Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

24 avril 1952

Allocution à l’union mondiale des organisations féminines catholiques

Table des matières

Le XIIe Congrès de l’Union Mondiale des Organisations Féminines Catholiques se tint à Rome. Le Saint-​Père reçut en audience les partici­pantes et leur adres­sa l’al­lo­cu­tion suivante :

Certain comme Nous le sommes de la grande contri­bu­tion que les femmes peuvent appor­ter à la cause de la paix, Nous vous adres­sons ce pater­nel mes­sage à vous, mères, épouses, jeunes filles de toutes nations, et par­ti­cu­liè­re­ment à vous, fem­mes catho­liques, dont Nous est bien connue la filiale dévo­tion au Vicaire du Christ, et par lui, à Jésus même, qui eut tant de déli­cats témoi­gnages de la pié­té fémi­nine au cours de sa vie mortelle.

Toujours sou­cieux de sou­te­nir par tous les moyens l’œuvre de la paix, tant que son arc-​en-​ciel n’en­ve­lop­pe­ra pas la terre de façon stable, Nous vou­lons confier éga­le­ment à vous, chères filles – qui peut-​être mieux que d’autres esti­mez le prix de la tran­quilli­té de l’ordre, celle-​ci étant la condi­tion essen­tielle d’une sainte vie fémi­nine – la tâche ardue mais sublime, de tra­vailler pour la paix.

Dans cette Rome même, que le Roi paci­fique de la famille humaine fit sienne, comme pour consa­crer et éle­ver la paix Universelle que l’Empire d’Auguste s’é­tait pro­po­sée et avait en quelque sorte réa­li­sée, s’est réuni un Congrès, repré­sen­tant les Femmes Catholiques du monde entier, pour expri­mer solennelle­ment leur désir de paix, affir­mer leur volon­té de l’exi­ger de ceux qui ont le pou­voir de la don­ner ici-​bas, étu­dier les moyens concrets et offrir leur action pour l’ob­te­nir, au nom de Dieu et sur la base des prin­cipes chrétiens.

Ce n’est point en véri­té une voix nou­velle que la vôtre ; ni non plus la der­nière venue par­mi tant qui, de tous côtés, s’élè­vent en faveur de la paix ; mais elle est cer­tai­ne­ment par­mi les plus sin­cères et elle sera. Nous avons rai­son de l’es­pé­rer, fé­conde. Qui pour­rait, en effet, dou­ter de la sin­cé­ri­té d’une femme, quand elle invoque la paix, dont elle est la pre­mière à béné­fi­cier, ou quand elle déteste la guerre, dont elle serait la vic­time la plus pitoyable ? Elle fut tou­jours ain­si. L’antique mythe de la dou­lou­reuse Andromaque, condam­née par une funeste guerre aux larmes de la veuve, de la mère de l’or­phe­lin, puis de l’exi­lée et de l’es­clave, demeure, fût-​ce comme légende épique, la per­son­ni­fi­ca­tion des immenses tra­gé­dies dans les­quelles les conflits de tout temps entraî­nèrent la femme, et de celles encore plus atroces qui lui sont réser­vées par les guerres totales modernes.

Des mil­lions d’hommes et de femmes qui peuvent se dire sur­vi­vants de la der­nière confla­gra­tion, en conservent encore vives dans la mémoire les hor­ribles images. Mères avec des enfants dans les bras, écra­sées sous les décombres de leurs mai­sons ; d’autres lacé­rées par des bles­sures ; d’autres pétri­fiées par la dou­leur de deuils sou­dains, comme si quelque chose de leur vie s’é­tait tout à coup bri­sé. Ailleurs, par théo­ries innom­brables, elles, pour qui la mai­son est tout, obli­gées à aller errantes de lieu en lieu, chas­sées par les armées, talon­nées par l’é­pou­vante avec des enfants pen­dus au cou et que font pleu­rer la faim et la mala­die. Mères, épouses, igno­rant pen­dant de longues années le sort de ceux qui leur sont chers ; cer­taines même, du fait de l’in­croyable insen­si­bi­li­té des gou­ver­nants, dont les actes contras­tent trop avec les paroles, jus­qu’à ce jour dans l’a­troce angoisse du doute : mon fils est-​il en vie ? Vierges vouées au déshon­neur, familles lais­sées sans sou­tien, jeunes filles qui voient bri­sé pour tou­jours le rêve de leur vie, voi­là la femme en temps de guerre.

