L’Église a clairement définit dans son magistère pérenne la doctrine catholique sur le salut des âmes. Une dénaturation, en revanche, advint durant le Concile Vatican II, où se vérifie un volte-face radical sur l’Église et son rôle d’évangélisation.
La nouvelle base doctrinale sur laquelle ces changements se fondent peut se résumer en une parole : œcuménisme.
Le terme œcuménisme désigne un mouvement, né dans des groupes de non-catholiques du XIXe siècle, qui a pour but la collaboration et le rapprochement des diverses confessions chrétiennes. Ce courant parvint en 1948 à la fondation du Conseil œcuménique des Églises et les mêmes principes ont conduit ensuite au dialogue interreligieux avec les religions non-chrétiennes.
L’Église en prit tout de suite ses distances et le pape Pie XI publia, déjà en 1928, l’encyclique Mortalium animos, dans laquelle il le condamnait, non seulement parce qu’inopportun à cause des circonstances, mais parce que les principes auxquels il faisait appel sont contraires à la foi et à la bonne doctrine, puisqu’ils induisent la confusion dans les âmes et le relativisme, laissant croire que chaque religion peut contribuer au salut.
Cette encyclique est très claire et je dirais presque prophétique, parce que avec elle le magistère de l’Église condamne par anticipation les erreurs actuelles.
Nous en reproduisons les passages les plus significatifs :
« Il est vrai, quand il s’agit de favoriser l’unité entre tous les chrétiens, certains esprits sont trop facilement séduits par une apparence de bien. (…) De telles entreprises ne peuvent, en aucune manière, être approuvées par les catholiques, puisqu’elles s’appuient sur la théorie erronée que les religions sont toutes plus ou moins bonnes et louables. (…) En vérité, les partisans de cette théorie s’égarent en pleine erreur, mais de plus, en pervertissant la notion de la vraie religion ils la répudient, et ils versent par étapes dans le naturalisme et l’athéisme. La conclusion est claire : se solidariser des partisans et des propagateurs de pareilles doctrines, c’est s’éloigner complètement de la religion divinement révélée.
Dans ces conditions, il va de soi que le Siège Apostolique ne peut, d’aucune manière, participer à leurs congrès et que, d’aucune manière, les catholiques ne peuvent apporter leurs suffrages à de telles entreprises ou y collaborer ; s’ils le faisaient, ils accorderaient une autorité à une fausse religion chrétienne, entièrement étrangère à l’unique Église du Christ. (…) Il n’est pas permis, en effet, de procurer la réunion des chrétiens autrement qu’en poussant au retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ, puisqu’ils ont eu jadis le malheur de s’en séparer. (…) La conclusion est claire : se solidariser des partisans et des propagateurs de pareilles doctrines, c’est s’éloigner complètement de la religion divinement révélée. »
De ce texte magistral on en déduit diverses vérités de foi, comme la claire identification de l’Église du Christ comme l’Église catholique laquelle possède en soi l’unité de la foi, contrairement à ceux qui s’en sont éloignés. Ceux-ci pourront la retrouver seulement en revenant à la bergerie dont ils se sont séparées c’est-à-dire l’Église catholique. Le Pontife enseigne clairement que c’est contraire à la religion révélée de contribuer à des réunions inter-religieuse entre chrétiens, parce que celles-ci présupposent que toutes les diverses religions sont toutes bonnes et louables.
Pour ces raisons l’Église s’est toujours efforcée de ramener à l’unité du Corps mystique les membres des communautés séparées. Il suffit de penser au concile de Lyon (1245–0274) et au concile de Florence (1439) par rapport aux schismatiques.; à la supplique de Pie IX à l’occasion du concile Vatican Ier et à celle de Léon XIII aux confessions chrétiennes en 1894.
Le concile Vatican II
Le concile Vatican II a consacré le décret Unitatis redintegratio à l’œcuménisme et la déclaration Nostra aetate au dialogue interreligieux.
Une nouvelle doctrine est à la base de ces textes, qui présentent les autres confessions chrétiennes et aussi les religions non chrétiennes comme des expressions, moins parfaites mais valables, de la religion divine et donc comme chemins qui conduisent réellement à Dieu et au salut éternel.
