Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

27 mars 1940

Discours aux jeunes époux

Votre vie personnelle et familiale peut devenir une prière incessante

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 27 mars 1940

En cette semaine pas­cale, Nous ne croyons pas, bien chers fils et filles, pou­voir vous accueillir avec un salut plus affec­tueu­se­ment pater­nel que celui qu’a­dres­sa Jésus lui-​même, le soir de la Résurrection, à ses dis­ciples réunis au Cénacle : Pax vobis ! (Jn 20, 19).

C’est à vous enfin que s’a­dresse Notre salut, jeunes époux, devant qui la vie s’ouvre comme un sen­tier fleu­ri. S’il vous conduit par­mi les fleurs et les riantes val­lées, ce che­min, vous ne l’i­gno­rez pas, aura pour vous, comme pour tous les hommes, ses âpres mon­tées, ses des­centes périlleuses et peut-​être même ses heures de tem­pête. Ayez donc vous aus­si votre cénacle, un asile de recueille­ment et de prière dans votre foyer domestique.

Vous y trou­ve­rez le repos au soir des jour­nées les plus dures, dans la fidé­li­té à vos pro­messes et dans l’u­nion par­faite de vos âmes : per­se­ve­rantes una­ni­mi­ter, « tous ensemble per­sé­vé­raient » ; vous y vivrez sous le regard de Marie : cum… Maria matre Jesu, « avec… Marie, mère de Jésus », dont l’i­mage vous réuni­ra chaque soir pour la prière en famille : una­ni­mi­ter in ora­tione, « tous ensemble dans la prière ».

Mieux encore, toute votre vie per­son­nelle et fami­liale peut deve­nir une prière inces­sante : per­se­ve­rantes una­ni­mi­ter in ora­tione, « tous ensemble per­sé­vé­raient dans la prière » ; l’Apostolat de la prière vous en donne le moyen dans l’of­frande mati­nale de la jour­née. La baguette magique des contes de fées change en or tout ce qu’elle touche ; ain­si cette offrande du chré­tien en état de grâce qui dirige toutes ses actions vers Dieu, pour les grands besoins de l’Eglise et des âmes, peut conver­tir en actes sur­na­tu­rels d’a­pos­to­lat jus­qu’aux actions les plus petites et les plus modestes. Le pay­san à sa char­rue, l’employé à son bureau, le com­mer­çant à son comp­toir, la ména­gère dans sa cui­sine, tous peuvent deve­nir les col­la­bo­ra­teurs de Dieu qui attend d’eux et accom­plit avec eux les humbles tâches de leur devoir d’état.

Chers fils, quand Jésus dans le silence du Cénacle pro­non­çait les paroles : pax vobis, les apôtres n’en trem­blaient pas moins de peur, même der­rière les portes bien fer­mées : cum fores essent clau­sae… prop­ter metum Judaeorum (Jn 20,19).

La paix, qu’ils n’a­vaient pu alors goû­ter dans leur refuge, mais dont ils devien­draient ensuite les hérauts usque ad ulti­mum ter­rae, les accom­pa­gne­ra dans leurs voyages, dans leurs épreuves, dans le mar­tyre. Sans doute elle ne sera pas pour eux la colombe aux ailes d’argent (cf. Ps., lxvii, 14), qui gémit dou­ce­ment dans le feuillage par­fu­mé, mais plu­tôt l’al­cyon qui ne fait pas son nid pen­dant la tem­pête, mais qui s’en­vo­lant de la crête des vagues jus­qu’en haut des mâts du navire, semble dire au marin épou­van­té la vani­té des efforts et l’i­na­ni­té des agi­ta­tions de l’homme lais­sé à lui-​même, et au contraire la puis­sance et la joyeuse séré­ni­té de la faible créa­ture qui s’a­ban­donne à son Créateur.

Le genre humain voudra-​t-​il com­prendre cette leçon et cher­cher, dans un confiant retour à Dieu, la recon­quête de cette paix, dont la pen­sée hante les esprits et les cœurs, comme le sou­ve­nir hal­lu­ci­nant d’une féli­ci­té dis­pa­rue. De nom­breux peuples aujourd’­hui ont per­du la paix, parce que leurs pro­phètes et leurs chefs se sont éloi­gnés de Dieu et de son Christ. Les uns, pro­pa­gan­distes d’une culture et d’une poli­tique are­li­gieuse, se ren­fer­mant dans l’or­gueil de la rai­son humaine, cum fores essent clau­sae, ont fer­mé la porte à l’i­dée même du divin et du sur­na­tu­rel, chas­sant de la créa­tion le Créateur, exi­lant des écoles et des pré­toires l’i­mage du divin Maître cru­ci­fié, éli­mi­nant des ins­ti­tu­tions natio­nales, sociales et fami­liales toute men­tion de l’Evangile, tout en ne pou­vant cepen­dant en effa­cer les traces pro­fondes. Les autres se sont enfuis loin du Christ et de sa paix, en reniant des siècles de civi­li­sa­tion lumi­neuse, bien­fai­sante et fra­ter­nelle, pour s’en­fon­cer dans les ténèbres du paga­nisme antique ou des ido­lâ­tries modernes. Puissent-​ils recon­naître leur erreur et com­prendre que le Christ sau­veur, mal­gré leurs défec­tions, leurs renie­ments, leurs outrages, reste encore et tou­jours auprès d’eux, les mains ten­dues, le cœur ouvert, prêt à leur dire : pax vobis, si, de leur côté, dans un élan sin­cère et confiant, ils veulent bien tom­ber à ses pieds, avec ce cri de foi et d’a­mour : Dominus meus et Deus meus, « mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jn 20,28).

PIE XII, Pape.