Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

4 août 1880

Bref Cum hoc sit

Proclamant Saint Thomas d'Aquin patron des écoles catholiques

C’est un usage à la fois fon­dé sur la nature et approu­vé par l’Eglise catho­lique, de recher­cher le patro­nage des hommes célèbres par la sain­te­té, et les exemples de ceux qui ont excel­lé ou atteint la per­fection en quelque genre, afin de les imi­ter. C’est pour­quoi un grand nombre d’Ordres reli­gieux, de Facultés, de Sociétés lit­té­raires, ont vou­lu, depuis long­temps déjà, choi­sir avec l’ap­pro­ba­tion du Saint-​Siège, pour maître et pour patron, saint Thomas d’Aquin, qui a tou­jours brillé à l’égal du soleil par la doc­trine et par la vertu.

Or, de nos temps, l’étude de sa doc­trine s’étant accrue par­tout, de nom­breuses demandes se sont pro­duites afin qu’il fut assi­gné comme patron, par l’autorité de ce Siège Apostolique, à tous les Collèges, Académies et Ecoles du monde catho­lique. Plusieurs évêques ont fait connaître que c’était leur vœu, et ils ont envoyé, à cet effet, des lettres par­ti­cu­lières ou com­munes ; les membres de beau­coup d’Académies et des Sociétés savantes ont récla­mé la même faveur par d’humbles et ins­tantes suppliques.

On avait cru devoir dif­fé­rer de satis­faire à l’ardeur de ces dési­rs et de ces prières, afin que le temps en accrût le nombre ; mais l’opportunité de cette décla­ra­tion appa­rut à la suite de la publi­ca­tion faite l’année der­nière, à pareil jour, de notre Lettre Encyclique sur la Restauration dans les écoles catho­liques de la phi­lo­so­phie chré­tienne selon l’es­prit du doc­teur angé­lique, saint Thomas d’Aquin. En effet, les évêques, les Académies, les doyens des Facultés et les savants de tous les points de la terre, décla­rèrent, d’un seul cœur et comme d’une seule voix, qu’ils seraient dociles à nos pres­crip­tions ; qu’ils vou­laient même, dans l’en­sei­gne­ment de la phi­lo­so­phie et de la théo­lo­gie, suivre entiè­re­ment les traces de saint Thomas ; ils affir­ment, en effet, qu’ils sont, comme Nous, convain­cus que la doc­trine tho­miste pos­sède, avec une émi­nente supé­rio­ri­té, une force et une ver­tu sin­gu­lières pour gué­rir les maux dont notre époque est affligée.

Nous donc, qui depuis long­temps et vive­ment dési­rons voir fleu­rir toutes les écoles sous la garde et le patro­nage d’un maître si excellent, vu l’attestation si for­melle et si écla­tante du désir uni­ver­sel, Nous jugeons que le temps est venu d’ajouter cette nou­velle louange à la gloire immor­telle de Thomas d’Aquin.

Or, voi­ci le prin­ci­pal et le résu­mé des motifs qui Nous détermi­nent : c’est que saint Thomas est le plus par­fait modèle que, dans les diverses branches des sciences, les catho­liques puissent se pro­po­ser. En lui sont, en effet, toutes les lumières du cœur et de l’es­prit qui imposent à bon droit l’imitation ; une doc­trine très féconde, très pure, par­fai­te­ment ordon­née ; le res­pect de la foi et un admi­rable accord avec les véri­tés divi­ne­ment révé­lées ; l’intégrité de la vie et la splen­deur des plus hautes vertus.

Sa doc­trine est si vaste qu’elle contient, comme une mer, toute la sagesse qui découle des anciens. Tout ce qui a été dit de vrai, tout ce qui a été sage­ment dis­cu­té par les phi­lo­sophes païens, par les Pères et les Docteurs de l’Eglise, par les hommes supé­rieurs qui flo­ris­saient avant lui, non seule­ment il l’a plei­ne­ment connu, mais il l’a accru, com­plé­té, clas­sé avec une telle pers­pi­ca­ci­té des espèces, avec une telle per­fec­tion de méthode et une telle pro­prié­té des termes, qu’il semble n’a­voir lais­sé à ceux qui le sui­vraient que la facul­té de l’i­mi­ter, en leur ôtant la pos­si­bi­li­té de l’égaler.

Et il y a encore ceci de consi­dé­rable : c’est que sa doc­trine, étant for­mée et comme armée de prin­cipes d’une grande lar­geur d’appli­cation, elle répond aux néces­si­tés, non pas d’une époque seule­ment, mais de tous les temps, et qu’elle est très propre à vaincre les erreurs sans cesse renais­santes. Se sou­te­nant par sa propre force et sa propre valeur, elle demeure invin­cible et cause aux adver­saires un pro­fond effroi.

Il ne faut pas moins appré­cier, sur­tout au juge­ment des chré­tiens, l’accord par­fait de la rai­son et de la foi. En effet, le saint Docteur démontre avec évi­dence que les véri­tés de l’ordre natu­rel ne peu­vent pas être en désac­cord avec les véri­tés que l’on croit, sur la parole de Dieu : que, par consé­quent, suivre et pra­ti­quer la foi chré­tienne, ce n’est pas un asser­vis­se­ment humi­liant et mépri­sable de la rai­son, mais une noble obéis­sance qui sou­tient l’es­prit et l’élève à de plus grandes hau­teurs ; enfin, que la rai­son et la foi viennent l’une et l’autre de Dieu, non pas pour qu’elles soient en dis­pute, mais pour que, unies entre elles par un lien d’a­mi­tié, elles se pro­tègent mutuellement.

