Entretien avec l’abbé Petrucci à propos du geste du Pape François envers les prêtres de la FSSPX

Révérend Don Pierpaolo,

la lettre récente du Pape à Mgr Rino Fisichella – qui conte­nait entre autre un décret sur la vali­di­té et la lici­té des confes­sions reçues par des prêtres de la FSSPX durant l’Année Sainte qui va commencer- a sus­ci­té des réac­tions contraires, cer­taines enthou­siastes jus­qu’à d’autres qui sont cri­tiques. Aussi je me per­mets de vous poser quelques brèves ques­tions pour que les choses soient plus claires :

Q1/​- Que pensez-​vous de la déci­sion du Saint Père ? Le Communiqué de la Maison Généralice y voit un « geste pater­nel ». Dans quel sens peut-​on com­prendre cette affirmation ?

Avant tout je tiens à vous remer­cier de me per­mettre d’ex­pri­mer clai­re­ment ma pen­sée à ce sujet, dans la mesure où elle a été res­ti­tuée par cer­tains organes de presse de manière impré­cise, voire par­fois même incorrecte.

La lettre du Pape concerne clai­re­ment les fidèles qui fré­quentent les églises qui sont des­ser­vies par nos prêtres et qui pour­raient res­sen­tir un cer­tain « malaise de vivre une condi­tion qui est pas­to­ra­le­ment dif­fi­cile ». Il arrive sou­vent, en effet, que des évêques ou des prêtres, abu­sant de leur auto­ri­té, tentent de déta­cher les fidèles des béné­fices spi­ri­tuels que ceux-​ci peuvent rece­voir en fré­quen­tant nos cha­pelles. À ce sujet, il nous vient à l’es­prit ce que Jésus disait à l’a­dresse des Pharisiens qui vou­laient éloi­gner de Lui les foules de fidèles((“Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypo­crites, qui fer­mez le Royaume des Cieux aux hommes ; en effet, vous n’en­tre­rez pas et vous empê­chez ceux qui vou­draient y entrer » (Mt. 23,13))). Pour ces per­sonnes qui s’ap­prochent de la Tradition, ou qui sou­hai­te­raient s’en appro­cher, mais qui par crainte des foudres de leur évêque ou de leur curé en sont empê­chées on peut dire, sans tom­ber dans des enthou­siasmes exa­gé­rés, que ce geste du Pape est un geste paternel.

Mais cela ne doit pas nous faire pour autant oublier le véri­table pro­blème qui est la révo­lu­tion opé­rée par le der­nier Concile et qui a été mise en place dans l’Eglise par les plus hautes auto­ri­tés – jus­qu’au chan­ge­ment actuel du Pape François – ce qui a pro­duit une pro­fonde crise dans l’Eglise et a créé un état de grave néces­si­té qui fonde notre droit à venir au secours des âmes par l’ad­mi­nis­tra­tion des Sacrements.

Q2/​- Nombreux sont les obser­va­teurs qui craignent que ce geste soit un piège pour « bâillon­ner » la Fraternité en vue des déci­sions qui pour­raient sur­gir pro­chai­ne­ment lors du Synode d’oc­tobre. Quelle est votre impression ?

La Fraternité Saint-​Pie X n’a jamais essayé de tro­quer une recon­nais­sance juri­dique contre un silence sur les graves erreurs qui ont péné­tré au sein de l’Eglise. Sa posi­tion est demeu­rée inchan­gée au cours de toutes ces années. Ce qui nous a valu plu­sieurs sanc­tions cano­niques, tout à fait illé­gales, qui n’ont aucu­ne­ment enta­mé notre posi­tion ancrée dans la Tradition de l’Eglise et clai­re­ment expri­mée dans son Magistère pérenne jus­qu’au Concile. Si ces der­niers temps ces sanc­tions pour­raient deve­nir caduques ne peut que nous confor­ter dans notre posi­tion et dans le com­bat que nous livrons pour la Foi et pour l’a­mour de l’Eglise. La Fraternité Saint-​Pie X conti­nue­ra par consé­quent à dénon­cer clai­re­ment, tout en res­pec­tant l’au­to­ri­té, tout ce qui s’é­loigne de la Foi et de la Morale.

