Rome, 5 décembre 1954
La question qu’aujourd’hui Nous examinons Nous a été signalée par l’un de vous, l’insigne professeur Carnelutti. C’est le rôle de la peine de « racheter le coupable au moyen de la pénitence » ; question que Nous aimerions formuler ainsi : La faute et la peine dans leur connexion réciproque.
C’est-à-dire que Nous voudrions indiquer à grands traits le chemin de l’homme de l’état de non-culpabilité, du fait de la faute, à l’état de faute et de peine (reatus culpae et poenae) ; et vice versa, le retour de cet état, à travers le repentir et l’expiation, à l’état de libération de la faute et de la peine. Nous pourrons alors voir plus clairement quelle est l’origine de la peine, quelle en est l’essence, la fonction, quelle forme elle doit prendre pour conduire le coupable à sa libération.
I. La voie vers la faute et la peine
Ici, il faut faire d’abord deux remarques.
Avant tout, le problème de la faute et de la peine est un problème de la personne, et cela sous un double aspect. La voie qui mène à la faute part de la personne du sujet qui agit, de son « moi ». Dans la somme des actes qui en proviennent, comme d’un centre d’action, il n’y a à considérer ici que ceux qui se basent sur une détermination consciente et voulue ; à savoir, des actes que le « moi » pouvait faire ou ne pas faire, qu’il accomplit parce qu’il s’y est librement résolu de lui-même. Cette fonction centrale du « moi » envers lui-même — même lorsqu’il agit sous des influences de diverse nature — est un élément essentiel si on veut parler de vraie faute et de vraie peine.
Le fait coupable est cependant toujours une position d’une personne contre une personne, aussi bien lorsque l’objet de la faute est une chose, comme dans le vol, que lorsque c’est une personne, comme dans l’homicide ; de plus, le « moi » de la personne qui se rend coupable s’insurge contre l’autorité supérieure, par conséquent, en conclusion, toujours contre l’autorité de Dieu. En ceci, Nous qui avons en vue le véritable problème de la faute et de la peine proprement dite, Nous faisons abstraction de la faute purement juridique et de sa pénalité conséquente.
Il faut encore observer que la personne et la fonction personnelle du coupable forment une étroite unité qui, à son tour, présente divers aspects. Elle concerne en même temps le champ psychologique, juridique, moral et religieux. Ces aspects peuvent certes se considérer encore séparément ; mais, en vérité, faute et peine sont si connexes entre elles que c’est seulement dans leur ensemble qu’il est possible de se former un juste concept touchant le coupable et la question de la coulpe et de la peine. On ne peut donc non plus traiter ce problème unilatéralement, sous son seul aspect juridique.
La voie vers la faute est donc celle-ci. L’esprit de l’homme se trouve dans la situation suivante : en présence d’une chose à faire ou à ne pas faire, qui se présente à lui comme une simple obligation, comme un absolu « tu dois », une exigence inconditionnée à réaliser par une détermination personnelle. A cette exigence, l’homme refuse d’obéir : il repousse le bien, adopte le mal. L’action extérieure suit la résolution intérieure, quand celle-ci ne s’épuise pas en elle-même. De cette manière, l’acte coupable est accompli dans son élément tant interne qu’externe.
A. Nature et aspects variés de l’acte coupable.
En ce qui regarde le côté subjectif de la faute, pour en juger droitement il faut tenir compte, non seulement du fait extérieur, mais encore des influences provenant de l’intérieur et de l’extérieur, qui ont coopéré à la résolution du coupable, comme des dispositions innées ou acquises, des impulsions ou des obstacles, empreintes de l’éducation, irradiations des personnes et des choses au milieu desquelles on vit, facteurs des circonstances, et, en particulier, mesure de l’intensité habituelle et actuelle du vouloir, l’« énergie criminelle », comme on dit, qui a contribué à l’accomplissement du fait coupable.
Considéré dans son terme, le fait coupable est un mépris arrogant de l’autorité qui commande de maintenir l’ordre de la justice et du bien, et qui est la source, la gardienne, la tutrice et la vengeresse de l’ordre même. Et puisque toute autorité humaine ne peut émaner finalement que de Dieu, tout fait coupable est une opposition contre Dieu même, son droit suprême et sa souveraine majesté. Cet aspect religieux est immanent et essentiellement lié au fait coupable.
Ce fait a pour terme également la communauté de droit public, s’il met en péril, et viole, pour autant qu’il le fait, l’ordre établi par les lois. Toutefois, ce n’est pas tout véritable acte coupable, comme il vient d’être décrit, qui a le caractère de faute de droit public. Le pouvoir public ne doit s’occuper que des actions coupables qui offensent la vie en commun normale dans l’ordre fixé par les lois. De là, la règle touchant la faute juridique : Nulla culpa sine lege (pas de faute sans loi). Mais une telle violation, si d’ailleurs elle est en elle-même un véritable acte coupable, est toujours également une violation de la règle morale et religieuse. De là il suit que les lois humaines, quand elles se trouvent en contradiction avec les lois divines, ne peuvent former la base pour un véritable fait coupable de droit public.
A ce concept du fait coupable se trouve liée l’idée que son auteur devient digne de châtiment (reatus poenae). Le problème de la peine a donc son principe, en chaque cas, au moment où l’homme devient coupable. La peine est la réaction, réclamée par le droit et la justice, à la faute : elles sont comme le coup et le contre-coup. L’ordre violé par l’acte coupable exige la réintégration et le rétablissement de l’équilibre qui a été troublé. C’est l’office propre du droit et de la justice de garder et de préserver la concordance entre le devoir, d’une part, et le droit, d’autre part, et de la rétablir si elle a été lésée. La peine ne touche pas par soi le fait coupable, mais son auteur, sa personne, son « moi », qui par une détermination consciente a accompli l’action coupable. Pareillement, la punition ne vient pas d’une sorte de disposition juridique abstraite, mais de la personne concrète investie de l’autorité légitime. Comme l’action coupable, ainsi la punition oppose personne à personne.
B. Sens et but de la peine.
La peine proprement dite ne peut donc avoir d’autre sens et d’autre but que celui qui vient d’être énoncé, de ramener de nouveau dans l’ordre du devoir le violateur du droit qui en est sorti. Cet ordre du devoir est nécessairement une expression de l’ordre de l’être, de l’ordre du vrai et du bien, qui seul a droit à l’existence, en opposition à l’erreur et au mal qui représentent ce qui ne doit pas être.
La peine remplit son office à sa manière dans la mesure où elle contraint le coupable, à cause de l’acte accompli, à une souffrance, c’est-à-dire à la privation d’un bien et à l’imposition d’un mal. Pour que cette souffrance soit une peine, il est essentiel qu’elle ait une connexion causale avec la faute.
II. L’état de faute et de peine
Ajoutons que le coupable a créé, par son acte, un état qui de soi ne cesse pas du seul fait que cesse le fait lui-même. Il demeure avec celui qui a consciemment et volontairement violé une règle obligatoire (reatus culpae) et par là a encouru la peine (reatus poenae), Cet état personnel perdure, même dans sa situation en face de l’autorité dont il dépend, ou de l’autorité humaine de droit public en tant que celle-ci a part dans le processus pénal correspondant, et en outre, et toujours, en face de la suprême autorité divine. II se forme ainsi un état durable de faute et de peine qui indique une condition particulière du coupable en face de l’autorité offensée et de celle-ci vis-à-vis du coupable (cf. St. Thomas, S. Th., IIIe p., q. LXIX, a. 2, obj. 3 et ad. 3).
