Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

20 octobre 1939

Lettre encyclique Summi Pontificatus

Sur consécration universelle au Christ-Roi

Donné à Castel-​Gandolfo près Rome, le 20 octobre de l’an 1939

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.

Les mys­té­rieux des­seins du Seigneur Nous ont confié, sans aucun mérite de Notre part, la très haute digni­té et les très graves sol­li­ci­tudes du sou­ve­rain pon­ti­fi­cat pré­ci­sé­ment dans l’an­née qui ramène le qua­ran­tième anni­ver­saire de la consé­cra­tion du genre humain au Cœur Sacré du Rédempteur, pres­crite par Notre immor­tel pré­dé­ces­seur Léon XIII au déclin du siècle der­nier, au seuil de l’Année Sainte.

Avec quelle joie, avec quelle émo­tion et quel intime acquies­ce­ment Nous accueillîmes alors comme un mes­sage céleste l’Encyclique Annum Sacrum, au moment même où, jeune lévite, Nous venions de pou­voir réci­ter l’Introïbo ad altare Dei (Ps. XLII, 4) ! Et avec quel ardent enthou­siasme Nous unîmes Notre cœur aux pen­sées et aux inten­tions qui ani­maient et gui­daient cet acte vrai­ment pro­vi­den­tiel d’un pon­tife qui, avec tant de pro­fonde péné­tra­tion, connais­sait les besoins et les plaies, visibles et cachées, de son temps ! Comment pourrions-​Nous donc ne pas sen­tir aujourd’­hui une pro­fonde recon­nais­sance envers la Providence, qui a vou­lu faire coïn­ci­der Notre pre­mière année de pon­ti­fi­cat avec un sou­ve­nir aus­si impor­tant et aus­si cher de Notre pre­mière année de sacer­doce ; et com­ment pourrions-​Nous ne pas sai­sir avec joie cette occa­sion, pour faire du culte au Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs (I Tim., VI, 15 ; Apoc., XIX 16) comme la prière d’Introït de Notre pon­ti­fi­cat, dans l’es­prit de Notre inou­bliable pré­dé­ces­seur et en fidèle réa­li­sa­tion de ses inten­tions ? Comment n’en ferions-​Nous pas l’al­pha et l’o­mé­ga de Notre volon­té et de Notre espé­rance, de Notre ensei­gne­ment et de Notre acti­vi­té, de Notre patience et de Nos souf­frances, toutes consa­crées à la dif­fu­sion du règne du Christ ?

Si Nous contem­plons sub spe­cie aeter­ni­ta­tis les évé­ne­ments exté­rieurs et les déve­lop­pe­ments inté­rieurs des qua­rante der­nières années, en en mesu­rant les gran­deurs et les lacunes, cette consé­cra­tion uni­ver­selle au Christ-​Roi appa­raît tou­jours davan­tage au regard de Notre esprit dans sa signi­fi­ca­tion sacrée, dans son sym­bo­lisme riche d’ex­hor­ta­tion, dans son but de puri­fi­ca­tion et d’é­lé­va­tion, de raf­fer­mis­se­ment et de défense des âmes, et en même temps dans sa pré­voyante sagesse, visant à gué­rir et à enno­blir toute socié­té humaine et à en pro­mou­voir le véri­table bien. Toujours plus clai­re­ment elle se révèle à Nous comme un mes­sage d’ex­hor­ta­tion et de grâce envoyé par Dieu non seule­ment à son Eglise, mais aus­si à un monde qui n’a­vait que trop besoin d’un exci­ta­teur et d’un guide, alors que, plon­gé dans le culte des biens pas­sa­gers, il s’é­ga­rait tou­jours plus et s’é­pui­sait dans la froide recherche d’i­déals ter­restres ; un mes­sage à une huma­ni­té qui, en troupes tou­jours plus nom­breuses, se déta­chait de la foi au Christ et plus encore de la recon­nais­sance et de l’ob­ser­va­tion de sa loi ; un mes­sage contre une concep­tion du monde à laquelle la doc­trine d’a­mour et de renon­ce­ment du Sermon sur la Montagne et le divin témoi­gnage d’a­mour ren­du sur la Croix appa­rais­saient scan­dale et folie.

Comme un jour le Précurseur du Seigneur, en réponse à ceux qui l’in­ter­ro­geaient pour s’é­clai­rer, pro­cla­mait : Voici l’Agneau de Dieu (Io, I, 29), les aver­tis­sant par là que le Désiré des Nations (Agg., II, 8) demeu­rait quoique encore incon­nu, au milieu d’eux, ain­si le repré­sen­tant du Christ adres­sait sup­pliant son cri vigou­reux : Voici votre Roi ! (Io, XIX, 14) aux rené­gats, aux scep­tiques, aux indé­cis, aux hési­tants, qui refu­saient de suivre le Rédempteur glo­rieux tou­jours vivant et agis­sant dans son Eglise, ou ne le sui­vaient qu’a­vec insou­ciance et lenteur.

La dif­fu­sion et l’ap­pro­fon­dis­se­ment du culte ren­du au Divin Cœur du Rédempteur, culte qui trou­va son splen­dide cou­ron­ne­ment non seule­ment dans la consé­cra­tion de l’hu­ma­ni­té, au déclin du siècle der­nier, mais aus­si dans l’in­tro­duc­tion de la fête de la Royauté du Christ par Notre immé­diat pré­dé­ces­seur, d’heu­reuse mémoire, ont été une source d’in­di­cibles bien­faits pour des âmes sans nombre, un fleuve qui réjouit de ses cou­rants la Cité de Dieu (Ps., XLV, 5). Quelle époque eut jamais plus grand besoin que la nôtre de ces bien­faits ? Quelle époque fut plus que la nôtre tour­men­tée de vide spi­ri­tuel et de pro­fonde indi­gence inté­rieure, en dépit de tous les pro­grès d’ordre tech­nique et pure­ment civil ? Ne peut-​on pas lui appli­quer la parole révé­la­trice de l’Apocalypse : Tu dis : je suis riche et dans l’a­bon­dance et je n’ai besoin de rien ; et tu ne sais pas que tu es un mal­heu­reux, un misé­rable, pauvre, aveugle et nu (Apoc., III, 17) ?

Vénérables Frères, peut-​il y avoir un devoir plus grand et plus urgent que d’an­non­cer les inson­dables richesses du Christ (Eph., III, 8) aux hommes de notre temps ? Et peut-​il y avoir chose plus noble que de déployer les Etendards du Roi - Vexilla Regis – devant ceux qui ont sui­vi et suivent des emblèmes trom­peurs, et de rega­gner au dra­peau vic­to­rieux de la Croix ceux qui l’ont aban­don­né ? Quel cœur ne devrait pas brû­ler de prê­ter son aide, à la vue de tant de frères et de sœurs qui, à la suite d’er­reurs, de pas­sions, d’ex­ci­ta­tions et de pré­ju­gés, se sont éloi­gnés de la foi au vrai Dieu et se sont déta­chés du joyeux mes­sage sau­veur de Jésus-Christ ?

Celui qui appar­tient à la Milice du Christ – qu’il soit ecclé­sias­tique ou laïque – ne devrait-​il pas se sen­tir sti­mu­lé et exci­té à une plus grande vigi­lance, à une défense plus réso­lue, quand il voit aug­men­ter sans cesse les rangs des enne­mis du Christ, quand il s’a­per­çoit que les porte-​parole de ces ten­dances, reniant ou tenant en oubli dans la pra­tique les véri­tés vivi­fi­ca­trices et les valeurs conte­nues dans la foi en Dieu et au Christ, brisent d’une main sacri­lège les tables des com­man­de­ments de Dieu pour les rem­pla­cer par des tables et des règles d’où est ban­nie la sub­stance morale de la révé­la­tion du Sinaï, l’es­prit du Sermon sur la Montagne et de la Croix ? Qui pour­rait sans un pro­fond cha­grin obser­ver com­ment ces dévia­tions font mûrir une tra­gique mois­son par­mi ceux qui, dans les jours de tran­quilli­té et de sécu­ri­té, se comp­taient au nombre des dis­ciples du Christ, mais qui – plus chré­tiens, hélas ! de nom que de fait – à l’heure où il faut per­sé­vé­rer, lut­ter, souf­frir, affron­ter les per­sé­cu­tions cachées ou ouvertes, deviennent vic­times de la pusil­la­ni­mi­té, de la fai­blesse, de l’in­cer­ti­tude, et, pris de ter­reur en face des sacri­fices que leur impose leur pro­fes­sion de foi chré­tienne, ne trouvent pas la force de boire le calice amer des fidèles du Christ ?

Dans ces condi­tions de temps et d’es­prit, Vénérables Frères, puisse la toute pro­chaine fête du Christ-​Roi, pour laquelle vous sera par­ve­nue cette pre­mière Encyclique que Nous vous adres­sons, être un jour de grâce, de pro­fond renou­vel­le­ment et de réveil des âmes dans l’es­prit du Règne du Christ ! Que ce soit un jour où la consé­cra­tion du genre humain au divin Cœur, laquelle devra être célé­brée d’une manière par­ti­cu­liè­re­ment solen­nelle, ras­semble auprès du trône du Roi éter­nel les fidèles de tous les peuples et de toutes les nations, unis dans l’a­do­ra­tion et la répa­ra­tion, pour lui renou­ve­ler, ain­si qu’à sa loi de véri­té et d’a­mour, le ser­ment d’une fidé­li­té indé­fec­tible et per­pé­tuelle ! Que ce soit pour les fidèles un jour de grâce, où le feu, que le Seigneur est venu appor­ter sur la terre, se déve­loppe en une flamme tou­jours plus lumi­neuse et plus pure ! Que ce soit, pour les tièdes, pour les fati­gués, pour les tristes, un jour de grâce et que leurs cœurs pusil­la­nimes voient mûrir de nou­veaux fruits de renais­sance spi­ri­tuelle et d’ac­crois­se­ment de vigueur sur­na­tu­relle ! Que ce soit un jour de grâce pour ceux aus­si qui n’ont pas connu le Christ ou qui l’ont perd ; un jour où s’é­lève vers le ciel, du fond de mil­lions de cœurs fidèles, cette prière : Puisse la lumière qui illu­mine tout homme venant en ce monde (Io., I, 9) faire luire pour eux la voie du salut ; puisse sa grâce sus­ci­ter dans le cœur sans repos des errants la nos­tal­gie des biens éter­nels, les pres­sant de reve­nir vers Celui qui, du trône dou­lou­reux de la Croix, a soif aus­si de leurs âmes et brûle du désir de deve­nir, pour elles aus­si, la Voie, la Vérité et la Vie (Io, XIV, 6).

En pla­çant cette pre­mière Encyclique de Notre pon­ti­fi­cat sous le signe du Christ-​Roi, le cœur plein de confiance et d’es­pé­rance, Nous Nous sen­tons entiè­re­ment sûr de l’ac­quies­ce­ment una­nime et enthou­siaste du trou­peau du Seigneur tout entier. Les expé­riences, les anxié­tés et les épreuves de l’heure pré­sente réveillent, avivent et puri­fient le sen­ti­ment de la com­mu­nau­té de la famille catho­lique à un degré rare­ment expé­ri­men­té jusqu’ici.

Elles sus­citent chez tous ceux qui croient en Dieu et au Christ la conscience d’une com­mune menace venant d’un com­mun dan­ger. De cet esprit de com­mu­nau­té catho­lique, puis­sam­ment aug­men­té dans des cir­cons­tances si dif­fi­ciles, et qui est à la fois recueille­ment et affir­ma­tion, réso­lu­tion et volon­té de vic­toire, Nous avons sen­ti un souffle conso­lant et inou­bliable pen­dant les jours où, d’un pas timide, mais confiant en Dieu, Nous pre­nions pos­ses­sion de la Chaire que la mort de Notre grand pré­dé­ces­seur avait lais­sée vide.

