Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

31 janvier 1940

Discours aux jeunes époux

L'éducation de don Bosco

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 31 jan­vier 1940

Dans un pauvre hameau du Piémont vivait avec ses deux frères, il y a un siècle, un enfant de bien modeste condi­tion. Orphelin de père dès son bas âge, il ne connut que les soins de sa mère, lui qu’on devait appe­ler un jour le père des orphe­lins. Cette simple pay­sanne sans ins­truc­tion, mais gui­dée par le Saint-​Esprit, édu­qua son fils au sens le plus com­plet et le plus éle­vé du mot, et avec quelle sagesse, l’Eglise elle-​même, peut-​on dire, l’a recon­nu en éle­vant sur les autels celui dont la fête se célèbre aujourd’­hui même, saint Jean Bosco. Cet humble prêtre, deve­nu par la suite une des gloires les plus pures de l’Eglise et de l’Italie, fut un mer­veilleux édu­ca­teur, et sa vie vous offre, chers fils et filles, futurs pères et mères de famille, les leçons les plus utiles et les plus salutaires.

Lorsque Dieu confie un enfant à des époux chré­tiens, il semble leur répé­ter ce que la fille de Pharaon disait à la mère de Moïse : « Prends cet enfant et élève-​le-​moi » (Ex 2, 9). Dans l’in­ten­tion de Dieu, les parents sont les pre­miers édu­ca­teurs de leurs enfants.

Mais il faut recon­naître que dans les condi­tions sociales actuelles, l’ur­gente pré­oc­cu­pa­tion du pain quo­ti­dien rend par­fois dif­fi­cile le plein accom­plis­se­ment d’un devoir aus­si essentiel.

Telles étaient aus­si les condi­tions sociales à l’é­poque où Jean Bosco rêvait d’ai­der et, au besoin, de rem­pla­cer les parents dans ce grave devoir. Qu’il fût des­ti­né à cette mis­sion par la Providence, les pré­coces attraits de son cœur le lui disaient ; et son âme en eut comme une révé­la­tion dans un songe de ses pre­mières années, où il vit des ani­maux sau­vages subi­te­ment chan­gés en doux agneaux qu’il condui­sait dociles au pâtu­rage. Pour com­prendre com­ment il tra­dui­sit ce rêve en acte, il faut se rap­pe­ler l’é­du­ca­tion qu’il reçut et celle qu’il don­na : l’une dépend de l’autre, et la mère qu’il eut explique pour une large part le père qu’il fut pour les autres.

En fon­dant sa pre­mière mai­son d’é­du­ca­tion et d’en­sei­gne­ment, Don Bosco l’ap­pe­la, comme il le dit lui-​même, « non pas labo­ra­toire, mais ora­toire » : c’est qu’il enten­dait en faire avant tout un lieu de prière, « une petite église où réunir des gar­çons ». Mais il rêvait aus­si de faire de l’o­ra­toire une sorte de foyer domes­tique. N’est-​ce point parce que « maman Marguerite » avait fait de la mai­son­nette des Becchi une espèce d’o­ra­toire ? Représentez-​vous la jeune veuve age­nouillée avec ses trois enfants pour la prière du matin et du soir ; regardez-​les gagner, pareils à de petits anges, dans leurs habits des dimanches qu’elle a soi­gneu­se­ment tirés de l’ar­moire, la bour­gade de Murialdo, pour y assis­ter à la sainte messe. L’après-​midi, après le dîner fru­gal où ils ne reçoivent pour toute frian­dise qu’un mor­ceau de pain bénit, les voi­là de nou­veau réunis autour d’elle. La jeune maman leur rap­pelle les com­man­de­ments de Dieu et de l’Eglise, les grandes leçons du caté­chisme, les moyens de salut ; puis elle leur raconte, avec la douce poé­sie des âmes pures et des ima­gi­na­tions popu­laires, la tra­gique his­toire du doux Abel et du méchant Cain, l’i­dylle d’Isaac et de Rebecca, le mys­tère inef­fable de Bethléem, la dou­lou­reuse mort du bon Jésus mis en croix sur le Calvaire. Qui mesu­re­ra l’in­fluence pro­fonde des pre­mières leçons mater­nelles ? C’est à elles que Don Bosco, deve­nu prêtre, attri­buait sa dévo­tion, toute de ten­dresse et de confiance, envers la Sainte Vierge et la divine Hostie ; il y vit plus tard dans un autre songe comme les deux colonnes où les âmes de ses élèves, bat­tues comme de fra­giles nacelles par la mer du monde en furie, jetaient l’ancre pour trou­ver sûre­ment le salut et la paix.

