Chers Papa et Maman, Quand vous recevrez cette lettre, je serai auprès du bon Dieu, dans cet au-delà, pour lequel j’ai ici-bas tâché de tout sacrifier …
Chers Papa et Maman,
Quand vous recevrez cette lettre, je serai auprès du bon Dieu, dans cet au-delà, pour lequel j’ai ici-bas tâché de tout sacrifier.
Je vous demande que vos larmes soient des larmes d’espérance et de confiance en Dieu.
Je n’ai rien à regretter ; j’ai l’absolue certitude que c’est la Providence qui a tout permis et soyez-en certains ; je suis parfaitement calme et tranquille.
(…)
Naturellement, je vous demande pardon de toute la peine que je vous cause, mais soyez-en sûrs, les souffrances et les épreuves immenses que Dieu vous a envoyées seront le gage certain d’immenses bénédictions de la part du Ciel, sur vos enfants et petits-enfants. Je désire qu’on demande pardon pour moi à Monsieur le Doyen Danès du mal que j’ai pu dire de lui, quand j’étais son vicaire, et à tous ceux à qui j’ai pu faire de la peine, soit parmi mes confrères, soit parmi les si braves gens de Rosendaël.
J’offre ma vie pour l’Église, pour le diocèse, pour la France et tout spécialement pour la paroisse Notre-Dame de Rosendaël : que Dieu accorde aux enfants d’aimer beaucoup la Sainte Vierge et la Sainte Eucharistie.
Je veillerai spécialement sur les séminaristes que j’ai tant soit peu aiguillés sur la voie royale du sacerdoce ; qu’ils n’oublient pas qu’elle reste toujours la voie royale de la croix.
Je demanderai à Dieu de bénir tous mes collaborateurs et collaboratrices qui avec un dévouement et un esprit surnaturel si grands, ont contribué au succès de mes œuvres. Je ne veux nommer personne ; car je pourrais oublier quelqu’un, mais auprès de Dieu, je n’oublierai personne.
Je prierai tout spécialement pour ceux qui souffrent, sans oublier Mademoiselle Andouche et la dévouée servante de Monsieur le Curé.
Je demande instamment qu’aucune pensée de vengeance contre qui que ce soit ne s’élève même pas dans vos cœurs : l’homme se démène, mais c’est Dieu qui le mène.
Je vous le répète, je suis profondément tranquille, et je n’ose penser à cet instant fatal qui arrivera dans si peu de temps ; sans, je vous l’avoue bien sincèrement, une certaine joie, car j’espère, bien vite, pouvoir me reposer entre les bras de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge. Je lui demande en effet de bien vouloir compter mes quatre mois de grande souffrance comme un petit purgatoire, et je compte sur les innombrables prières qui ont été dites pour moi et qui seront dites après ma mort, pour ne pas trop souffrir avant d’arriver au Ciel.
Que l’on remercie encore pour moi Son Éminence de sa si grande bonté, Monseigneur Dewailly d’être venu me confesser, Monsieur le Chanoine Lepoutre de son réconfortant sourire. Merci aux Petites Sœurs de l’Assomption d’avoir permis à ma Sœur Jeanne de venir me voir : qu’elles prient toutes pour que se réalise pour moi l’exorde de mon sermon, le jour de la vêture : « Quelle est celle-ci (cette âme) qui vient du désert, remplie de délices, et appuyée sur son Bien-Aimé ».
(…)
Un désir : que l’on achète avec mon argent quatre très beaux chapelets pour les donner : un au premier garçon que j’ai baptisé à Rosendaël et y faisant sa Première Communion, un à Jeannette Mylle (première fille que j’ai baptisée) et les deux autres aux plus méritants.
Un merci tout spécial à Monsieur le Curé de toute sa bonté pour moi, à Monsieur l’Abbé Dauchy, à Messieurs Vanhems et Van Eeke, un souvenir spécial à tous mes confrères.
Sur mon registre de messes (que j’avais laissé dans ma sacoche noire, lors de mon arrestation) il y a à barrer trente-cinq messes que j’ai dites en prison, ici.
Un grand baiser à ma filleule que je tâcherai de protéger tout particulièrement du haut du ciel.
Je vous embrasse, bien chers Papa et Maman, en demandant à Dieu de vous donner beaucoup de courage, beaucoup : merci encore mille fois de votre bonté, de vos exemples.
J’embrasse tous mes frères et sœurs, tous mes neveux et nièces, et cette fois-ci, je vous dis :
à Dieu Abbé Bonpain en route vers le ciel
N.-B. — Cette dernière lettre fut adressée à Monseigneur Dewailly, Chancelier de l’Évêché, avec le billet suivant :
« Mon Vénéré Père,
Le dénouement approche, permettez que je vous confie la dure mission de remettre cette lettre à mes parents.
Je meurs, très, très tranquille, confiant en votre parole d’hier.
Merci mille fois de tout le bien que vous m’avez fait.
Merci à Monsieur le Chanoine Lepoutre.
Merci à tous,
et à Dieu.
J’ai une partie de mon bréviaire qui se trouve chez Madame Daudruy.
Je viens de terminer l’office du jour : In manus tuas, Domine.
J’espère commencer au Ciel ou au Purgatoire, celui de la Feria IVa : Eructavit cor meum verbum bonum : dico ego opera mea Regi.
Merci encore au bon Dieu de m’avoir tant gâté, de m’avoir tant gâté, en m’accordant ces quatre mois de terrible préparation à paraître devant Lui ».