Plein du sou­ve­nir encore si vif des innom­brables témoi­gnages de fidèle atta­che­ment à l’Eglise et au Vicaire du Christ, qui Nous furent adres­sés à l’oc­ca­sion de Notre élec­tion et de Notre cou­ron­ne­ment, avec des mani­fes­ta­tions si tendres, si cha­leu­reuses, si spon­ta­nées, Nous sommes heu­reux de sai­sir cette occa­sion pro­pice pour adres­ser à vous, Vénérables Frères, et à tous ceux qui appar­tiennent au trou­peau du Seigneur, un mot de remer­cie­ment ému pour ce paci­fique plé­bis­cite d’a­mour res­pec­tueux et de fidé­li­té inébran­lable à la Papauté, par lequel on a vou­lu recon­naître la mis­sion pro­vi­den­tielle du Souverain Prêtre et du Suprême Pasteur : car en véri­té toutes ces mani­fes­ta­tions n’é­taient pas et ne pou­vaient pas être adres­sées à Notre pauvre per­sonne, mais à l’u­nique, à l’é­mi­nente charge à laquelle le Seigneur Nous éle­vait. Que si, dès ce pre­mier moment, Nous sen­tions déjà tout le poids des graves res­pon­sa­bi­li­tés atta­chées à la puis­sance suprême qui Nous était confé­rée par la divine Providence, c’é­tait en même temps pour Nous un récon­fort de voir cette gran­diose et pal­pable démons­tra­tion de l’in­di­vi­sible uni­té de l’Eglise catho­lique, qui se serre d’au­tant plus com­pacte contre le rocher infran­gible de Pierre et l’en­toure de murailles et de bas­tions d’au­tant plus solides que l’au­dace des enne­mis du Christ s’ac­croît davan­tage. Ce plé­bis­cite d’u­ni­té catho­lique mon­diale et de fra­ter­ni­té sur­na­tu­relle de peuples autour du Père com­mun Nous sem­blait d’au­tant plus riche d’heu­reuses espé­rances que plus tra­giques étaient les cir­cons­tances maté­rielles et spi­ri­tuelles du moment où il arri­vait ; et son sou­ve­nir a conti­nué de Nous récon­for­ter pen­dant les pre­miers mois de Notre pon­ti­fi­cat, au cours des­quels Nous avons déjà expé­ri­men­té les fatigues, les anxié­tés et les épreuves dont est semé le che­min de l’Epouse du Christ à tra­vers le monde.

Nous ne vou­lons pas non plus pas­ser sous silence quel écho de recon­nais­sance émue ont sus­ci­té dans Notre cœur les vœux de ceux qui, bien que n’ap­par­te­nant pas au corps visible de l’Eglise Catholique, n’ont pas oublié dans la noblesse et la sin­cé­ri­té de leurs sen­ti­ments, tout ce qui, ou dans l’a­mour envers la per­sonne du Christ, ou dans la croyance en Dieu, les unit à Nous. Qu’à tous aille l’ex­pres­sion de Notre gra­ti­tude. Nous les confions tous et cha­cun à la pro­tec­tion et à la conduite du Seigneur, en don­nant l’as­su­rance solen­nelle qu’une seule pen­sée domine Notre esprit : imi­ter l’exemple du Bon Pasteur pour conduire tous les hommes au vrai bon­heur : afin qu’ils aient la vie et qu’ils l’aient en abon­dance (Io. X, 10).

Mais en par­ti­cu­lier Nous res­sen­tons un vif désir d’ex­pri­mer Notre intime gra­ti­tude pour les témoi­gnages de défé­rent res­pect, que Nous ont adres­sés les sou­ve­rains, les chefs d’Etat ou les auto­ri­tés consti­tuées des nations avec les­quelles le Saint-​Siège entre­tient des rela­tions amiables.

C’est une joie sin­gu­lière pour Notre cœur, de pou­voir, en cette pre­mière Encyclique adres­sée au peuple chré­tien épars dans le monde, comp­ter par­mi elles la chère Italie, jar­din fer­tile de la foi plan­tée par les princes des apôtres, et qui, grâce à l’œuvre pro­vi­den­tielle des accords du Latran, occupe désor­mais une place d’hon­neur par­mi les Etats repré­sen­tés offi­ciel­le­ment auprès du Siège apos­to­lique. De ces accords a pris nais­sance, comme l’au­rore d’une tran­quille et fra­ter­nelle union des âmes devant les saints autels et dans les rela­tions de la vie civile, la pax Christi Italiae red­di­ta, la paix du Christ ren­due à l’Italie. Nous sup­plions le Seigneur de per­mettre que l’at­mo­sphère sereine de cette paix imprègne, avive, dilate et affer­misse, puis­sam­ment et pro­fon­dé­ment, l’âme du peuple ita­lien, qui Nous est si proche, au milieu duquel Nous res­pi­rons le même souffle de vie. A Nos prières se joignent Nos sou­haits pour que ce peuple, si cher à Nos pré­dé­ces­seurs et à Nous-​même, fidèle à ses glo­rieuses tra­di­tions catho­liques sente chaque jour davan­tage, grâce à la haute pro­tec­tion du ciel, la véri­té des paroles du psal­miste : « Beatus popu­lus, cuius Dominus Deus eius (Ps., CXLIII, 15.) Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu ! »

Cette nou­velle situa­tion juri­dique et spi­ri­tuelle, que tant de vœux appe­laient, et que les accords du Latran, des­ti­nés à lais­ser une empreinte indé­lé­bile dans l’his­toire, ont créée et sanc­tion­née pour l’Italie et pour toutl’u­ni­vers catho­lique, Nous n’en avons jamais mieux sen­ti toute la gran­deur et la puis­sance d’u­nion, qu’à l’ins­tant où, de la loge éle­vée de la Basilique Vaticane, pour la pre­mière fois, Nous avons ouvert Nos bras et éten­du Notre main bénis­sante sur cette Rome, siège de la Papauté et Notre bien-​aimée ville natale, sur l’Italie récon­ci­liée avec l’Eglise, et sur les peuples du monde entier.

Comme Vicaire de Celui qui, en une heure déci­sive, devant le repré­sen­tant de la plus haute auto­ri­té ter­restre d’a­lors, pro­non­ça la grande parole : Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoi­gnage à la véri­té ; qui­conque est de la véri­té écoute ma voix (Io, XVIII, 37), il n’est rien dont Nous Nous sen­tions davan­tage débi­teur envers Notre charge et envers Notre temps, que de rendre, avec une apos­to­lique fer­me­té, témoi­gnage à la véri­té : tes­ti­mo­nium per­hi­bere veri­ta­ti. Ce devoir com­prend néces­sai­re­ment l’ex­po­sé et la réfu­ta­tion d’er­reurs et de fautes humaines, qu’il est néces­saire de connaître, pour qu’il soit pos­sible de les soi­gner et de les gué­rir : vous connaî­trez la véri­té et la véri­té vous déli­vre­ra (Io, VIII, 32).

Dans l’ac­com­plis­se­ment de ce devoir qui Nous incombe, Nous ne Nous lais­se­rons pas influen­cer par des consi­dé­ra­tions ter­restres ni arrê­ter par des défiances et des oppo­si­tions, par des refus et des incom­pré­hen­sions, ou par la crainte de mécon­nais­sances et de fausses inter­pré­ta­tions. Mais Nous le rem­pli­rons tou­jours, ani­mé de cette cha­ri­té pater­nelle, qui, tan­dis qu’elle souffre des maux qui tour­mentent ses fils, leur en indique le remède ; c’est dire que Nous Nous effor­ce­rons d’i­mi­ter le divin modèle des pas­teurs, le Bon Pasteur Jésus, qui est à la fois lumière et amour : pra­ti­quant la véri­té dans la cha­ri­té (Eph., XV, 15).

A l’en­trée du che­min qui conduit à l’in­di­gence spi­ri­tuelle et morale des temps pré­sents se trouvent les efforts néfastes d’un grand nombre d’hommes pour détrô­ner le Christ, l’a­ban­don de la loi de la véri­té, qu’il annon­ça, de la loi de l’a­mour, qui est le souffle vital de son règne.

La recon­nais­sance des droits royaux du Christ et le retour des indi­vi­dus et de la socié­té à la loi de sa véri­té et de son amour sont la seule voie de salut.

Au moment, Vénérables Frères, où Nous tra­çons ces lignes, Nous arrive l’af­freuse nou­velle que le ter­rible oura­gan de la guerre, mal­gré toutes les ten­ta­tives faites par Nous pour le conju­rer, s’est déjà déchaî­né. Notre plume vou­drait s’ar­rê­ter quand Nous pen­sons à l’a­bîme de souf­frances d’in­nom­brables êtres, aux­quels hier encore, dans le milieu fami­lial, sou­riait un rayon de modeste bien-​être. Notre cœur pater­nel est sai­si d’an­goisse quand Nous pré­voyons tout ce qui pour­ra ger­mer de la téné­breuse semence de la vio­lence et de la haine, à laquelle l’é­pée ouvre aujourd’­hui des sillons san­glants. Mais pré­ci­sé­ment devant ces pré­vi­sions apo­ca­lyp­tiques de mal­heurs immi­nents ou futurs, Nous consi­dé­rons comme Notre devoir d’é­le­ver avec une insis­tance crois­sante les yeux et les cœurs de qui­conque garde encore un sen­ti­ment de bonne volon­té, vers Celui de qui seul dérive le salut du monde, le Seul dont la main toute-​puissante et misé­ri­cor­dieuse puisse mettre fin à cette tem­pête, le Seul dont la véri­té et l’a­mour puissent illu­mi­ner les intel­li­gences et enflam­mer les âmes d’une si grande par­tie de l’hu­ma­ni­té plon­gée dans l’er­reur, dans l’é­goïsme, dans les oppo­si­tions et dans la lutte pour la repla­cer dans l’ordre, dans l’es­prit de la Royauté du Christ.

Peut-​être – Dieu le veuille ! – est-​il per­mis d’es­pé­rer que cette heure de suprême indi­gence sera aus­si une heure de chan­ge­ment d’i­dées et de sen­ti­ments pour beau­coup, qui mar­chaient jus­qu’i­ci avec une confiance aveugle dans le che­min d’er­reurs modernes si répan­dues, sans soup­çon­ner à quel point était semé d’embûches et d’in­cer­ti­tudes le ter­rain sur lequel ils se trou­vaient. Beaucoup peut-​être, qui ne sai­sis­saient pas l’im­por­tance de la mis­sion édu­ca­trice et pas­to­rale de l’Eglise, comprendront-​ils mieux main­te­nant les aver­tis­se­ments de l’Eglise, par eux négli­gés dans la fausse sécu­ri­té des temps pas­sés. Les angoisses du pré­sent sont une apo­lo­gie du Christianisme, qui ne sau­rait être plus impres­sion­nante. Du gigan­tesque tour­billon d’er­reurs et de mou­ve­ments anti­chré­tiens ont mûri des fruits si amers, qu’ils en consti­tuent une condam­na­tion dont l’ef­fi­ca­ci­té sur­passe toute réfu­ta­tion théorique.

Des heures de si pénible dés­illu­sion sont sou­vent des heures de grâce, un pas­sage du Seigneur (Exod., XII, 11), auquel sur la parole du Sauveur : Me voi­ci à l’en­trée et je frappe (Apoc., III, 20), s’ouvrent des portes qui sans cela seraient res­tées fer­mées. Dieu sait avec quel amour com­pa­tis­sant, avec quelle sainte joie Notre cœur se tourne vers ceux qui, à la suite de dou­lou­reuses expé­riences comme celles-​ci, sen­ti­raient naître en eux le pres­sant et salu­taire désir de la véri­té, de la jus­tice et de la paix du Christ. Mais même envers ceux pour qui n’a pas encore son­né l’heure de l’illu­mi­na­tion suprême, Notre cœur ne connaît qu’a­mour et Nos lèvres n’ont que des prières au Père des lumières, afin qu’il fasse res­plen­dir dans leurs cœurs indif­fé­rents ou enne­mis du Christ un rayon de cette lumière qui un jour trans­for­ma Saul en Paul, de cette lumière qui a mon­tré sa force mys­té­rieuse pré­ci­sé­ment dans les temps les plus dif­fi­ciles pour l’Eglise.