De tels enseignement se relient à une nouvelle conception de l’Église qui trouve son fondement dans la fameuse affirmation de la Constitution Lumen gentium au n° 81, selon laquelle l’Église du Christ subsiste dans celle catholique. Avec cela on veut signifier, comme il apparaît du contexte conciliaire, que l’Église du Christ ne correspond pas à l’Église romaine, visible dans son apparat hiérarchique, à laquelle on appartient par la foi, le baptême et la soumission aux pasteurs légitimes, mais qu’en réalité elle est plus ample, une entité plus vaste qui comprend toutes les religions chrétiennes et, par extension, aussi celles non chrétiennes, dont Dieu se sert comme moyen pour conduire les hommes au salut.
Le pasteur protestant Wilhelm Schmidt, observateur au concile, a revendiqué la paternité de cette nouvelle expression :
« J’ai proposé par écrit la formule « subsistit in »(1) à celui qui était alors le conseiller théologique du cardinal Frings, Joseph Ratzinger, qui l’a transmise alors au cardinal. »
L’Église du Christ, donc, se réaliserait parfaitement dans l’Église catholique (sa subsistance) mais elle s’étendrait en-dehors d’elle de manière imparfaite, grâce à « des éléments ecclésiale » présents dans d’autres confessions chrétiennes.
Le décret Unitatis redintegratio confirme cette nouvelle doctrine avec des paroles très claires :
« En conséquence, ces Églises et communautés séparées, bien que nous croyions qu’elles souffrent de déficiences, ne sont nullement dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut. L’Esprit du Christ, en effet, ne refuse pas de se servir d’elles comme de moyens de salut, dont la vertu dérive de la plénitude de grâce et de vérité qui a été confiée à l’Église catholique. »
D’une telle théorie il résulte que la grâce du salut peut être concéder en-dehors de l’Église catholique, sans son intermédiaire, dans une autre religion et par une autre religion.
Ainsi l’Église romaine n’est plus présentée comme l’unique société religieuse qui conduit au salut, et les autres confessions chrétiennes (et aussi les religions non chrétiennes comme il ressort de Nostra aetate) sont considérées comme d’autres expressions, moins parfaites mais valables, de la religion divine et donc comme chemins qui conduisent réellement à Dieu et au salut éternel.
Une telle interprétation a été confirmée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi dans la déclaration Dominus Jesus du 6 août 2000(2), par laquelle on rejette l’interprétation moderniste la plus extrême, selon laquelle l’Église catholique ne serait qu’une réalisation parmi les autres de l’Église du Christ. On y affirme en effet que l’Église du Christ continue à exister dans sa plénitude dans l’Église catholique, mais on réitère que de nombreux éléments de sanctification et de vérité subsisteraient en-dehors de ses structures, c’est-à-dire dans les églises et communautés séparées qui ne sont pas encore en pleine communion avec elle, réaffirmant ainsi l’enseignement du concile.
Ceci ne correspond absolument pas à la doctrine traditionnelle et Pie XII enseignait clairement qui s’il est vrai que par exception le salut pourrait se réaliser en-dehors des limites visibles de l’Église, cela ne peut se produire que de manière strictement individuelle, toujours à travers la vraie Église et non par la médiation des fausses religions. Celles-ci, en effet, par leurs erreurs éloignent plutôt les hommes de la voie de la justification.
Vatican II, au contraire, affirme que le salut peut se réaliser, bien qu’imparfaitement, en dehors des limites visibles de l’Église, d’une manière non seulement individuelle, mais sociale : l’Esprit-Saint utiliserait la médiation sociale et visible des autres religions pour dispenser le salut, médiation bien réelle, même si moins parfaite, de celle de l’Église catholique qui devient ainsi le moyen général du salut, à côté d’économies imparfaites, mais valides, dont le Christ peut se servir. C’est l’affirmation explicite de Unitatis redintegratio, avec laquelle l’enseignement de Jean-Paul II in Redemptoris missio se trouve en parfaite continuité.
De là naît la nouvelle notion de « communion imparfaite ».
L’enseignement traditionnel de l’Église est simple : pour être sauvé il faut appartenir à l’Église ou réellement (à travers les trois conditions classiques : baptême, foi catholique, soumission aux pasteurs légitimes) ou au moins de vœu (par un désir explicite ou implicite). Ceux, donc, qui n’appartiennent pas à l’Église et qui n’en ont aucun désir même implicite, ne peuvent pas, dans ces dispositions, obtenir le salut.
