Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 27 mars 1940
En cette semaine pascale, Nous ne croyons pas, bien chers fils et filles, pouvoir vous accueillir avec un salut plus affectueusement paternel que celui qu’adressa Jésus lui-même, le soir de la Résurrection, à ses disciples réunis au Cénacle : Pax vobis ! (Jn 20, 19).
C’est à vous enfin que s’adresse Notre salut, jeunes époux, devant qui la vie s’ouvre comme un sentier fleuri. S’il vous conduit parmi les fleurs et les riantes vallées, ce chemin, vous ne l’ignorez pas, aura pour vous, comme pour tous les hommes, ses âpres montées, ses descentes périlleuses et peut-être même ses heures de tempête. Ayez donc vous aussi votre cénacle, un asile de recueillement et de prière dans votre foyer domestique.
Vous y trouverez le repos au soir des journées les plus dures, dans la fidélité à vos promesses et dans l’union parfaite de vos âmes : perseverantes unanimiter, « tous ensemble persévéraient » ; vous y vivrez sous le regard de Marie : cum… Maria matre Jesu, « avec… Marie, mère de Jésus », dont l’image vous réunira chaque soir pour la prière en famille : unanimiter in oratione, « tous ensemble dans la prière ».
Mieux encore, toute votre vie personnelle et familiale peut devenir une prière incessante : perseverantes unanimiter in oratione, « tous ensemble persévéraient dans la prière » ; l’Apostolat de la prière vous en donne le moyen dans l’offrande matinale de la journée. La baguette magique des contes de fées change en or tout ce qu’elle touche ; ainsi cette offrande du chrétien en état de grâce qui dirige toutes ses actions vers Dieu, pour les grands besoins de l’Eglise et des âmes, peut convertir en actes surnaturels d’apostolat jusqu’aux actions les plus petites et les plus modestes. Le paysan à sa charrue, l’employé à son bureau, le commerçant à son comptoir, la ménagère dans sa cuisine, tous peuvent devenir les collaborateurs de Dieu qui attend d’eux et accomplit avec eux les humbles tâches de leur devoir d’état.
Chers fils, quand Jésus dans le silence du Cénacle prononçait les paroles : pax vobis, les apôtres n’en tremblaient pas moins de peur, même derrière les portes bien fermées : cum fores essent clausae… propter metum Judaeorum (Jn 20,19).
La paix, qu’ils n’avaient pu alors goûter dans leur refuge, mais dont ils deviendraient ensuite les hérauts usque ad ultimum terrae, les accompagnera dans leurs voyages, dans leurs épreuves, dans le martyre. Sans doute elle ne sera pas pour eux la colombe aux ailes d’argent (cf. Ps., lxvii, 14), qui gémit doucement dans le feuillage parfumé, mais plutôt l’alcyon qui ne fait pas son nid pendant la tempête, mais qui s’envolant de la crête des vagues jusqu’en haut des mâts du navire, semble dire au marin épouvanté la vanité des efforts et l’inanité des agitations de l’homme laissé à lui-même, et au contraire la puissance et la joyeuse sérénité de la faible créature qui s’abandonne à son Créateur.
Le genre humain voudra-t-il comprendre cette leçon et chercher, dans un confiant retour à Dieu, la reconquête de cette paix, dont la pensée hante les esprits et les cœurs, comme le souvenir hallucinant d’une félicité disparue. De nombreux peuples aujourd’hui ont perdu la paix, parce que leurs prophètes et leurs chefs se sont éloignés de Dieu et de son Christ. Les uns, propagandistes d’une culture et d’une politique areligieuse, se renfermant dans l’orgueil de la raison humaine, cum fores essent clausae, ont fermé la porte à l’idée même du divin et du surnaturel, chassant de la création le Créateur, exilant des écoles et des prétoires l’image du divin Maître crucifié, éliminant des institutions nationales, sociales et familiales toute mention de l’Evangile, tout en ne pouvant cependant en effacer les traces profondes. Les autres se sont enfuis loin du Christ et de sa paix, en reniant des siècles de civilisation lumineuse, bienfaisante et fraternelle, pour s’enfoncer dans les ténèbres du paganisme antique ou des idolâtries modernes. Puissent-ils reconnaître leur erreur et comprendre que le Christ sauveur, malgré leurs défections, leurs reniements, leurs outrages, reste encore et toujours auprès d’eux, les mains tendues, le cœur ouvert, prêt à leur dire : pax vobis, si, de leur côté, dans un élan sincère et confiant, ils veulent bien tomber à ses pieds, avec ce cri de foi et d’amour : Dominus meus et Deus meus, « mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28).
PIE XII, Pape.