Une prise de posi­tion doc­tri­nale com­plète contre les erreurs des temps pré­sents peut être ren­voyée, s’il en est besoin, à un autre moment, moins bou­le­ver­sé que celui-​ci par les cala­mi­tés des évé­ne­ments exté­rieurs. Nous Nous bor­nons aujourd’­hui à quelques obser­va­tions fondamentales.

Le temps actuel, Vénérables Frères, ajou­tant aux dévia­tions doc­tri­nales du pas­sé de nou­velles erreurs les a pous­sées à des extré­mi­tés d’où ne pou­vaient s’en­suivre qu’é­ga­re­ment et ruine. Et avant tout il est cer­tain que la racine pro­fonde et der­nière des maux que Nous déplo­rons dans la socié­té moderne est néga­tion et le rejet d’une règle de mora­li­té uni­ver­selle, soit dans la vie indi­vi­duelle, soit dans la vie sociale et dans les rela­tions inter­na­tio­nales : c’est-​à-​dire la mécon­nais­sance et l’ou­bli, si répan­dus de nos jours, de la loi natu­relle elle-​même, laquelle trouve son fon­de­ment en Dieu, créa­teur tout-​puissant et père de tous, suprême et abso­lu légis­la­teur, omni­scient et juste ven­geur des actions humaines. Quand Dieu est renié, toute base de mora­li­té s’en trouve ébran­lée du même coup, et l’on voit s’é­touf­fer ou du moins s’af­fai­blir sin­gu­liè­re­ment la voix de la nature, qui enseigne même aux igno­rants et aux tri­bus non encore arri­vées à la civi­li­sa­tion ce qui est bien et ce qui est mal, le licite et l’illi­cite, et fait sen­tir à cha­cun la res­pon­sa­bi­li­té de ses actions devant un juge suprême.

Or la néga­tion de la base fon­da­men­tale de la mora­li­té eut en Europe sa racine ori­gi­nelle dans l’a­ban­don de la doc­trine du Christ, dont la Chaire de Pierre est dépo­si­taire et maî­tresse. Cette doc­trine, durant un temps, avait don­né une cohé­sion spi­ri­tuelle à l’Europe, laquelle, édu­quée, enno­blie et civi­li­sée par la Croix, était arri­vée à un tel degré de pro­grès civil, qu’elle pou­vait ensei­gner d’autres peuples et d’autres conti­nents. Une fois déta­chés, en revanche, du Magistère infaillible de l’Eglise, de nom­breux frères sépa­rés en sont arri­vés à ren­ver­ser le dogme cen­tral du chris­tia­nisme, la divi­ni­té du Sauveur, accé­lé­rant ain­si le mou­ve­ment de dis­so­lu­tion spirituelle.

Le saint Evangile raconte que, quand Jésus fut cru­ci­fié, les ténèbres se firent sur toute la terre (Matth., XXVII, 45) : effrayant sym­bole de ce qui est arri­vé et arrive encore dans les esprits, par­tout où l’in­cré­du­li­té aveugle et orgueilleuse d’elle-​même a de fait exclu le Christ de la vie moderne, spé­cia­le­ment de la vie publique, et avec la foi au Christ a ébran­lé aus­si la foi en Dieu. Les valeurs morales selon les­quelles, en d’autres temps, on jugeait les actions pri­vées et publiques sont tom­bées, par voie de consé­quence, comme en désué­tude ; et la laï­ci­sa­tion si van­tée de la socié­té, qui a fait des pro­grès tou­jours plus rapides, sous­trayant l’homme, la famille et l’Etat à l’in­fluence bien­fai­sante et régé­né­ra­trice de l’i­dée de Dieu et de l’en­sei­gne­ment de l’Eglise, a fait réap­pa­raître, même dans des régions où brillèrent pen­dant tant de siècles les splen­deurs de la civi­li­sa­tion chré­tienne, les signes tou­jours plus clairs, tou­jours plus dis­tincts, tou­jours plus angois­sants d’un paga­nisme cor­rom­pu et cor­rup­teur : les ténèbres se firent tan­dis qu’ils cru­ci­fiaient Jésus [1].

Beaucoup peut-​être, en s’é­loi­gnant de la doc­trine du Christ, n’eurent pas plei­ne­ment conscience d’être induits en erreur par le mirage de phrases brillantes, qui célé­braient ce déta­che­ment comme une libé­ra­tion du ser­vage dans lequel ils auraient été aupa­ra­vant rete­nus ; ils ne pré­voyaient pas davan­tage les amères consé­quences de ce triste échange entre la véri­té qui délivre et l’er­reur qui asser­vit ; et ils ne pen­saient pas qu’en renon­çant à la loi infi­ni­ment sage et pater­nelle de Dieu et à l’u­ni­fiante et éle­vante doc­trine d’a­mour du Christ, ils se livraient à l’ar­bi­traire d’une pauvre et chan­geante sagesse humaine : ils par­lèrent de pro­grès alors qu’ils recu­laient ; d’é­lé­va­tion alors qu’ils se dégra­daient ; d’as­cen­sion vers la matu­ri­té, alors qu’ils tom­baient dans l’es­cla­vage ; ils ne per­ce­vaient pas l’i­na­ni­té de tout effort humain ten­dant à rem­pla­cer la loi du Christ par quelque autre chose qui l’é­gale : ils se per­dirent dans la vani­té de leurs pen­sées. (Rom., I, 21.).

Quand fut affai­blie la foi en Dieu et en Jésus-​Christ, quand fut obs­cur­cie dans les âmes la lumière des prin­cipes moraux, du même coup se trou­va sapé le fon­de­ment unique, et impos­sible à rem­pla­cer, de cette sta­bi­li­té, de cette tran­quilli­té, de cet ordre exté­rieur et inté­rieur, pri­vé et public, qui seul peut engen­drer et sau­ve­gar­der la pros­pé­ri­té des Etats.

Certes, même quand l’Europe fra­ter­ni­sait dans des idéals iden­tiques reçus de la pré­di­ca­tion chré­tienne, il ne man­qua pas de dis­sen­sions, de bou­le­ver­se­ments et de guerres qui la déso­lèrent ; mais jamais peut-​être on n’é­prou­va à un degré aus­si aigu le décou­ra­ge­ment propre à nos jours sur la pos­si­bi­li­té d’y mettre fin : c’est qu’elle était vive alors, cette conscience du juste et de l’in­juste, du licite et de l’illi­cite, qui faci­lite les ententes en met­tant un frein au déchaî­ne­ment des pas­sions et qui laisse la porte ouverte à une hon­nête com­po­si­tion. De nos jours, au contraire, les dis­sen­sions ne pro­viennent pas seule­ment d’é­lans de pas­sions rebelles, mais d’une pro­fonde crise spi­ri­tuelle qui a bou­le­ver­sé les sages prin­cipes de la morale pri­vée et publique.

Parmi les mul­tiples erreurs qui jaillissent de la source empoi­son­née de l’ag­nos­ti­cisme reli­gieux et moral, il en est deux, Vénérables Frères, sur les­quelles Nous vou­lons atti­rer votre atten­tion d’une façon par­ti­cu­lière, comme étant celles qui rendent presque impos­sible, ou au moins pré­caire et incer­taine, la paci­fique vie en com­mun des peuples.

La pre­mière de ces per­ni­cieuses erreurs, aujourd’­hui lar­ge­ment répan­due, est l’ou­bli de cette loi de soli­da­ri­té humaine et de cha­ri­té, dic­tée et impo­sée aus­si bien par la com­mu­nau­té d’o­ri­gine et par l’é­ga­li­té de la nature rai­son­nable chez tous les hommes, à quelque peuple qu’ils appar­tiennent, que par le sacri­fice de rédemp­tion offert par Jésus-​Christ sur l’au­tel de la Croix à son Père céleste en faveur de l’hu­ma­ni­té pécheresse.

De fait la pre­mière page de l’Ecriture, avec une gran­diose sim­pli­ci­té, nous raconte com­ment Dieu cou­ron­na son œuvre créa­trice en fai­sant l’homme à son image et à sa res­sem­blance (cf. Gen., I, 26–27) et le même Livre saint nous enseigne qu’il l’en­ri­chit de dons et de pri­vi­lèges sur­na­tu­rels, le des­ti­nant à une éter­nelle et inef­fable féli­ci­té. L’Ecriture nous montre en outre com­ment du pre­mier couple tirèrent leur ori­gine les autres hommes, dont elle nous fait suivre, avec une plas­ti­ci­té de lan­gage qui n’a pas été dépas­sée, la divi­sion en plu­sieurs groupes et la dis­per­sion dans les diverses par­ties du monde. Même quand ils s’é­loi­gnèrent de leur Créateur, Dieu ne ces­sa de les consi­dé­rer comme des fils qui devaient un jour, selon ses misé­ri­cor­dieux des­seins, être encore une fois réunis dans son ami­tié (cf. Gen., XII, 3).

L’Apôtre des Nations, à son tour, se fait le héraut de cette véri­té, qui unit fra­ter­nel­le­ment tous les hommes en une grande famille, quand il annonce au monde grec que Dieu « a fait sor­tir d’une souche unique toute la des­cen­dance des hommes, pour qu’elle peu­plât la sur­face de la terre, et a fixé la durée de son exis­tence et les limites de son habi­tacle, afin que tous cherchent le Seigneur » (Act., XVII, 26–27.)

Merveilleuse vision, qui nous fait contem­pler le genre humain dans l’u­ni­té de son ori­gine en Dieu : un seul Dieu, Père de tous, qui est au-​dessus de tous, et en toutes choses, et en cha­cun de nous (Eph., IV, 6); dans l’u­ni­té de sa nature, com­po­sée pareille­ment chez tous d’un corps maté­riel et d’une âme spi­ri­tuelle et immor­telle ; dans l’u­ni­té de sa fin immé­diate et de sa mis­sion dans le monde, dans l’u­ni­té de son habi­ta­tion : la terre, des biens de laquelle tous les hommes, par droit de nature, peuvent user pour sou­te­nir et déve­lop­per la vie ; dans l’u­ni­té de sa fin sur­na­tu­relle : Dieu même, à qui tous doivent tendre, dans l’u­ni­té des moyens pour atteindre cette fin.

Et le même apôtre nous montre l’hu­ma­ni­té dans l’u­ni­té de ses rap­ports avec le Fils de Dieu, image du Dieu invi­sible, en qui toutes choses ont été créées : in ipso condi­ta sunt uni­ver­sa (Col., I, 16) ; dans l’u­ni­té de son rachat opé­ré pour tous par le Christ, lequel a réta­bli l’a­mi­tié ori­gi­nelle avec Dieu, qui avait été rom­pue, moyen­nant sa sainte et très dou­lou­reuse pas­sion, se fai­sant média­teur entre Dieu et les hommes : car il n’y a qu’un Dieu, et qu’un média­teur entre Dieu et les hommes : le Christ Jésus fait homme (I Tim., II, 5.)

Et pour rendre plus intime cette ami­tié entre Dieu et l’hu­ma­ni­té, ce même média­teur divin et uni­ver­sel de salut et de paix, dans le silence sacré du Cénacle, avant de consom­mer le sacri­fice suprême, lais­sa tom­ber de ses lèvres divines la parole qui se réper­cute bien haut à tra­vers les siècles, sus­ci­tant des héroïsmes de cha­ri­té au milieu d’un monde vide d’a­mour et déchi­ré par la haine : Ceci est mon com­man­de­ment : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés (Io, XV, 12.)

Ce sont là des véri­tés sur­na­tu­relles, qui éta­blissent des bases pro­fondes et de puis­sants liens d’u­nion, ren­for­cés par l’a­mour de Dieu et du Divin Rédempteur, de qui tous reçoivent le salut « pour l’é­di­fi­ca­tion du corps du Christ, jus­qu’à ce que nous par­ve­nions tous ensemble à l’u­ni­té de la foi, à la pleine connais­sance du Fils de Dieu, à l’é­tat d’homme par­fait, selon la mesure de la pleine gran­deur du Christ » (cf. Eph., IV, 12, 13).