Selon certains textes conciliaires, en revanche, les chrétiens non catholiques seraient en soi en « communion imparfaite » avec l’Église, et tous les hommes, même les non chrétiens, seraient « ordonnés au peuple de Dieu ».
Le décret Unitatis redintegratio, parlant des célébrations des communautés schismatiques orthodoxes, affirme que :
« Ainsi donc, par la célébration de l’Eucharistie du Seigneur dans ces Églises particulières, l’Église de Dieu s’édifie et grandit, la communion entre elles se manifestant par la concélébration. »
Avec ce texte on comprend clairement qu’une communauté séparée de la vraie Église catholique est considérée appartenir à « l’Église de Dieu ».
La déclaration Nostra aetate, ensuite, chante des hymnes de louanges en l’honneur de l’hindouisme, du bouddhisme, de l’islamisme et du judaïsme.
Le Postconcile
Ces nouvelles doctrines enseignés au Concile ont été explicitées dans les années suivantes dans leur sens évident.
Le cardinal Wojtyla, durant la retraite qu’il prêcha au Vatican en 1976, développa la thèse selon laquelle tous les hommes, quelle que soit sa religion, prient le vrai Dieu :
« Ce Dieu, dans son silence, que professe le trappiste ou le camaldule. A lui s’adresse le bédouin dans le désert, quand arrive l’heure de la prière. E peut-être aussi le bouddhiste concentré dans sa contemplation qui purifie sa pensée en préparant la route au nirvana. Dieu, dans sa transcendance absolue, Dieu qui transcende absolument tout le créé, tout ce qui est visible et compréhensible. »
Une fois élu pape, Jean-Paul II dans son encyclique Ut unum sint (n°11) affirma que :
« Dans les autres communautés chrétiennes il y a une présence active de l’unique Église du Christ. »
Dans l’encyclique Redemptor hominis il cherche une justification patristique aux nouvelles doctrines :
« A juste titre les pères de l’Église voyaient dans les diverses religions comme autant de reflets d “une unique vérité, comme des « semences du Verbe. »
Il se réfère à saint Justin et à saint Clément d’Alexandrie. Le Concile avait lancé cette idée mais les Pères de l’Église n’ont reconnu rien de tel. Leurs textes, qui sont invoqués, ne parlent en réalité d’aucune religion païenne, mais des philosophes et des poètes. Saint Justin précise que cette « semence » répandue sur toute l’humanité est la raison naturelle et il la distingue avec soin de la grâce.
Personne ne peut nier que, suite aux nouvelles doctrines enseignées par le Concile, il y ait eu un vrai changement dans l’attitude envers ces autres religions. L’Église a toujours essayé d’évangéliser les adeptes des fausses religions pour les convertir, tandis que l’église post-conciliaire, en revanche, assume l’attitude du « dialogue ».
Le document Dialogue et mission du Secrétariat pontifical pour les non chrétiens l’affirme clairement :
« Vatican II a marqué une nouvelle étape dans les relations de l’Église catholique avec les croyants des autres religions. (…) Cette nouvelle attitude prend le nom de dialogue. »
Au n°13 de ce document, on parle de dialogue comme du moyen « grâce auquel les chrétiens rencontrent les croyants des autres traditions religieuses pour cheminer ensemble à la recherche de la vérité et pour collaborer à des œuvres d’intérêt commun.. »
Si les catholiques « cheminent » avec les non chrétiens à la recherche de la vérité, et il s’agit d’un enrichissement réciproque, il est clair que l’Église abandonne la prétention de posséder seule la vérité.
C’est ce qui ressort aussi de la déclaration Nostra aetate, dans laquelle on lit au n° 2 :
« L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. »
Dans ce texte fondamental on enseigne, disons-le clairement, que dans les religions non chrétiennes existeraient « des doctrines » qui, même si elles diffèrent « de ce que l’Église tient et propose », refléteraient cependant « un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. » Cette affirmation incroyable suppose que ces religions peuvent contenir des vérités manifestées par Dieu, mais en contradiction avec ce que l’Église enseigne ! Comme si Dieu, auteur de la vraie Révélation confiée à l’Église, pouvait se contredire ! Se faisant l’écho de cet enseignement, le pape François dans son Exhortation apostolique (3), va jusqu’à affirmer que certains rites des non chrétiens seraient « fruit de l’action divine » à cause de la « dimension sacramentelle de la grâce » !