On a tenté, en partant du concept que temps et espace, formellement en tant que tels, ne sont pas simplement une réalité, mais des instruments et des formes de la pensée, de tirer la conclusion qu’après la cessation du fait coupable et de la peine même on ne peut plus parler d’une permanence de ceux-ci dans la réalité, dans l’ordre réel, et donc d’un état de coulpe et de peine. S’il en était ainsi, il faudrait renoncer au principe : « Quod factum est infectum fieri nequit ». Appliqué à un fait spirituel — et tel est en soi l’acte coupable, — ce principe se baserait, affirme-t-on, sur une fausse évaluation et par un usage incorrect du concept de « temps ». Nous outrepasserions les limites de Notre discours, si Nous voulions traiter ici la question de l’espace et du temps. Il suffira de noter que l’espace et le temps sont non pas une simple forme de la pensée, mais ont un fondement dans la réalité. De toute façon, la conséquence qu’on en veut tirer, contre l’existence d’un état de faute, est sans valeur. Sans doute, la chute de l’homme dans la faute advient sur cette terre dans un lieu et un temps déterminés, mais elle n’est pas une qualité de ce lieu et de ce temps et, par conséquent, sa cessation n’est pas liée avec la cessation d’un « ici » et d’un « maintenant ».
Ce que Nous avons exposé concerne l’essence de l’état de faute et de peine. Par contre, pour ce qui regarde l’autorité supérieure, à laquelle le coupable a refusé la subordination et l’obéissance dues, son indignation et sa désapprobation se tournent non seulement contre le fait, mais encore contre l’auteur lui-même, contre sa personne à cause de son acte.
Ainsi qu’on l’a déjà signalé, à l’acte de la faute sont immédiatement jointes, non pas la peine elle-même, mais la culpabilité et la pénalité de l’acte lui-même. Néanmoins, n’est pas exclue une peine qu’on encourt en vertu d’une loi, automatiquement, au moment de l’acte coupable. Dans le droit canonique sont mentionnées les poenae latae sententiae ipso facto commissi delicti incurrendae. Dans le droit civil, une telle peine est rare, elle est même inconnue dans certains ordres juridiques. En outre, cette infliction automatique de la peine suppose toujours une faute véritable et grave.
Conditions préalables de toute sentence pénale
En principe, donc, la peine est infligée par l’autorité compétente. Cela présuppose : une loi pénale en vigueur ; une personne légitimement investie de l’autorité pénale, en elle la connaissance sûre de l’acte à punir, aussi bien du côté objectif, c’est-à-dire dans l’accomplissement du délit envisagé par la loi, que du côté subjectif, c’est-à-dire en ce qui concerne la culpabilité du coupable, sa gravité et son extension.
Cette connaissance nécessaire pour prononcer une sentence pénale est, devant le tribunal de Dieu, Juge suprême, parfaitement claire et infaillible ; et le fait de l’avoir indiquée ne peut pas être sans intérêt pour le juriste. Dieu était présent à l’homme au moment de sa détermination intérieure et de l’accomplissement extérieur du fait coupable, pénétrant tout pleinement de son regard jusqu’aux ultimes détails ; tout est devant Lui, maintenant comme au moment de l’action.
Mais cette connaissance avec sa plénitude absolue et avec son assurance souveraine, à tout instant de la vie et pour toute action humaine, est propre à Dieu seulement. C’est pourquoi, incombent à Dieu seul l’ultime jugement sur la valeur d’un homme et la décision sur son sort définitif. Il prononce ce jugement selon qu’il trouve l’homme au moment où il l’appelle dans l’éternité. Cependant, Dieu prononce un jugement infaillible ainsi que la peine correspondante, même durant la vie terrestre, non seulement sur tout l’ensemble des actes, mais encore sur chaque acte coupable ; et même, en maints cas, il exécute cette sentence déjà durant la vie de l’homme, nonobstant sa disposition divine toujours prompte à la rémission et au pardon.
La certitude morale dans les jugements humains.
Par contre, le jugement humain, qui n’a pas l’omniprésence et l’omniscience de Dieu, a le devoir de se former, avant de prononcer la sentence judiciaire, une certitude morale, c’est-à-dire d’exclure tout doute raisonnable et sérieux relatif au fait extérieur et à la culpabilité intérieure. Mais il n’a pas une vision immédiate de l’état intérieur de l’inculpé, tel qu’il était au moment de l’acte ; bien plus, la plupart du temps, il n’est pas à même de le reconstituer avec pleine clarté d’après des arguments probants, ni même parfois d’après la confession elle-même, du coupable.
Cependant, ce manque de pleine clarté et cette impossibilité ne doivent pas être exagérés, comme s’il était ordinairement impossible au juge humain d’arriver à une certitude suffisante et, par conséquent, d’avoir un solide fondement pour la sentence. Suivant les cas, le juge ne manquera pas de consulter des spécialistes renommés sur la capacité et la responsabilité du coupable présumé et de tenir compte des résultats des sciences psychologiques, psychiatriques et caractériologiques modernes. Si, malgré toutes ces précautions, il reste encore un doute important et sérieux, nul juge consciencieux ne prononcera une sentence de condamnation, surtout s’il s’agit d’une peine irréductible, comme la peine de mort.
Dans la plupart des délits, le comportement extérieur manifeste déjà suffisamment le sentiment intérieur dont il s’inspire. On peut donc, en règle générale, — et parfois même on doit — déduire de l’extérieur une conclusion substantiellement exacte, si l’on ne veut pas rendre impossibles les actes juridiques parmi les hommes. D’autre part, il ne faut pas oublier non plus qu’aucune sentence humaine ne décide en dernière instance et définitivement du sort d’un homme, mais seulement le jugement de Dieu, aussi bien pour chacun des actes que pour la vie tout entière. Aussi, partout où les jugements humains auront commis une erreur, le Juge suprême rétablira l’équilibre, tout d’abord, immédiatement après la mort, lors du jugement définitif sur la vie entière de l’homme, et puis, plus tard et plus complètement, devant tout le monde, au jugement dernier universel. Cela ne dispense pas le juge de faire preuve de conscience et de souci d’exactitude dans l’enquête ; mais c’est quelque chose de grand que de savoir qu’il y aura une ultime équivalence de la faute et de la peine, que rien ne laissera à désirer pour réaliser sa perfection.
Quiconque est chargé de l’assistance de l’inculpé dans la prison préventive ne doit pas manquer d’avoir présents le poids et la souffrance qu’est déjà pour le détenu l’enquête elle-même, même si l’on n’applique pas des méthodes d’investigation, qui ne peuvent, en aucune manière, être admises. Ces souffrances ne sont pas comptées ordinairement dans la peine qui sera finalement prononcée et, d’autre part, il pourrait difficilement en être autrement. Il convient cependant d’en garder le souvenir conscient.
Dans le domaine juridique extérieur, la sentence du tribunal est décisive pour le plein établissement de la faute et de la peine.
Quelques propositions de réformes.
Plusieurs parmi vous, illustres Messieurs, ont exprimé le vœu que soit introduit par voie législative un certain relâchement du lien qui lie le juge aux articles du Code pénal, non pas à peu près dans le sens de l’activité du prêteur dans le droit romain « adjuvandi, supplendi vel corrigendi juris civilis gratia », mais dans le sens d’une plus libre appréciation des faits objectifs, en dehors des normes juridiques générales déterminées par le pouvoir législatif ; de sorte que, même dans le droit pénal, il soit possible d’appliquer une certaine « analogia juris » et que le pouvoir discrétionnaire du juge s’exerce dans des limites plus vastes que celles jusque-là en vigueur. On pense réaliser ainsi une notable simplification des lois pénales et une considérable diminution du nombre de chaque délit, et l’on pourrait mieux faire comprendre au peuple ce que l’État considère comme. passible de peine et pour quels motifs.