A la lumière de cette uni­té en droit et en fait de l’hu­ma­ni­té entière, les indi­vi­dus ne nous appa­raissent pas sans liai­son entre eux, comme des grains de sable, mais bien au contraire unis par des rela­tions orga­niques, har­mo­nieuses et mutuelles – variées selon la varié­té des temps, – et résul­tant de leur des­ti­na­tion et de leur impul­sion, natu­relle et surnaturelle.

Et les nations en se déve­lop­pant et en se dif­fé­ren­ciant selon les diverses condi­tions de vie et de culture, ne sont pas des­ti­nées à mettre en pièces l’u­ni­té du genre humain, mais à l’en­ri­chir et à l’embellir par la com­mu­ni­ca­tion de leurs qua­li­tés par­ti­cu­lières et par l’é­change réci­proque des biens, qui ne peut être pos­sible et en même temps effi­cace que quand un amour mutuel et une cha­ri­té vive­ment sen­tie unissent tous les enfants d’un même Père et toutes les âmes rache­tées par un même sang divin.

L’Eglise du Christ, fidèle dépo­si­taire de la divine sagesse édu­ca­trice, ne peut pen­ser ni ne pense à atta­quer ou à més­es­ti­mer les carac­té­ris­tiques par­ti­cu­lières que chaque peuple, avec une pié­té jalouse et une com­pré­hen­sible fier­té, conserve et consi­dère comme un pré­cieux patri­moine. Son but est l’u­ni­té sur­na­tu­relle dans l’a­mour uni­ver­sel sen­ti et pra­ti­qué, et non l’u­ni­for­mi­té exclu­si­ve­ment exté­rieure, super­fi­cielle et par là débilitante.

Toutes les orien­ta­tions, toutes les sol­li­ci­tudes, diri­gées vers un déve­lop­pe­ment sage et ordon­né des forces et ten­dances par­ti­cu­lières, qui ont leur racine dans les fibres les plus pro­fondes de chaque rameau eth­nique, pour­vu qu’elles ne s’op­posent pas aux devoirs déri­vant pour l’hu­ma­ni­té de son uni­té d’o­ri­gine et de sa com­mune des­ti­née, l’Eglise les salue avec joie et les accom­pagne de ses vœux mater­nels. Elle a mon­tré à maintes reprises dans son acti­vi­té mis­sion­naire, que cette règle est l’é­toile direc­trice de son apos­to­lat uni­ver­sel. D’innombrables recherches et inves­ti­ga­tions de pion­niers, accom­plies en esprit de sacri­fice, de dévoue­ment et d’a­mour par les mis­sion­naires de tous les temps, se sont pro­po­sé de faci­li­ter l’in­time com­pré­hen­sion et le res­pect des civi­li­sa­tions les plus variées et d’en rendre les valeurs spi­ri­tuelles fécondes pour une vivante et vivi­fiante pré­di­ca­tion de l’Evangile du Christ. Tout ce qui, dans ces usages et cou­tumes, n’est pas indis­so­lu­ble­ment lié à des erreurs reli­gieuses sera tou­jours exa­mi­né avec bien­veillance, et, quand ce sera pos­sible, pro­té­gé et encou­ra­gé. Notre immé­diat pré­dé­ces­seur, de sainte et véné­rée mémoire, appli­quant ces règles à une ques­tion par­ti­cu­liè­re­ment déli­cate, prit là-​dessus des déci­sions si géné­reuses qu’elles dressent comme un monu­ment à l’am­pleur de son intui­tion et à l’ar­deur de son esprit apos­to­lique. Et il n’est pas néces­saire, Vénérables Frères, de vous annon­cer que Nous vou­lons mar­cher sans hési­ta­tion dans cette voie. Ceux qui entrent dans l’Eglise, quelle que soit leur ori­gine ou leur langue, doivent savoir qu’ils ont un droit égal de fils dans la mai­son du Seigneur, où règnent la loi et la paix du Christ. C’est en confor­mi­té avec ces règles d’é­ga­li­té, que l’Eglise consacre ses soins à for­mer un cler­gé indi­gène à la hau­teur de sa tâche, et à aug­men­ter gra­duel­le­ment les rangs des évêques indi­gènes. Et pour don­ner à Nos inten­tions une expres­sion exté­rieure, Nous avons choi­si la fête pro­chaine du Christ-​Roi pour éle­ver à la digni­té épis­co­pale, sur le tom­beau du prince des apôtres, douze repré­sen­tants des peuples ou groupes de peuples les plus divers.

Au milieu des déchi­rantes oppo­si­tions qui divisent la famille humaine, puisse cet acte solen­nel pro­cla­mer à tous Nos fils épars dans le monde que l’es­prit, l’en­sei­gne­ment et l’œuvre de l’Église ne pour­ront jamais être dif­fé­rents de ce que prê­chait l’a­pôtre des nations : « Revêtez-​vous de l’homme nou­veau, qui se renou­velle dans la connais­sance de Dieu à l’i­mage de celui qui l’a créé ; en lui il n’y a plus ni grec ou juif, ni cir­con­cis ou incir­con­cis ; ni bar­bare ou Scythe, ni esclave ou homme libre : mais le Christ est tout et il est en tous » (Col., III, 10–11.)

Et il n’est pas à craindre que la conscience de la fra­ter­ni­té uni­ver­selle, incul­quée par la doc­trine chré­tienne, et le sen­ti­ment qu’elle ins­pire, soient en oppo­si­tion avec l’a­mour que cha­cun porte aux tra­di­tions et aux gloires de sa propre patrie, et empêchent d’en pro­mou­voir la pros­pé­ri­té et les inté­rêts légi­times ; car cette même doc­trine enseigne que dans l’exer­cice de la cha­ri­té il existe un ordre éta­bli par Dieu, selon lequel il faut por­ter un amour plus intense et faire du bien de pré­fé­rence à ceux à qui l’on est uni par des liens spé­ciaux. Le Divin Maître lui-​même don­na l’exemple de cette pré­fé­rence envers sa terre et sa patrie en pleu­rant sur l’im­mi­nente des­truc­tion de la Cité sainte. Mais le légi­time et juste amour de cha­cun envers sa propre patrie ne doit pas faire fer­mer les yeux sur l’u­ni­ver­sa­li­té de la cha­ri­té chré­tienne, qui enseigne à consi­dé­rer aus­si les autres et leur pros­pé­ri­té dans la lumière paci­fiante de l’amour.

Telle est la mer­veilleuse doc­trine d’a­mour et de paix qui a si noble­ment contri­bué au pro­grès civil et reli­gieux de l’hu­ma­ni­té. Et les hérauts qui l’an­non­cèrent, mus par une sur­na­tu­relle cha­ri­té, non seule­ment se mon­trèrent défri­cheurs des terres et méde­cins des corps, mais sur­tout ils amé­lio­rèrent, mode­lèrent et éle­vèrent la vie à des alti­tudes divines, la lan­çant vers les som­mets de la sain­te­té, où l’on voit tout dans la lumière de Dieu.

Ils édi­fièrent des monu­ments et des temples, qui montrent vers quelles hau­teurs géniales l’i­déal chré­tien pousse l’âme dans son vol, mais sur­tout ils firent d’hommes, sages ou igno­rants, forts ou faibles, des temples vivants de Dieu et des sar­ments de la même vigne : le Christ ; ils trans­mirent aux géné­ra­tions futures les tré­sors de l’art et de la sagesse antique, mais sur­tout ils les ren­dirent par­ti­ci­pantes de cet inef­fable don de la sagesse éter­nelle, qui fait fra­ter­ni­ser les hommes et les unit par un lien de sur­na­tu­relle appartenance.

Vénérables Frères, si l’ou­bli de la loi de cha­ri­té uni­ver­selle, qui seule peut conso­li­der la paix en étei­gnant les haines et en atté­nuant les ran­cœurs et les oppo­si­tions, est la source de maux très graves pour la paci­fique vie en com­mun des peuples, il est une autre erreur non moins dan­ge­reuse pour le bien-​être des nations et la pros­pé­ri­té de la grande socié­té humaine qui ras­semble et embrasse dans ses limites toutes les nations : c’est l’er­reur conte­nue dans les concep­tions qui n’hé­sitent pas à délier l’au­to­ri­té civile de toute espèce de dépen­dance à l’é­gard de l’Etre suprême, cause pre­mière et maître abso­lu, soit de l’homme soit de la socié­té, et de tout lien avec la loi trans­cen­dante qui dérive de Dieu comme de sa pre­mière source. De telles concep­tions accordent à l’au­to­ri­té civile une facul­té illi­mi­tée d’ac­tion, aban­don­née aux ondes chan­geantes du libre arbitre ou aux seuls pos­tu­lats d’exi­gences his­to­riques contin­gentes et d’in­té­rêts s’y rapportant.

L’autorité de Dieu et l’empire de sa loi étant ain­si reniés, le pou­voir civil, par une consé­quence iné­luc­table, tend à s’at­tri­buer cette auto­ri­té abso­lue qui n’ap­par­tient qu’au Créateur et Maître suprême, et à se sub­sti­tuer au Tout-​Puissant, en éle­vant l’État ou la col­lec­ti­vi­té à la digni­té de fin ultime de la vie, d’ar­bitre sou­ve­rain de l’ordre moral et juri­dique, et en inter­di­sant de ce fait tout appel aux prin­cipes de la rai­son natu­relle et de la conscience chrétienne.

Nous ne mécon­nais­sons pas, il est vrai, que par bon­heur, des prin­cipes erro­nés n’exercent pas tou­jours entiè­re­ment leur influence, sur­tout quand les tra­di­tions chré­tiennes, plu­sieurs fois sécu­laires dont les peuples se sont nour­ris res­tent encore pro­fon­dé­ment – quoique incons­ciem­ment – enra­ci­nées dans les cœurs. Toutefois, il ne faut pas oublier l’es­sen­tielle insuf­fi­sance et fra­gi­li­té de toute règle de vie sociale qui repo­se­rait sur un fon­de­ment exclu­si­ve­ment humain, s’ins­pi­re­rait de motifs exclu­si­ve­ment ter­restres, et pla­ce­rait sa force dans la sanc­tion d’une auto­ri­té sim­ple­ment externe.

Là où est niée la dépen­dance du droit humain à l’é­gard du droit divin, là où l’on ne fait appel qu’à une vague et incer­taine idée d’au­to­ri­té pure­ment ter­restre, là où l’on reven­dique une auto­no­mie fon­dée seule­ment sur une morale uti­li­taire, le droit humain lui-​même perd jus­te­ment dans ses appli­ca­tions les plus oné­reuses l’au­to­ri­té morale qui lui est néces­saire, comme condi­tion essen­tielle, pour être recon­nu et pour pos­tu­ler même des sacrifices.

Il est bien vrai que le pou­voir fon­dé sur des bases aus­si faibles et aus­si vacillantes peut obte­nir par­fois, par le fait de cir­cons­tances contin­gentes, des suc­cès maté­riels capables de sus­ci­ter l’é­ton­ne­ment d’ob­ser­va­teurs super­fi­ciels. Mais vient le moment où triomphe l’i­né­luc­table loi qui frappe tout ce qui a été construit sur une dis­pro­por­tion, ouverte ou dis­si­mu­lée, entre la gran­deur du suc­cès maté­riel et exté­rieur et la fai­blesse de la valeur interne et de son fon­de­ment moral : dis­pro­por­tion qui se ren­contre tou­jours, là où l’au­to­ri­té publique mécon­naît ou renie l’empire du Législateur suprême qui, s’il a don­né la puis­sance aux gou­ver­nants, en a aus­si assi­gné et déter­mi­né les limites.

La sou­ve­rai­ne­té civile, en effet, a été vou­lue par le Créateur (comme l’en­seigne sage­ment Notre grand pré­dé­ces­seur Léon XIII dans l’Encyclique Immortale Dei), afin qu’elle réglât la vie sociale selon les pres­crip­tions d’un ordre immuable dans ses prin­cipes uni­ver­sels, qu’elle ren­dît plus aisée à la per­sonne humaine, dans l’ordre tem­po­rel, l’ob­ten­tion de la per­fec­tion phy­sique, intel­lec­tuelle et morale, et qu’elle l’ai­dât à atteindre sa fin surnaturelle.