Les confessions chrétiennes non catholiques, en définitive, ne peuvent se considérer réalisations partielles de l’Église du Christ parce que cela s’oppose au magistère de l’Église, synthétisé dans l’encyclique Mystici Corporis, dans laquelle Pie XII rappelle clairement que sans le baptême, la vraie foi et la soumission à l’autorité légitime on ne peut être membre de l’Église.
Ces sectes donc (pour les appeler avec leur vrai nom) ne peuvent être en aucune manière des moyens de salut, ni ordinaires ni extraordinaires, bien au contraire, objectivement, elles deviennent pour leurs membres des obstacles pour y parvenir. Les réalités saintes indubitablement détenues par les hérétiques ou les schismatiques, comme l’Écriture Sainte pour les protestants (plus ou moins altérée), les sacrements pour les schismatiques orientaux, ne peuvent donner la grâce et le salut si ce n’est dans la mesure avec laquelle ceux qui les reçoivent refusent (au moins implicitement) l’adhésion formelle à l’hérésie ou au schisme. La théologie traditionnelle ne désigne pas ces réalités « volées » à l’Église catholique comme des « éléments de sanctification » ou comme des « éléments ecclésiales », mais plutôt comme des « vestiges » de la vraie religion ; en effet, soustraits à la vraie Église, ils cessent par le fait même d’être une réalité vivante (et sanctifiante) et ils tombent en ruines.
Si certains sacrements, comme le baptême, peuvent être valides dans certaines communautés séparées, ils ne sont pas en soi fructueux dans le sens qu’ils ne produisent pas la grâce à cause de l’obstacle que pose l’adhésion à l’hérésie ou au schisme de qui les reçoit.
Un sacrement en effet, même si reçu validement, peut ne pas produire la grâce s’il rencontre dans l’âme un obstacle comme le péché mortel. Recevoir dans cet état par exemple la confirmation ou le mariage non seulement ne serait pas source de grâces, mais constituerait un nouveau péché : un sacrilège. L’appartenance au schisme est en soi un péché grave, et constitue un empêchement à la grâce.
Aussi, une réalité en soi sainte, comme un sacrement, ne peut être « un élément de sainteté » en tant que tel (comme le soutient le Concile), dans une communauté séparée de l’Église.
Une telle communauté est en soi un empêchement à l’efficacité sanctificatrice du sacrement dont elle s’est emparée. Ce dernier pourra être fructueux seulement si la personne qui le reçoit se trouve dans la situation exceptionnelle de ne pas adhérer formellement à l’hérésie ou au schisme. C’est le cas des enfants avant l’âge de raison ou des personnes qui se trouvent dans l’ignorance invincible qui, cependant, ne peut se supposer chez les adultes.
Saint Bède le Vénérable, dans son commentaire sur la première épître de saint Pierre, explique très clairement que pour les baptêmes en dehors de l’Église, le baptême n’est pas un instrument de salut, mais plutôt de damnation :
« Le fait que l’eau du déluge ne sauve pas, mais tue ceux qui sont en dehors de l’arche, préfigure sans aucun doute que l’hérétique, bien qu’il possède le sacrement de baptême, n’est pas immergé en enfer par d’autres eaux, mais précisément par celles qui soulèvent l’arche vers le ciel. »
La participation active à une cérémonie religieuse d’une communauté hérétique ou schismatique constitue en soi, par sa nature propre, un assentiment à la foi de cette communauté. Pour cela recevoir un sacrement dans ces conditions devient peccamineux et est occasion de scandale.
Lumineux est l’exemple de saint Satyr, frère de saint Ambroise. Lorsqu’il était encore catéchumène, durant un voyage en mer il se retrouva pris dans une tempête et fit naufrage en Sardaigne. Il aurait voulu recevoir le baptême mais, une fois appris que l’évêque local adhérait au schisme de Lucifer, évêque de Cagliari, il décida de le repousser jusqu’à ce qu’il trouve un évêque fidèle au pape.