Cette conception, on peut sûrement le reconnaître, repose sur quelque fondement. De toute façon, les fins pour lesquelles est faite cette proposition, c’est-à-dire la simplification des prescriptions légales, la mise en valeur, non seulement du strict droit formel, mais encore de l’équité et du sain jugement spontané, une plus grande adaptation du droit pénal au sentiment du peuple, ces fins, disons-Nous, ne donnent pas lieu à des objections. La difficulté devrait surgir, non pas tant du côté théorique que dans la forme de son application, laquelle devrait, d’une part, conserver les garanties du règlement en vigueur et, d’autre part, tenir compte des besoins nouveaux et des désirs raisonnables de réforme. Le droit canon offre des exemples dans ce sens, ainsi qu’on le voit dans les canons 2220–2223 du Code de droit canonique.
Variété et efficacité des peines.
En ce qui concerne les diverses espèces de peines (peines relatives à l’honneur [la capa-cité juridique], aux biens patrimoniaux, à la liberté personnelle, au corps et à la vie, les peines corporelles ne sont pas comprises dans le droit italien), dans Notre présent exposé, Nous Nous bornerons à les considérer seulement en tant que se manifestent en elles la nature et le but de la peine. Cependant, ainsi que Nous l’avons déjà signalé, étant donné que certains ne partagent pas cette opinion, il s’ensuit que différente est aussi leur attitude en face des diverses peines.
Jusqu’à un certain degré il peut être vrai que la peine de prison ou de réclusion, dûment appliquée, est la plus apte à déterminer le retour du coupable dans le bon ordre et dans la vie de la communauté. Mais il ne s’ensuit pas qu’elle soit la seule bonne et juste. A ce propos, s’applique ce que Nous avons dit dans Notre discours sur le droit pénal international du 3 octobre 1953, concernant la théorie de la rétribution.
La peine vindicative est repoussée par beaucoup, mais pas par tous, même si elle est proposée non comme exclusive, mais à côté des peines médicinales. Nous avons affirmé alors qu’il ne serait pas juste de repousser en principe et totalement la fonction de la peine vindicative. Aussi longtemps que l’homme est sur la terre, cette dernière peine peut et doit servir à son salut définitif, à la condition que lui-même ne mettra pas, par ailleurs, obstacle à l’efficacité salutaire de la peine elle-même. Cette efficacité, en effet, n’est en aucune manière en opposition avec la fonction d’équilibre et de réintégration de l’ordre troublé que Nous avons déjà signalée comme essentielle à la peine.
Exécution de la peine.
L’infliction d’une peine trouve son accomplissement naturel dans l’exécution de la peine elle-même, considérée comme la privation effective d’un bien ou l’imposition positive d’un mal, déterminées par l’autorité légitime, comme réaction à l’acte coupable. C’est une compensation, non pas directement de la faute, mais du trouble de l’ordre juridique. L’acte coupable a manifesté dans la personne du coupable un certain élément qui ne concorde pas avec le bien commun ni avec une communauté de vie sociale bien ordonnée. Cet élément doit être écarté du coupable. Ce processus d’éloignement est comparable à l’intervention médicale dans l’organisme, intervention qui peut être très douloureuse, spécialement quand il faut s’attaquer non seulement aux symptômes, mais encore à la cause elle-même de la maladie. Le bien du coupable, et peut-être plus encore celui de la communauté, exige que le membre malade redevienne sain. Mais le traitement de la peine, tout comme celui de l’infirme, requiert un clair diagnostic, non seulement symptomatique mais encore étiologique, une thérapeutique adaptée au mal, un prudent pronostic et une prophylaxie complémentaire appropriée.
Les réactions du condamné.
La voie que doit prendre le coupable est indiquée par le sens objectif et par la fin de la peine, comme aussi par l’intention, la plupart du temps conforme, de l’autorité punissante. C’est la voie de la connaissance du mal commis, mal qui lui a occasionné la peine ; la voie de l’aversion et de la répudiation de l’acte lui-même ; la voie du repentir, de l’expiation et de la purification, du propos efficace pour l’avenir. Telle est la voie que doit prendre le condamné.
Cependant, la question est celle-ci : quelle voie prendra-t-il en réalité ? En venant à l’examen de cette question, il peut être utile de considérer la souffrance causée par la peine, suivant les différents aspects qu’elle présente : psychologique, juridique, moral et religieux, bien que normalement ces divers aspects soient en réalité comme unis dans un seul.
Réaction psychologique.
Psychologiquement, la nature réagit spontanément contre le mal concret de la peine, d’une manière d’autant plus violente que plus profonde est la souffrance qui atteint la nature de l’homme en général, ou le tempérament individuel de chacun. Cette réaction est accompagnée, spontanément aussi, du sentiment suivant : le. coupable dirige et fixe son attention sur l’acte coupable, cause de la peine et dont la connexion est vivante devant son esprit ou qui, en tout cas, devient maintenant présente en première ligne à sa conscience.
Après ces attitudes plus ou moins volontaires apparaît la réaction consciente et voulue du « moi », centre et source de toutes les fonctions personnelles. Cette réaction plus élevée peut être une acceptation positive volontaire, telle qu’elle se manifeste dans les paroles du bon larron sur la croix : « Digna factis recipimus ». Nous recevons ce qu’ont mérité nos actions. » (Luc, XXIII, 41). Ce peut être aussi une résignation passive, ou, au contraire, une irritation profonde, un écroulement intime total ; mais ce peut être encore un endurcissement orgueilleux qui parfois aboutit à un endurcissement dans le mal, ou, enfin, une sorte de sauvage révolte impuissante, intérieure et extérieure. Cette réaction psychologique prend diverses formes, s’il s’agit d’une peine durable, ou au contraire, d’une peine restreinte, quant au temps, à un instant, dépassant par sa rigueur et sa profondeur toute mesure de temps, comme la peine de mort.
Réaction juridique.
Juridiquement, l’exécution de la peine signifie l’effective et valide action du supérieur et du plus fort pouvoir de la communauté juridique (ou plutôt de celui qui, dans son sein a l’autorité) sur le violateur du droit, qui, dans sa volonté obstinée et contraire à la loi, a transgressé d’une manière coupable l’ordre juridique établi, et est maintenant contraint de se soumettre aux prescriptions de l’ordre lui-même, pour le plus grand bien de la communauté et du coupable lui-même. Par là, apparaissent plus clairement le concept et la nécessité du droit pénal.
D’autre part, la justice exige que dans l’exécution des dispositions de la loi pénale soit évitée toute aggravation des peines infligées par la sentence, tout acte arbitraire et toute dureté, toute vexation et toute provocation. L’autorité supérieure a le devoir de veiller sur l’exécution de la peine et de lui donner la forme répondant à son but, non dans un rigoureux accomplissement de chacune des prescriptions et de ses paragraphes, mais dans l’adaptation possible à la personne qui est soumise à la peine elle-même. La gravité et la pompe du pouvoir pénal et de son exercice suggèrent naturellement à l’autorité publique de bien considérer sa principale fonction dans son contact avec la personne du coupable. On devra ensuite juger suivant les circonstances particulières, si l’on peut pleinement satisfaire aux devoirs de cette fonction par ses propres organismes. La plupart du temps, sinon toujours, une partie devra être confiée à d’autres, spécialement le vrai et spécial ministère des âmes.
Certains ont proposé qu’il serait opportun de fonder une Congrégation religieuse ou un Institut séculier à qui serait confiée l’assistance psychologique des détenus dans la plus large mesure. Certes, déjà depuis fort long-temps, de bonnes religieuses ont apporté un rayon de soleil et les bienfaits de la charité chrétienne dans les prisons de femmes, et Nous sommes heureux de profiter de cette occasion pour leur adresser une parole de reconnaissance et de gratitude. Cependant, cette proposition Nous semble digne de toute considération, et même Nous exprimons le souhait que non seulement les organes religieux et ecclésiastiques, déjà en activité dans ces maisons, emploient toutes leurs énergies nées de la foi chrétienne, mais encore que tous les résultats acquis provenant des recherches et des expériences psychologiques, psychiatriques et sociologiques soient utilisés au profit des détenus. Cela suppose naturelle-ment en ceux qui sont appelés à les appliquer une pleine formation professionnelle.