C’est par consé­quent la noble pré­ro­ga­tive et la mis­sion de l’Etat, que de contrô­ler, aider et régler les acti­vi­tés pri­vées et indi­vi­duelles de la vie natio­nale, pour les faire conver­ger har­mo­nieu­se­ment vers le bien com­mun, lequel ne peut être déter­mi­né par des concep­tions arbi­traires, ni trou­ver sa loi pri­mor­diale dans la pros­pé­ri­té maté­rielle de la socié­té, mais bien plu­tôt dans le déve­lop­pe­ment har­mo­nieux et dans la per­fec­tion natu­relle de l’homme, à quoi le Créateur a des­ti­né la socié­té en tant que moyen.

Considérer l’Etat comme une fin à laquelle toute chose doive être subor­don­née et orien­tée ne pour­rait que nuire à la vraie et durable pros­pé­ri­té des nations. Et c’est ce qui arrive, soit quand un tel empire illi­mi­té est attri­bué à l’Etat, consi­dé­ré man­da­taire de la nation, du peuple, de la famille eth­nique ou encore d’une classe sociale, soit quand l’Etat y pré­tend en maître abso­lu, indé­pen­dam­ment de toute espèce de mandat.

En effet, si l’Etat s’at­tri­bue et ordonne à soi les ini­tia­tives pri­vées, celles-​ci régies comme elles le sont par des règles internes déli­cates et com­plexes, garan­tis­sant et assu­rant l’ob­ten­tion du but qui leur est propre, peuvent être lésées au détri­ment du bien public lui-​même, du fait qu’elles se trouvent exclues de leur milieu natu­rel, autre­ment dit de leurs propres res­pon­sa­bi­li­tés et de leurs acti­vi­tés privées.

Même la pre­mière et essen­tielle cel­lule de la socié­té : la famille, avec son bien-​être et son accrois­se­ment, cour­rait alors le risque d’être consi­dé­rée exclu­si­ve­ment sous l’angle de la puis­sance natio­nale ; et l’on oublie­rait que l’homme et la famille sont par nature anté­rieurs à l’Etat, et que le Créateur a don­né à l’un et à l’autre des forces et des droits et leur a assi­gné une mis­sion cor­res­pon­dant à des exi­gences natu­relles certaines.

Ainsi, l’é­du­ca­tion des nou­velles géné­ra­tions ne vise­rait pas à un déve­lop­pe­ment équi­li­bré et har­mo­nieux des forces phy­siques et de toutes les qua­li­tés intel­lec­tuelles et morales, mais à une for­ma­tion uni­la­té­rale des ver­tus civiques, que l’on consi­dère comme néces­saires à l’ob­ten­tion des suc­cès poli­tiques. Par contre, les ver­tus qui donnent à la socié­té son par­fum de noblesse, d’hu­ma­ni­té et de res­pect, on serait moins por­té à les incul­quer, comme si elles amoin­dris­saient la fier­té du citoyen.

Nous avons devant les yeux, en dou­lou­reuse évi­dence, les périls qui, Nous en avons peur pour­ront déri­ver pour cette géné­ra­tion et pour les géné­ra­tions futures de la mécon­nais­sance, de la dimi­nu­tion et de l’a­bo­li­tion pro­gres­sive des droits propres de la famille. Aussi Nous dressons-​Nous comme le ferme défen­seur de ces droits en pleine conscience du devoir que Nous impose Notre minis­tère apos­to­lique. Les dif­fi­cul­tés de Notre époque, aus­si bien exté­rieures qu’in­té­rieures, maté­rielles ou spi­ri­tuelles, les mul­tiples erreurs avec leurs innom­brables réper­cus­sions, nul ne les res­sent plus amè­re­ment que la noble petite cel­lule fami­liale. Un véri­table cou­rage, et, dans sa sim­pli­ci­té, un héroïsme digne d’ad­mi­ra­tion et de res­pect sont sou­vent néces­saires pour sup­por­ter les dure­tés de la vie, le poids quo­ti­dien des misères, les indi­gences crois­santes et les res­tric­tions dans une mesure jamais encore expé­ri­men­tée et dont sou­vent on ne voit ni la rai­son ni la réelle nécessité.

Ceux qui ont charge d’âmes, ceux qui peuvent son­der les cœurs, connaissent les larmes cachées des mères, la dou­leur rési­gnée de tant de pères, les innom­brables amer­tumes, dont aucune sta­tis­tique ne parle ni ne peut par­ler, ils voient d’un œil sou­cieux s’ac­croître sans cesse cette masse de souf­frances, et ils savent com­ment les puis­sances de bou­le­ver­se­ment et de des­truc­tion sont aux aguets, prêtes à s’en ser­vir pour leurs téné­breux desseins.

Nul homme doué de bonne volon­té et ayant des yeux pour voir ne pour­ra refu­ser à l’au­to­ri­té de l’Etat, dans les condi­tions extra­or­di­naires où se trouve le monde, un droit plus ample aus­si qu’à l’or­di­naire et pro­por­tion­né aux cir­cons­tances, pour sub­ve­nir aux besoins du peuple. Mais l’ordre moral éta­bli par Dieu exige que, même en de telles conjonc­tures, l’on sou­mette à un exa­men d’au­tant plus sérieux et péné­trant la licéi­té des mesures impo­sées et leur réelle néces­si­té, selon les règles du bien commun.

De toute façon, plus pesants sont les sacri­fices maté­riels deman­dés par l” tat aux indi­vi­dus et aux familles, plus sacrés et invio­lables doivent être pour lui les droits des consciences. Il peut exi­ger les biens et le sang, mais l’âme, rache­tée par Dieu, jamais.

La mis­sion assi­gnée par Dieu aux parents, de pour­voir au bien maté­riel et spi­ri­tuel de leurs enfants et de leur pro­cu­rer une for­ma­tion har­mo­nieuse, péné­trée de véri­table esprit reli­gieux, ne peut leur être arra­chée sans une grave lésion du droit. Cette for­ma­tion doit certes avoir aus­si pour but de pré­pa­rer la jeu­nesse à rem­plir avec intel­li­gence, conscience et fier­té les devoirs d’un noble patrio­tisme, don­nant à la patrie ter­restre toute la mesure qui lui est due d’a­mour, de dévoue­ment et de col­la­bo­ra­tion. Mais d’autre part, une for­ma­tion qui oublie­rait, ou – pis encore – négli­ge­rait déli­bé­ré­ment de diri­ger les yeux et le cœur de la jeu­nesse vers la patrie sur­na­tu­relle, serait une injus­tice contre la jeu­nesse, une injus­tice contre les inalié­nables droits et devoirs de la famille chré­tienne, une dévia­tion, à laquelle il faut incon­ti­nent por­ter remède dans l’in­té­rêt même du peuple et de l’État.

Une telle édu­ca­tion paraî­tra peut-​être, à ceux qui en portent la res­pon­sa­bi­li­té, source d’ac­crois­se­ment de force et de vigueur : en réa­li­té elle serait le contraire, et de tristes consé­quences le prou­ve­raient. Le crime de lèse-​majesté contre le Roi des Rois et Seigneur des Seigneurs (I Tim., VI, 15, Apoc., XIX, 16) per­pé­tré par une édu­ca­tion indif­fé­rente ou hos­tile à l’es­prit chré­tien, le ren­ver­se­ment du Laissez venir à moi les petits enfants (Marc, X, 14) por­te­raient des fruits bien amers.

Par contre, l’Etat qui enlève aux cœurs sai­gnants et déchi­rés des pères et des mères chré­tiennes leurs inquié­tudes et les réta­blit dans leurs droits, ne fait que tra­vailler à sa propre paix inté­rieure et poser les bases d’un plus heu­reux ave­nir pour la patrie. Les âmes des enfants don­nés par Dieu aux parents, consa­crés au bap­tême par le sceau royal du Christ, sont un dépôt sacré sur lequel veille l’a­mour jaloux de Dieu. Le même Christ qui a dit : Laissez venir à moi les petits enfants a aus­si, mal­gré sa misé­ri­corde et sa bon­té, mena­cé de maux ter­ribles ceux qui scan­da­li­se­raient les pri­vi­lé­giés de son cœur. Et quel scan­dale plus dan­ge­reux pour les futures géné­ra­tions et plus durable qu’une for­ma­tion de la jeu­nesse misé­ra­ble­ment diri­gée vers un but qui éloigne du Christ, Voie, Vérité, et Vie, et qui conduit à renier le Christ par une apos­ta­sie ouverte ou en cachette ? Le Christ, dont on veut alié­ner les jeunes géné­ra­tions pré­sentes et à venir, est Celui qui a reçu de son Père Eternel tout pou­voir au ciel et sur la terre. Il tient la des­ti­née des Etats, des peuples et des nations dans sa main toute-​puissante. C’est à lui qu’il appar­tient de dimi­nuer ou d’ac­croître leur vie, leur déve­lop­pe­ment, leur pros­pé­ri­té et leur gran­deur. De tout ce qui est sur la terre, seule l’âme est douée d’une vie immor­telle. Un sys­tème d’é­du­ca­tion qui ne res­pec­te­rait pas l’en­ceinte sacrée de la famille chré­tienne, pro­té­gée par la sainte loi de Dieu, qui en atta­que­rait les bases, qui fer­me­rait à la jeu­nesse le che­min qui mène au Christ, aux sources de vie et de joie du Sauveur (cf. Is., XII, 3), qui consi­dé­re­rait l’a­po­sta­sie du Christ et de l’Eglise comme sym­bole de fidé­li­té à tel peuple ou à telle classe, pro­non­ce­rait, ce fai­sant, sa propre condam­na­tion et expé­ri­men­te­rait, le moment venu, l’i­né­luc­table véri­té des paroles du pro­phète : Ceux qui se détournent de toi seront ins­crits sur le sable. (Jér, XVII, 13.)

La concep­tion qui assigne à l’Etat une auto­ri­té illi­mi­tée est une erreur, Vénérables Frères, qui n’est pas seule­ment nui­sible à la vie interne des nations, à leur pros­pé­ri­té et à l’aug­men­ta­tion crois­sante et ordon­née de leur bien-​être : elle cause éga­le­ment du tort aux rela­tions entre les peuples, car elle brise l’u­ni­té de la socié­té supra­na­tio­nale, ôte son fon­de­ment et sa valeur au droit des gens, ouvre la voie à la vio­la­tion des droits d’au­trui et rend dif­fi­ciles l’en­tente et la vie com­mune en paix. Le genre humain, en effet, bien qu’en ver­tu de l’ordre natu­rel éta­bli par Dieu, il se divise en groupes sociaux, nations ou Etats, indé­pen­dants les uns des autres pour ce qui regarde la façon d’or­ga­ni­ser et de régir leur vie interne, est uni cepen­dant par des liens mutuels, moraux et juri­diques, en une grande com­mu­nau­té, ordon­née au bien de toutes les nations et réglée par des lois spé­ciales qui pro­tègent son uni­té et déve­loppent sa prospérité.

Or, qui ne voit que l’af­fir­ma­tion de l’au­to­no­mie abso­lue de l’Etat s’op­pose ouver­te­ment à cette loi imma­nente et natu­relle ou, pour mieux dire, la nie radi­ca­le­ment, lais­sant au gré de la volon­té des gou­ver­nants la sta­bi­li­té des rela­tions inter­na­tio­nales et enle­vant toute pos­si­bi­li­té de véri­table union et de col­la­bo­ra­tion féconde en vue de l’in­té­rêt géné­ral ? Car, Vénérables Frères, pour que puissent exis­ter des contacts har­mo­nieux et durables et des rela­tions fruc­tueuses, il est indis­pen­sable que les peuples recon­naissent et observent les prin­cipes de droit natu­rel inter­na­tio­nal qui règlent leur déve­lop­pe­ment et leur fonc­tion­ne­ment nor­maux. Ces prin­cipes exigent le res­pect des droits de chaque peuple à l’in­dé­pen­dance, à la vie et à la pos­si­bi­li­té d’une évo­lu­tion pro­gres­sive dans les voies de la civi­li­sa­tion ; ils exigent en outre, la fidé­li­té aux trai­tés sti­pu­lés et sanc­tion­nés confor­mé­ment aux règles, du droit des gens.