En ce qui concerne le pro­chain Synode sur la Famille, la Fraternité s’est clai­re­ment expri­mée contre toute ten­ta­tive de modi­fier, dans la pra­tique, la Foi et la Morale, et elle conti­nue­ra de la faire, avec une atten­tion tout par­ti­cu­lière por­tée à la Doctrine sur l’Indissolubilité du mariage et au sixième com­man­de­ment : c’est un point qu’il n’est pas pos­sible, même au Pape, je ne dis pas de chan­ger dans la pra­tique, mais ne serait-​ce même que de dis­cu­ter sur cette pos­si­bi­li­té (de dis­so­lu­bi­li­té). Le récent Motu pro­prio sur la sim­pli­fi­ca­tion extrême des sen­tences de nul­li­té de mariage, qui anti­cipe les déci­sions du pro­chain Synode, a de quoi lais­ser pro­fon­dé­ment per­plexes quant à la pos­si­bi­li­té réelle de défendre cor­rec­te­ment les liens du Mariage ; ce Motu pro­prio semble déjà repré­sen­ter, en pra­tique, un dépas­se­ment de la Doctrine sur l’in­dis­so­lu­bi­li­té du Mariage.

Q.3/- Le ton du Communiqué de la Maison Généralice expri­mant sa gra­ti­tude envers le Souverain Pontife pour­rait faire pen­ser que la conces­sion papale ren­drait fina­le­ment valides les abso­lu­tions des prêtres de la FSSPX qui, donc, avant ne l’é­taient pas. Nous savons qu’il n’en est pas ain­si. Que pouvez-​vous nous dire à ce sujet ?

Commme je vous l’ai expli­qué, la vali­di­té et la lici­té de nos confes­sions est liée à l’é­tat de néces­si­té qu’il y a actuel­le­ment dans l’Eglise à cause de la pro­fonde crise qui la tour­mente, sur­tout depuis le der­nier Concile. Cet état de néces­si­té géné­rale, qui est com­pa­rable au dan­ger de mort de l’in­di­vi­du, est sti­pu­lé dans les Normes Générales du Code de Droit Canon, et les auto­ri­tés ne peuvent pas l’i­gno­rer. Cette juri­di­ci­ton extra­or­di­naire que l’Eglise accorde, au cas par cas, chaque fois que le bien des âmes l’exige, ne nous a jamais fait défaut.

Qu’outre cela, le Pontife recon­naisse publi­que­ment une juri­dic­tion délé­guée par lui, peut certes contri­buer à ras­su­rer les per­sonnes inquiètes car igno­rantes de com­ment le Droit ecclé­sias­tique peut s’ap­pli­quer dans la crise de l’Eglise que nous sommes en train de traverser.

D.4/- Certains jour­na­listes, Antonio Socci le pre­mier, s’é­tonnent de l’é­trange condes­cen­dance dont fait preuve le Pape François à l’é­gard de la FSSPX, com­pa­rée à la dure­té qu’il exprime envers d’autres Catholiques liés à la Tradition tels que le car­di­nal Burke, les Franciscains de l’Immaculée, Mgr Mario Oliveri, et d’autres. Comment expliquez-​vous cette appa­rente anomalie ?

On peut trou­ver une expli­ca­tion dans le fait que le Pape nous consi­dère comme fai­sant par­tie des « péri­phé­ries exis­ten­tielles » vers les­quelles « il faut se tour­ner » ; ou parce que, dans la mesure où il nous consi­dère juri­di­que­ment comme « non en pleine com­mu­nion », même si ce n’est pas de fait, il tente effec­ti­ve­ment de nous faire entrer dans la cage, avant de res­se­rer sur nous son étau ! Ce Pape s’est démon­tré sou­vent impré­vi­sible, et assez peu atta­ché à la Doctrine, quant à la pra­tique, et cela incite cer­tai­ne­ment à la prudence.

