Un Prêtre est mort

Croix au cimetière de Bercy, Paris.

Certains vont pleu­rer… moi, j’envie ce prêtre qui vient de célé­brer sa der­nière messe.

Lorsque vous visi­tez un vieux cime­tière, allez près de la grande croix en son centre. Regardez autour de vous. La tombe la moins bien entre­te­nue, cette tombe qui n’est pas fleu­rie et qui semble oubliée est celle d’un prêtre. Le jour de son enter­re­ment, le nombre des assis­tants était inver­se­ment pro­por­tion­nel au nombre des années qu’il avait pas­sées sur cette terre.

Hier un prêtre est mort. Monsieur l’abbé Simoulin est mort. Il avait été quelques années l’au­mô­nier à Romagne, il y a long­temps, et le pas­teur de nos âmes.

Certains vont pleu­rer… moi, j’envie ce prêtre qui vient de célé­brer sa der­nière messe. Noli tan­gere Christos meos… Christos meos, le prêtre est l’oint de Jésus, il est à Lui, sa vie Lui appar­tient. Il est son oint pour l’Éternité.

La grande idée qui explique et domine la vie d’un prêtre, est d’être à Jésus une huma­ni­té de sur­croît pour conti­nuer l’œuvre rédemp­trice. L’action sacer­do­tale était pour cet homme, une longue mort à lui-​même, et sa mort fut, bien plus que sa vie même, une action sacer­do­tale, un sacri­fice, la consom­ma­tion de tous ses rêves, le don total de lui-​même, supé­rieur à la sain­te­té et à la valeur rédemp­trice de sa vie.

Je pense que c’était ce que vivait mon­sieur l’abbé, que c’était pour­quoi il avait essayé de vivre comme Jésus, et donc de mou­rir comme Jésus… a‑t-​il seule­ment essayé ? Non, chaque jour de sa vie de prêtre, il a dit la messe, c’est-à-dire qu’il a réac­tua­li­sé sur l’autel, par son être, la mort de Jésus. Sa vie était une messe, sa mort fut en quelque sorte la der­nière messe de cette terre, avant la messe éter­nelle du Ciel.

Le pre­mier mys­tère de Notre Seigneur Jésus-​Christ est celui de sa mis­sion, mis­sion mys­té­rieuse. Jésus est envoyé par son Père. Il sort en quelque sorte du sein de la Sainte Trinité, dans sa créa­tion, au milieu des êtres qu’il a créés, pour réa­li­ser sa pré­sence, pour habi­ter au milieu d’eux.

Comme vous m’avez envoyé dans le monde, je les ai envoyés, dit Notre Seigneur en par­lant à son Père de ses apôtres dans la magni­fique prière sacer­do­tale. Le grand mys­tère d’une Personne divine venant en ce monde, au milieu de ses créa­tures, est aus­si le mys­tère du prêtre : Comme mon Père m’a envoyé, moi aus­si je vous envoie.

Il y a une mis­sion divine par­ti­cu­lière qui réside en chaque prêtre, et cette mis­sion n’est née ni du sang, ni de la volon­té des hommes. Cette mis­sion du prêtre se réa­lise par une élec­tion éter­nelle : Ce n’est pas vous qui m’avez choi­si, c’est moi qui vous ai choi­sis. Dieu choi­sit ses prêtres. Noli tan­gere Christos meos. Quelle illu­sion avons-​nous par­fois de pen­ser qu’un homme a choi­si, a déci­dé de lui-​même de deve­nir prêtre. C’est bien mécon­naître ce qu’est le sacer­doce unique de Jésus.

Le prêtre ne par­ti­cipe pas seule­ment au mys­tère de la mis­sion divine de Notre Seigneur Jésus-​Christ, il par­ti­cipe aus­si – dans une cer­taine mesure – au grand mys­tère de l’Incarnation et d’une manière sublime. La grâce de l’union hypo­sta­tique a don­né à l’âme de Notre Seigneur Jésus-​Christ l’onction de la divi­ni­té et par le fait même, il est Prêtre, Sauveur et Roi.

