Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

5 décembre 1954

Discours Accogliete aux juristes d'Italie

La faute et la peine dans leur connexion réciproque.

Table des matières

Rome, 5 décembre 1954

La ques­tion qu’aujourd’hui Nous exa­mi­nons Nous a été signa­lée par l’un de vous, l’insigne pro­fes­seur Carnelutti. C’est le rôle de la peine de « rache­ter le cou­pable au moyen de la péni­tence » ; ques­tion que Nous aime­rions for­mu­ler ain­si : La faute et la peine dans leur connexion réciproque.

C’est-à-dire que Nous vou­drions indi­quer à grands traits le che­min de l’homme de l’état de non-​culpabilité, du fait de la faute, à l’état de faute et de peine (rea­tus culpae et poe­nae) ; et vice ver­sa, le retour de cet état, à tra­vers le repen­tir et l’expiation, à l’état de libé­ra­tion de la faute et de la peine. Nous pour­rons alors voir plus clai­re­ment quelle est l’origine de la peine, quelle en est l’essence, la fonc­tion, quelle forme elle doit prendre pour conduire le cou­pable à sa libération.

I. La voie vers la faute et la peine

Ici, il faut faire d’abord deux remarques.

Avant tout, le pro­blème de la faute et de la peine est un pro­blème de la per­sonne, et cela sous un double aspect. La voie qui mène à la faute part de la per­sonne du sujet qui agit, de son « moi ». Dans la somme des actes qui en pro­viennent, comme d’un centre d’action, il n’y a à consi­dé­rer ici que ceux qui se basent sur une déter­mi­na­tion consciente et vou­lue ; à savoir, des actes que le « moi » pou­vait faire ou ne pas faire, qu’il accom­plit parce qu’il s’y est libre­ment réso­lu de lui-​même. Cette fonc­tion cen­trale du « moi » envers lui-​même — même lorsqu’il agit sous des influences de diverse nature — est un élé­ment essen­tiel si on veut par­ler de vraie faute et de vraie peine.

Le fait cou­pable est cepen­dant tou­jours une posi­tion d’une per­sonne contre une per­sonne, aus­si bien lorsque l’objet de la faute est une chose, comme dans le vol, que lorsque c’est une per­sonne, comme dans l’homicide ; de plus, le « moi » de la per­sonne qui se rend cou­pable s’insurge contre l’autorité supé­rieure, par consé­quent, en conclu­sion, tou­jours contre l’autorité de Dieu. En ceci, Nous qui avons en vue le véri­table pro­blème de la faute et de la peine pro­pre­ment dite, Nous fai­sons abs­trac­tion de la faute pure­ment juri­dique et de sa péna­li­té conséquente.

Il faut encore obser­ver que la per­sonne et la fonc­tion per­son­nelle du cou­pable forment une étroite uni­té qui, à son tour, pré­sente divers aspects. Elle concerne en même temps le champ psy­cho­lo­gique, juri­dique, moral et reli­gieux. Ces aspects peuvent certes se consi­dé­rer encore sépa­ré­ment ; mais, en véri­té, faute et peine sont si connexes entre elles que c’est seule­ment dans leur ensemble qu’il est pos­sible de se for­mer un juste concept tou­chant le cou­pable et la ques­tion de la coulpe et de la peine. On ne peut donc non plus trai­ter ce pro­blème uni­la­té­ra­le­ment, sous son seul aspect juridique.

La voie vers la faute est donc celle-​ci. L’esprit de l’homme se trouve dans la situa­tion sui­vante : en pré­sence d’une chose à faire ou à ne pas faire, qui se pré­sente à lui comme une simple obli­ga­tion, comme un abso­lu « tu dois », une exi­gence incon­di­tion­née à réa­li­ser par une déter­mi­na­tion per­son­nelle. A cette exi­gence, l’homme refuse d’obéir : il repousse le bien, adopte le mal. L’action exté­rieure suit la réso­lu­tion inté­rieure, quand celle-​ci ne s’épuise pas en elle-​même. De cette manière, l’acte cou­pable est accom­pli dans son élé­ment tant interne qu’externe.