Q.5/- D’autres obser­va­teurs, peut-​être un peu malins, soup­çonnent que la conces­sion du Pape François ait été envi­sa­gée dans l’at­tente de contre­par­ties doc­tri­nales – quoique non expri­mées – de la part de la FSSPX. Pouvez-​vous nous dire à quel point en sont en réa­li­té les rap­ports actuels entre la Fraternité et Rome ?

Voila des années que cer­tains milieux accusent notre Fraternité de contre­par­ties, de pactes secrets ou de com­pro­mis avec les auto­ri­tés romaines. Heureusement pour ces per­sonnes que la para­noïa n’est pas une mala­die mor­telle ! Il suf­fit de lire les articles et les livres que nous publions pour se rendre compte de com­bien notre posi­tion est demeu­rée inchangée.

À ce sujet, nous recom­man­dons en par­ti­cu­lier la lec­ture de l’é­di­tion ita­lienne du livre de l’Abbé Matthias Gaudron : « Catéchisme catho­lique de la crise dans l’Église » (Catechismo del­la cri­si nel­la Chiesa), une belle syn­thèse de la doc­trine catho­lique par oppo­si­tion aux erreurs conciliaires.

Q.6/- Au cours du mois d’août der­nier, deux pré­lats romains, le car­di­nal Müller et Mgr Schneider, se sont expri­més de manière dif­fé­rente sur la FSSPX. Le pre­mier a de nou­veau évo­qué le « Préambule Doctrinal » ; le deuxième s’est au contraire décla­ré favo­rable à une recon­nais­sance sans condi­tions. La déci­sion du Pape François semble plu­tôt aller dans la deuxième direc­tion. Qu’en pensez-​vous ?

Depuis le début des pro­blèmes avec les auto­ri­tés romaines, Mgr Lefebvre a contes­té la sup­pres­sion inique de notre Fraternité Sacerdotale, qui avait été régu­liè­re­ment recon­nue, tout d’a­bord par l’é­vêque de Lausanne-​Fribourg, Mgr François Charrière, puis par Rome. Il a tou­jours consi­dé­rée inva­lide la pro­cé­dure de sup­pres­sion, y com­pris d’un point de vue pure­ment canonique.

Reconnaître que de fait la Fraternité Saint-​Pie X est et a tou­jours été une œuvre d’Église devrait être le point de départ, sans qu’il soit besoin d’é­crire un « Préambule doc­tri­nal » ambi­gu, qui pour­rait don­ner l’im­pres­sion d’une accep­ta­tion de notre part des nou­velles doc­trines conci­liaires et donc des consé­quences désas­treuses qu’elles ont pro­vo­quées dans l’Église.

N’oublions pas que la ques­tion juri­dique de la Fraternité est inti­me­ment liée aux pro­blèmes doc­tri­naux à l’in­té­rieur de l’Église ; sans ces pro­blèmes doc­tri­naux, la ques­tion n’au­rait pas été évo­quée ; et une fois que ces pro­blèmes doc­tri­naux seront réso­lus, elle n’au­ra plus de rai­son d’être.

Q.7/– Pensez-​vous que la FSSPX célé­bre­ra l’Année Sainte de la Miséricorde par un pèle­ri­nage inter­na­tio­nal ou natio­nal à Rome ?

Je ne pense pas que cela sera pos­sible. Un Jubilé, comme le mot l’in­dique, est l’oc­ca­sion de se réjouir pour un anni­ver­saire impor­tant dans l’Église. En l’an 2000 la Fraternité avait par­ti­ci­pé mas­si­ve­ment à l’é­vè­ne­ment indic­té en mémoire de la Rédemption. Or, dans la Bulle d’in­dic­tion du pro­chain Jubilé, le Pape affirme expli­ci­te­ment que son but sera de célé­brer le Concile Vatican II, à cin­quante ans de sa clôture.

Je crois réel­le­ment qu’il sera impos­sible de se réjouir de cet évè­ne­ment dont Monseigneur Lefèbvre com­pa­rait la gra­vi­té à une troi­sième guerre mondiale.

Don Pierpaolo Petrucci, Supérieur du District d’Italie

- Traduction de O.C. pour LPL