La reli­gion est donc le pre­mier fon­de­ment d’une bonne édu­ca­tion. Mais Don Bosco vou­lut lui asso­cier la rai­son, la rai­son éclai­rée par la foi. Cette vraie rai­son consiste, avant tout, comme l’in­dique l’o­ri­gine même du mot latin ratio, dans la mesure et la sagesse, dans l’é­qui­libre et l’é­qui­té. Serait-​il logique, par exemple, de vou­loir cor­ri­ger dans un enfant les fautes que l’on com­met soi-​même devant lui ? Serait-​il logique de le vou­loir sou­mis et obéis­sant, si l’on cri­tique en sa pré­sence les chefs, les auto­ri­tés ecclé­sias­tiques ou civiles, si on déso­béit aux com­man­de­ments de Dieu ou aux justes lois de l’Etat ? Serait-​il juste d’exi­ger de vos enfants la loyau­té, si vous êtes fourbes ? la sin­cé­ri­té, si vous êtes faux ? la géné­ro­si­té, si vous êtes égoïstes ? la cha­ri­té, si vous êtes avares ? la dou­ceur et la patience, si vous êtes vio­lents et colériques ?

La meilleure leçon est tou­jours celle de l’exemple. A la mai­son des Becchi, « maman Marguerite » ne mul­ti­pliait pas les exhor­ta­tions. Mais après la mort de son mari, la cou­ra­geuse veuve met­tait elle-​même la main à la char­rue, à la faux, au fléau, et, lisons-​nous, fati­guait par son exemple jus­qu’aux jour­na­liers qu’elle embau­chait au temps de la mois­son et du bat­tage. Formé à cette école, le petit Jean, dès l’âge de quatre ans, pre­nait part à l’œuvre com­mune et effi­lait les tiges de chanvre. Adulte, il consa­crait tout le temps au tra­vail, ne don­nait que cinq heures au som­meil, veillait une nuit entière par semaine. En cela, avouons-​le, il outre­pas­sait les justes limites de la rai­son humaine. Mais la rai­son sur­na­tu­relle des saints admet, sans les impo­ser aux autres, ces excès de géné­ro­si­té, car leur sagesse s’ins­pire de l’in­sa­tiable désir de plaire à Dieu et de leur fer­veur, de leur crainte filiale de lui déplaire et de leur désir ardent du bien.

Déplaire à un père ou à une mère est la dou­leur suprême d’un enfant bien éle­vé. Jean Bosco en avait fait l’ex­pé­rience au foyer domes­tique, où un léger signe, un regard attris­té de sa mère suf­fi­sait pour lui don­ner le regret d’un pre­mier mou­ve­ment de jalou­sie enfan­tine. Aussi veut-​il que l’é­du­ca­teur use comme prin­ci­pal moyen d’ac­tion, d’une constante sol­li­ci­tude ani­mée d’une ten­dresse vrai­ment pater­nelle. Les parents doivent donc, eux aus­si, don­ner aux enfants le meilleur de leur temps, au lieu de le gas­piller loin d’eux par­mi des dis­trac­tions périlleuses ou en des lieux où ils rou­gi­raient de les conduire.

Lorsque la rai­son dirige l’a­mour et que la foi éclaire la rai­son, l’é­du­ca­tion fami­liale n’est plus sujette à ces déplo­rables coups de tête qui trop sou­vent la com­pro­mettent : alter­na­tives d’une indul­gente fai­blesse et d’une sévé­ri­té cha­grine ; pas­sages d’une cou­pable condes­cen­dance, qui laisse l’en­fant sans guide, à une cor­rec­tion vio­lente qui le laisse sans secours. Au contraire, la ten­dresse éprou­vée d’un père ou d’une mère, à laquelle répond la confiance de l’en­fant, dis­tri­bue, avec une égale modé­ra­tion, parce qu’elle se pos­sède elle-​même, et avec un égal suc­cès, parce qu’elle pos­sède le cœur de ses enfants, les éloges méri­tés et les blâmes nécessaires.

« Cherche à te faire aimer, disait saint Jean Bosco, et alors tu te feras obéir sans dif­fi­cul­té. » Puissiez-​vous, vous aus­si, jeunes époux, futurs pères et mères de famille, repro­duire dans vos foyers quelque chose de ce saint idéal !

PIE XII, Pape.

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