Le cardinal Edward Cassidy et « l’évêque » luthérien Christian Krause signant la « Déclaration commune »
Dans l’Osservatore Romano du 20 octobre dernier, la parole était donnée au pasteur qui devait célébrer, avec le pape, une cérémonie d’« action de grâce pour les dons particuliers que la réforme a apportés, ainsi que pour les dons que luthériens et catholiques se reconnaissent réciproquement ».
Pour nous préserver d’un tel blasphème envers Dieu, d’une telle impiété à l’égard de tous les saints de la Contre-Réforme catholique, et d’un tel manque de charité pour les protestants égarés par la révolte de Luther, une conférence a été faite au prieuré le mardi 18 octobre à propos de la « Déclaration conjointe sur la doctrine de la justification » de la Fédération Luthérienne Mondiale et de l’Eglise catholique signée en le 31 octobre 1999 [Voir photo ci-dessus] . Nous nous sommes contentés de lire le texte en soulignant les ambiguïtés. Elles sont présentes ici de manière plus synthétique. Nous énonçons les présupposés de cette déclaration puis nous donnons les principales équivoques.
Présupposés
La Tradition vivante
Il ne s’agit pas de renier le passé, mais de l’interpréter au sein d’une conception évolutionniste de la doctrine. Les changements ne sont pas du côté des Protestants mais bien dans l’Église catholique depuis le Concile Vatican II. Ainsi, par exemple, on affirme :
« 28. À la lumière du renouveau évident de la théologie catholique au Concile Vatican II, les catholiques d’aujourd’hui peuvent apprécier le souci de réforme de Martin Luther… »
Les sectes schismatiques sont de vraies Églises
Pie XI condamnait dans Mortalium animos le fait de mettre sur un pied d’égalité toutes les religions pour finalement essayer de les unir sur un fond commun de vérités. Or, c’est ce que fait la déclaration :
« 27. Le Concile a également reconnu l’existence d’éléments de sanctification et de vérité même en dehors des structures de l’Église catholique romaine… Cette reconnaissance s’appliquait non seulement aux éléments et actes individuels au sein de ces communautés, mais aux Églises et communautés divisées elles-mêmes. « Car l’Esprit du Christ ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut« (UR 3).
Les différences ne procèdent que d’accents différents
La bonne volonté est présupposée ainsi que l’accord doctrinal. Ce ne serait qu’une question « d’accents différents ». On affirme, par contre, que le magistère traditionnel et les théologiens catholiques n’ont pas bien compris Luther. Les condamnations du passé seraient surtout le fait d’incompréhensions :
« 29. Cette proximité implicite avec le souci de Luther a suscité une nouvelle évaluation de sa catholicité, qui est allée de pair avec la reconnaissance du fait qu’il n’avait pas l’intention de diviser, mais de réformer l’Église. »
Le grand mal, c’est la séparation
Le problème ce n’est pas l’erreur qui sépare (alors que la doctrine de la foi devrait être la source de l’unité de l’Église) mais la condamnation, la séparation elle-même.
Équivoques
Elles sont dans la suite d’une tradition protestante qui, tout au long de son histoire, a multiplié les professions de foi commune. Dans la déclaration, elles sont souvent introduites par un vague « ils (les catholiques ou les luthériens) ne nient pas ». Le lecteur est ainsi invité à approuver une proposition qui occulte l’élément que les protestants n’acceptent pas et donc à faire une profession de foi ambiguë.
Nous les proposons ici sous forme d’interrogation.
La justification est-elle un dogme fondamental ?
Fondamental peut vouloir dire « important », « source d’un aspect de la réalité ». Plus strictement, il désigne ce qui est premier et source de toute la réalité (sans que cela soit exclusif d’autres « fondements »). En ce dernier sens, la justification n’est pas fondamentale car elle n’est elle-même que l’application des fruits de la Rédemption. Pour la Réforme au contraire, la justification est fondamentale au sens strict. Il n’y a pas d’autre rapport religieux avec Dieu que cette application extrinsèque de la justice du Christ par la foi-confiance.
« 18. Pour ces raisons, la doctrine de la justification, qui reprend et développe ce message, n’est pas seulement une partie de l’enseignement chrétien. Elle se situe dans un lien essentiel à toutes les vérités de la foi qui doivent être considérées dans leur interdépendance interne. Elle est un critère indispensable qui renvoie sans cesse au Christ l’ensemble de la doctrine et de la pratique des Eglises. »
Faut-il coopérer à la grâce pour recevoir et garder la justification ?