Dans ce domaine, il n’est personne quelque peu familiarisé avec la réalité de l’exécution des peines qui nourrisse d’utopiques espoirs en des succès importants. A l’influence extérieure doit s’ajouter la bonne volonté du condamné, mais on ne saurait obtenir celle-ci par la force. Veuille la divine Providence la susciter et la diriger par sa grâce.
Réaction morale.
Le côté moral de l’exécution de la peine et de la souffrance qu’elle apporte est en relation avec les buts et les principes qui doivent déterminer les dispositions de la volonté du condamné.
Souffrir en cette vie terrestre c’est pour ainsi dire tourner son esprit de l’extérieur vers l’intérieur ; c’est une voie qui éloigne de la superficie et mène dans la profondeur. Ainsi considérée, la souffrance est pour l’homme d’une haute valeur morale. Son acceptation volontaire, à supposer la droite intention, est un acte précieux. « Patientia opus perfectum habet », écrit l’apôtre saint Jacques (I, 4). Ceci s’applique aussi à la souffrance causée par la peine. Elle peut être un progrès dans la vie intérieure. Suivant sa propre nature, c’est une réparation et un rétablissement — par la personne et en la personne du coupable, lequel accepte ladite peine — de l’ordre social coupablement violé. L’essence du retour au bien consiste, à proprement parler, non dans l’acceptation volontaire de la souffrance, mais dans l’éloignement de la faute. La souffrance elle-même peut réaliser cette fin, tandis que la conversion de la faute peut à son tour lui conférer une plus haute valeur morale, ainsi que faciliter et augmenter son efficacité morale. De la sorte, la souffrance peut s’élever jusqu’à un héroïsme moral, jusqu’à une patience et une expiation héroïques.
Cependant, dans le domaine de la réaction morale, nombreuses sont aussi les manifestations contraires. Souvent, la valeur éthique de la peine n’est même pas connue ; souvent, elle est sciemment et volontairement repoussée. Le coupable ne veut ni reconnaître ni admettre aucune faute de sa part ; il n’entend, en aucune façon, se soumettre et se plier au bien ; il repousse toute expiation ou pénitence pour ses fautes personnelles.
Réaction religieuse.
Et maintenant, quelques mots seulement concernant le côté religieux de la souffrance causée par la peine.
Toute faute morale de l’homme, même si elle est commise matériellement, avant tout et seulement dans le cadre des lois humaines légitimes, et punie alors par des hommes suivant le droit positif humain, est toujours aussi une faute devant Dieu et attire sur elle un jugement pénal de Dieu. Il n’est pas dans l’intérêt de l’autorité publique de n’en pas faire sincèrement cas. L’Écriture sacrée enseigne (Rom. XIII, 2–4) que l’autorité humaine, dans les limites de sa compétence, n’est pas autre chose, quand elle fait accomplir la peine, que l’exécutrice de la justice divine. « Dei enim minister est, vindex in iram ei, qui malum agit ».
Cet élément religieux de l’exécution de la peine trouve en la personne du coupable son expression et sa réalisation, en ce sens, qu’il s’humilie sous la main de Dieu qui punit par l’intermédiaire des hommes ; il accepte donc la souffrance de la main de Dieu, il l’offre à Dieu comme un règlement partiel de la dette qu’il a contractée devant Lui. Une peine ainsi supportée devient pour le coupable, sur cette terre, une source de purification intérieure, de pleine conversion, d’énergie pour l’avenir, de protection contre toute rechute. Une souffrance ainsi supportée avec foi, repentir et amour est sanctifiée par les douleurs du Christ et accompagnée de sa grâce. Ce sentiment religieux et saint de la souffrance causée par la peine se manifeste à Nous dans les paroles du bon larron à son compagnon de supplice : « Digna factis recipimus. Nous recevons ce qu’ont mérité nos actions », et dans la prière au Rédempteur mourant : « Domine, memento mei, cum veneris in regnum tuum » ; prière qui, mise dans la balance de Dieu, valut au pécheur repenti l’assurance du Seigneur : « Hodie mecum eris in paradiso. Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis » (Luc XXIII, 41–43) ; c’est pour ainsi dire la première indulgence plénière accordée par le Christ lui-même.
Puissent tous ceux qui sont tombés sous les coups de la justice humaine souffrir la peine qui leur a été infligée, non par pure contrainte, non sans Dieu et sans le Christ, non en se brisant spirituellement dans leur douleur, mais de manière que s’ouvre pour eux, grâce à cette souffrance, la voie qui mène à la sainteté !
III. La libération de l’état de faute et de peine
Il reste maintenant à parler de la dernière étape du processus que Nous voulons vous montrer, c’est-à-dire du retour de l’état de faute et de peine à celui de la libération.
La libération de la faute et la libération de la peine ne s’identifient pas nécessairement, ni quant à leur concept ni quant à leur réalité. En faisant abstraction du fait que devant Dieu la rémission de la peine éternelle est toujours liée à la rémission de la faute grave, on peut rencontrer des cas d’extinction de la faute sans que s’ensuive une extinction de la peine. Et, vice versa, la peine peut avoir été expiée, sans qu’au plus intime du coupable la faute ait cessé d’exister.
Or, le retour à l’ordre juridique et éthique consiste essentiellement dans la libération de la faute et non de la peine.
A) La libération de la faute.
Dans l’exposé de la première étape de ce processus, Nous montrions le caractère à la fois interne et externe de l’acte coupable, aussi bien relativement à l’auteur lui-même, que dans ses rapports envers l’autorité supérieure et, en définitive, toujours envers celle de Dieu, dont la majesté, la justice et la sainteté sont, dans tout acte coupable, méprisées et offensées.
En quoi consiste la libération de la faute …
La libération de la faute doit donc rétablir dans leur intégrité les rapports troublés par l’acte coupable. S’il s’agit d’une simple dette réelle, c’est-à-dire concernant des prestations purement matérielles, elle peut être complètement éteinte par la seule prestation due, sans que soit nécessaire un contact personnel quelconque avec l’autre partie. Si, au contraire, il est question d’une offense personnelle (seule ou liée à une dette réelle), alors le coupable est tenu envers la personne du créancier par une obligation au sens strict, dont il doit être dégagé. Et comme cette obligation, Nous l’avons déjà dit, a un aspect psychologique, juridique, moral et religieux, telle doit être également sa libération.
Toutefois, sous son aspect intérieur, la faute entraîne aussi pour le coupable un esclavage et un asservissement de lui-même à l’objet auquel il s’est donné dans l’accomplissement de l’acte coupable, c’est-à-dire en somme à un pseudo-moi, dont les tendances, les impulsions et les fins constituent chez l’homme une caricature du moi authentique ordonné par le Créateur et la nature uniquement au vrai et au bien ; elle contrevient aux normes de la rectitude, selon laquelle l’homme, créé à l’image de Dieu, doit agir et se former. De cet esclavage aussi il faut accomplir la libération psychologique, juridique, morale et religieuse.
En droit humain on peut parler d’une certaine libération de la faute, quand cesse la procédure de l’autorité publique contre l’acte coupable ; ainsi, par exemple, lorsque, même sans égard aux dispositions intérieures actuelles du coupable, l’autorité remet positivement la faute, ou lorsqu’expire le délai légal, dans les limites duquel cette autorité entend, sous certaines conditions, citer devant son tribunal, pour la juger, l’atteinte portée au droit. Toutefois, cette manière de faire ne constitue pas une conversion intérieure, une métanoia , une libération de l’esclavage intime du moi, de sa volonté de mal et d’illégalité. Or, c’est seulement sur cette libération de la faute proprement dite, sur cette métanoia (« changement de sentiment »), que Nous voudrions attirer ici l’attention.
