand même elles seraient contraires à la doc­trine révé­lée ; et que l’Église ne peut les pros­crire ; qu’il soit anathème.

III. Si quel­qu’un dit qu’il peut se faire qu’on doive quel­que­fois, selon le pro­grès de la science, attri­buer aux dogmes pro­po­sés par l’Église un autre sens que celui qu’a enten­du et qu’en­tend l’Église ; qu’il soit anathème.

C’est pour­quoi, rem­plis­sant le devoir de Notre charge pas­to­rale suprême, Nous conju­rons par les entrailles de Jésus-​Christ tous les fidèles du Christ, sur­tout ceux qui sont à leur tête ou qui sont char­gés d’en­sei­gner, et, par l’au­to­ri­té de ce même Dieu, Notre Sauveur, Nous leur ordon­nons d’ap­por­ter tout leur zèle et tous leurs soins à écar­ter et à éli­mi­ner de la sainte Église ces erreurs et à pro­pa­ger la très-​pure lumière de la foi.

Mais, parce que ce n’est pas assez d’é­vi­ter le péché d’hé­ré­sie, si l’on ne fuit aus­si dili­gem­ment les erreurs qui s’en rap­prochent plus ou moins, Nous aver­tis­sons tous les chré­tiens du devoir qui leur incombe d’ob­ser­ver les Constitutions et les Décrets par les­quels le Saint-​Siège a pros­crit et condam­né les opi­nions per­verses de ce genre, qui ne sont pas énu­mé­rées ici tout au long.

Donné à Rome, en ses­sion publique solen­nel­le­ment célé­brée dans la basi­lique Vaticane, l’an de l’Incarnation de Notre-​Seigneur mil huit cent soixante-​dixième, le vingt-​quatrième jour d’a­vril, la vingt-​quatrième année de Notre Pontificat.

C’est ain­si.

JOSEPH, Évêque de S. Pœlten, Secrétaire du Concile du Vatican.

  1. Conc. De Latr. IV, c. 1. Firmiter []
  2. Conc. de Trent. Sess. IV, Décr. de Can. Script. []
  3. Conc. d’Orange II, can. 7 []
  4. Concile de Latran V, Bulle Apostolici regi­mi­nis []
  5. Vincent de Lérins, Common. n. 28 []