Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 9 juillet 1941
Ce Nous est toujours une grande consolation de Nous voir entouré d’un si beau nombre de jeunes époux chrétiens venus de toutes parts avec le désir d’ajouter à la bénédiction de leur union par le prêtre la bénédiction du Père commun de la famille chrétienne. Que de foyers, que de pieux enfants Nous voyons en vous ! Que d’espérances l’Eglise, la patrie, le ciel mettent en vous ! Nous levons le regard vers le ciel, et il Nous semble que sur vous, jeunes mariés à la foi et à la piété si vives, descend cette haute et puissante bénédiction que le Seigneur accorde à ceux qui le craignent. La crainte de Dieu n’est-elle pas le commencement de la sagesse, qui édifie le foyer, non point sur les fragiles arcs-boutants du monde, mais sur les sept colonnes des vertus théologales et morales ? Ce foyer qui devient comme un sanctuaire où règne le sacrifice de l’affection et de la patience réciproques, de la concorde et de la fidélité ; où les parents deviennent les maîtres de leurs enfants, pour leur montrer un Père et une Mère dans les cieux ; où la prière, qui console les peines et raffermit les espérances, ouvre la journée et la clôt.
La prière fut le thème de Notre allocution de mercredi passé : Nous y avons parlé de son efficacité et de sa nécessité ; Nous y avons montré comment les prières adressées à Dieu ne sont point toutes faites au nom de Jésus-Christ, et par là ne sont point toutes exaucées. Ce que Nous avons dit alors, Nous désirons le reprendre et le compléter aujourd’hui en peu de mots. Ainsi la pensée et le souvenir de la prière vous accompagnera dans toute votre vie ; elle sera le guide de votre chemin et la lampe de votre maison, la bénédiction de vos joies et le réconfort de vos soucis, l’inébranlable soutien de votre confiance en Dieu.
Prier pour demander des biens profitables à notre salut
Nulle part Notre-Seigneur n’a promis de nous rendre infailliblement heureux en ce monde ; il a promis, lisons-nous dans l’Evangile, de nous exaucer comme le père qui ne donne point en nourriture à son fils, même s’il le lui demandait, une pierre, ou un serpent, ou un scorpion, mais le pain, le poisson, l’oeuf, qui le nourriront et le feront grandir (cf. Luc, Lc 11,11–13). Ce que Jésus notre Sauveur s’est engagé à nous accorder infailliblement comme fruit de nos prières, ce ne sont point ces faveurs que les hommes demandent souvent par ignorance de ce qui sert réellement à leur salut, mais cet « esprit bon », ce pain des dons surnaturels nécessaires ou utiles à nos âmes ; ce poisson symbolique que le Christ ressuscité offrit en nourriture aux apôtres sur les rives du lac de Tiberiade ; cet oeuf – aliment de dévotion et de piété pour les petits – que souvent les hommes ne distinguent point des cailloux extrêmement dangereux à leur salut spirituel, des cailloux que leur offre le Tentateur. Le grand Apôtre confessait aux Romains : « Nous ne savons pas ce que nous devons, selon nos besoins, demander dans nos prières. Mais l’Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements ineffables ; et Celui qui sonde les cœurs connaît quels sont les désirs de l’Esprit ; il sait qu’il prie selon Dieu pour les saints » (Rm 8,26–27). Les hommes sont souvent comme des enfants ignorant ce qui leur est bon et ce qu’il leur convient de demander ; souvent malhabiles sont les prières qu’ils adressent au Père céleste. Mais le Saint-Esprit, qui par sa grâce agit dans nos âmes et nous inspire nos gémissements, sait donner à nos prières leur vrai sens et leur vraie valeur ; et au Père qui lit au fond des cœurs apparaît en pleine lumière ce qu’à travers nos prières et nos désirs demande pour nous son divin Esprit, et il exauce sans aucun doute ces demandes qui montent du plus intime de nous-mêmes.
… avec persévérance
Ne voyez-vous pas dans cet Esprit qui opère en vous l’inébranlable fondement de votre confiance dans la prière, le lien vigoureux qui enchaîne la prière à sa réalisation ? Vous savez, vous croyez de toute votre âme, qu’aucune de vos prières ne reste sans effet et que, lorsque vous ne recevez pas exactement la faveur spéciale que vous demandiez, vous devez ou reconnaître votre ignorance touchant votre vrai bien ou penser que Dieu vous accordera cette grâce à l’heure qu’il a marquée ; car certaines grâces ne sont point refusées, mais simplement différées à un temps opportun, et en attendant vous recevez mieux, beaucoup mieux : cela même que l’Esprit-Saint a demandé en vous par les gémissements qu’il vous inspirait. Voilà la conviction et la sagesse du chrétien ; voilà le guide, le soutien et la lumière de votre prière au milieu des obscurités de la foi. Cette lumière, vous ne la laisserez pas s’éteindre, ni lorsque Dieu tardera ou refusera de vous exaucer, ni lorsque les infortunes et les angoisses tourmenteront votre esprit, et elle vous donnera la force de persévérer dans la prière.