A. Nature et aspects variés de l’acte coupable.

En ce qui regarde le côté sub­jec­tif de la faute, pour en juger droi­te­ment il faut tenir compte, non seule­ment du fait exté­rieur, mais encore des influences pro­ve­nant de l’intérieur et de l’extérieur, qui ont coopé­ré à la réso­lu­tion du cou­pable, comme des dis­po­si­tions innées ou acquises, des impul­sions ou des obs­tacles, empreintes de l’éducation, irra­dia­tions des per­sonnes et des choses au milieu des­quelles on vit, fac­teurs des cir­cons­tances, et, en par­ti­cu­lier, mesure de l’intensité habi­tuelle et actuelle du vou­loir, l’« éner­gie cri­mi­nelle », comme on dit, qui a contri­bué à l’accomplissement du fait coupable.

Considéré dans son terme, le fait cou­pable est un mépris arro­gant de l’autorité qui com­mande de main­te­nir l’ordre de la jus­tice et du bien, et qui est la source, la gar­dienne, la tutrice et la ven­ge­resse de l’ordre même. Et puisque toute auto­ri­té humaine ne peut éma­ner fina­le­ment que de Dieu, tout fait cou­pable est une oppo­si­tion contre Dieu même, son droit suprême et sa sou­ve­raine majes­té. Cet aspect reli­gieux est imma­nent et essen­tiel­le­ment lié au fait coupable.

Ce fait a pour terme éga­le­ment la com­mu­nau­té de droit public, s’il met en péril, et viole, pour autant qu’il le fait, l’ordre éta­bli par les lois. Toutefois, ce n’est pas tout véri­table acte cou­pable, comme il vient d’être décrit, qui a le carac­tère de faute de droit public. Le pou­voir public ne doit s’occuper que des actions cou­pables qui offensent la vie en com­mun nor­male dans l’ordre fixé par les lois. De là, la règle tou­chant la faute juri­dique : Nulla culpa sine lege (pas de faute sans loi). Mais une telle vio­la­tion, si d’ailleurs elle est en elle-​même un véri­table acte cou­pable, est tou­jours éga­le­ment une vio­la­tion de la règle morale et reli­gieuse. De là il suit que les lois humaines, quand elles se trouvent en contra­dic­tion avec les lois divines, ne peuvent for­mer la base pour un véri­table fait cou­pable de droit public.

A ce concept du fait cou­pable se trouve liée l’idée que son auteur devient digne de châ­ti­ment (rea­tus poe­nae). Le pro­blème de la peine a donc son prin­cipe, en chaque cas, au moment où l’homme devient cou­pable. La peine est la réac­tion, récla­mée par le droit et la jus­tice, à la faute : elles sont comme le coup et le contre-​coup. L’ordre vio­lé par l’acte cou­pable exige la réin­té­gra­tion et le réta­blis­se­ment de l’équilibre qui a été trou­blé. C’est l’office propre du droit et de la jus­tice de gar­der et de pré­ser­ver la concor­dance entre le devoir, d’une part, et le droit, d’autre part, et de la réta­blir si elle a été lésée. La peine ne touche pas par soi le fait cou­pable, mais son auteur, sa per­sonne, son « moi », qui par une déter­mi­na­tion consciente a accom­pli l’action cou­pable. Pareillement, la puni­tion ne vient pas d’une sorte de dis­po­si­tion juri­dique abs­traite, mais de la per­sonne concrète inves­tie de l’autorité légi­time. Comme l’action cou­pable, ain­si la puni­tion oppose per­sonne à personne.

B. Sens et but de la peine.

La peine pro­pre­ment dite ne peut donc avoir d’autre sens et d’autre but que celui qui vient d’être énon­cé, de rame­ner de nou­veau dans l’ordre du devoir le vio­la­teur du droit qui en est sor­ti. Cet ordre du devoir est néces­sai­re­ment une expres­sion de l’ordre de l’être, de l’ordre du vrai et du bien, qui seul a droit à l’existence, en oppo­si­tion à l’erreur et au mal qui repré­sentent ce qui ne doit pas être.