On nie le vrai mérite avant la conversion (ce qui est vrai), mais on ne rappelle pas la nécessaire coopération (selon l’agir habituel de la Providence) aux grâces actuelles pour obtenir la grâce de la justification ; on omet toute la part de préparation de l’homme sous l’action de la grâce (exposée par le chapitre 6 du décret sur la justification du Concile de Trente). On parle de la foi comme si elle était la seule préparation à la justification. C’est une ambiguïté terrible.
« 17. … pécheurs, nous ne devons notre vie nouvelle qu’à la miséricorde de Dieu qui nous pardonne et fait toute chose nouvelle, une miséricorde qui nous est offerte et est reçue dans la foi et que nous ne pouvons jamais mériter sous quelque forme que ce soit. »
Or la volonté humaine n’est pas purement passive (cf. canon 4 du C. de Trente) dans le processus de la justification ; mais, cela, on ne le dit pas. Dans le numéro 21, on utilise l’expression même qui est anathématisée par le Concile de Trente (« purement passivement ») mais on essaye d’y échapper en parlant de « pleine participation », mais qu’est-ce que cela veut dire ? Même les Protestants reconnaissent que l’accord n’est pas fait car ils rejettent toute coopération. Le mot participation est régulièrement utilisé par eux pour exprimer le fait que la parole de Dieu produit la foi dans l’homme qui est donc « impliqué » mais qui ne contribue nullement à son propre salut.
« 21. Lorsqu’ils [les luthériens] affirment qu’elle ne peut que recevoir la justification (même passive), ils nient par là toute possibilité d’une contribution propre de la personne humaine à sa justification mais non sa pleine participation personnelle dans la foi, elle-même opérée par la parole de Dieu. »
La justice de l’homme est-elle intrinsèque ou extrinsèque ? Comment le Christ est-il notre justice ?
On ne précise pas que la justice que Notre-Seigneur nous a apportée est intrinsèque :
« 23a. Lorsque les luthériens insistent sur le fait que la justice du Christ est notre justice, ils veulent avant tout affirmer que par la déclaration du pardon le pécheur reçoit la justice devant Dieu en Christ et que sa vie n’est renouvelée qu’en union au Christ. »
Or la transformation intérieure par la grâce est indispensable pour le salut éternel. Les Luthériens, eux, ne croient que dans une déclaration extérieure de pardon et non pas dans une justice inhérente. La déclaration semble nier la réalité de la grâce :
« 27b. Il en résulte que la grâce justifiante ne devient jamais une possession de la personne dont cette dernière pourrait se réclamer face à Dieu. »
Mais si, justement ! Elle est la grâce habituelle ! Ce n’est pas parce qu’elle est un don surnaturel que l’on a le droit de dire une pareille chose. On en vient finalement à accepter l’expression « juste et pécheur » de Luther : juste parce que Dieu nous aurait pardonné, mais pécheur puisque rien n’aurait changé en nous.
« 29a. Les luthériens veulent exprimer cela lorsqu’ils disent que le chrétien est « à la fois juste et pécheur » : Il est entièrement juste car Dieu lui pardonne son péché par la parole et le sacrement, et lui accorde la justice du Christ qui dans la foi devient la sienne et fait de lui, en Christ et devant Dieu, une personne juste. »
Comment est-on uni au Christ par le Saint-Esprit ?
On ne précise pas si cette union est uniquement par la foi ou si elle requiert la charité :
« 15b. … car nous participons à cette justice par l’Esprit Saint et selon la volonté du Père. »
Quel renouvellement de vie la justification produit-elle ?
La vie dont parle le document pourrait très bien s’entendre de la vie de la foi… qui « libère » l’homme en l’assurant de son salut éternel !
« 26a… l’enseignement de « la justification par la foi seule » distingue mais ne sépare pas la justification et le renouvellement de la vie qui est une conséquence nécessaire de la justification et sans lequel il ne saurait y avoir de foi. »
Quel est cet amour ? Est-ce celui de Dieu (l’homme étant purement passif est intrinsèquement inchangé) ou celui de l’homme qui participe intrinsèquement et formellement à la nature divine ?
Le péché demeure-t-il dans le justifié ?