Il n’est pas dou­teux que la condi­tion préa­lable et néces­saire de toute vie com­mune paci­fique entre les nations, l’âme même des rela­tions juri­diques exis­tant entre elles, se trouve dans la confiance mutuelle, dans la pré­vi­sion et la per­sua­sion d’une réci­proque fidé­li­té à la parole don­née, dans la cer­ti­tude que d’un côté comme de l’autre on est bien convain­cu que mieux vaut la sagesse que les armes guer­rières (Eccle., IX, 18) et que l’on est dis­po­sé à dis­cu­ter et à ne pas recou­rir à la force ou à la menace de la force au cas où sur­gi­raient des délais, des empê­che­ments, des modi­fi­ca­tions et des contes­ta­tions, toutes choses qui peuvent déri­ver, non de la mau­vaise volon­té, mais du chan­ge­ment des cir­cons­tances et de réels conflits d’intérêts.

Mais d’autre part, déta­cher le droit des gens de l’ancre du droit divin pour le fon­der sur la volon­té auto­nome des Etats, ce n’est pas autre chose que le détrô­ner et lui enle­ver ses titres les plus nobles et les plus valides, en le livrant au funeste dyna­misme de l’in­té­rêt pri­vé et de l’é­goïsme col­lec­tif, uni­que­ment tour­né à la mise en valeur de ses propres droits et à la mécon­nais­sance de ceux des autres.

Il est vrai aus­si qu’a­vec l’é­vo­lu­tion des temps et les chan­ge­ments sub­stan­tiels des cir­cons­tances, non pré­vus et peut-​être impos­sibles à pré­voir au moment de la sti­pu­la­tion, un trai­té, ou quelques-​unes de ses clauses peuvent deve­nir ou paraître injustes, ou irréa­li­sables, ou trop lourdes pour l’une des par­ties ; et il est clair que, si cela arri­vait, on devrait ins­ti­tuer à temps une loyale dis­cus­sion pour modi­fier ou rem­pla­cer le pacte. Mais consi­dé­rer par prin­cipe les trai­tés comme éphé­mères et s’at­tri­buer taci­te­ment la facul­té de les annu­ler uni­la­té­ra­le­ment le jour où ils ne convien­draient plus, ce serait détruire toute confiance réci­proque entre les Etats. L’ordre natu­rel se trou­ve­rait ren­ver­sé, des fos­sés de sépa­ra­tion impos­sibles à com­bler se creu­se­raient entre les peuples et les nations.

Aujourd’hui, Vénérables Frères, tous observent avec effroi l’a­bîme où ont mené les erreurs que nous venons de dépeindre, avec leur mise en pra­tique et leurs consé­quences. Elles sont tom­bées, les orgueilleuses illu­sions sur un pro­grès indé­fi­ni, et celui qui ne serait pas réveillé encore, le tra­gique pré­sent le secoue­rait avec les paroles du pro­phète : Sourds, enten­dez, et aveugles, regar­dez (Is., XLII, 18). Ce qui sem­blait exté­rieu­re­ment de l’ordre n’é­tait que désordre enva­his­sant : bou­le­ver­se­ment dans les règles de la vie morale, les­quelles s’é­taient déta­chées de la majes­té de la loi divine et avaient cor­rom­pu tous les domaines de l’ac­ti­vi­té humaine. Mais lais­sons le pas­sé et tour­nons les yeux vers cet ave­nir, qui, selon les pro­messes des puis­sants de ce monde, au len­de­main des luttes san­glantes d’au­jourd’­hui, consis­te­ra en un nou­vel ordre fon­dé sur la jus­tice et sur la pros­pé­ri­té. Cet ave­nir sera-​t-​il vrai­ment dif­fé­rent, sera-​t-​il sur­tout meilleur ? Les trai­tés de paix, le nou­vel ordre inter­na­tio­nal à la fin de cette guerre, seront-​ils ani­més de jus­tice et d’é­qui­té envers tous, de cet esprit qui délivre et paci­fie, ou seront-​ils une lamen­table répé­ti­tion des erreurs anciennes et récentes ?

Attendre un chan­ge­ment déci­sif exclu­si­ve­ment du choc des armes et de son issue finale est vain, et l’ex­pé­rience le démontre. L’heure de la vic­toire est une heure de triomphe exté­rieur pour le camp qui réus­sit à la rem­por­ter ; mais c’est en même temps l’heure de la ten­ta­tion, où l’ange de la jus­tice lutte avec le démon de la vio­lence ; le cœur du vain­queur s’en­dur­cit trop faci­le­ment ; la modé­ra­tion et une pré­voyante sagesse lui semblent fai­blesse ; le bouillon­ne­ment des pas­sions popu­laires, atti­sé par les souf­frances et les sacri­fices sup­por­tés, voile sou­vent la vue aux diri­geants eux-​mêmes et les rend inat­ten­tifs aux conseils de l’hu­ma­ni­té et de l’é­qui­té, dont la voix est cou­verte ou éteinte par l’in­hu­main vae vic­tis. Les réso­lu­tions et les déci­sions prises dans de telles condi­tions ris­que­raient de n’être que l’in­jus­tice sous le man­teau de la justice.

Non, Vénérables Frères, le salut pour les nations ne vient pas des moyens exté­rieurs, de l’é­pée, qui peut impo­ser des condi­tions de paix, mais ne crée pas la paix. Les éner­gies qui doivent renou­ve­ler la face de la terre doivent venir du dedans, de l’es­prit. Le nou­vel ordre du monde, de la vie natio­nale et inter­na­tio­nale, une fois apai­sées les amer­tumes et les cruelles luttes actuelles, ne devra plus repo­ser sur le sable mou­vant de règles chan­geantes et éphé­mères, lais­sées aux déci­sions de l’é­goïsme col­lec­tif ou individuel.

Ces règles devront s’ap­puyer sur l’i­né­bran­lable fon­de­ment, sur le rocher infran­gible du droit natu­rel et de la révé­la­tion divine. C’est là que le légis­la­teur humain doit pui­ser cet esprit d’é­qui­libre, ce sens aigu de res­pon­sa­bi­li­té morale sans lequel il est facile de mécon­naître les limites entre l’u­sage légi­time et l’a­bus du pou­voir. Alors seule­ment ses déci­sions auront une consis­tance interne, une noble digni­té et une sanc­tion reli­gieuse, et ne seront plus à la mer­ci de l’é­goïsme et de la pas­sion. Car s’il est vrai que les maux dont souffre l’hu­ma­ni­té d’au­jourd’­hui pro­viennent en par­tie du dés­équi­libre éco­no­mique et de la lutte des inté­rêts pour une plus équi­table dis­tri­bu­tion des biens que Dieu a accor­dés à l’homme comme moyens de sub­sis­tance et de pro­grès, il n’en est pas moins vrai que leur racine est plus pro­fonde et d’ordre interne : elle atteint en effet, les croyances reli­gieuses et les convic­tions morales, qui se sont per­ver­ties au fur et à mesure que les peuples se déta­chaient de l’u­ni­té de doc­trine et de foi, de cou­tumes et de mœurs, que fai­sait pré­va­loir jadis l’ac­tion infa­ti­gable et bien­fai­sante de l’Eglise.

La réédu­ca­tion de l’hu­ma­ni­té, si elle veut avoir quelque effet, doit être avant tout spi­ri­tuelle et reli­gieuse : elle doit, par consé­quent, par­tir du Christ comme de son fon­de­ment indis­pen­sable, être réa­li­sée par la jus­tice et cou­ron­née par la charité.

Accomplir cette œuvre de régé­né­ra­tion en adap­tant ses moyens au chan­ge­ment des condi­tions de temps et aux nou­veaux besoins du genre humain, c’est l’of­fice essen­tiel et mater­nel de l’Eglise. Prêcher l’Evangile, comme son divin Fondateur lui en a com­mis le soin, en incul­quant aux hommes la véri­té, la jus­tice et la cha­ri­té, faire effort pour en enra­ci­ner soli­de­ment les pré­ceptes dans les âmes et dans les consciences : voi­là le plus noble et le plus fruc­tueux tra­vail en faveur de la paix. Cette mis­sion, dans son ampleur, sem­ble­rait devoir faire perdre cou­rage à ceux qui consti­tuent l’Eglise mili­tante. Mais le tra­vail pour la dif­fu­sion du royaume de Dieu, que chaque siècle a exé­cu­té à sa manière, avec ses moyens, au prix de dures et mul­tiples luttes, est un com­man­de­ment qui oblige qui­conque a été arra­ché par la grâce du Seigneur à l’es­cla­vage de Satan et appe­lé par le bap­tême à être citoyen de ce royaume. Et si lui appar­te­nir, vivre confor­mé­ment à son esprit, tra­vailler à son accrois­se­ment et rendre acces­sibles ses biens à la frac­tion de l’hu­ma­ni­té qui n’en fait pas encore par­tie équi­vaut de nos jours à devoir affron­ter des empê­che­ments et des oppo­si­tions vastes, pro­fondes et minu­tieu­se­ment orga­ni­sées comme jamais elles ne le furent, cela ne dis­pense pas de la franche et cou­ra­geuse pro­fes­sion de foi, mais incite plu­tôt à tenir ferme dans la lutte, même au prix des plus grands sacri­fices. Quiconque vit de l’es­prit du Christ ne se laisse pas abattre par les dif­fi­cul­tés qu’on lui oppose ; au contraire, il se sent sti­mu­lé à tra­vailler de toutes ses forces et avec pleine confiance en Dieu ; il ne se sous­trait pas aux angoisses et aux néces­si­tés de l’heure, mais il en affronte les âpre­tés, prêt à ser­vir, avec cet amour qui n’a pas peur du sacri­fice, qui est plus fort que la mort et qui ne se laisse pas sub­mer­ger par les remous impé­tueux des tribulations.

C’est avec un intime récon­fort, Vénérables Frères, c’est avec une joie céleste, pour laquelle chaque jour Nous adres­sons à Dieu un humble et pro­fond remer­cie­ment, que Nous remar­quons dans toutes les par­ties du monde catho­lique les signes évi­dents d’un esprit qui affronte cou­ra­geu­se­ment les tâches gigan­tesques du temps pré­sent et qui, avec géné­ro­si­té et déci­sion, s’emploie à unir dans une féconde har­mo­nie avec le pre­mier et essen­tiel devoir de la sanc­ti­fi­ca­tion per­son­nelle l’ac­ti­vi­té apos­to­lique pour l’ac­crois­se­ment du règne de Dieu. Du mou­ve­ment des Congrès eucha­ris­tiques, déve­lop­pé avec une aimante sol­li­ci­tude par Nos pré­dé­ces­seurs, et de la col­la­bo­ra­tion des laïques, for­més dans les rangs de l’Action catho­lique à la pro­fonde conscience de leur noble mis­sion, découlent des sources de grâces et des réserves de forces qui, dans les temps actuels, où les menaces s’ac­croissent, où plus grands sont les besoins, où fait rage la lutte entre chris­tia­nisme et anti­chris­tia­nisme, pour­raient dif­fi­ci­le­ment être esti­mées à leur juste valeur.

Quand on est obli­gé de consta­ter avec tris­tesse la dis­pro­por­tion entre le nombre des prêtres et les tâches qui les attendent, quand Nous voyons se véri­fier encore aujourd’­hui la parole du Sauveur : la mois­son est grande, mais les ouvriers sont en petit nombre (Matth., IX, 37 ; Luc, X, 2), la col­la­bo­ra­tion de laïques à l’a­pos­to­lat hié­rar­chique, nom­breuse, ani­mée d’un zèle ardent et d’un géné­reux dévoue­ment, appa­raît un pré­cieux auxi­liaire pour l’œuvre des prêtres et révèle des pos­si­bi­li­tés de déve­lop­pe­ment qui légi­ti­ment les plus belles espérances.