La peine rem­plit son office à sa manière dans la mesure où elle contraint le cou­pable, à cause de l’acte accom­pli, à une souf­france, c’est-à-dire à la pri­va­tion d’un bien et à l’imposition d’un mal. Pour que cette souf­france soit une peine, il est essen­tiel qu’elle ait une connexion cau­sale avec la faute.

II. L’état de faute et de peine

Ajoutons que le cou­pable a créé, par son acte, un état qui de soi ne cesse pas du seul fait que cesse le fait lui-​même. Il demeure avec celui qui a consciem­ment et volon­tai­re­ment vio­lé une règle obli­ga­toire (rea­tus culpae) et par là a encou­ru la peine (rea­tus poe­nae), Cet état per­son­nel per­dure, même dans sa situa­tion en face de l’autorité dont il dépend, ou de l’autorité humaine de droit public en tant que celle-​ci a part dans le pro­ces­sus pénal cor­res­pon­dant, et en outre, et tou­jours, en face de la suprême auto­ri­té divine. II se forme ain­si un état durable de faute et de peine qui indique une condi­tion par­ti­cu­lière du cou­pable en face de l’autorité offen­sée et de celle-​ci vis-​à-​vis du cou­pable (cf. St. Thomas, S. Th., IIIe p., q. LXIX, a. 2, obj. 3 et ad. 3).

On a ten­té, en par­tant du concept que temps et espace, for­mel­le­ment en tant que tels, ne sont pas sim­ple­ment une réa­li­té, mais des ins­tru­ments et des formes de la pen­sée, de tirer la conclu­sion qu’après la ces­sa­tion du fait cou­pable et de la peine même on ne peut plus par­ler d’une per­ma­nence de ceux-​ci dans la réa­li­té, dans l’ordre réel, et donc d’un état de coulpe et de peine. S’il en était ain­si, il fau­drait renon­cer au prin­cipe : « Quod fac­tum est infec­tum fie­ri nequit ». Appliqué à un fait spi­ri­tuel — et tel est en soi l’acte cou­pable, — ce prin­cipe se base­rait, affirme-​t-​on, sur une fausse éva­lua­tion et par un usage incor­rect du concept de « temps ». Nous outre­pas­se­rions les limites de Notre dis­cours, si Nous vou­lions trai­ter ici la ques­tion de l’espace et du temps. Il suf­fi­ra de noter que l’espace et le temps sont non pas une simple forme de la pen­sée, mais ont un fon­de­ment dans la réa­li­té. De toute façon, la consé­quence qu’on en veut tirer, contre l’existence d’un état de faute, est sans valeur. Sans doute, la chute de l’homme dans la faute advient sur cette terre dans un lieu et un temps déter­mi­nés, mais elle n’est pas une qua­li­té de ce lieu et de ce temps et, par consé­quent, sa ces­sa­tion n’est pas liée avec la ces­sa­tion d’un « ici » et d’un « maintenant ».

Ce que Nous avons expo­sé concerne l’essence de l’état de faute et de peine. Par contre, pour ce qui regarde l’autorité supé­rieure, à laquelle le cou­pable a refu­sé la subor­di­na­tion et l’obéissance dues, son indi­gna­tion et sa désap­pro­ba­tion se tournent non seule­ment contre le fait, mais encore contre l’auteur lui-​même, contre sa per­sonne à cause de son acte.

Ainsi qu’on l’a déjà signa­lé, à l’acte de la faute sont immé­dia­te­ment jointes, non pas la peine elle-​même, mais la culpa­bi­li­té et la péna­li­té de l’acte lui-​même. Néanmoins, n’est pas exclue une peine qu’on encourt en ver­tu d’une loi, auto­ma­ti­que­ment, au moment de l’acte cou­pable. Dans le droit cano­nique sont men­tion­nées les poe­nae latae sen­ten­tiae ipso fac­to com­mis­si delic­ti incur­ren­dae. Dans le droit civil, une telle peine est rare, elle est même incon­nue dans cer­tains ordres juri­diques. En outre, cette inflic­tion auto­ma­tique de la peine sup­pose tou­jours une faute véri­table et grave.