Pourquoi donc, peut-on se demander encore, pourquoi donc arrive-t-il si souvent que vous n’obteniez pas l’objet de vos prières ? Parce que, tandis que le Saint-Esprit continue à vous pousser à la prière, vous cessez de suivre son inspiration et le mouvement qu’il a suscité en vous : vous cessez de prier, il vous manque la persévérance, et votre prière n’obtient point l’effet désiré. Notre-Seigneur a dit et répété que la prière persévérante est infailliblement exaucée. La persévérance est cette insistance qui fait violence au cœur de Dieu et qui triomphe. Lui qui voit de plus haut et de plus loin que nous les faits de notre vie et leur enchaînement, lui qui contemple tout le bien que vos âmes retirent des prières prolongées et des désirs confiants, de vos humiliations devant lui et de votre foi courageuse et constante, il n’a pas voulu promettre de vous exaucer immédiatement. Et pourquoi donc ? Parce qu’il a un cœur plus tendre que celui d’une mère, et qu’une mère prudente n’hésite pas à faire attendre son enfant, quitte même à le laisser pleurer un peu, quand elle sait que le lait qu’il voudrait tout de suite lui sera plus profitable dans quelques instants.
… et piété.
Prier, c’est donc demander ce qui est bon pour nos âmes, le demander avec persévérance, mais aussi le demander avec piété : c’est, selon l’enseignement de saint Thomas, la troisième des quatre conditions de la prière efficace – pro se, necessaria ad salutem, pie et perseveranter [1]. La prière pieuse, qu’est-ce donc ? Ce n’est point la prière qui consiste à prononcer des paroles avec un esprit et un cœur distraits et avec des yeux qui se promènent partout. C’est la prière recueillie qui s’anime envers Dieu tout entière de confiance filiale, qui s’illumine de foi vive, qui s’imprègne d’amour pour lui et le prochain ; c’est la prière toujours faite en état de grâce, toujours méritoire par conséquent de la vie éternelle, toujours humble dans sa confiance ; c’est la prière qui, lorsque vous vous agenouillez devant les autels, ou devant l’image du Crucifié et de la Sainte Vierge à votre foyer, ne connaît point l’arrogance de ce pharisien qui se vantait d’être meilleur que les autres hommes, c’est la prière qui fera sentir à votre cœur, comme celle du pauvre publicain, que tout ce que vous recevrez ne sera que pure miséricorde de Dieu à votre égard (cf. Lc 18,9–14).
Efficacité de la prière que nous faisons pour les autres.
Pieuse, persévérante, surnaturelle, la prière que vous ferez pour vous-mêmes sera toujours exaucée, assure le Docteur angélique [2] ; mais la prière que vous ferez pour les autres ? Pour ceux dont le salut vous est si cher et que vous désirez pour compagnons dans la béatitude éternelle, votre époux ou votre épouse, votre fils ou votre fille, votre père ou votre mère, vos amis et les personnes de votre connaissance ? Que vaut pour eux votre prière ? Quelle est son efficacité auprès du trône de Dieu ? Ici, sans doute, intervient la terrible possibilité inhérente au libre arbitre de l’homme, la possibilité de résister aux grâces puissantes et de forme si variée que vos prières auront obtenues à ces âmes ; mais la toute-puissante miséricorde de Dieu est un mystère insondable à notre pensée, un mystère infini qui permet à toutes les mères de prendre pour elles-mêmes cette parole d’un pieux évêque à sainte Monique, alors qu’elle implorait son aide avec d’abondantes larmes pour la conversion de son fils Augustin : « Le fils de tant de larmes, lui disait-il, ne saurait se perdre » [3].
Et quand même il ne vous serait point donné en cette vie de voir de vos yeux le triomphe de la grâce dans les âmes pour lesquelles vous avez prié et pleuré si longtemps, votre cœur ne devrait jamais renoncer à l’espérance : en ces instants mystérieux où, dans le silence de l’agonie d’un mourant, le Créateur se dispose à rappeler à lui une âme, œuvre de ses mains, peut-être que son immense amour a finalement remporté, loin de vos regards, la victoire pour laquelle votre reconnaissance le bénira là-haut à tout jamais.
Ainsi que toute vie humaine, cette vie à deux que vous commencez rencontrera des heures dures et difficiles, des moments de désolation et d’amertume : levez alors les yeux au ciel. Le premier de vos réconforts, le plus ferme de vos soutiens sera la prière confiante ; et vous ne douterez jamais de l’amour de Dieu pour vous, sachant bien que nulle de vos prières ne restera vaine, que Dieu les exaucera toutes, sinon à l’heure et de la manière que souhaitaient les rêves de votre esprit, du moins au moment le plus opportun pour vous et de cette manière infiniment plus heureuse que savent disposer la prévoyante sagesse et la puissance du cœur de Dieu.
Nous demandons avec ferveur que le Seigneur garde en vos âmes cette vive confiance et Nous vous donnons avec une paternelle affection la Bénédiction apostolique.
PIE XII, Pape.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1941, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice. – D’après le texte italien de Discorsi e Radiomessaggi, t. III, p. 149.