En conclusion, les bons éléments que peuvent contenir les fausses religions doivent être considérés dans le contexte de la secte qui en emprisonne la force salvatrice. Même dans l’ordre naturel un gâteau est jugé bon ou mauvais non seulement à partir des aliments qu’il contient mais aussi par le tout. La mauvaise répartition des ingrédients, excellents en soi, peut être suffisante à gâcher l’ensemble. L’introduction d’un seul ingrédient avarié peut faire pire encore ; le fait, ensuite, d’ajouter quelques gouttes de poison aura, sur l’effet final, un poids majeur que les bons ingrédients.
Dans l’ordre spirituel, une religion n’est pas seulement un agglomérat d’éléments : elle forme un tout et ce tout est bon ou mauvais, vrai ou faux dans son tout. Peut importe les bons éléments pris séparément.
Les vérités partielles, contenues dans un système faux ou dans une religion fausse, sont réduites en esclavage par ce système qui s’empare d’elles et les utilise à son profit, comme force de séduction.
L’islam, par exemple, se présente comme une religion monothéiste. Cet aspect est juste et raisonnable, mais ce monothéisme est férocement anti-trinitaire. Le monothéisme, vrai en soi, est faussé par le système d’erreurs dont il est esclave. Bien qu’il y ait des degrés dans l’erreur, on peut dire paradoxalement qu’un système qui reprend plus d’éléments de vérité est plus dangereux d’un autre qui en possède moins. Une chaise à trois pieds qui se tient droite est plus dangereuse qu’une chaise qui en a seulement deux, parce qu’on peut se tromper et s’asseoir dessus. Les missionnaires en effet ont toujours eu plus de difficultés à convertir des musulmans que des animistes.
Pour découvrir l’origine de ces erreurs il faut remonter à la doctrine de Rahner, selon laquelle les religions non chrétiennes seraient un christianisme anonyme et donc des voies de salut « par lesquelles les hommes s’avancent vers Dieu et son Christ. »
La rédemption universelle
La doctrine catholique nous enseigne que Jésus-Christ, en mourant sur la Croix, a offert à tous les hommes la possibilité de se sauver, en méritant pour tous les grâces suffisantes pour arriver au Paradis. Mais pour être sauvé, de fait, il convient d’être uni à Jésus dans cette vie à travers la vraie foi, le baptême et la grâce sanctifiante qui nous rend effectivement ses enfants, nous donnant ainsi la possibilité de mériter la vie éternelle. Si quelqu’un refuse la grâce, il reste dans un état de perdition.
Lors du dernier concile, en revanche, on a mis les bases d’une nouvelle doctrine. Gaudium et spes au n° 22, 2, affirme que « avec l’Incarnation le Fils de Dieu s’est uni d’une certaine manière à chaque homme. » Par la suite cette affirmation a été explicitée dans le sens que, à cause de cette union réalisée avec l’Incarnation et par la mort de Jésus sur la croix, chaque homme serait déjà sauvé.
L’alors cardinal Wojtyla, au cours d’exercices spirituels prêchés au Vatican, enseignait que :
« Tous les hommes, depuis le début du monde et jusqu’à sa fin, ont été rachetés et justifiés par le Christ et par sa Croix. (…) La naissance de l’Église, au moment de la mort messianique et rédemptrice du Christ, a été aussi, en substance, la naissance de l’Homme, et elle l’a été indépendamment du fait que l’homme le sache ou pas, l’accepte ou pas ! A cet instant l’homme est passé à une nouvelle dimension de son existence, succinctement exprimée par saint Paul : « in Cristo. » « La Révélation consiste dans le fait que le Fils de Dieu, à travers son Incarnation, s’est uni à chaque homme. »
Comme pape, il reprendra cet enseignement dans sa première encyclique(4) :
« Il s’agit de chaque homme, parce que chacun a été compris dans le mystère de la Rédemption, et avec chacun le Christ s’est uni, pour toujours, à travers ce mystère. (…) C’est l’homme dans toute la plénitude du mystère dont il est devenu participant en Jésus-Christ, mystère dont devient participant chacun des quatre milliards d’hommes vivants sur notre planète, du moment où il est conçu sous le cœur de sa mère. »
Si l’homme est uni dès l’instant de sa conception au Christ, on ne voit plus trop quel est le besoin du baptême et de l’appartenance à l’Église.