Conditions préalables de toute sentence pénale

En prin­cipe, donc, la peine est infli­gée par l’autorité com­pé­tente. Cela pré­sup­pose : une loi pénale en vigueur ; une per­sonne légi­ti­me­ment inves­tie de l’autorité pénale, en elle la connais­sance sûre de l’acte à punir, aus­si bien du côté objec­tif, c’est-à-dire dans l’accom­plissement du délit envi­sa­gé par la loi, que du côté sub­jec­tif, c’est-à-dire en ce qui concerne la culpa­bi­li­té du cou­pable, sa gra­vi­té et son extension.

Cette connais­sance néces­saire pour pro­non­cer une sen­tence pénale est, devant le tri­bu­nal de Dieu, Juge suprême, par­fai­te­ment claire et infaillible ; et le fait de l’avoir indi­quée ne peut pas être sans inté­rêt pour le juriste. Dieu était pré­sent à l’homme au moment de sa déter­mi­na­tion inté­rieure et de l’accomplissement exté­rieur du fait cou­pable, péné­trant tout plei­ne­ment de son regard jusqu’aux ultimes détails ; tout est devant Lui, main­te­nant comme au moment de l’action.

Mais cette connais­sance avec sa plé­ni­tude abso­lue et avec son assu­rance sou­ve­raine, à tout ins­tant de la vie et pour toute action humaine, est propre à Dieu seule­ment. C’est pour­quoi, incombent à Dieu seul l’ultime juge­ment sur la valeur d’un homme et la déci­sion sur son sort défi­ni­tif. Il pro­nonce ce juge­ment selon qu’il trouve l’homme au moment où il l’appelle dans l’éternité. Cependant, Dieu pro­nonce un juge­ment infaillible ain­si que la peine cor­res­pon­dante, même durant la vie ter­restre, non seule­ment sur tout l’ensemble des actes, mais encore sur chaque acte cou­pable ; et même, en maints cas, il exé­cute cette sen­tence déjà durant la vie de l’homme, non­obs­tant sa dis­po­si­tion divine tou­jours prompte à la rémis­sion et au pardon.

La certitude morale dans les jugements humains.

Par contre, le juge­ment humain, qui n’a pas l’omniprésence et l’omniscience de Dieu, a le devoir de se for­mer, avant de pro­non­cer la sen­tence judi­ciaire, une cer­ti­tude morale, c’est-à-dire d’exclure tout doute rai­son­nable et sérieux rela­tif au fait exté­rieur et à la culpa­bi­li­té inté­rieure. Mais il n’a pas une vision immé­diate de l’état inté­rieur de l’inculpé, tel qu’il était au moment de l’acte ; bien plus, la plu­part du temps, il n’est pas à même de le recons­ti­tuer avec pleine clar­té d’après des argu­ments pro­bants, ni même par­fois d’après la confes­sion elle-​même, du coupable.

Cependant, ce manque de pleine clar­té et cette impos­si­bi­li­té ne doivent pas être exa­gé­rés, comme s’il était ordi­nai­re­ment impos­sible au juge humain d’arriver à une cer­ti­tude suf­fi­sante et, par consé­quent, d’avoir un solide fon­de­ment pour la sen­tence. Suivant les cas, le juge ne man­que­ra pas de consul­ter des spé­cia­listes renom­més sur la capa­ci­té et la res­pon­sa­bi­li­té du cou­pable pré­su­mé et de tenir compte des résul­tats des sciences psy­cho­lo­giques, psy­chia­triques et carac­té­rio­lo­giques modernes. Si, mal­gré toutes ces pré­cau­tions, il reste encore un doute impor­tant et sérieux, nul juge conscien­cieux ne pro­non­ce­ra une sen­tence de condam­na­tion, sur­tout s’il s’agit d’une peine irré­duc­tible, comme la peine de mort.