La prière de l’Eglise au Maître de la mois­son pour qu’il envoie des ouvriers à sa vigne (Matth, IX, 38 ;Luc, X, 2) a été exau­cée d’une manière conforme aux néces­si­tés de l’heure pré­sente, et qui sup­plée et com­plète très heu­reu­se­ment les éner­gies, sou­vent empê­chées et insuf­fi­santes, de l’a­pos­to­lat sacer­do­tal. Une fer­vente pha­lange d’hommes et de femmes, de jeunes gens et de jeunes filles, obéis­sant à la voix du Pasteur suprême, aux direc­tives de leurs évêques, se consacrent de toute l’ar­deur de leur âme aux œuvres de l’a­pos­to­lat, afin de rame­ner au Christ les masses popu­laires qui s’é­taient déta­chées de Lui. Que vers eux aille en ce moment, si impor­tant pour l’Eglise et pour l’hu­ma­ni­té, Notre salut pater­nel, Notre remer­cie­ment ému, l’ex­pres­sion de Notre confiante espé­rance. Ils ont vrai­ment, eux, pla­cé leur vie et leur action sous l’é­ten­dard du Christ-​Roi et ils peuvent répé­ter avec le psal­miste : Dico ego ope­ra mea Regi (Ps. XLVI, I). L’adve­niat regnum tuum n’est pas seule­ment le vœu ardent de leurs prières, mais aus­si la ligne direc­trice de leur acti­vi­té. Dans toutes les classes, dans toutes les caté­go­ries, dans tous les groupes, cette col­la­bo­ra­tion du laï­cat avec le sacer­doce mani­feste de pré­cieuses éner­gies aux­quelles est confiée une mis­sion que des cœurs nobles et fidèles ne pour­raient dési­rer plus haute et plus consolante.

Ce labeur apos­to­lique, accom­pli selon l’es­prit de l’Eglise, consacre pour ain­si dire le laïque et en fait un ministre du Christ, dans le sens que saint Augustin explique ain­si : « Quand vous enten­dez, mes frères, le Christ dire : Là où je suis, là sera aus­si mon ministre, gardez-​vous de pen­ser seule­ment aux dili­gents évêques et clercs. Vous aus­si, à votre manière, soyez les ministres du Christ en vivant digne­ment, en fai­sant l’au­mône, en prê­chant son nom et sa doc­trine à ceux à qui vous le pou­vez pour qu’à ce nom même chaque père de famille recon­naisse qu’il est rede­vable d’af­fec­tion pater­nelle aux siens. Que ce soit pour le Christ et pour la vie éter­nelle qu’il les reprenne, les enseigne, les exhorte, les cor­rige, leur soit bien­veillant ou exerce sur eux son auto­ri­té ; car ain­si il rem­pli­ra dans sa mai­son l’of­fice du prêtre et même d’une cer­taine façon de l’é­vêque, en étant ministre du Christ ici-​bas pour être éter­nel­le­ment avec lui. » [2]

Dans cette col­la­bo­ra­tion des laïques à l’a­pos­to­lat, de nos jours si impor­tante à pro­mou­voir, une mis­sion spé­ciale incombe à la famille, car l’es­prit de la famille influe essen­tiel­le­ment sur l’es­prit des jeunes géné­ra­tions. Tant que, dans le foyer domes­tique, res­plen­dit la flamme sacrée de la foi en Jésus-​Christ, tant que les parents s’emploient à for­mer et à mode­ler la vie de leurs enfants confor­mé­ment à cette foi, la jeu­nesse sera tou­jours prête à recon­naître le Rédempteur dans ses pré­ro­ga­tives royales et à s’op­po­ser à ceux qui vou­draient le ban­nir de la socié­té ou vio­ler sacri­lè­ge­ment ses droits. Quand on ferme les églises, quand on enlève des écoles l’i­mage du Crucifix, la famille reste le refuge pro­vi­den­tiel et, en un cer­tain sens, inat­ta­quable, de la vie chré­tienne. Et Nous ren­dons d’in­fi­nies actions de grâce à Dieu en voyant que d’in­nom­brables familles rem­plissent leur mis­sion avec une fidé­li­té qui ne se laisse abattre ni par les attaques ni par les sacri­fices. Une puis­sante légion de jeunes gens et de jeunes filles, même dans les pays où la foi au Christ est syno­nyme de souf­france et de per­sé­cu­tion, res­tent fermes auprès du trône du Rédempteur, avec cette déci­sion tran­quille et assu­rée qui fait pen­ser aux temps les plus glo­rieux des luttes de l’Eglise.

Quels tor­rents de biens se déver­se­raient sur le monde, quelle lumière, quel ordre, quelle paci­fi­ca­tion péné­tre­raient la vie sociale, quelles pré­cieuses et incom­pa­rables éner­gies pour­raient aider à pro­mou­voir le bien de l’hu­ma­ni­té si par­tout on accor­dait à l’Eglise, maî­tresse de jus­tice et de cha­ri­té, cette pos­si­bi­li­té d’ac­tion à laquelle, en ver­tu du man­dat divin, elle a un droit sacré et incon­tes­table ! Que de mal­heurs seraient évi­tés, quelle féli­ci­té, quelle tran­quilli­té seraient acquises si les efforts sociaux et inter­na­tio­naux accom­plis pour éta­blir la paix se lais­saient péné­trer des pro­fondes impul­sions de l’Evangile de l’a­mour dans la lutte contre l’é­goïsme indi­vi­duel et collectif !

Entre les lois qui régissent la vie des fidèles chré­tiens et les pos­tu­lats essen­tiels de l’hu­ma­ni­té, il n’y a pas conflit, mais, au contraire, com­mu­nau­té et mutuel appui. Dans l’in­té­rêt de l’hu­ma­ni­té souf­frante et pro­fon­dé­ment ébran­lée maté­riel­le­ment et spi­ri­tuel­le­ment, Nous n’a­vons pas de plus ardent désir que celui-​ci : que les angoisses pré­sentes puissent ouvrir les yeux de beau­coup afin qu’ils consi­dèrent dans leur vraie lumière le Seigneur Jésus et la mis­sion de son Eglise sur cette terre, et que tous ceux qui exercent le pou­voir se résolvent à lais­ser à l’Eglise la liber­té de tra­vailler à la for­ma­tion des géné­ra­tions, selon les prin­cipes de la jus­tice et de la paix. Ce tra­vail d’a­pai­se­ment sup­pose qu’on ne mette pas de tra­verses à l’exer­cice de la mis­sion confiée par Dieu à son Eglise, qu’on ne restreigne pas le champ de son acti­vi­té, qu’on ne sous­traie pas les masses, et spé­cia­le­ment la jeu­nesse à son influence bien­fai­sante. Aussi, comme repré­sen­tant sur la terre de Celui qui fut appe­lé par le Prophète : « Prince de la paix » (Is., IX, 6), faisons-​Nous appel aux chefs des peuples et à ceux qui ont une action, quelle qu’elle soit, sur la chose publique, pour que l’Eglise jouisse tou­jours d’une pleine liber­té d’ac­com­plir son œuvre édu­ca­trice en annon­çant aux esprits la véri­té, en incul­quant les règles de la jus­tice, en réchauf­fant les cœurs par la divine cha­ri­té du Christ.

Si, d’une part, l’Eglise ne peut renon­cer à l’exer­cice de sa mis­sion, qui a comme fin ultime de réa­li­ser ici-​bas le plan divin : ins­tau­rer dans le Christ tout ce qui est dans le ciel et sur la terre (Ephes., I, 10), d’autre part, son œuvre appa­raît aujourd’­hui plus néces­saire qu’en aucun autre temps, car une triste expé­rience enseigne qu’à eux seuls les moyens exté­rieurs, les mesures pure­ment humaines et les expé­dients poli­tiques n’ap­portent pas un adou­cis­se­ment effi­cace aux maux, dont est tra­vaillée l’humanité.

Instruits pré­ci­sé­ment par la dou­lou­reuse faillite des expé­dients humains, beau­coup d’hommes, pour éloi­gner les tem­pêtes qui menacent d’en­glou­tir la civi­li­sa­tion dans leurs tour­billons, tournent les yeux avec un renou­veau d’es­pé­rance vers l’Eglise, cita­delle de véri­té et d’a­mour, vers ce Siège de Pierre, qui, ils le sentent bien, peut rendre au genre humain cette uni­té de doc­trine reli­gieuse et de règle morale, qui en d’autres temps fit la consis­tance des rela­tions paci­fiques entre les peuples.

Unité, vers laquelle regardent d’un œil de nos­tal­gique regret tant d’hommes res­pon­sables du sort des nations, qui expé­ri­mentent quo­ti­dien­ne­ment à quel point les moyens sont vains, dans les­quels ils avaient un jour mis leur confiance ; uni­té, dési­rée par les nom­breuses légions de Nos fils, qui invoquent chaque jour le Dieu de paix et d’a­mour (cf. 2 Cor., XIII, 11) ; uni­té atten­due par tant de nobles esprits, éloi­gnés de Nous, mais qui, dans leur faim et leur soif de jus­tice et de paix, lèvent les yeux vers la Chaire de Pierre pour rece­voir d’elle direc­tion et conseil.

Ils recon­naissent dans l’Eglise catho­lique la fer­me­té deux fois mil­lé­naire des normes de foi et de vie, l’i­né­bran­lable cohé­sion de la hié­rar­chie ecclé­sias­tique, qui, unie au suc­ces­seur de Pierre, s’emploie sans relâche à éclai­rer les esprits de la doc­trine de l’Evangile, à gui­der et à sanc­ti­fier les hommes et se montre pro­digue de mater­nelle condes­cen­dance envers tous, mais ferme cepen­dant, quand, même au prix de tour­ments et de mar­tyre, elle doit dire le Non licet !

Et pour­tant, Vénérables Frères, la doc­trine du Christ, qui seule peut four­nir à l’homme un solide fon­de­ment de foi, capable de lui ouvrir un grand hori­zon, de dila­ter divi­ne­ment son cœur, de lui don­ner un remède effi­cace aux très graves dif­fi­cul­tés actuelles, et l’ac­tion de l’Eglise pour ensei­gner cette doc­trine, la répandre et mode­ler les esprits selon ses pré­ceptes, sont par­fois en butte à des sus­pi­cions, comme pou­vant ébran­ler les mon­tants de l’au­to­ri­té civile ou usur­per ses droits.

Contre de telles sus­pi­cions, Nous décla­rons avec une apos­to­lique sin­cé­ri­té – sans pré­ju­dice de tout ce qu’a ensei­gné Notre pré­dé­ces­seur Pie XI, de véné­rée mémoire, dans son Encyclique Quas pri­mas, du 11 décembre 1925, sur le pou­voir du Christ-​Roi et de son Eglise – que de pareils des­seins sont entiè­re­ment étran­gers à l’Eglise, laquelle tend ses bras mater­nels vers ce monde, non pour domi­ner, mais pour ser­vir. Elle ne pré­tend pas se sub­sti­tuer, dans le champ qui leur est propre, aux autres auto­ri­tés légi­times, mais leur offre son aide à l’exemple et dans l’es­prit de son divin Fondateur qui « pas­sa en fai­sant le bien ». (Act., X, 38.)

L’Eglise prêche et inculque l’o­béis­sance et le res­pect envers l’au­to­ri­té ter­restre, qui tient de Dieu sa noble ori­gine ; elle s’en tient à l’en­sei­gne­ment du divin Maître qui a dit : Rendez à César ce qui est à César (Matth., XXII, 21) ; elle n’a pas de visées d’u­sur­pa­tion et chante dans sa litur­gie : non eri­pit mor­ta­lia, qui regna dat cae­les­tia. [3] Elle ne débi­lite pas les éner­gies humaines, mais les élève à tout ce qui est magna­nime et géné­reux, et forme des carac­tères qui ne tran­sigent pas avec la conscience. Ce n’est pas à elle, qui a civi­li­sé les peuples, qu’on repro­che­ra d’a­voir retar­dé l’hu­ma­ni­té dans la voie du pro­grès, dont au contraire elle se féli­cite et se réjouit avec une mater­nelle fier­té. Le but de son acti­vi­té a été mer­veilleu­se­ment expri­mé par les anges sur le ber­ceau du Verbe incar­né, quand ils chan­tèrent : Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes de bonne volon­té. (Luc., II, 14.) Cette paix, que le monde ne peut don­ner, a été lais­sée comme un héri­tage à ses dis­ciples par le divin Rédempteur lui-​même : Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix (Io, XIV, 27), et c’est en sui­vant la sublime doc­trine du Christ, résu­mée par lui-​même dans le double pré­cepte de l’a­mour de Dieu et du pro­chain, que des mil­lions d’âmes l’ont obte­nue, l’ob­tiennent et l’ob­tien­dront. Depuis bien­tôt deux mille ans, l’his­toire – si sage­ment appe­lée par un grand ora­teur romain magis­tra vitae [4] – démontre à quel point est vraie la parole de l’Ecriture, qu’il n’y aura jamais de paix pour celui qui résiste à Dieu (Job., IX, 4.) Car seul le Christ est la « pierre angu­laire ». (Eph., II, 20), sur laquelle l’homme et la socié­té peuvent trou­ver sta­bi­li­té et salut.