Le 21 février 1981, dans son message aux peuples d’Asie, Jean-Paul II affirmait encore plus clairement :
« Dans l’Esprit-Saint chaque personne et chaque peuple sont devenus, par la croix et la résurrection du Christ, des enfants de Dieu, prenant part à la nature divine et héritier de la vie éternelle. »
L’Ancienne Alliance
Jean-Paul II, plusieurs fois, a pris l’initiative de développer cette nouvelle doctrine dans son enseignement par rapport au judaïsme actuel, en le reconnaissant comme voie de salut, puisque l’Ancienne Alliance serait encore en vigueur. En 1980, au cours de sa visite à la synagogue de Magonza, il dit :
« La rencontre entre le peuple de Dieu de l’Ancienne Alliance, qui n’a jamais été abrogée par Dieu (cf. Rm 11, 29), et celui de la Nouvelle Alliance, est en même temps un dialogue interne dans notre Église, d’une certaine manière entre la première et la seconde partie de sa Bible. »
Plus tard, en 1986, s’adressant à la communauté juive d’Italie, lors de sa visite à la synagogue de Rome, il déclarait :
« L’Église du Christ découvre son lien avec le judaïsme « en scrutant son propre mystère » (cf. Nostra aetate, 4). La religion juive ne nous est pas « extrinsèque », mais, d’une certaine manière, « intrinsèque » à notre religion. Nous avons donc à son égard des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères de prédilection et, d’une certaine façon, nous pourrions dire nos frères aînés. »
Ces considérations sont, d’autre part, l’enseignement du Catéchisme de l’Église catholique qui récite au n° 83920 :
« A la différence des autres religions non-chrétiennes la foi juive est déjà réponse à la révélation de Dieu dans l’Ancienne Alliance. C’est au Peuple Juif qu’ » appartiennent l’adoption filiale, la gloire, les alliances, la législation, le culte, les promesses et les patriarches, lui de qui est né, selon la chair le Christ » (Rm 9, 4–5) car » les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11, 29). »
Il a quelques années, le cardinal Bagnasco, rencontrant les rabbins Laras et Di Segini, soulignait clairement que :
« Il n’y a pas, de la manière la plus absolue, aucun changement dans l’attitude que l’Église catholique a développé envers les juifs, surtout à partir du concile Vatican II. A cet égard, la Conférence Épiscopale Italienne confirme que ce n’est pas l’intention de l’Église catholique d’œuvrer activement pour la conversion des juifs. »
Même le pape François dans sa récente Exhortation apostolique souligne le concept erroné selon lequel l’Ancienne Alliance n’aurait jamais été révoquée.
La renonciation à convertir
Dans d’autres texte de l’enseignement post-conciliaire, on affirme clairement la renonciation de l’Église à un apostolat tourné vers la conversion des non chrétiens, en se basant sur les nouvelles doctrines du Concile. Citons, par exemple, monseigneur Rossano, Recteur de l’Université Pontificale du Latran. Dans son discours à la conférence promue par le Conseil Pontifical du Dialogue inter-religieux, à l’occasion de l’anniversaire de sa fondation et de la déclaration Nostra aetate, il affirmait :
« Avec la déclaration conciliaire du 28 octobre 1965, le dialogue devient « une forme particulière à part entière » qui inaugure une nouvelle « méthodologie missionnaire » basée sur « la réciprocité du rapport existentiel ». L’autre n’est plus « objet de mission, mais sujet concret dont on s’approche avec le regard tourné vers « ce qui est commun ».
La même attitude a été adoptée envers les communauté schismatiques. A ce propos la lecture de la Convention de Balamand (Liban) du 23 juin 1993 est très intéressante.
Après le XIe siècle, diverses parties de l’église orientale qui avaient adhéré au schisme se sont réunie à Rome, reconnaissant le primat du Souverain Pontife tout en conservant leur rite, comme cela était avant le schisme. Après les changements politiques intervenus en Union Soviétique, ces Églises, dîtes Uniates parce que revenues à la communion de l’Église catholique, ont connu un grand développement. Beaucoup, en effet, persévéraient dans le schisme uniquement en raison de la pression externe, mais ils avaient le désir de s’unir à Rome. Face à ce mouvement, les autorités orthodoxes menacèrent de rompre les relations œcuméniques avec Rome. La Conférence de Balamand fut une tentative de sauver l’œcuménisme. Le texte de la déclaration se trouve sur le site du Vatican (en anglais et en français). On y déclare ouvertement la volonté d’abandonner toute tentative d’apostolat tourné vers la conversion des grecs-schismatiques.