Dans la plu­part des délits, le com­por­te­ment exté­rieur mani­feste déjà suf­fi­sam­ment le sen­ti­ment inté­rieur dont il s’inspire. On peut donc, en règle géné­rale, — et par­fois même on doit — déduire de l’extérieur une conclu­sion sub­stan­tiel­le­ment exacte, si l’on ne veut pas rendre impos­sibles les actes juri­diques par­mi les hommes. D’autre part, il ne faut pas oublier non plus qu’aucune sen­tence humaine ne décide en der­nière ins­tance et défi­ni­ti­ve­ment du sort d’un homme, mais seule­ment le juge­ment de Dieu, aus­si bien pour cha­cun des actes que pour la vie tout entière. Aussi, par­tout où les juge­ments humains auront com­mis une erreur, le Juge suprême réta­bli­ra l’équilibre, tout d’abord, immé­dia­te­ment après la mort, lors du juge­ment défi­ni­tif sur la vie entière de l’homme, et puis, plus tard et plus com­plè­te­ment, devant tout le monde, au juge­ment der­nier uni­ver­sel. Cela ne dis­pense pas le juge de faire preuve de conscience et de sou­ci d’exactitude dans l’enquête ; mais c’est quelque chose de grand que de savoir qu’il y aura une ultime équi­va­lence de la faute et de la peine, que rien ne lais­se­ra à dési­rer pour réa­li­ser sa perfection.

Quiconque est char­gé de l’assistance de l’inculpé dans la pri­son pré­ven­tive ne doit pas man­quer d’avoir pré­sents le poids et la souf­france qu’est déjà pour le déte­nu l’enquête elle-​même, même si l’on n’applique pas des méthodes d’investigation, qui ne peuvent, en aucune manière, être admises. Ces souf­frances ne sont pas comp­tées ordi­nai­re­ment dans la peine qui sera fina­le­ment pro­non­cée et, d’autre part, il pour­rait dif­fi­ci­le­ment en être autre­ment. Il convient cepen­dant d’en gar­der le sou­ve­nir conscient.

Dans le domaine juri­dique exté­rieur, la sen­tence du tri­bu­nal est déci­sive pour le plein éta­blis­se­ment de la faute et de la peine.

Quelques propositions de réformes.

Plusieurs par­mi vous, illustres Messieurs, ont expri­mé le vœu que soit intro­duit par voie légis­la­tive un cer­tain relâ­che­ment du lien qui lie le juge aux articles du Code pénal, non pas à peu près dans le sens de l’activité du prê­teur dans le droit romain « adju­van­di, sup­plen­di vel cor­ri­gen­di juris civi­lis gra­tia », mais dans le sens d’une plus libre appré­cia­tion des faits objec­tifs, en dehors des normes juri­diques géné­rales déter­mi­nées par le pou­voir légis­la­tif ; de sorte que, même dans le droit pénal, il soit pos­sible d’appliquer une cer­taine « ana­lo­gia juris » et que le pou­voir dis­cré­tion­naire du juge s’exerce dans des limites plus vastes que celles jusque-​là en vigueur. On pense réa­li­ser ain­si une notable sim­pli­fi­ca­tion des lois pénales et une consi­dé­rable dimi­nu­tion du nombre de chaque délit, et l’on pour­rait mieux faire com­prendre au peuple ce que l’État consi­dère comme. pas­sible de peine et pour quels motifs.

Cette concep­tion, on peut sûre­ment le recon­naître, repose sur quelque fon­de­ment. De toute façon, les fins pour les­quelles est faite cette pro­po­si­tion, c’est-à-dire la sim­pli­fi­ca­tion des pres­crip­tions légales, la mise en valeur, non seule­ment du strict droit for­mel, mais encore de l’équité et du sain juge­ment spon­ta­né, une plus grande adap­ta­tion du droit pénal au sen­ti­ment du peuple, ces fins, disons-​Nous, ne donnent pas lieu à des objec­tions. La dif­fi­cul­té devrait sur­gir, non pas tant du côté théo­rique que dans la forme de son appli­ca­tion, laquelle devrait, d’une part, conser­ver les garan­ties du règle­ment en vigueur et, d’autre part, tenir compte des besoins nou­veaux et des dési­rs rai­son­nables de réforme. Le droit canon offre des exemples dans ce sens, ain­si qu’on le voit dans les canons 2220–2223 du Code de droit canonique.

Variété et efficacité des peines.