… psychologiquement…
Considérée du point de vue psychologique, la libération de la faute est l’abandon et la rétractation du vouloir pervers, que le moi a librement et consciemment mis dans l’acte coupable, et la résolution de vouloir à nouveau le juste et le bien. Ce changement de volonté suppose qu’on rentre en soi-même et qu’on prend conscience de la malignité et de la culpabilité de la résolution antérieurement prise contre le bien reconnu comme obligatoire. A cette prise de conscience s’unit la réprobation de l’acte mauvais, le repentir, c’est-à-dire la douleur voulue, la tristesse voulue de l’âme, pour le mal qui a été fait, parce qu’il est mauvais, contraire aux normes et, en définitive, contraire à Dieu. Dans cette intime catharsis s’accomplit également et se situe l’éloignement du faux bien vers lequel l’homme s’était tourné dans l’acte coupable. Il revient se soumettre à l’ordre juste et droit, dans l’obéissance envers Celui qui en est l’auteur et le gardien, et contre lequel il s’était révolté.
Ceci nous conduit psychologiquement à la dernière étape. Puisque l’acte coupable — comme on l’a déjà dit — ne consiste pas à enfreindre une norme abstraite du droit, mais au fond à s’opposer à la personne de l’autorité qui oblige ou interdit, la conversion accomplie porte par nécessité psychologique — sous une forme ou sous une autre — vers la personne de l’autorité lésée, pour un aveu repentant, explicite ou implicite, de la faute et l’intime imploration de la rémission et du pardon. La Sainte Écriture nous donne d’un tel repentir des expressions brèves et classiques : telles les paroles du publicain au Temple « Deus propitius esto mihi peccatori : Mon Dieu, pardonnez au pécheur que je suis. » (Luc, XVIII, 13), ou celles du fils prodigue « Pater, peccavi : Père, j’ai péché » (Luc, XV, 21).
Néanmoins, considéré sous l’aspect purement psychologique, le vouloir pervers s’exprimant dans l’acte coupable peut prendre fin d’une autre manière, sans que se réalise une libération de la faute. Le coupable ne pense plus à son acte, et ne l’a pas rétracté ; ce dernier a simplement cessé de peser sur sa conscience. Mais alors il faut dire bien clairement qu’un tel processus psychologique ne constitue pas une libération de la faute, de même que le fait de s’endormir le soir n’assure ni ne signifie l’éloignement et encore moins la suppression du mal commis durant le jour. Peut-être, aujourd’hui, certains diront-ils que la faute a été ensevelie dans le subconscient ou dans l’inconscient. Mais en réalité, elle est encore là.
Et l’on n’obtiendrait pas un meilleur résultat en essayant de supprimer la conscience psychologique de la faute au moyen d’une auto-suggestion ou d’une suggestion externe, ou encore en utilisant la psychothérapie clinique et la psychanalyse. On ne peut corriger ou supprimer psychologiquement une volonté coupable, réelle et libre, en faisant naître la persuasion qu’elle n’a jamais existé. Nous avons indiqué les déplorables conséquences d’une telle façon d’envisager la question de la faute, dans le discours adressé aux participants du Ve Congrès international de psychothérapie et de psychologie clinique, le 15 avril 1953.
Il convient d’ajouter encore une dernière observation sur la libération psychologique de la faute. Un seul acte, pleinement conscient et libre, peut contenir tous les éléments psychiques de la vraie conversion, mais sa profondeur, sa fermeté, son extension peuvent présenter des déficiences, sinon essentielles du moins fort importantes. Une libération de la faute, profonde, complète et durable, est souvent un long processus qui ne mûrit que graduellement, surtout si l’acte coupable a été le fruit d’une disposition habituelle de la volonté. La psychologie de la récidive offre ici un matériel de preuves plus que suffisant et ceux qui soutiennent qu’un emprisonnement de quelque durée est de nature à purifier éduquer et fortifier, trouvent dans ces expériences une confirmation de leur théorie.
… juridiquement …
La libération juridique de la faute, à la différence de la conversion psychologique, qui s’accomplit principalement dans l’intimité de la volonté du coupable, s’adresse essentiellement à l’autorité supérieure, dont les exigences pour l’observation des normes établies furent méprisées ou violées. Les violations privées du droit — si elles ont eu lieu de bonne foi ou ne portent pas autrement préjudice au bien commun — se règlent en forme privée entre les parties, ou au moyen d’une action civile, et elles ne forment pas ordinairement un objet de droit pénal.
Dans l’analyse de l’acte coupable, Nous disions qu’il consiste à refuser et à nier la subordination qui est due, le service et le dévouement qui sont dus, le respect et l’hommage qui sont dus ; Nous disions qu’il est objectivement une offense à la grandeur et à la majesté de la loi, ou mieux, de Celui qui en est l’auteur, le gardien, le juge et le vengeur. Les exigences de la justice, et par conséquent la libération juridique de la faute, réclament qu’on donne au service, à la subordination, au dévouement, à l’hommage et au respect envers l’autorité, tout autant que ce qui lui avait été refusé par le délit.
Cette satisfaction peut être accomplie librement ; elle peut aussi, du fait de la souffrance causée par la peine infligée, être jusqu’à un certain point imposée ; elle peut être à la fois imposée et libre. Le droit actuel des États ne donne guère d’importance à la libre réparation. Il se contente, par le moyen de la souffrance attachée à la peine, de plier la volonté du coupable au fort vouloir de l’autorité publique, et de le réadapter ainsi au travail, aux relations sociales, à une conduite honnête. Que cette manière de procéder puisse conduire, en vertu des lois psychologiques immanentes, à un redressement intérieur et, par là, à une libération intime de la faute, il n’y a pas lieu de le mettre en doute. Cependant, que cela doive arriver ou arrive régulièrement, ce serait encore à prouver. De toute façon, ne pas prendre en considération, par principe, la volonté du coupable de satisfaire à ce que réclament le vrai sens juridique et la justice violée, c’est là un manque et une lacune ; l’intérêt de la doctrine et de la fidélité aux principes fondamentaux du droit pénal invite vivement à les combler.
Toutefois, la libération juridique de la faute comprend non seulement la volonté de s’acquitter de la prestation due, mais aussi le fait de la prestation elle-même. Ici la science et la vie concrète se heurtent à cette question souvent difficile : que doit-il arriver dans le cas d’incapacité, morale ou physique, à s’acquitter de cette prestation ? Doit-on recourir à quelque compensation ou suppléance, ou bien les exigences du droit violé doivent-elles être laissées sans réparation ? On a déjà laissé entendre que l’homme est parfaitement en mesure, par un acte coupable commis avec pleine responsabilité, de léser ou de détruire des biens et des obligations juridiques, mais que souvent il n’est plus à même, une fois le fait accompli, d’assurer une réparation appropriée : ainsi, dans les cas d’assassinat, de privation de la vue, de mutilation, de complète violence sexuelle, d’adultère, d’atteinte irréparable à la réputation, de déchaînement d’une guerre injuste, de trahison de secrets d’État importants et vitaux, de certaines formes de lèse-majesté et d’autres délits semblables. La méthode du talion infligerait bien au coupable un mal proportionné ; mais, à s’y tenir, celui qui a été directement atteint dans son droit, ne recevrait ni réparation ni restitution de ce qui lui appartient. Toutefois, sans parler du fait qu’une telle impossibilité de dédommagement approprié ne se vérifie pas dans tous les cas, il faut noter que le jugement concernant la faute ne porte pas tellement sur le bien lésé de l’autre partie, mais principalement sur la personne du coupable et sa volonté perverse exercée à son propre avantage. A celle-ci s’oppose précisément la prestation que le coupable tire, à ses dépens, de son être, de son avoir et de son pouvoir, au profit d’autrui, autrement dit, dans tous les cas, au profit du droit lésé et, donc, de l’autorité supérieure. Ainsi, la prestation active, qui inclut la conversion intérieure de la volonté, constitue pour le coupable, qui s’acquitte à ses dépens de la satisfaction à laquelle il est tenu, le second des deux éléments indiqués ci-dessus comme constituant la libération de la faute. On ne peut en dire autant de la prestation purement passive, c’est-à-dire quand le coupable se soumet sous la contrainte à la souffrance qu’elle comporte. Cette satisfaction purement passive, à laquelle fait défaut toute volonté libre et repentante, est privée de l’élément essentiel de la libération de la faute. Le coupable demeure donc tel.
