Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

20 mai 1948

Discours aux membres de l'Institut International pour l’Unification du Droit Privé

Le fondement naturel du droit

Table des matières

L’Institut inter­na­tio­nal pour l’unification du Droit pri­vé fut fon­dé en 1928 et a son siège à Rome (via Panisperna 28).

Il a pour but d’étudier et de coor­don­ner les droits pri­vés des dif­fé­rents États et de pré­pa­rer gra­duel­le­ment l’élaboration d’un règle­ment uni­forme dans le domaine du droit civil et com­mer­cial. Cet Institut tint un Congrès à Rome ; vingt-​huit nations y étaient repré­sen­tées. Le Pape en rece­vant ses membres, leur dit :

Soyez les bien­ve­nus, Messieurs, car c’est une vraie joie pour Nous de vous voir réunis ici au 20e anni­ver­saire de « l’Institut inter­na­tio­nal pour l’unification du Droit privé ».

Après vingt ans pas­sés dans un aus­tère labeur, votre jubi­lé illu­mine d’un rayon de bien­fai­sante clar­té la nuit épaisse qui enve­loppe la situa­tion pré­sente de l’humanité, qui pèse sur notre civi­li­sa­tion occi­den­tale et pro­jette tout par­ti­cu­liè­re­ment son ombre sur tout le domaine juridique.

Croyez-​le bien, nul ne le sent plus pro­fon­dé­ment que l’Église qui se regarde à bon droit comme la mère de cette civi­lisation occi­den­tale, de qui les peuples, non seule­ment de l’Europe et de l’Amérique, mais de l’univers tout entier, ont reçu et reçoivent encore aujourd’hui l’impulsion.

Le Saint-​Père montre qu’il est difficile de concilier : – Le respect des autonomies particulières ; – La nécessité de s’entendre sur des règles communes.

C’est vous dire assez le vif inté­rêt que Nous avons pris à l’exposé de l’activité déployée jusqu’à pré­sent par votre Insti­tut. Opus arduum, certes ! et qui fait hon­neur à l’intelligence, à la science et au labeur de ceux qui s’y sont dépen­sés ! Nous ajou­tons volon­tiers : œuvre aus­si d’infatigable patience, de téna­ci­té à pour­suivre le but pro­po­sé, œuvre de tact pru­dent et déli­cat dans l’examen des pos­si­bi­li­tés, si diverses sui­vant la capa­ci­té et les carac­tères propres à chaque peuple. Œuvre sur­tout d’imperturbable confiance dans le sens du droit et de la jus­tice, inné au cœur de l’humanité. Quel témoi­gnage tan­gible de la convic­tion que sous l’inépuisable varié­té des formes, le droit pré­sente un fond d’éléments juri­diques communs !

L’Église de son côté, a toujours professé qu’il existait un droit commun à l’ensemble des peuples.

Dieu mer­ci ! Nous ne demeu­rons pas en arrière et Nous accueillons avec un vif plai­sir l’occasion que vous Nous offrez de mani­fes­ter une fois encore Notre propre confiance dans ce sens du droit et de la jus­tice, pro­fon­dé­ment ancré dans la nature humaine ; Notre propre convic­tion du fait de ce riche fond juri­dique, com­mun à tous les peuples. Puissiez-​vous trou­ver dans cette décla­ra­tion du Chef de l’Église uni­ver­selle, un encou­ra­ge­ment et un sti­mu­lant à pour­suivre courageu­sement votre tâche.

L’existence de ce droit commun est basée sur la croyance en une person­nalité humaine toujours identique à elle-​même, quant à son fond :

On ne sau­rait, en effet, pré­tendre uni­fier le droit pri­vé des peuples sans d’abord être convain­cu de l’existence iné­luc­table et par­tout valide de ce droit. Et d’autre part, com­ment pourrait-​on être convain­cu de son exis­tence et de sa valeur uni­ver­selle sans l’être du rayon­ne­ment néces­saire de la per­son­na­li­té humaine sur les mul­tiples rela­tions des hommes entre eux, même et sur­tout dans le domaine des biens et des services ?