En ce qui concerne les diverses espèces de peines (peines rela­tives à l’honneur [la capa-​cité juri­dique], aux biens patri­mo­niaux, à la liber­té per­son­nelle, au corps et à la vie, les peines cor­po­relles ne sont pas com­prises dans le droit ita­lien), dans Notre pré­sent expo­sé, Nous Nous bor­ne­rons à les consi­dé­rer seule­ment en tant que se mani­festent en elles la nature et le but de la peine. Cependant, ain­si que Nous l’avons déjà signa­lé, étant don­né que cer­tains ne par­tagent pas cette opi­nion, il s’ensuit que dif­fé­rente est aus­si leur atti­tude en face des diverses peines.

Jusqu’à un cer­tain degré il peut être vrai que la peine de pri­son ou de réclu­sion, dûment appli­quée, est la plus apte à déter­mi­ner le retour du cou­pable dans le bon ordre et dans la vie de la com­mu­nau­té. Mais il ne s’ensuit pas qu’elle soit la seule bonne et juste. A ce pro­pos, s’applique ce que Nous avons dit dans Notre dis­cours sur le droit pénal inter­na­tio­nal du 3 octobre 1953, concer­nant la théo­rie de la rétribution.

La peine vin­di­ca­tive est repous­sée par beau­coup, mais pas par tous, même si elle est pro­po­sée non comme exclu­sive, mais à côté des peines médi­ci­nales. Nous avons affir­mé alors qu’il ne serait pas juste de repous­ser en prin­cipe et tota­le­ment la fonc­tion de la peine vin­di­ca­tive. Aussi long­temps que l’homme est sur la terre, cette der­nière peine peut et doit ser­vir à son salut défi­ni­tif, à la condi­tion que lui-​même ne met­tra pas, par ailleurs, obs­tacle à l’efficacité salu­taire de la peine elle-​même. Cette effi­ca­ci­té, en effet, n’est en aucune manière en oppo­si­tion avec la fonc­tion d’équilibre et de réin­té­gra­tion de l’ordre trou­blé que Nous avons déjà signa­lée comme essen­tielle à la peine.

Exécution de la peine.

L’infliction d’une peine trouve son accom­plis­se­ment natu­rel dans l’exécution de la peine elle-​même, consi­dé­rée comme la pri­va­tion effec­tive d’un bien ou l’imposition posi­tive d’un mal, déter­mi­nées par l’autorité légi­time, comme réac­tion à l’acte cou­pable. C’est une com­pen­sa­tion, non pas direc­te­ment de la faute, mais du trouble de l’ordre juri­dique. L’acte cou­pable a mani­fes­té dans la per­sonne du cou­pable un cer­tain élé­ment qui ne concorde pas avec le bien com­mun ni avec une com­mu­nau­té de vie sociale bien ordon­née. Cet élé­ment doit être écar­té du cou­pable. Ce pro­ces­sus d’éloignement est com­pa­rable à l’intervention médi­cale dans l’organisme, inter­ven­tion qui peut être très dou­lou­reuse, spé­cia­le­ment quand il faut s’attaquer non seule­ment aux symp­tômes, mais encore à la cause elle-​même de la mala­die. Le bien du cou­pable, et peut-​être plus encore celui de la com­mu­nau­té, exige que le membre malade rede­vienne sain. Mais le trai­te­ment de la peine, tout comme celui de l’infirme, requiert un clair diag­nos­tic, non seule­ment symp­to­ma­tique mais encore étio­lo­gique, une thé­ra­peu­tique adap­tée au mal, un pru­dent pro­nos­tic et une pro­phy­laxie com­plé­men­taire appropriée.

Les réactions du condamné.

La voie que doit prendre le cou­pable est indi­quée par le sens objec­tif et par la fin de la peine, comme aus­si par l’intention, la plu­part du temps conforme, de l’autorité punis­sante. C’est la voie de la connais­sance du mal com­mis, mal qui lui a occa­sion­né la peine ; la voie de l’aversion et de la répu­dia­tion de l’acte lui-​même ; la voie du repen­tir, de l’expiation et de la puri­fi­ca­tion, du pro­pos effi­cace pour l’avenir. Telle est la voie que doit prendre le condamné.