Or, dans tous les écrits du bien­heu­reux Thomas, on voit le modèle de cette union et de cet admi­rable accord. Car on y voit domi­ner et briller tan­tôt la rai­son qui, pré­cé­dée par la foi, atteint l’objet de ses recherches dans l’in­ves­ti­ga­tion de la nature ; tan­tôt la foi, qui est expli­quée et défen­due à l’aide de la rai­son, de telle sorte, néan­moins, que cha­cune d’elles conserve intactes sa force et sa digni­té ; enfin, quand le sujet le demande, toutes deux marchent ensemble comme des alliées contre les enne­mis de toutes deux. Mais, s’il fut tou­jours très impor­tant que l’accord exis­tât entre la rai­son et la foi, ou doit le tenir pour beau­coup plus impor­tant encore depuis le XVIe siècle ; car, a cette époque, on com­men­ça à semer les germes d’une liber­té dépas­sant toute borne et toute règle, qui fait que la rai­son humaine répu­die ouver­te­ment l’au­to­ri­té divine et demande à la phi­lo­so­phie des armes pour miner et com­battre les véri­tés religieuses.

Enfin, le Docteur Angélique, s’il est grand par la doc­trine, ne l’est pas moins par la ver­tu et par la sain­te­té. Or, la ver­tu est la meilleure pré­pa­ra­tion pour l’exercice des forces de l’esprit et l’acquisition de la science ; ceux qui la négligent s’imaginent faus­sement avoir acquis une science solide et fruc­tueuse, parce que la science n’en­tre­ra pas dans une âme mau­vaise, et quelle n’ha­bi­te­ra pas dans un corps sou­mis au péché (Sg, I, 4). Cette pré­pa­ra­tion de l’âme, qui vient de la ver­tu, exis­ta en Thomas d’Aquin a un degré, non seule­ment excellent et émi­nent, mais de telle façon qu’elle méri­ta d’être divi­ne­ment mar­quée par un signe écla­tant. En effet, comme il était sor­ti vic­to­rieux d’une très forte ten­ta­tion de volup­té, le très chaste ado­les­cent obtint de Dieu, comme récom­pense de son cou­rage, de por­ter autour de ses reins une cein­ture mys­té­rieuse et de sen­tir en même temps com­plè­te­ment éteint le feu de la concu­pis­cence. Dès lors, il vécut comme s’il eût été exempt de toute conta­gion de corps, pou­vant être com­pa­ré aux esprits évan­gé­liques, non moins pour l’innocence que pour le génie.

A ces causes, Nous jugeons le Docteur Angélique digne à tous égards d’être choi­si comme patron des études, et, en pro­non­çant avec joie ce juge­ment, Nous agis­sons dans la pen­sée que le patro­nage de cet homme très grand et très saint sera très puis­sant pour la res­tauration des études phi­lo­so­phiques et théo­lo­giques, au grand avan­tage de la socié­té. Car, dès que les écoles catho­liques se seront mises sous la direc­tion et la tutelle du Docteur Angélique, on ver­ra fleu­rir aisé­ment la vraie science, pui­sée à des prin­cipes cer­tains et se déve­lop­pant dans un ordre ration­nel. Des doc­trines pures pro­duiront des mœurs pures, soit dans la vie pri­vée, soit dans la vie publique, et les bonnes mœurs auront pour consé­quence le salut des peuples, l’ordre, l’apaisement et la tran­quilli­té géné­rale. Ceux qui s’adonnent aux sciences sacrées, si vio­lem­ment atta­quées de nos jours, pui­se­ront dans les œuvres de saint Thomas les moyens de démon­trer ample­ment les fon­de­ments de la loi chré­tienne, de per­sua­der les véri­tés sur­na­tu­relles et de défendre vic­to­rieu­se­ment notre très sainte reli­gion contre les assauts cri­mi­nels de ses enne­mis. Toutes les sciences humaines com­pren­dront qu’elles ne seront point pour cela empê­chées ni retar­dées dans leur marche ; mais, au contraire, sti­mu­lées et agran­dies ; quant à la rai­son, elle ren­tre­ra en grâce avec la foi, les causes de dis­sen­ti­ment ayant dis­paru, et elle la pren­dra pour guide à la recherche du vrai. Enfin tous les hommes avides de savoir, façon­nés par les exemples et les pré­ceptes d’un si grand maître, s’habitueront à se bien dis­po­ser à l’é­tude par l’in­té­gri­té des mœurs ; et ils ne pour­sui­vront point cette science qui, sépa­rée de la cha­ri­té, enfle les esprits et les égare, mais celle qui, décou­lant du Père des lumières et du Maître des sciences, mène éga­le­ment à lui.

Il nous a plu de deman­der aus­si sur la ques­tion l’a­vis de la Sacrée Congrégation des Rites, et son avis una­nime ayant été plei­nement d’ac­cord avec Nos vœux, en ver­tu de Notre suprême auto­ri­té, pour la gloire du Dieu Tout-​Puissant et l’hon­neur du Docteur Angé­lique, pour l’accroissement des sciences et l’u­ti­li­té com­mune de la socié­té humaine, Nous décla­rons saint Thomas, le Docteur Angé­lique, patron des Universités, des Académies, des Facultés, des Ecoles catho­liques, et Nous vou­lons qu’il soit, comme tel, tenu, véné­ré et hono­ré par tous ; il est enten­du cepen­dant que rien n’est chan­gé pour l’avenir aux hon­neurs et au rang don­nés aux saints que des Académies ou des Facultés peuvent avoir choi­sis pour patrons particuliers.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, sous l’an­neau du pêcheur, le 4 août 1880, de Notre pon­ti­fi­cat l’an troisième.

Théodulphe, CARD. MERTEL.

Source : Lettres apos­to­liques de S. S. Léon XIII, Collection « Les bons Livres »

30 décembre 1892
Consignes aux Jésuites concernant le renouveau des études thomistes
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