C’est sur cette pierre angu­laire que l’Eglise est fon­dée, et c’est pour­quoi les puis­sances adverses ne pour­ront jamais pré­va­loir contre elle : por­tae infe­ri non prae­va­le­bunt (Matth., XVI, 18), ni lui ôter sa vigueur, bien au contraire, les luttes tant inté­rieures qu’ex­té­rieures contri­buent à accroître sa force et à aug­men­ter les cou­ronnes de ses glo­rieuses victoires.

A l’op­po­sé, tout autre édi­fice qui n’est pas soli­de­ment fon­dé sur la doc­trine du Christ, repose sur le sable mou­vant et est des­ti­né à une ruine misé­rable (cf. Matth., VII, 26–27).

Vénérables Frères, l’heure à laquelle vous par­vient Notre pre­mière Encyclique est, à bien des égards, une véri­table hora tene­bra­rum (cf. Luc, XXII, 53), où l’es­prit de la vio­lence et de la dis­corde verse sur l’hu­ma­ni­té la san­glante coupe de dou­leurs sans nom. Est-​il néces­saire de vous assu­rer que Notre cœur pater­nel, dans son amour com­pa­tis­sant, est tout près de ses fils, et plus spé­cia­le­ment de ceux qui sont éprou­vés, oppri­més, per­sé­cu­tés ? Les peuples entraî­nés dans le tra­gique tour­billon de la guerre n’en sont peut-​être encore qu’au com­men­ce­ment des dou­leurs (Matth., XXIV, 8) ; mais déjà dans des mil­liers de familles règnent la mort et la déso­la­tion, les lamen­ta­tions et la misère. Le sang d’in­nom­brables êtres humains, même non com­bat­tants, élève un poi­gnant cri de dou­leur, spé­cia­le­ment sur une nation bien-​aimée, la Pologne qui, par sa fidé­li­té à l’Eglise, par ses mérites dans la défense de la civi­li­sa­tion chré­tienne, ins­crits en carac­tères indé­lé­biles dans les fastes de l’his­toire, a droit à la sym­pa­thie humaine et fra­ter­nelle du monde, et attend, confiante dans la puis­sante inter­ces­sion de Marie Auxilium Christianorum, l’heure d’une résur­rec­tion en accord avec les prin­cipes de la jus­tice et de la vraie paix.

Ce qui vient d’ar­ri­ver, et ce qui arrive encore, appa­rais­sait à Notre regard comme une vision quand, toute espé­rance n’ayant pas encore dis­pa­ru, Nous n’a­vons rien omis de ce que Nous pou­vions ten­ter, dans la forme que Nous sug­gé­raient Notre minis­tère apos­to­lique et les moyens à Notre dis­po­si­tion, pour empê­cher le recours aux armes et main­te­nir ouverte la voie vers une entente hono­rable pour l’une et l’autre par­tie. Convaincu qu’à l’emploi de la force par l’une d’elles aurait répon­du le recours aux armes par l’autre, Nous avons consi­dé­ré comme un devoir – auquel Nous ne pou­vions Nous sous­traire – de Notre minis­tère apos­to­lique et de l’a­mour chré­tien, de mettre tout en œuvre pour épar­gner à l’hu­ma­ni­té entière et à la chré­tien­té les hor­reurs d’une confla­gra­tion mon­diale, même au risque de voir Nos inten­tions et Nos buts mal com­pris. Nos aver­tis­se­ments, s’ils furent res­pec­tueu­se­ment écou­tés, ne furent pour­tant pas sui­vis. Et tan­dis que Notre cœur de pas­teur observe, dou­lou­reux et pré­oc­cu­pé, voi­là que sur­git devant Nos yeux l’i­mage du Bon Pasteur, et il Nous semble que Nous devons répé­ter au monde en son nom la plainte : Si tu savais… ce qui peut t’ap­por­ter la paix ! Mais non, cela est main­te­nant caché à tes yeux ! (Luc, XIX, 42.).

Au milieu de ce monde qui offre aujourd’­hui un si criant contraste avec la paix du Christ dans le règne du Christ, l’Eglise et ses fidèles se trouvent en des temps et en des années d’é­preuves comme ils en ont rare­ment connu dans leur his­toire de luttes et de souf­frances. Mais pré­ci­sé­ment dans des temps sem­blables, celui qui reste fort dans la foi et garde un cœur robuste, sait que le Christ-​Roi n’est jamais si proche que dans l’heure de l’é­preuve qui est l’heure de la fidé­li­té. Le cœur déchi­ré des souf­frances et des peines de tant de ses fils, mais avec le cou­rage et la fer­me­té qui lui viennent des pro­messes du Seigneur, l’Epouse du Christ marche vers les orages menaçants.

Elle le sait : la véri­té qu’elle annonce, la cha­ri­té qu’elle enseigne et met en œuvre, seront les conseillers indis­pen­sables et les coopé­ra­teurs des hommes de bonne volon­té dans la recons­truc­tion d’un monde nou­veau, selon la jus­tice et l’a­mour, après que l’hu­ma­ni­té, lasse de cou­rir dans les che­mins de l’er­reur, aura goû­té les fruits amers de la haine et de la violence.

En atten­dant, Vénérables Frères, le monde et tous ceux qui sont frap­pés, par la cala­mi­té de la guerre doivent savoir que le devoir de la cha­ri­té chré­tienne, fon­de­ment et pivot du Règne du Christ, n’est pas une parole vide mais une vivante réa­li­té. Un champ très vaste s’ouvre à la cha­ri­té chré­tienne sous toutes ses formes. Nous avons pleine confiance que tous Nos fils, spé­cia­le­ment ceux qui ne sont pas éprou­vés par le fléau de la guerre, se sou­vien­dront à l’exemple du divin Samaritain, de tous ceux qui, vic­times de la guerre, ont droit à la pitié et au secours.

L’Eglise catho­lique, cité de Dieu, dont le Roi est véri­té, dont la loi est cha­ri­té, dont la mesure est éter­ni­té [5], annon­çant sans erreurs ni dimi­nu­tions la véri­té du Christ, tra­vaillant selon l’a­mour du Christ avec un élan mater­nel, se tient comme une bien­heu­reuse vision de paix, au-​dessus du tour­billon des erreurs et des pas­sions, atten­dant le moment où la main toute-​puissante du Christ-​Roi apai­se­ra la tem­pête et ban­ni­ra les esprits de dis­sen­sion, qui l’ont pro­vo­quée. Ce qui est en Notre pou­voir pour hâter le jour où la colombe de la paix trou­ve­ra sur cette terre, sub­mer­gée par le déluge de la dis­corde, un endroit où poser le pied, Nous conti­nue­rons à le faire, confiant dans les émi­nents hommes d’Etat, qui, avant que la guerre n’é­cla­tât, se sont noble­ment employés à éloi­gner des nations un pareil fléau ; confiant dans les mil­lions d’âmes de tous les pays et de tous les camps, qui appellent de leurs vœux non seule­ment la jus­tice, mais aus­si la cha­ri­té et la misé­ri­corde ; confiant sur­tout dans le Dieu tout-​puissant auquel chaque jour Nous adres­sons cette prière : J’attendrai dans l’es­poir à l’ombre de Tes ailes, que l’i­ni­qui­té soit pas­sée. (Ps., LVI, 2).

Dieu peut tout : il tient en ses mains non seule­ment la féli­ci­té et le sort des peuples, mais aus­si les conseils humains ; et du côté qu’il veut, dou­ce­ment il les incline : les obs­tacles même sont pour sa toute-​puissance des moyens dont il se sert pour mode­ler les choses et les évé­ne­ments, tour­ner les esprits et les volon­tés libres à ses fins très hautes.

Priez donc, Vénérables Frères, priez sans inter­rup­tion, priez sur­tout quand vous offrez le divin sacri­fice d’a­mour. Priez, vous à qui la pro­fes­sion cou­ra­geuse de la foi impose aujourd’­hui de durs, de pénibles, et, bien des fois, d’hé­roïques sacri­fices ; priez, vous, membres souf­frants et dou­lou­reux de l’Eglise, quand Jésus vient conso­ler et adou­cir vos peines. Et n’ou­bliez pas, grâce à un véri­table esprit de mor­ti­fi­ca­tion et de dignes œuvres de péni­tence, de rendre vos prières plus agréables aux yeux de Celui qui « relève tous ceux qui tombent, et redresse ceux qui sont pros­trés » (Ps. CXLIV, 14) afin que, dans sa misé­ri­corde, il abrège les jours de l’é­preuve et que se réa­lisent ain­si les paroles du psaume : « Ils ont crié vers le Seigneur dans leurs tri­bu­la­tions, et il les a déli­vrés de leurs angoisses ». (Ps. CVI, 13.)

Et vous, can­dides légions d’en­fants, vous, les bien-​aimés et les pri­vi­lé­giés de Jésus, quand vous com­mu­niez au Pain de vie, éle­vez vers Dieu vos naïves et inno­centes prières et unissez-​les à celles de toute l’Eglise.

Le Cœur de Jésus, qui vous aime, ne résiste pas à l’in­no­cence sup­pliante : priez tous, priez sans relâche : sine inter­mis­sione orate (I Thess., V, 17).

De cette façon vous met­trez en pra­tique le sublime pré­cepte du Divin Maître, le tes­ta­ment le plus sacré de son cœur : qu’ils ne soient tous qu’un (Io, XVII, 21): qu’ils vivent tous dans cette uni­té de foi et d’a­mour à laquelle le monde recon­naisse la puis­sance et l’ef­fi­ca­ci­té de la mis­sion du Christ et de l’œuvre de son Eglise.

L’Eglise pri­mi­tive avait com­pris et mis en pra­tique ce divin pré­cepte ; elle l’ex­pri­ma dans une magni­fique prière. Unissez-​vous à votre tour, dans les mêmes sen­ti­ments, qui répondent si bien à la néces­si­té de l’heure pré­sente : « Souviens-​toi, Seigneur, de ton Eglise, pour la déli­vrer de tout mal et la per­fec­tion­ner dans la cha­ri­té ; rassemble-​la des quatre vents, toute sanc­ti­fiée, dans le royaume que tu lui as pré­pa­ré ; car à toi est la puis­sance et la gloire dans tous les siècles. » [6]

Dans la confiance que Dieu, auteur et ami de la paix, écou­te­ra les sup­pli­ca­tions de l’Eglise, Nous vous accor­dons, comme gage de l’a­bon­dance des divines grâces, de la plé­ni­tude de Notre cœur pater­nel, la Bénédiction apostolique.

Donné à Castel-​Gandolfo près Rome, le 20 octobre de l’an 1939, de Notre pon­ti­fi­cat le premier.

Pie XII, Pape.

Notes de bas de page
  1. Brev. Rom., Parascev., res­pons. IV[]
  2. In Ev. Io, tract. 51, 13 sq.[]
  3. Hymne de la fête de l’Epiphanie.[]
  4. Cic., Orat., I, II, IX[]
  5. S. Aug. Ep. CXXXVIII ad Marcellinum, c. III, n. 17[]
  6. Doctrine des Douze Apôtres, c. X.[]