Cependant, la ques­tion est celle-​ci : quelle voie prendra-​t-​il en réa­li­té ? En venant à l’examen de cette ques­tion, il peut être utile de consi­dé­rer la souf­france cau­sée par la peine, sui­vant les dif­fé­rents aspects qu’elle pré­sente : psy­cho­lo­gique, juri­dique, moral et reli­gieux, bien que nor­ma­le­ment ces divers aspects soient en réa­li­té comme unis dans un seul.

Réaction psychologique.

Psychologiquement, la nature réagit spon­ta­né­ment contre le mal concret de la peine, d’une manière d’autant plus vio­lente que plus pro­fonde est la souf­france qui atteint la nature de l’homme en géné­ral, ou le tem­pé­ra­ment indi­vi­duel de cha­cun. Cette réac­tion est accom­pa­gnée, spon­ta­né­ment aus­si, du sen­ti­ment sui­vant : le. cou­pable dirige et fixe son atten­tion sur l’acte cou­pable, cause de la peine et dont la connexion est vivante devant son esprit ou qui, en tout cas, devient main­te­nant pré­sente en pre­mière ligne à sa conscience.

Après ces atti­tudes plus ou moins volon­taires appa­raît la réac­tion consciente et vou­lue du « moi », centre et source de toutes les fonc­tions per­son­nelles. Cette réac­tion plus éle­vée peut être une accep­ta­tion posi­tive volon­taire, telle qu’elle se mani­feste dans les paroles du bon lar­ron sur la croix : « Digna fac­tis reci­pi­mus ». Nous rece­vons ce qu’ont méri­té nos actions. » (Luc, XXIII, 41). Ce peut être aus­si une rési­gna­tion pas­sive, ou, au contraire, une irri­ta­tion pro­fonde, un écrou­le­ment intime total ; mais ce peut être encore un endur­cis­se­ment orgueilleux qui par­fois abou­tit à un endur­cis­se­ment dans le mal, ou, enfin, une sorte de sau­vage révolte impuis­sante, inté­rieure et exté­rieure. Cette réac­tion psy­cho­lo­gique prend diverses formes, s’il s’agit d’une peine durable, ou au contraire, d’une peine res­treinte, quant au temps, à un ins­tant, dépas­sant par sa rigueur et sa pro­fon­deur toute mesure de temps, comme la peine de mort.

Réaction juridique.

Juridiquement, l’exécution de la peine signi­fie l’effective et valide action du supé­rieur et du plus fort pou­voir de la com­mu­nau­té juri­dique (ou plu­tôt de celui qui, dans son sein a l’autorité) sur le vio­la­teur du droit, qui, dans sa volon­té obs­ti­née et contraire à la loi, a trans­gres­sé d’une manière cou­pable l’ordre juri­dique éta­bli, et est main­te­nant contraint de se sou­mettre aux pres­crip­tions de l’ordre lui-​même, pour le plus grand bien de la com­mu­nau­té et du cou­pable lui-​même. Par là, appa­raissent plus clai­re­ment le concept et la néces­si­té du droit pénal.

D’autre part, la jus­tice exige que dans l’exécution des dis­po­si­tions de la loi pénale soit évi­tée toute aggra­va­tion des peines infli­gées par la sen­tence, tout acte arbi­traire et toute dure­té, toute vexa­tion et toute pro­vo­ca­tion. L’autorité supé­rieure a le devoir de veiller sur l’exécution de la peine et de lui don­ner la forme répon­dant à son but, non dans un rigou­reux accom­plis­se­ment de cha­cune des pres­crip­tions et de ses para­graphes, mais dans l’adaptation pos­sible à la per­sonne qui est sou­mise à la peine elle-​même. La gra­vi­té et la pompe du pou­voir pénal et de son exer­cice sug­gèrent natu­rel­le­ment à l’autorité publique de bien consi­dé­rer sa prin­ci­pale fonc­tion dans son contact avec la per­sonne du cou­pable. On devra ensuite juger sui­vant les cir­cons­tances par­ti­cu­lières, si l’on peut plei­ne­ment satis­faire aux devoirs de cette fonc­tion par ses propres orga­nismes. La plu­part du temps, sinon tou­jours, une par­tie devra être confiée à d’autres, spé­cia­le­ment le vrai et spé­cial minis­tère des âmes.

