Le cardinal Bertone annonce la parution prochaine du « motu proprio » sur la messe tridentine, 31 mars 2007


Le Figaro Magazine du 31 mars a publié un entre­tien avec le car­di­nal Tarcisio Bertone, secré­taire d’Etat du Saint-​Siège, inti­tu­lé Bertone : « Foi et rai­son ne s’opposent pas ». Voici les extraits les plus signi­fi­ca­tifs sur la litur­gie, le motu pro­prio qui libé­ra­li­se­rait l’usage du mis­sel de Saint Pie V, la crise des voca­tions et l’islam :

L’application des grandes orien­ta­tions du concile a mal­heu­reu­se­ment pu connaître des tra­duc­tions plus ou moins erro­nées, condui­sant à des appau­vris­se­ments notables. Les fruits de la réforme litur­gique du concile n’en res­tent pas moins consi­dé­rables. Il est vrai que les abus doivent être com­bat­tus, car une par­tie du peuple chré­tien a pu s’éloigner de l’Eglise en rai­son de ces erre­ments. Les erreurs ne sont pas dans les textes du concile, mais dans les com­por­te­ments de ceux qui ont pré­ten­du inter­pré­ter à leur propre guise la réforme litur­gique de Vatican II.

Un décret élar­gis­sant la pos­si­bi­li­té de célé­brer la messe en latin selon le rite anté­rieur à Vatican II (la messe dite de saint Pie V) est-​il tou­jours prévu ? 

La valeur de la réforme conci­liaire est intacte. Mais tant pour ne pas perdre le grand patri­moine litur­gique don­né par saint Pie V que pour accé­der au sou­hait des fidèles qui veulent assis­ter à des messes selon ce rite, dans le cadre du mis­sel publié en 1962 par le pape Jean XXIII, avec son calen­drier propre, il n’y a aucune rai­son valable de ne pas don­ner aux prêtres du monde entier le droit de célé­brer selon cette forme. L’autorisation du sou­ve­rain pon­tife lais­se­rait évi­dem­ment toute sa vali­di­té au rite de Paul VI. La publi­ca­tion du motu pro­prio pré­ci­sant cette auto­ri­sa­tion aura lieu, mais ce sera le pape lui-​même qui expli­que­ra ses moti­va­tions et le cadre de sa déci­sion. Le sou­ve­rain pon­tife don­ne­ra per­son­nel­le­ment sa vision de l’utilisation de l’ancien mis­sel au peuple chré­tien, et en par­ti­cu­lier aux évêques.

En Europe occi­den­tale, l’Eglise connaît une crise impor­tante des voca­tions sacer­do­tales et reli­gieuses. Comment enrayer la chute ?

Contrairement aux idées reçues, il faut rap­pe­ler qu’il y a tou­jours eu des périodes de crise des voca­tions, puis des mou­ve­ments de reprise. Si la crise actuelle remonte aux années 1965 et sui­vantes, son ampli­tude fut très dif­fé­rente d’un pays à l’autre. Aujourd’hui, nous obser­vons des signes évi­dents de renou­veau. En Italie, de nom­breux dio­cèses connaissent une aug­men­ta­tion cer­taine des voca­tions. J’ai par ailleurs le sen­ti­ment que les nou­velles voca­tions sont plus fortes et plus mûres qu’en d’autres temps.

Une des rai­sons de la baisse du nombre d’ordinations ne réside-​t-​elle pas dans le manque d’attrait, et peut-​être de soli­di­té, de la for­ma­tion intel­lec­tuelle et spi­ri­tuelle des futurs prêtres dans les sémi­naires dio­cé­sains, en France particulièrement ?

Effectivement, la for­ma­tion des futurs prêtres est fon­da­men­tale. Le cur­sus des sémi­na­ristes doit inté­grer une excel­lente appré­hen­sion des ver­tus sacer­do­tales, en par­ti­cu­lier le céli­bat, la prière et la consé­cra­tion incon­di­tion­nelle au Christ. Les supé­rieurs des sémi­naires ont l’obligation de réflé­chir à l’importance de la for­ma­tion à une vie de prière authen­tique. Par ailleurs, la pro­mo­tion des voca­tions doit être constante. Il y a eu dans ce domaine un cer­tain laisser-​aller, tota­le­ment inad­mis­sible et pour le moins sur­pre­nant. Dans mon ancien dio­cèse de Gênes, j’ai le sou­ve­nir de jeunes qui ont renon­cé à de futures car­rières pro­fes­sion­nelles très brillantes, pour entrer au sémi­naire avec l’idée d’aider l’Eglise et le pape à chan­ger le monde. Ces jeunes sont des modèles rayon­nants, et leur épa­nouis­se­ment au ser­vice de l’Eglise doit être don­né en exemple.

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Pourquoi Benoît XVI donne-​t-​il à la lutte contre le rela­ti­visme une place aus­si importante ?

La dénon­cia­tion des ravages du rela­ti­visme consti­tue un défi his­to­rique pour l’Eglise. Car une socié­té qui consi­dère que rien n’a vrai­ment d’importance et que tout se vaut ne peut plus recon­naître une véri­té abso­lue, ni même par­ta­ger des valeurs uni­ver­selles. Le pape veut rap­pe­ler l’importance du droit natu­rel, sur lequel se fondent les normes de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale. Le pro­cès de Nuremberg n’aurait pu avoir lieu sans les bases d’une morale natu­relle recon­nue, qui pré­cède les autres lois. Dans la Lettre aux Romains, saint Paul écrit bien que cette morale est ins­crite dans le cœur de l’homme. Il faut com­battre le rela­ti­visme en cher­chant à expli­ci­ter le véri­table lien qui existe entre la foi et la rai­son : la foi et la rai­son ne s’opposent pas.

L’introduction d’une nou­velle reli­gion sur le sol euro­péen, avec l’islam, ne représente-​t-​elle pas un autre défi nou­veau pour l’Eglise ?

Le mul­ti­cul­tu­ra­lisme est aujourd’hui un fait dans un cer­tain nombre de pays euro­péens, en par­ti­cu­lier la France. L’Eglise en prend acte, et entend natu­rel­le­ment se mesu­rer à cette situa­tion. La pré­sence catho­lique et chré­tienne en Europe pré­sup­pose une affir­ma­tion sans com­plexe de notre iden­ti­té. Nous reve­nons ain­si à l’impérieuse néces­si­té de la caté­chèse et de l’éducation, en par­ti­cu­lier l’éducation morale. Les racines chré­tiennes de l’Europe sont avant tout des repères spi­ri­tuels et moraux. La connais­sance de ce que nous sommes per­met la confron­ta­tion et le dia­logue avec d’autres cultures et d’autres visions de l’homme. Dans son dis­cours de Ratisbonne, le Saint-​Père a bien pré­ci­sé qu’une saine confron­ta­tion avec l’islam n’est pas seule­ment une néces­si­té de fait, mais une exi­gence afin de conce­voir les prin­cipes qui peuvent nous unir, ain­si que nos dif­fé­rences. Au-​delà de la vaine polé­mique qui a sui­vi ce dis­cours, de nom­breux pen­seurs de l’islam ont per­çu posi­ti­ve­ment cette invi­ta­tion du pape à confron­ter nos deux systèmes.

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Propos recueillis par Nicolas Diat et Jean Sévillia dans le Figaro Magazine du 31 mars 2007, repris sur l’édition en ligne du 2 avril 2007