Plusieurs fois, Nous avons fait ressortir que tout véritable acte coupable en matière grave est, en dernière analyse, une faute devant Dieu qui a un droit absolu, parce que divin, à l’obéissance et à la soumission, au service et à la louange, et qui, comme auteur, gardien, juge et vengeur de l’ordre juridique, fait connaître au coupable ses exigences avec ce caractère absolu et inconditionné qui est propre aux manifestations intimes de la conscience. Dans la détermination coupable du moi, l’homme méprise Dieu tel qu’il se révèle à lui, il laisse de côté le bien infini, la majesté absolue et se place en fait au-dessus de Dieu. Mais si, maintenant, l’homme repentant redevient soumis à la majesté de Dieu, si, dans un don conscient et complet de son moi au Bien suprême infini, il se détache de son acte coupable jusqu’à sa racine profonde, pour être de nouveau libre dans le bien et en son Dieu, il se trouve toutefois dans l’impossibilité de réparer adéquatement par ses propres forces (c’est-à-dire son être, son vouloir et son pouvoir) ce que par son acte il a commis à l’égard de Dieu. Il a offensé et méprisé un bien absolument infini, un droit absolument illimité, une majesté absolue. Dans la gravité de sa faute intervient ainsi cette infinité absolue, alors que tout ce que l’homme peut offrir ou réaliser est essentiellement fini en intensité et en extension : la réparation durerait-elle jusqu’à la fin des siècles, elle ne pourra à aucun moment parvenir à l’égalité — tantum quantum — entre l’exigence de Dieu et la prestation de l’homme. Dieu a comblé cet abîme ; il a placé entre les mains de l’homme fini un prix infini ; il a accepté comme prestation en faveur de l’homme coupable le rachat opéré par le Christ, surabondant du fait de l’union hypostatique et en raison de sa valeur infinie de soumission, d’honneur et de glorification ; ainsi, tant que dureront les siècles, l’homme repentant recevra rémission de sa faute devant Dieu, à cause des mérites de Jésus-Christ lui-même.
Que l’on ne dise pas que ces considérations théologiques et religieuses se situent en dehors du domaine et de l’intérêt de la science et de la pratique juridique. Sans doute, une nette distinction de compétences est à l’avantage même de la vie et d’une science véritable, mais dans cette autolimitation, on ne doit pas aller jusqu’à ignorer ou nier explicitement des connexions indissolubles qui, par nécessité intrinsèque, partout se manifestent. Dans toute véritable faute — en quelque domaine matériel qu’elle ait été commise — est incluse désormais une relation à l’instance suprême de tout droit et de tout ordre. C’est une caractéristique ou une prérogative du monde du droit qu’il n’y ait rien en lui qui, dans sa structure fondamentale, n’ait été créé sans cette suprême instance, ou qui, dans son analyse poussée jusqu’au bout, puisse être rendu intelligible sans cette relation transcendante. Il n’y a en cela aucun abaissement, mais plutôt une élévation du droit et de la science juridique, pour laquelle la laïcisation totale n’est pas un enrichissement, mais un appauvrissement. Les anciens Romains, malgré la différence des deux concepts, unissaient ensemble jus ac fas, et ne les concevaient pas sans une relation avec la divinité. Et, si la psychologie actuelle des profondeurs a raison, il existe dans les dynamismes innés du subconscient et de l’inconscient une tendance qui pousse vers le Transcendant et fait s’orienter l’être même de l’âme vers Dieu. L’analyse des processus de culpabilité et de libération de la faute révèle la même tendance vers le Transcendant ; elle fait entrer en jeu des considérations et des points de vue dont la science et la pratique du droit pénal n’ont certainement pas à traiter ex professo, mais dont elles devraient avoir une connaissance suffisante, afin que d’autres puissent les rendre utilisables en vue de l’exécution de la peine et les appliquer à l’avantage du coupable.
… moralement …
La libération morale de la faute coïncide en substance, dans sa plus grande partie, avec ce que Nous avons déjà dit au sujet de la libération psychologique et juridique. Elle est la réprobation et la rétractation du mépris effectif et de la violation de l’ordre moral impliqués dans l’acte coupable ; elle est le retour conscient et libre du coupable repentant à la soumission et à la conformité à l’ordre éthique et à ses exigences obligatoires.
Dans ces actes positifs sont compris les efforts du coupable qui s’offre à satisfaire les justes requêtes de l’ordre éthique violé, ou plutôt de celui qui en est l’auteur, le Seigneur, le gardien et le vengeur ; ces efforts manifestent la volonté et la résolution conscientes de rester fidèle, à l’avenir, aux préceptes du bien. Dans ses traits essentiels, la libération est donc cette disposition intérieure qui, dans les exposés que vous avez présentés, est donnée comme le but et le fruit du juste accomplissement de la peine, même si elle est ici considérée et circonscrite sous un angle quelque peu différent.
… religieusement …
Enfin, par libération religieuse de la faute, on entend la libération de cette faute intime qui grève et enchaîne la personne du coupable devant Dieu — suprême et dernière instance de tout droit et de toute obligation morale, — qui couvre et protège de son infinité sa volonté et sa loi, soit que celle-ci émane immédiatement de lui, soit qu’elle provienne d’une autorité humaine légitime agissant dans le ressort de sa compétence. Comment, ensuite, l’homme peut se libérer ou être libéré de son offense contre Dieu, cela a déjà été suffisamment expliqué dans le second point concernant l’aspect juridique. Mais si l’on n’indique pas au coupable cette ultime libération religieuse, ou, du moins, si on ne lui en montre et aplanit la voie, serait-ce au moyen d’une longue et dure peine, alors on n’offre à l’« homme » coupable puni que bien peu, pour ne pas dire rien, quand bien même on parlerait de guérison psychique, rééducation, formation sociale de la personne, affranchissement de ses erreurs et de l’esclavage envers soi-même.
Sans doute, ces expressions désignent-elles quelque chose de bon et d’important, mais avec tout cela l’homme demeure dans sa faute face à l’Autorité suprême dont dépend son destin final. Cette Autorité peut attendre, et souvent elle attend longtemps, mais, à la fin, elle livre le coupable à la faute à laquelle il ne veut pas renoncer et à ses conséquences. Il est infiniment triste que l’on doive dire d’un homme : « Bonum erat ei, si natus non fuisset homo ille (Matth., XXVI, 24) : il aurait mieux valu pour lui ne pas être né ».
Aussi, lorsque quelqu’un ou quelque chose peut contribuer à écarter un si grand mal, même s’il s’agit de droit pénal ou de l’exécution d’une peine légitime, rien ne doit être négligé. D’autant plus que Dieu, durant cette vie, est toujours prêt à la réconciliation. Il stimule l’homme à réaliser intérieurement l’éloignement psychique de son acte insensé ; il lui offre de l’accueillir de nouveau, repentant, dans son amitié et dans son amour. Puisse un droit pénal humain dans ses jugements et leur exécution, ne pas oublier l’homme dans le coupable et ne pas manquer de l’aider et de l’encourager dans son retour à Dieu !
B) La libération de la peine.
Sortir de l’état de faute et de peine implique nécessairement la libération non seulement de la faute, mais aussi de la peine : ce n’est qu’ainsi qu’on parvient à cette sorte de restitutio in integrum dans l’état initial, libre de faute et, par conséquent, de toute peine.
