La présente définition de Benoît XII intervient pour couper court à la controverse avec le prédécesseur immédiat de Benoit XII, le pape Jean XXII. En effet, le pape Jean XXII soutenait – de manière privée et non infaillible – la thèse contraire à la présente définition en cherchant à interpréter un sermon de saint Bernard de Clairvaux [1]. Il affirmait ainsi que les âmes saintes des défunts n’ont pas accès au ciel avant le jugement dernier. Entre-temps, celles-ci sont « sub altare Dei » [2] et n’ont donc pas accès à la vision béatifique. Déjà comme cardinal, Benoit XII avait rédigé un ample traité où il défendait la thèse adverse, dans la ligne de saint Thomas d’Aquin et de la Tradition. Arrivé au souverain pontificat, il fit examiner attentivement le problème par une commission de théologien et trancha la controverse en faveur de la vision immédiate.
Rome, le 29 janvier 1336
Bulle de S. S. Benoît XII
Évêque, serviteur des serviteurs de DieuPour en conserver le perpétuel souvenir.
Par cette constitution qui restera à jamais en vigueur, et en vertu de l’autorité apostolique nous définissons :
- que selon la disposition générale de Dieu, les âmes de tous les saints qui ont quitté ce monde avant la Passion de notre Seigneur Jésus Christ, ainsi que celles des saints apôtres, martyrs, confesseurs, vierges et autres fidèles morts après avoir reçu le saint baptême du Christ, en qui il n’y avait rien à purifier lorsqu’ils sont morts, et en qui il n’y aura rien à purifier lorsqu’ils mourront à l’avenir, ou s’il y a eu ou s’il y aura quelque chose à purifier, lorsque, après leur mort, elles auront été purifiées,
- et que les âmes des enfants régénérés par ce même baptême du Christ ou encore à baptiser, une fois qu’ils l’auront été, s’ils viennent à mourir avant d’user de leur libre arbitre, aussitôt après leur mort et la purification dont nous avons parlé pour celles qui en auraient besoin, avant même de reprendre leurs corps et avant même le jugement et cela depuis l’Ascension de notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ au ciel, ont été, sont et seront au ciel, au Royaume des cieux et au paradis céleste avec le Christ, réunis dans la compagnie des saints anges,
- et que depuis la Passion et la mort du Seigneur Jésus Christ elles ont vu et voient l’essence divine d’une vision intuitive et même face à face – sans la médiation d’aucune créature qui serait un objet de vision ; au contraire l’essence divine se manifeste à eux immédiatement à nu, clairement et à découvert –, et que par cette vision elles jouissent de cette même essence divine ; et qu’en outre, en raison de cette vision et de cette jouissance, les âmes de ceux qui sont déjà morts sont vraiment bienheureuses et possèdent la vie et le repos éternel, et que de même les âmes de ceux qui mourront dans la suite verront cette même essence divine et en jouiront avant le jugement général ;
- et que cette vision de l’essence divine et sa jouissance font disparaître en elles les actes de foi et d’espérance, dans la mesure où la foi et l’espérance sont des vertus proprement théologiques ;
- et que, après qu’une telle vision intuitive face à face et une telle jouissance ont ou auront commencé, cette même vision et cette même jouissance existent de façon continue, sans interruption ni amoindrissement de cette vision et de cette intuition, et demeurent sans fin jusqu’au jugement dernier, et après lui pour toujours.
En outre nous définissons que,
- selon la disposition générale de Dieu, les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel descendent aussitôt après leur mort en enfer, où elles sont tourmentées de peines éternelles, et que néanmoins au jour du jugement tous les hommes comparaîtront avec leurs corps « devant le tribunal du Christ » pour rendre compte de leurs actes personnels, « afin que chacun reçoive le salaire de ce qu’il aura fait pendant qu’il était dans son corps, soit en bien, soit en mal » [3]
Benoît XII, Pape.
- « Karissimi, advertatis parum. Beatus Bernardus in quodam sermone videtur dicere quod merces sanctorum ante adventum Christi erat sinus Abrahae, post adventum Christi et eius passionem et ascensionem in caelo, merces sanctorum est et erit usque ad diem iudicii esse “sub altare Dei”. Unde est dicere quod usque ad diem iudicii, sub altare Dei erunt, et non in caelo » Jean XXII, Sermones in festivitate omnium sanctorum (désormais : Sermones), I [1–11-1331], M. DYKMANS ed., Les sermons de Jean XXII sur la vision béatifique, Roma, 1973 (Miscellanea Historiae Pontificiae, 34), pp. 93, 20–94, 2.[↩]
- Allusion à Ap 6, 9.[↩]
- 2 Co 5,10.[↩]