Voici les points les plus importants :
12 : « cette forme « d’apostolat missionnaire », … qui a été appelée « uniatisme », ne peut plus être acceptée ni en tant que méthode à suivre, ni en tant que modèle de l’unité recherchée par nos Églises. »
13 : « depuis les conférences pan-orthodoxes et le deuxième Concile du Vatican, la redécouverte et la remise en valeur tant par les orthodoxes que par les catholiques, de l’Église comme communion, ont changé radicalement les perspectives et donc les attitudes. »
22 : « L’action pastorale de l’Église catholique tant latine qu’orientale ne tend plus à faire passer les fidèles d’une Église à l’autre ; c’est-à-dire ne vise plus au prosélytisme parmi les orthodoxes. »
30 : Il faut dépasser « l’ecclésiologie périmée du retour à l’Église catholique. »
35 : « En excluant pour l’avenir tout prosélytisme et toute volonté d’expansion des catholiques aux dépens de l’Église orthodoxe, la commission espère qu’elle a supprimé l’obstacle qui a poussé certaines Églises autocéphales à suspendre leur participation au dialogue théologique et que l’Église orthodoxe pourra se retrouver au complet pour continuer le travail théologique si heureusement commencé. »
Dans ce contexte doctrinal, les affirmations de François dans l’interview donnée à Scalfari où il déclare n’avoir aucune intention de le convertir et que « le prosélytisme est une bêtise » n’étonnent plus. Elles s’insèrent dans une parfaite continuité avec ce nouvel enseignement, mais en contraste avec le magistère pérenne de l’Église.
La nouvelle évangélisation
Face à cette nouvelle doctrine, on peut se demander alors : on quoi consiste la nouvelle évangélisation dont on parle tellement depuis le Concile ?
En premier il faut noter que, même si on parle d’évangéliser, on ne reconnaît plus la nécessité de convertir à Jésus-Christ et à l’Église. Ce langage a disparu après le Concile. Pour comprendre en quoi consiste la nouvelle évangélisation, nous possédons une grille de lecture dans le discours à la curie romaine que Benoît XVI prononça le 21 décembre 2007, et dans lequel il explique ce que signifie être missionnaire aujourd’hui. En voici les morceaux les plus significatifs :
« Est-il encore licite aujourd’hui d” »évangéliser » ? Toutes les religions et les conceptions du monde ne devraient-elles pas plutôt coexister pacifiquement et chercher à réaliser ensemble le meilleur pour l’humanité, chacune à sa manière ? De fait, il est indiscutable que nous devons tous coexister et coopérer dans la tolérance et dans le respect réciproques. L’Église catholique s’engage en ce sens avec une grande énergie et, avec les deux rencontres d’Assise, elle a aussi laissé des indications claires dans ce sens, des indications que nous avons à nouveau repris dans la rencontre de Naples de cette année. (…)
La reconnaissance commune de l’existence d’un Dieu unique, Créateur providentiel et Juge universel du comportement de chacun, constitue la prémisse d’une action commune en défense du respect effectif de la dignité de chaque personne humaine pour l’édification d’une société plus juste et solidaire.