1) La peine éternelle dans le droit divin.
Des affirmations et des faits récents Nous suggèrent ici une brève déclaration. Toute peine encourue ne comporte pas en soi une rémission. La révélation et le magistère de l’Église l’établissent fermement : après le terme de la vie terrestre, ceux qui sont chargés d’une grave faute seront soumis par le Maître suprême à un jugement et subiront une peine qui ne comporte ni libération ni pardon. Dieu pourrait même, dans l’au-delà, remettre une telle peine ; tout dépend de sa libre volonté, mais il ne l’a jamais accordé ni ne l’accordera jamais. Ce n’est pas ici le lieu de discuter pour savoir si l’on peut rigoureusement démontrer ce fait par la seule raison naturelle ; certains l’assurent, d’autres le mettent en doute. Mais les uns comme les autres apportent dans leurs arguments ex ratione des considérations qui indiquent qu’une telle disposition de Dieu n’est contraire à aucun de ses attributs, ni à sa justice, ni à sa sagesse, ni à sa miséricorde, ni à sa bonté ; ils montrent encore qu’elle n’est pas non plus en opposition avec la nature humaine donnée par le Créateur lui-même, avec sa finalité métaphysique absolue tendant à Dieu, avec l’élan de la volonté humaine vers Dieu, avec la liberté physique du vouloir, enracinée et toujours présente dans la créature humaine.
Toutes ces réflexions laissent sans doute chez l’homme, quand il juge en se fiant seulement à sa propre raison, une dernière question portant non plus sur la possibilité, mais sur la réalité d’une si inflexible sentence du Juge suprême. Nul ne pourra donc s’étonner qu’un théologien de grande renommée ait pu écrire, au début du XVIIe siècle : « Quatuor sunt mysteriae nostrae sanctissimae fidei maxime difficilia creditu menti humanae : mysterium Trinitatis, Incarnationis, Eucharistiae et aeternitatis suppliciorum ». (Lessius, De perfectionibus moribusque divinis, 1. XIII, c. XXV). Mais, malgré tout cela, le fait de l’immutabilité et de l’éternité de ce jugement de réprobation et de son accomplissement est hors de toute discussion. Les débats auxquels a donné lieu un livre publié récemment (Giovanni Papini, Il diavolo, Edit. Vallecchi, 1954) manifestent souvent un grave défaut de connaissance de la doctrine catholique et partent de prémisses fausses ou faussement interprétées. Dans le cas présent, le Législateur suprême, en usant de son pouvoir supérieur et absolu, a fixé la validité irrévocable de son jugement et de son exécution. Cette durée sans limite est donc le droit en vigueur.
2) Les diverses formes de cessation de la peine dans le droit humain.
Mais revenons maintenant au domaine du droit humain, qui est le principal objet de ce discours. Comme Nous l’avons déjà noté, la libération de la faute et la libération de la peine ne coïncident pas toujours ; la faute peut avoir une fin et la peine continuer, et, vice versa, la faute demeurer et la peine prendre fin.
Les formes de cessation de la peine sont diverses. Il est évident, avant tout, que cette cessation a lieu automatiquement au moment où la peine infligée a été expiée, ou bien quand, étant limitée à un temps déterminé, celui-ci s’est écoulé, ou encore lorsque sa continuation (parfois l’exécution même) est liée à une condition résolutoire ou suspensive, et que celle-ci a été suffisamment remplie.
La rémission de la peine.
Une autre forme consiste en la rémission de la peine par un acte de l’autorité supérieure compétente. C’est alors la grâce, le pardon ou l’amnistie, qui ont une certaine analogie avec l’« indulgence » dans le domaine religieux. La faculté d’édicter de tels actes de clémence n’appartient pas au juge qui a rendu la sentence de condamnation, en appliquant au cas particulier la peine établie par le droit. Elle revient de soi à l’instance qui juge et punit en son propre nom et en vertu de son propre droit. Aussi, dans la vie de l’État, le droit de remettre la peine est ordinairement réservé à l’autorité suprême, qui peut l’exercer par une disposition soit générale, soit propre à un cas individuel.
En revanche, sous le nom de rémission ou pardon ne sont pas comprises certaines faveurs ou mitigations dans l’exécution, qui laissent sans changement la substance de la peine, mais qui sont accordées au coupable pour sa bonne conduite ou pour d’autres motifs. Du reste, la rémission de la peine au sens propre s’applique aussi bien aux « peines médicinales » qu’aux « peines vindicatives », là où celles-ci sont admises.
La dernière étape de l’itinéraire parcouru par l’homme coupable et châtié nous ramène au problème, plusieurs fois mentionné déjà, de la fin principale de la peine, et notamment du sens ou, selon d’autres, du non-sens d’une peine purement vindicative.
Peines médicinales et peines vindicatives.
Dans Notre discours du 3 octobre 1953 au VIe Congrès international de droit pénal [discours reproduit dans ce site], et également en la présente occasion, Nous avons souligné le fait que beaucoup, peut-être la majorité des juristes civils, repoussent la peine vindicative ; mais Nous ajoutions que l’on donnait peut-être aux considérations et aux arguments, allégués comme preuve une importance et une force plus grandes qu’ils n’ont en réalité. Nous faisions également remarquer que l’Église, en théorie et en pratique, a maintenu la double sorte de peines (médicinales et vindicatives) et que cela est plus conforme à ce que les sources de la Révélation et la doctrine traditionnelle enseignent au sujet du pouvoir coercitif de l’autorité humaine légitime.
On ne donne pas à cette assertion une réponse suffisante, en faisant observer que les sources en question ne contiennent que des idées correspondant aux conditions historiques et à la culture de l’époque et que, par conséquent, on ne peut leur attribuer une valeur générale et toujours durable. Car les paroles qu’on trouve dans ces sources et dans le magistère vivant ne se réfèrent pas au contenu concret de prescriptions juridiques ou de règles d’action particulières, mais au fondement essentiel du pouvoir pénal et de sa finalité immanente. Quant à celle-ci, elle est aussi peu déterminée par les conditions de temps et de culture, que la nature de l’homme et la société humaine voulue par cette même nature. Mais quelle que soit l’attitude du droit positif humain sur ce problème, il suffit, pour Notre but présent, de mettre en lumière que, dans une rémission totale ou partielle de la peine, les peines vindicatives, non moins que les peines médicinales, peuvent ou même doivent être prises en considération.
Élément extérieur …
Dans l’application du pardon, on ne saurait recourir à l’arbitraire. Ce qui doit servir de norme, c’est le bien du coupable, non moins que celui de la communauté juridique, dont il a coupablement violé la loi, et, au-dessus de l’un et de l’autre, le respect de l’excellence de l’ordre établi selon le bien et la justice. Cette norme exige, entre autres choses, que, dans l’application du pouvoir pénal, on tienne compte, comme en général dans les relations des hommes entre eux, non seulement du droit strict et de la justice, mais aussi de l’équité, de la bonté et de la miséricorde. Autrement, on court le risque de transformer le summum jus en summa injuria.
Cette réflexion incite précisément à penser que, dans les peines médicinales, comme également, jusqu’à un certain point, dans les peines vindicatives, une rémission devrait être prise en considération chaque fois que l’on a acquis la certitude morale que le but immanent de la peine a été obtenu, à savoir la vraie conversion intérieure du condamné et une sérieuse garantie de sa durée.
Les dispositions du droit canonique en cette matière (cf. can. 2.248, §§ 1 et 2, et can. 2.242, § 3) pourraient servir de modèle. Elles réclament d’une part la preuve de fait du changement de sentiments chez le coupable et, de l’autre, elles ne permettent pas que le pardon intervienne automatiquement, mais le font dépendre d’un acte juridique positif de l’instance qualifiée. Dans le document que vous avez présenté, il est affirmé que le droit pénal civil fait apparaître comme désirables un nouveau développement sur ce point et une adaptation plus souple aux justes exigences actuelles. La proposition peut être bonne, encore que le droit pénal civil se présente, à bien des égards, dans des conditions différentes de celles du droit pénal ecclésiastique. De toutes façons, la réalisation d’une réforme, semble réclamer de nouveaux éclaircissements théoriques et des expériences pratiques bien solides.