Est-ce le péché lui-même que Luther identifiait avec la concupiscence (qui faisait que tous les actes de l’homme sont des péchés) ou la concupiscence qui est une conséquence du péché sans être véritablement péché ? Selon Luther, la concupiscence, c’est le péché originel ! Le baptême ne l’enlève pas. Au contraire l’Église enseigne que ne demeurent que les conséquences du péché originel.
Le justifié demande-t-il pardon parce qu’il ne commet que des péchés ou parce que, fragile, il tombe bien souvent ?
Luther enseignait que toutes les actions de l’homme étaient péchés. Sa justice ne pouvait donc être qu’extrinsèque.
Or la déclaration professe cette fausse doctrine :
« 29b. Face à lui-même cependant, il reconnaît par la loi qu’il demeure aussi totalement pécheur, que le péché habite encore en lui… Cette opposition à Dieu est en tant que telle véritablement péché. »
Le concile de Trente a condamné la proposition selon laquelle les commandements seraient impossibles à observer.
Quel pardon est accordé au « justifié » ?
« 29c… Malgré le péché, le chrétien n’est plus séparé de Dieu car, né de nouveau par le baptême et le Saint-Esprit, il reçoit le pardon de son péché par le retour quotidien à son baptême ; ainsi son péché ne le condamne plus et n’entraîne plus sa mort éternelle. Lorsque les luthériens affirment que le justifié est aussi pécheur et que son opposition à Dieu est véritablement péché, ils ne nient pas que, malgré le péché, le justifié n’est plus, en Christ, séparé de Dieu et que son péché est un péché dominé. »
Pour Luther, le « pouvoir aliénant » du péché est aboli dans la mesure où par la foi, le péché n’empêche pas le « justifié » d’être sauvé dans la mesure où Dieu déclare qu’il est pardonné.
Comment dire : « son péché ne le condamne plus et n’entraîne plus sa mort éternelle », alors que c’est le contraire qui est vrai ! Évidemment cela pourrait se dire du péché véniel (distinction qui n’est pas faite) mais alors tout le passage n’a plus aucun sens.
« Inclination ne correspond pas au dessein originaire de Dieu sur l’humanité », et qui « se pose objectivement en contradiction avec Dieu ».
Ces expressions se retrouvent partout : elles permettent de dire de la concupiscence qu’elle est péché, mais sans le dire vraiment en raison de l’anathème du Concile de Trente.
Le mérite existe-t-il ? Comment le salut est-il immérité et comment mérite-t-on son salut ?
On insiste sur le fait que le salut est immérité sans préciser si c’est le fondement du salut qui est ainsi (ce qui serait vrai) ou si, même ayant reçu le don de la grâce, il n’est toujours pas possible d’acquérir de vrais mérites (ce qui est faux).
« 38… Lorsque les catholiques affirment le « caractère méritoire » des bonnes œuvres, ils entendent par là que, selon le témoignage biblique, un salaire céleste est promis à ces œuvres. Loin de contester le caractère de ces œuvres en tant que don ou, encore moins, de nier que la justification reste un don immérité de grâce, ils veulent souligner la responsabilité de la personne pour ses actions. »
Pourquoi mettre entre guillemets le mot de mérite ?
Mgr Fellay (conférence à Winona en février 2000) cite un commentaire protestant de l’université de Hong-Kong :
« Cela semble nier la position luthérienne soutenant que la justification vient de la foi seule (sola fide) par la grâce seule (sola gratia). Mais une analyse plus claire de ces termes montre que la conception [catholique] de ces bonnes œuvres est actuellement compatible avec celle des confessions luthériennes. » et Monseigneur commente : « Les protestants interprètent, dans leur sens à eux, le texte ambigu de la partie catholique. Ils ne font aucun pas vers nous. Ils analysent le discours catholique par rapport à leurs conceptions protestantes. Nous avons ici l’une des bases du dialogue œcuménique. »
La justice étant la foi-confiance, il n’y a pas de progrès dans la justification, si ce n’est dans les effets :
« 39b. En considérant les bonnes œuvres des chrétiens comme étant les « fruits » et les « signes » de la justification et non des « mérites » propres, ils [les luthériens] considèrent également, conformément au Nouveau Testament, la vie éternelle comme « salaire » non mérité dans le sens de l’accomplissement de la promesse de Dieu faite aux croyants. »
Ainsi les Luthériens parlent conformément au Nouveau Testament ! d’un mérite immérité ! Les bonnes œuvres ne seraient que des signes ou des conséquences. L’opposition avec la doctrine catholique est radicale !