Qui est responsable de la guerre ?

Ont-​ils jamais réflé­chi avec un cœur de fils à de telles tra­gé­dies ces diri­geants de peuples, dont Nous ne dirons pas qu’ils caressent des pen­sées et des dési­rs de guerre, mais qui posent et main­tiennent des condi­tions de choses telles qu’elles sus­citent le dan­ger de guerre, et peut-​être de la part des peuples, injus­te­ment oppri­més (c’est hor­rible à dire !) jus­qu’à son désir, comme ultime espé­rance de légi­time libé­ra­tion ? Mais sur qui retombe la res­pon­sa­bi­li­té d’un désir si exaspéré ?

Le Pape en appelle aux gouvernants :

Ces cir­cons­tances de vie qu’im­posent les guerres, comme les dif­fi­cul­tés, les rigueurs, les peurs sou­daines, les ano­ma­lies en géné­ral, même si elles trouvent dans l’homme, qui se fait un hon­neur de s’en­dur­cir aux épreuves une cer­taine adap­ta­tion, sont en revanche bien sou­vent désas­treuses phy­si­que­ment et mora­le­ment pour la femme.

Actuellement la crainte que (ce qu’à Dieu ne plaise !) tous ces maux puissent se renou­ve­ler, incite les femmes de toutes les régions du monde à invo­quer ardem­ment la paix. Cette invo­ca­tion, Nous l’a­vons sou­vent recueillie de leurs lèvres et Nous la fai­sons Nôtre aujourd’­hui, pour dire à ceux qui portent en leurs mains le choix fatal entre l’é­pée et le rameau d’o­li­vier : Regardez avec des yeux de fils les angoisses de tant de mères et d’é­pouses, par­mi les­quelles sont éga­le­ment les vôtres, et faites que sur la balance de vos déci­sions elles aient un plus grand poids que les rai­sons de pres­tiges, les avan­tages immé­diats, ou bien, si c’est le cas, les rêves uto­pistes ins­pi­rés par des théo­ries mal fon­dées sur la nature réelle des hommes et des choses. Ne deman­dez pas aux femmes des héroïsmes inutiles ; elles en ont déjà tant à accom­plir dans la vie ordi­naire pour la patrie et la famille humaine !

Les femmes chrétiennes veulent répandre l’esprit de fraternité et de charité.

Toutefois, le sen­ti­ment qui ins­pire les femmes à avoir la guerre en hor­reur n’a­bou­ti­rait à rien, ni ne devien­drait jamais une contri­bu­tion valable à la cause de la paix, s’il n’é­tait trans­formé en désir posi­tif de res­tau­rer par­tout le sens de la frater­nité, sou­te­nu par la conscience d’un devoir supé­rieur de cha­ri­té, ren­for­cé par l’empressement à pra­ti­quer autour de soi la jus­tice dont la paix est l’œuvre ; en un mot, si le sen­ti­ment ne deve­nait une action conduite selon les prin­cipes chré­tiens essen­tiels. Quels sont en par­ti­cu­lier ces prin­cipes et com­ment déterminent-ils

Faction de l’Eglise et des catho­liques ? Nous l’a­vons expo­sé récem­ment dans Notre Message de Noël, du 24 décembre der­nier sur la mis­sion de l’Eglise en faveur de la paix [1].

C’est en cela que votre cri de paix, chères filles, se dis­tingue net­te­ment de l’ap­pel d’autres femmes, dont Nous sommes loin de mettre en doute la sin­cé­ri­té, mais que Nous voyons mal­heu­reu­se­ment pro­fa­né et orien­té vers des fins dif­fé­rentes, si même il n’en arrive pas à se trans­for­mer en cla­meur d’exa­cer­ba­tion et de haine. De toute façon, il est cer­tain que toute invo­ca­tion de paix, à laquelle est reti­rée la base de la concep­tion chré­tienne du monde, est condam­née à reten­tir dans le désert des cœurs, comme un cri de nau­fra­gés dans les éten­dues vides de l’océan.

Le devoir donc des femmes catholiques est de promouvoir la paix.