Mais cette volonté de dialogue et de collaboration signifierait-elle également dans le même temps que nous ne pouvons plus transmettre le message de Jésus Christ, que nous ne pouvons plus proposer aux hommes et au monde cet appel et l’espérance qui en découle ? Celui qui a reconnu une grande vérité, qui a trouvé une grande joie, doit la transmettre, il ne peut absolument pas la garder pour lui. Des dons si grands ne sont jamais destinés à une seule personne. En Jésus Christ est née pour nous une grande lumière, la grande Lumière : nous ne pouvons pas la mettre sous le boisseau, mais nous devons l’élever sur le lampadaire, pour qu’elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison (cf. Mt 5, 15). Saint Paul a été inlassablement en chemin en apportant avec lui l’Évangile. Il se sentait même soumis à une sorte de « nécessité » d’annoncer l’Évangile (cf. 1 Co 9, 16) – non tant du fait d’une préoccupation pour le salut de la personne non baptisée, qui n’avait pas encore été touchée par l’Évangile, que parce qu’il était conscient que l’histoire dans son ensemble ne pouvait pas arriver à son achèvement tant que la totalité (pléroma) des peuples n’aurait pas été touchée par l’Évangile (cf. Rm 11, 25). Pour parvenir à son achèvement, l’histoire a besoin de l’annonce de la Bonne Nouvelle à tous les peuples, à tous les hommes (cf. Mc 13, 10). »
Dans ce texte, traitant d’évangélisation, on n’évoque nullement l’urgence de convertir les âmes qui sont dans l’erreur à la vraie foi catholique pour leur salut. Il s’agit plutôt de vivre ensemble dans le respect réciproque de toutes les religions, comme l’ont démontré les différentes réunions inter-religieuses dans lesquelles on demandait aux représentants de toutes les religions de prier pour la paix, « pour l’édification d’une société plus juste et solidaire. » La nouvelle évangélisation part d’un autre fondement : « qui a trouvé une grande joie, doit la transmettre, il ne peut absolument pas la garder pour lui » et cela, comme ce fut le cas pour saint Paul » non tant du fait d’une préoccupation pour le salut de la personne non baptisée » mais parce que » pour parvenir à son achèvement, l’histoire a besoin de l’annonce de la Bonne Nouvelle à tous les peuples, à tous les hommes. »
En cohérence avec le nouvel enseignement inauguré au Concile et développé par Jean-Paul II, il semble que la mission de l’Église soit donc devenue celle d’annoncer à chaque homme la grande joie qu’il est, en vertu du mystère de l’Incarnation,et même s’il l’ignore, uni à Jésus-Christ et par le fait même déjà sauvé.
Puisqu’il n’y a plus la nécessité de la conversion à la vraie foi et à l’Église catholique pour obtenir le salut éternel, les hommes des autres religions doivent travailler ensemble dans « le respect et la tolérance » pour « l’édification d’une société plus juste et solidaire. »
A la « seule foi » de Luther pour le salut, il semble qu’on veuille substituer « la seule Incarnation. »
Mais on s’incarnant, le Verbe divin a assumé une seule nature humaine, celle de Jésus-Christ, et pas celle de chaque homme. S’il est vrai que Jésus est mort pour tous, il est tout autant vrai que pour bénéficier des fruits de sa rédemption, il faut être uni à lui à travers la foi et la vie de la grâce, dans la vraie Église fondée par lui.
L’œcuménisme, au lieu d’être une exigence de la charité, comme on cherche à nous le faire croire, est un péché contre elle. Le vrai amour, en effet, réclame qu’on veuille le bien de notre prochain et le bien le plus grand est de le conduire à la vérité, pour qu’il puisse accéder à la vie éternelle.
L’œcuménisme, au contraire, abandonne les hommes dans leurs erreurs, les réconforte en elles, leur laissant croire qu’ils pourront être sauvés grâce au secours de leurs fausses religions.
Ceux qui propagent ces nouvelles doctrines agissent comme un médecin qui, au lieu d’avertir le malade de la gravité de son mal et de le soigner, l’entretient dans ses illusions.
A cinquante ans du Concile, face aux tentatives ecclésiastiques de continuer à soutenir le mythe désormais en ruines, il est nécessaire plus que jamais de considérer lucidement et avec objectivité les nouvelles doctrines qu’il a transmit et qui ont miné l’Église, paralysant la force missionnaire pour convertir les âmes et pour la transformation spirituelle et morale de la société.
Outre la prière pour notre Mère l’Église, nous sommes convaincus que faire la lumière sur ces doctrines erronées soit le plus grand service que nous puissions lui rendre et auquel nous ne pourrons jamais renoncer, sans devenir complice de son autodestruction.
Abbé Pierpaolo Maria Petrucci, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, Supérieur du District d’Italie
Sources : La Tradizione Cattolica N° 4 – 2015/Traduction de Francesca de Villasmundo pour La Porte Latine du 15 février 2016
Notes de la rédaction de La Porte Latine
(1) Lire à ce sujet : Abbé Schmidberger – La protestantisation du Concile Vatican II – Symposium de théologie à Paris, Octobre 2005
(2) Dominus Jesus sur l’unicité et l’universalité salvifique de Jésus-Christ et de l’Eglise – Cal Ratzinger – 6 août 2000
(3) Evangelii Gaudium du 24 novembre 2013
(4) Redemptor Hominis du 4 mars 1979