Alors, si Notre Seigneur est l’unique Prêtre par la grâce d’union hypo­sta­tique, le prêtre, ce prêtre, celui qu’Il s’est choi­si en impri­mant dans son âme le carac­tère sacer­do­tal, cet autre prêtre par­ti­cipe dans une inti­mi­té sublime à la grâce unique de Notre Seigneur de l’union hypo­sta­tique. Cela est bien incom­pré­hen­sible pour les simples fidèles… mais ima­gi­nez… même Notre Dame n’a pas connu en elle une telle union. Elle qui a enfan­té le Grand Prêtre, ima­gi­nez le regard qu’elle porte sur ces prêtres, ses autres fils.

La vie du prêtre est une par­ti­ci­pa­tion au grand mys­tère de la Rédemption, qui est la mort de Jésus. Toute la vie d’un prêtre, toute sa vie apos­to­lique, toute sa vie sacer­do­tale, n’est autre chose que de réac­tua­li­ser, per­pé­tuer la mort de Jésus. Répandre le Sang et l’eau qui coulent jusqu’à la fin des temps de son côté ouvert, répandre les grâces de la Rédemption, répandre les grâces de la Croix, répandre son sang dans les âmes. Le Saint Sacrifice de la messe est l’acte unique du prêtre ; c’est par elle qu’il par­ti­cipe à cette Rédemption et répand les grâces de la Rédemption. S’il ne vit pas de la messe, ce prêtre passe à côté de son sacer­doce, il n’est qu’un prêtre mon­dain. Je pense bien connaître mon­sieur l’abbé, et je sais que ce n’était pas ce qu’il était. Un prêtre ne dit pas sa messe, disait-​il… non, un vrai prêtre célèbre la messe de Jésus, il vit avec Lui, à l’autel, son immo­la­tion, sa mort et sa résurrection.

Le prêtre est, avant tout, fait pour offrir le Sacrifice de la Rédemption, offrir ce Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ, Qui pro vobis et pro mul­tis effun­de­tur in remis­sio­nem pec­ca­to­rum. Quelle belle voca­tion ! Quelle belle vie ! Si vrai­ment le prêtre par­ti­cipe ain­si, d’une manière si intime, si pro­fonde, au mys­tère de Notre Seigneur Jésus-​Christ, il est un autre Christ : sa vie est de mou­rir avec lui chaque jour à l’autel.

Consummatum est… la vie du prêtre est une vie consu­mée, et sa mort n’est que l’acte ultime d’un tout consom­mé dès son vivant. Le sacer­doce ne peut pas aller plus loin. De son vivant le prêtre uti­lise son sacer­doce pour la plus grande gloire de Dieu, avec ses moyens limi­tés. À sa mort il laisse son sacer­doce s’épanouir – sacer­dos in æter­num – sans l’é­troi­tesse de ses vues ; cette plé­ni­tude, cette per­fec­tion, vont plei­ne­ment agir, grâce à sa libre accep­ta­tion de la mort.

Le prêtre est une huma­ni­té de sur­croît. Toute sa vie, il pré­pare sa mort en vivant avec la volon­té fon­ciè­re­ment loyale d’être pour Jésus-​Christ une huma­ni­té de sur­croît. Détaché d’a­vance, sa mort n’est plus que la conti­nua­tion de sa vie sacer­do­tale, en plus par­fait, en plus ache­vé et en plus saint.

La mort du Prêtre c’est la conti­nua­tion d’un acte d’a­mour com­men­cé au jour où une voix sans parole, mais non pas sans écho, lui a mur­mu­ré : « Viens et suis-​Moi car il se fait tard pour toi, rai­son de plus pour que tu Me suives avec une foi redou­blée, une confiance d’en­fant, une géné­ro­si­té digne de la Mienne, l’heure est venue pour toi de ne plus agir ; mais de Me lais­ser agir dans l’ac­cep­ta­tion rédemp­trice de ta mort ».

Source : La Part des Anges n°15, avril 2025