C’est ain­si, femmes catho­liques, que vous êtes des messa­gères et des ouvrières de la paix en ver­tu du titre même dont vous vous hono­rez, parce que catho­lique est en quelque sorte syno­nyme de paci­fique. Et bien que le devoir de citoyennes de votre pays exige de vous la prompte réso­lu­tion à vous immo­ler pour la patrie, si celle-​ci était vrai­ment injus­te­ment atta­quée et mena­cée dans ses droits vitaux, en revanche plus natu­rel­le­ment et avec une plus grande fer­veur vous êtes dis­po­sées à appor­ter votre contri­bu­tion pour créer les condi­tions inté­rieures et exté­rieures qui assurent la tran­quilli­té de l’ordre.

Cette action, visant à apai­ser les haines, à unir fraternelle­ment les peuples, à sup­pri­mer les causes maté­rielles des conflits, telles que la misère, le chô­mage, les obs­tacles à l’é­mi­gra­tion et d’autres sem­blables, l’Eglise et l’hu­ma­ni­té l’at­tendent de vous.

C’est pourquoi il faut faire œuvre moralisatrice :

C’est une double action. D’un côté, une action psy­cho­lo­gique et mora­li­sa­trice, que mieux que d’autres votre tact déli­cat peut entre­prendre : atti­rer les hommes à appré­cier les biens célestes ; les inci­ter dou­ce­ment à l’aus­té­ri­té, ou au moins à la gra­vi­té et à la mora­li­té de la vie ; faire rayon­ner par­tout l’es­prit de dou­ceur, le sen­ti­ment de la fra­ter­ni­té entre tous les fils de Dieu, la conscience du devoir de renon­cer à des richesses injustes, en renon­çant vous-​mêmes les pre­mières à un niveau de vie luxueux ; sur­tout comme syn­thèse et cou­ron­ne­ment de fac­tion spi­ri­tuelle, édu­quer chré­tien­ne­ment l’en­fance selon la vision chré­tienne du monde qui nous est révé­lée par le Sauveur. A qui est pra­ti­que­ment confiée sinon aux mères la pre­mière trans­mission du mes­sage évan­gé­lique ? Sagesse et bon­té de la Pro­vidence divine ! Elle a dis­po­sé que toute géné­ra­tion, à sa nais­sance, doive pas­ser par la suave école de la femme – à qui s’u­nit la Mère com­mune, l’Eglise – pour qu’elle en reçoive chaque fois la bon­té, la dou­ceur, la pié­té innées chez elle. Sans ce retour pério­dique à la bonne source, l’hu­ma­ni­té en peu de temps, cédant aux rigueurs et aux âpres luttes de la vie, tom­berait dans la plus misé­rable sau­va­ge­rie. Orientez donc, vous qui, par devoir natu­rel et par mis­sion divine, mode­lez les âmes des enfants, la nou­velle géné­ra­tion vers des sen­ti­ments de fra­ter­ni­té uni­ver­selle et d’hor­reur de la vio­lence. Action trop éloi­gnée, dira-​t-​on peut-​être. Non ; c’est une action qui construit en pro­fon­deur, et par consé­quent fon­da­men­tale et urgente. De même que les guerres, tout au moins modernes, n’é­clatent pas à l’im­pro­viste, mais pen­dant de longues années déve­loppent leur germe dans les cœurs, ain­si la paix véri­table, stable et juste, n’é­clôt pas au pre­mier rayon de soleil d’un sen­ti­ment ou d’un appel.

La femme usera aussi de son influence sur le plan public pour faire œuvre de paix :

Il y a aus­si une action exté­rieure, car, si en d’autres temps l’in­fluence de la femme se limi­tait au foyer et à l’en­tou­rage de la mai­son, à notre époque elle s’é­tend (que cela plaise ou non) à un domaine de plus en plus vaste : la vie sociale et publique, les par­le­ments, les tri­bu­naux, le jour­na­lisme, les pro­fes­sions, le monde du tra­vail. Que la femme apporte dans cha­cun de ces sec­teurs son œuvre de paix. Si vrai­ment toutes les femmes pas­saient de ce sen­ti­ment inné qui leur fait détes­ter la guerre à l’ac­tion concrète pour l’empêcher il serait impos­sible que la somme de tant d’ef­forts, qui s’ap­puient sur ce qui plie le mieux les volon­tés, c’est-​à-​dire la pié­té et l’a­mour, il serait impos­sible, disons-​Nous, qu’elle n’at­teigne pas son but.