Par quelle nécessité le juste accomplit-il de bonnes œuvres ?
On ne précise pas si les bonnes œuvres sont nécessaires comme la réponse naturelle de l’âme à la justification, ou si elles sont nécessaires pour le salut éternel et si elles sont justifiantes :
« 37. Nous confessons ensemble que les bonnes œuvres – une vie chrétienne dans la foi, l’espérance et l’amour – sont les conséquences de la justification et en représentent les fruits. »
La Loi n’est-elle qu’une règle de conduite ?
« 33. La loi, en tant que chemin du salut, étant accomplie et dépassée par l’Evangile, les catholiques peuvent dire que le Christ n’est pas un législateur comparable à Moïse. Lorsque les catholiques affirment que le justifié doit respecter les commandements de Dieu, ils ne nient pas que la grâce de la vie éternelle est miséricordieusement promise aux enfants de Dieu par Jésus Christ. »
Il suffit de relire le discours sur la Montagne pour voir que Notre-Seigneur fut « le » Législateur. Faut-il obéir aux commandements de Dieu pour se sauver ? Luther le nie !
La certitude quant au salut est-elle de l’ordre de la foi ou de l’espérance ?
La seule certitude que l’on peut avoir quant à son salut est de l’ordre de la vertu d’espérance. Dans la mesure où le chrétien prie, il ne sera pas tenté au-dessus de ses forces, et s’il fait l’effort de coopérer à la grâce, alors il sera sauvé. Mais c’est précisément de cela que Luther ne voulait plus. Il place la certitude au niveau de la foi et dispense ou plutôt interdit toute prétention de faire quelque chose pour son salut. Dieu fait tout et l’homme n’aurait qu’à croire !
« 35. Les réformateurs ont particulièrement souligné le fait que, dans l’épreuve, le croyant ne doit pas regarder vers lui-même mais, dans la foi, regarder vers le Christ et ne se confier qu’en lui seul. Dans la confiance en la promesse de Dieu, il a la certitude de son salut, alors qu’il n’en a aucune s’il ne regarde que vers lui-même. »
De quelle épreuve parle-t-on ? Luther parlait du péché ! C’est la foi seule qui sauve au point que les œuvres n’ont aucune influence sur le salut pour celui qui croit.
Les sacrements ne sont-ils que des professions de foi ?
On ne précise pas si les sacrements ont une causalité propre (ce que les protestants refusent) : « 16. La foi elle-même est don de Dieu par le Saint-Esprit qui agit dans la communauté des croyants par la parole et les sacrements… »
Conclusion
L’accord existe désormais !
Dès le début du document on affirmait l’accord auquel étaient parvenues les discussions doctrinales. Mais ils n’ont rien fait d’autre que de forger de savantes ambiguïtés. Il n’y a aucun accord :
« 40. La compréhension de la doctrine de la justification présentée dans cette déclaration montre qu’il existe entre luthériens et catholiques un consensus dans des vérités fondamentales de la doctrine de la justification. »
Il n’y a donc plus lieu de se condamner mutuellement !
« 41… l’enseignement des Eglises luthériennes présenté dans cette déclaration n’est plus concerné par les condamnations du Concile de Trente. » Même si on reconnaît que ce n’est qu’un « consensus »
Voilà l’expression qui est omniprésente, répétée à satiété : « consensus sur les vérités fondamentales de la doctrine de la justification ». Les points d’achoppement sont rendus confus puis considérés comme ne pouvant pas être l’objet d’une condamnation.
Concluons avec Mgr Fellay
Voici comment Monseigneur Fellay jugeait cette déclaration lors d’une conférence qu’il fit en l’an 2000 à Winona :
« Ce texte pose donc un problème majeur. Cette signature du 31 octobre 1999 est d’une gravité semblable à celle de l’événement d’Assise. Certes, cela est moins spectaculaire, mais la gravité est au moins aussi grande, car c’est le magistère qui est attaqué ici en lui-même, l’autorité de l’Église enseignante. Nous avons en même temps devant les yeux une manière de procéder qui servira dans les rapports avec les autres religions. Nous devons donc réagir vigoureusement en refusant d’entrer dans cette voie œcuménique, en rappelant clairement la doctrine catholique et en dénonçant les erreurs « à temps et à contretemps » (2 Tm 4, 2).
Abbé Thierry Gaudray, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Carillon du Nord n°179 /La Porte Latine du 27 décembre 2016