Le droit naturel est fondé sur les exigences de la personne humaine. Le droit public civil ne peut que préciser ce droit premier ; le droit public n’est pas inventé artificiellement :

Ceux-​là seuls qui ne veulent voir, dans l’individu qu’une simple uni­té qui fait nombre avec une infi­ni­té d’autres tout aus­si ano­nymes, qu’un simple élé­ment d’une masse amorphe, d’un conglo­mé­rat qui est tout l’opposé d’une socié­té quel­conque peuvent se ber­cer de la vaine illu­sion de régler tous les rap­ports entre les hommes uni­que­ment sur la base du droit public. Sans comp­ter que le droit public lui-​même s’effondre du jour où la per­sonne cesse d’être consi­dé­rée, avec tous ses attri­buts, comme l’origine et la fin de toute vie sociale.

En particulier, en ce qui concerne le droit de propriété, il faut énoncer ce droit comme s’inscrivant dans les nécessités mêmes de toute personne humaine :

Ces réflexions valent avant tout dans les ques­tions du droit pri­vé rela­tives à la pro­prié­té. C’est là le point cen­tral, le foyer autour duquel, par la force des choses, gra­vitent vos tra­vaux. La recon­nais­sance de ce droit tient ferme ou croule avec la recon­nais­sance des droits et des devoirs impres­crip­tibles, insé­pa­ra­ble­ment inhé­rents à la per­son­na­li­té libre qu’il a reçue de Dieu.

Seuls ceux qui nient la vraie dignité de la personne humaine peuvent professer la négation de la propriété privée.

Celui-​là seul qui refuse à l’homme cette digni­té de per­sonne libre, peut admettre la pos­si­bi­li­té de sub­sti­tuer au droit à la pro­prié­té pri­vée (et par consé­quent, à la pro­prié­té pri­vée elle-​même) on ne sait quel sys­tème d’assurances ou garan­ties légales de droit public.

Il pèse aujourd’hui sur l’humanité une grave menace ; c’est de voir l’humanité se diviser à propos de deux conceptions irréductibles de l’homme et par là des fonctions de la propriété :

Puissions-​nous ne pas voir se lever le jour où, sur ce point, une cas­sure défi­ni­tive vien­drait sépa­rer les peuples ! De dif­fi­cile qu’il est déjà, le tra­vail d’unification du droit pri­vé devien­drait radi­ca­le­ment impos­sible. Du même coup, un des maîtres-​piliers, qui ont sou­te­nu durant tant de siècles l’édifice de notre civi­li­sa­tion et de notre uni­té occi­den­tale, céde­rait, et pareil à ceux des temples antiques, res­te­rait gisant sous les ruines amon­ce­lées par sa chute.

On constate, de fait, de plusieurs côtés, qu’on bat en brèche tant dans le droit privé que dans le droit public ce droit naturel de propriété :

Grâce à Dieu, nous n’en sommes point encore là ! Pourtant, le manque de scru­pule, avec lequel on viole aujourd’hui des droits pri­vés incon­tes­tables non seule­ment dans la conduite par­ti­cu­lière de cer­tains peuples, mais aus­si dans des conven­tions inter­na­tio­nales et dans des inter­ven­tions uni­la­té­rales, est de nature à alar­mer tous les gar­diens qua­li­fiés de notre civilisation.

Néanmoins de plusieurs côtés d’éminents spécialistes sont conscients de ce danger et étudient le moyen de restaurer la saine notion du droit de propriété :

Encore une fois, nous n’en sommes point encore là, et dans la vie juri­dique des peuples les forces saines semblent enfin se res­sai­sir, reprendre vigueur et per­mettre l’espérance. Un symp­tôme de ce renou­veau est pré­ci­sé­ment à Nos yeux la per­sis­tance et la per­sé­vé­rance de votre Institut, auquel bon nombre d’États et d’organisations ont jusqu’à pré­sent assu­ré leur appui et, Nous n’en dou­tons pas, conti­nue­ront de le lui prê­ter. Aussi est-​ce de tout cœur que Nous vous renou­ve­lons l’expression du confiant inté­rêt que Nous pre­nons à ce jubi­lé tan­dis que Nous appe­lons sur vous, sur vos familles, sur tous ceux qui vous sont chers, l’abondance des grâces et des béné­dictions divines.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Labergerie. – D’après le texte fran­çais de l’Osservatore Romano, du 21 mai 1948.