Il faudra encore y ajouter la prière :

Que ces efforts soient ren­dus plus féconds par l’aide divine invo­quée dans la prière que la femme, pieuse par nature, a l’ha­bi­tude d’é­le­ver avec une plus grande constance vers Dieu ! De même que la prière de votre misé­ri­cor­dieuse Reine et Mère, sou­cieuse et inquiète aux noces de Cana à cause de l’embarras et du trouble des époux, sut inci­ter la volon­té de Jésus à chan­ger l’eau en vin, « le vin que les raf­fi­nés appellent l’âme des ban­quets [2] », que votre prière sup­pliante, mode­lée sur la fer­veur de foi de la Sainte Vierge fasse ain­si pas­ser la volon­té des hommes de la haine à l’a­mour, de l’a­vi­di­té à la justice.

Le Pape rappelle la place faite par le christianisme à la femme dans la vie sociale.

Chères filles ! Vous connais­sez les grands biens que la fem­me doit au chris­tia­nisme. Quand il parut sur la terre, la culture païenne n’exal­tait sou­vent la femme que pour l’en­semble de ses dons exté­rieurs et éphé­mères ou pour la finesse de ses senti­ments. Cette concep­tion esthé­tique et ce sen­ti­ment intime s’éle­vèrent même jus­qu’aux formes les plus hautes et les plus déli­cates. La pas­sion jaillit en vers d’un art consom­mé dans les œuvres immor­telles de poètes de l’ère d’Auguste, et les sta­tues des dieux embel­lis­saient, créa­tions divines de l’art, les voies et les forums, les temples et les atriums des somp­tueux palais. Et pour­tant même tout cela était vide et super­fi­ciel. Ni Athènes, ni Rome, phares de civi­li­sa­tion qui, d’un point de vue natu­rel, mirent en si vive lumière les liens de la famille, ne réus­sirent par les hautes spé­cu­la­tions de la phi­lo­so­phie ou la sagesse des légis­la­tions, à éle­ver la femme à la hau­teur qui convient à sa nature. Le chris­tia­nisme, au contraire, le pre­mier et lui seul, sans mécon­naître d’ailleurs ces valeurs exté­rieures et inté­rieures, a décou­vert et culti­vé chez la femme des mis­sions et des tâches qui sont le vrai fon­de­ment de sa digni­té et la rai­son d’une plus authen­tique exal­ta­tion. Ainsi sur­gissent et s’af­firment dans la civi­li­sa­tion chré­tienne de nou­veaux types de femmes, comme ceux de mar­tyre de la reli­gion, de sainte, d’a­pôtre, de vierge, d’au­teur de vastes renou­veaux, de conso­la­trice de toutes les souf­frances humaines, de sau­ve­garde des âmes per­dues, d’éduca­trice. A mesure qu’ap­pa­raissent de nou­veaux besoins sociaux, sa mis­sion bien­fai­sante s’é­tend éga­le­ment et la femme chré­tienne devient, autant que l’homme, comme c’est le cas aujour­d’hui à bon droit, un fac­teur néces­saire de civi­li­sa­tion et de progrès.

C’est jus­te­ment dans ce cadre que Nous voyons votre œuvre paci­fi­ca­trice actuelle, la plus vaste peut-​être qui vous ait été assi­gnée jus­qu’i­ci par la Providence, la plus sociale et salu­taire que vous ayez jamais eue dans le pas­sé. Embrassez-​la comme une mis­sion que vous confient Dieu et l’hu­ma­ni­té ; consacrez-​lui vos soins les plus assi­dus, appuyant les sug­ges­tions qu’une élite d’entre vous a entre­pris d’é­tu­dier et de pro­mou­voir dans le Congrès International des Femmes Catholiques, per­sua­dées que vous ne pour­rez rien faire de mieux pour le salut de votre Patrie et de vos enfants ni de plus conforme aux dési­rs du Vicaire de Jésus-Christ.

Sur vous toutes, donc, chères filles dis­per­sées dans le monde entier, et sur vous en par­ti­cu­lier, femmes catho­liques, comme sur toutes celles qui par­ti­cipent au Congrès de Rome, Nous invo­quons du Tout-​Puissant lumière et grâce, en gage des­quelles Nous vous don­nons de tout cœur Notre pater­nelle Bénédiction apostolique.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1955, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice. – D’après le texte ita­lien des A. A. S., 1952, XXXXIV, p. 420.

Notes de bas de page
  1. A. A. S., XXXXIV, 1952, p. 11 ; cf. Documents Pontificaux 1951, p. 555.[]
  2. Bossuet, Sermon pour le troi­sième Dimanche après l’Epiphanie.[]