… et élément intérieur de la libération de la peine.
A côté de l’aspect légal et technique de la libération de la peine, le même document mentionne aussi une autre influence complètement différente, mais réelle, qui s’exerce sur le coupable et qui, étant une libération plus profonde et plus intime de la peine, ne peut être passée sous silence. Naturellement, elle est moins appréciée par les juristes de profession en tant que tels, bien qu’elle soit acceptable pour eux comme « hommes » et comme « chrétiens » ; elle indique par elle-même un approfondissement essentiel ou, si l’on préfère, une sublimation et une « christianisation » ‚de tout le problème de l’exécution des peines.
Exemple de condamnés innocents.
La peine se présente par sa nature comme un mal imposé à l’homme contre sa volonté ; elle provoque, de ce fait, à l’intime de l’homme, une attitude spontanée de défense. I1 se sent dépouillé de la libre disposition de lui-même et soumis à une volonté étrangère. Plus d’une fois, des maux semblables, mais d’une autre origine, frappent l’homme, ou bien encore l’homme se les inflige volontairement. Dès que l’on renonce à l’opposition spontanée à la souffrance, son aspect oppressif et humiliant disparaît ou, au moins, se trouve essentiellement diminué, même si demeure l’élément sensible et douloureux, comme Nous avons déjà eu l’occasion de l’observer dans la seconde partie de Notre exposé.
Bien nombreux sont aujourd’hui ceux qui, malgré leur innocence, se trouvent soumis à cette oppression et à cette souffrance ; physiquement et moralement, ils souffrent dans les prisons, dans les bagnes, dans les camps de concentration, dans des lieux de travaux forcés, dans les mines, dans les carrières, où les ont relégués la passion politique ou l’arbitraire de pouvoirs totalitaires ; ils souffrent toutes les misères et toutes les douleurs — et souvent même davantage — qui peuvent être imposées. selon le droit et la justice aux vrais coupables. Ceux qui, sans faute de leur part, supportent de si grands maux, ne peuvent, bien entendu, se soustraire extérieurement à la pression de la force, mais ils peuvent s’élever intérieurement au-dessus de tout. Ils sont soutenus déjà sans doute par des motifs moraux naturellement bons, mais plus facilement et plus efficacement par des considérations religieuses, par la certitude que, toujours et partout, ils dépendent de la Providence divine qui ne se laisse arracher des mains rien ni personne et qui, au-delà de la brève durée de la vie terrestre de chaque homme, dispose de l’éternité et de la toute-puissance pour réparer tout ce qui a été injustement souffert, pour rétablir l’équilibre de tout ce qui a été bouleversé ou caché, pour briser et châtier toute tyrannie humaine.
Et puis, aux regards du chrétien, c’est surtout le Seigneur qui est présent, lui qui, dans sa Passion, éprouva toute la profondeur de la souffrance humaine, en goûta l’amertume et, par obéissance au Père, par amour pour lui et dans une tendre commisération envers les hommes, prit volontairement sur lui les douleurs et les ignominies, la croix et la mort. Fortifiés par l’exemple de l’Homme-Dieu, nombre de ces innocents trouvent dans leur souffrance la liberté et le calme intérieurs, et, alors même que demeure l’affliction extérieure, ils réalisent pourtant une libération intime de la douleur, par le chemin de la foi, de l’amour et de la grâce.
Œuvre charitable de secours aux condamnés coupables.
Ils peuvent également atteindre le même but, et par la même voie, ceux qui souffrent pour leur faute et se sentent esclaves de la peine, Nous voudrions Nous référer à ce que Nous avons déjà exposé en parlant de l’exécution de la peine, au sujet de l’état spirituel du condamné ; il faut maintenant considérer ici comment on peut et doit venir à son secours pour qu’il parvienne à une victoire intime et, par là, à une libération intérieure du mal de la peine. Avec la foi, avec l’amour, avec la grâce, il est possible de donner à son esprit clairvoyance et lumière, à son âme nourriture et chaleur, à sa faiblesse force et soutien. Sans doute le coupable pourrait-il lui-même faire mûrir en lui et mener à son terme un tel progrès ; cependant, il en est peu qui, livrés à eux-mêmes, pourront y parvenir. Ils ont besoin de recevoir d’autrui conseil, aide, compassion, encouragement et réconfort. Mais celui qui se dispose à accomplir une telle œuvre doit tirer de sa propre conviction et de ses richesses intérieures ce qu’il veut communiquer au coupable ; autrement, sa parole restera « aes sonans aut cymbalum tinniens ». (I Cor., XIII, 1.)
Nous avons lu avec une profonde émotion ce que l’un de vous, l’illustre professeur Francesco Carnelutti, a écrit au sujet des paroles que le Seigneur prononcera à la fin des temps : « J’étais en prison, et vous êtes venus me voir…, tout ce que vous avez fait à l’un des moindres de mes frères que voici, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Matth., XXV, 30–40.) Ce qui est offert ici comme idéal du don de soi pour le salut spirituel et la purification du prisonnier va même au-delà du commandement nouveau du Rédempteur : « Aimez-vous les uns les autres », qui devait être le signe auquel se reconnaîtraient ses disciples (Jean, XIII, 34–35) ; il s’agit, en effet, de se rapprocher du coupable au point de voir, d’honorer et d’aimer en lui le Seigneur ; bien plus, il faut s’assimiler soi-même à lui à tel point qu’on se mette spirituellement à la place de cet homme en habit de détenu et dans la cellule de sa prison, selon ce que le Seigneur en personne dit de lui-même : « J’étais en prison, et vous êtes venus me voir. » (Matth., XXV, 36) : tout ce monde intérieur, cette lumière et cette bonté du Christ pourront apporter au coupable soutien et aide pour sortir de la misérable servitude de la peine et reconquérir la liberté et la paix intérieure.
Contribution de la communauté à la libération.
Mais, en outre, les paroles du Seigneur obligent non seulement ceux à qui est confié le soin immédiat du condamné, mais encore la communauté elle-même, dont il est et demeure un membre. Celle-ci devrait faire effort pour se disposer à accueillir avec amour celui qui, sortant de prison, recouvre la liberté : avec un amour nullement aveugle, mais clairvoyant, et pourtant en même temps sincère, secourable, discret et susceptible de lui rendre possible la réadaptation à la vie sociale et de lui permettre de se sentir à nouveau libre de la faute et de la peine.
Les exigences d’une telle disposition ne se fondent pas sur une méconnaissance utopique de la réalité ; comme on l’a noté, en effet, ce ne sont pas tous les coupables qui sont prêts et enclins à supporter et à soutenir le processus nécessaire de purification — et peut-être la proportion de ceux qui ne le sont pas est-elle grande, — mais il reste vrai que bon nombre d’autres peuvent être aidés, et le sont en fait, à parvenir à l’entière libération intérieure ; c’est pour eux spécialement qu’aucun effort chrétien ne sera jamais ni excessif ni trop ardu.
Puissent Nos quelques considérations contribuer à éclairer, avec la richesse de la pensée chrétienne, le vrai sens, moralement et religieusement purifié, de la peine, et à aplanir au condamné, avec les effusions de la charité, la voie qui doit le conduire à la libération ardemment désirée de la faute et de la peine.
C’est avec de tels sentiments, Messieurs, que Nous invoquons de Dieu, sur vous-mêmes et sur votre œuvre grande et méritoire, les meilleures et plus abondantes faveurs célestes, tandis que Nous vous accordons de tout cœur Notre paternelle Bénédiction apostolique.
PIE XII, Pape.