Certains ont pro­po­sé qu’il serait oppor­tun de fon­der une Congrégation reli­gieuse ou un Institut sécu­lier à qui serait confiée l’assistance psy­cho­lo­gique des déte­nus dans la plus large mesure. Certes, déjà depuis fort long-​temps, de bonnes reli­gieuses ont appor­té un rayon de soleil et les bien­faits de la cha­ri­té chré­tienne dans les pri­sons de femmes, et Nous sommes heu­reux de pro­fi­ter de cette occa­sion pour leur adres­ser une parole de recon­nais­sance et de gra­ti­tude. Cependant, cette pro­po­si­tion Nous semble digne de toute consi­dé­ra­tion, et même Nous expri­mons le sou­hait que non seule­ment les organes reli­gieux et ecclé­sias­tiques, déjà en acti­vi­té dans ces mai­sons, emploient toutes leurs éner­gies nées de la foi chré­tienne, mais encore que tous les résul­tats acquis pro­ve­nant des recherches et des expé­riences psy­cho­lo­giques, psy­chia­triques et socio­lo­giques soient uti­li­sés au pro­fit des déte­nus. Cela sup­pose naturelle-​ment en ceux qui sont appe­lés à les appli­quer une pleine for­ma­tion professionnelle.

Dans ce domaine, il n’est per­sonne quelque peu fami­lia­ri­sé avec la réa­li­té de l’exécution des peines qui nour­risse d’utopiques espoirs en des suc­cès impor­tants. A l’influence exté­rieure doit s’ajouter la bonne volon­té du condam­né, mais on ne sau­rait obte­nir celle-​ci par la force. Veuille la divine Providence la sus­ci­ter et la diri­ger par sa grâce.

Réaction morale.

Le côté moral de l’exécution de la peine et de la souf­france qu’elle apporte est en rela­tion avec les buts et les prin­cipes qui doivent déter­mi­ner les dis­po­si­tions de la volon­té du condamné.

Souffrir en cette vie ter­restre c’est pour ain­si dire tour­ner son esprit de l’extérieur vers l’intérieur ; c’est une voie qui éloigne de la super­fi­cie et mène dans la pro­fon­deur. Ainsi consi­dé­rée, la souf­france est pour l’homme d’une haute valeur morale. Son accep­ta­tion volon­taire, à sup­po­ser la droite inten­tion, est un acte pré­cieux. « Patientia opus per­fec­tum habet », écrit l’apôtre saint Jacques (I, 4). Ceci s’applique aus­si à la souf­france cau­sée par la peine. Elle peut être un pro­grès dans la vie inté­rieure. Suivant sa propre nature, c’est une répa­ra­tion et un réta­blis­se­ment — par la per­sonne et en la per­sonne du cou­pable, lequel accepte ladite peine — de l’ordre social cou­pa­ble­ment vio­lé. L’essence du retour au bien consiste, à pro­pre­ment par­ler, non dans l’acceptation volon­taire de la souf­france, mais dans l’éloignement de la faute. La souf­france elle-​même peut réa­li­ser cette fin, tan­dis que la conver­sion de la faute peut à son tour lui confé­rer une plus haute valeur morale, ain­si que faci­li­ter et aug­men­ter son effi­ca­ci­té morale. De la sorte, la souf­france peut s’élever jusqu’à un héroïsme moral, jusqu’à une patience et une expia­tion héroïques.

Cependant, dans le domaine de la réac­tion morale, nom­breuses sont aus­si les mani­fes­ta­tions contraires. Souvent, la valeur éthique de la peine n’est même pas connue ; sou­vent, elle est sciem­ment et volon­tai­re­ment repous­sée. Le cou­pable ne veut ni recon­naître ni admettre aucune faute de sa part ; il n’entend, en aucune façon, se sou­mettre et se plier au bien ; il repousse toute expia­tion ou péni­tence pour ses fautes personnelles.

Réaction religieuse.

Et main­te­nant, quelques mots seule­ment concer­nant le côté reli­gieux de la souf­france cau­sée par la peine.

Toute faute morale de l’homme, même si elle est com­mise maté­riel­le­ment, avant tout et seule­ment dans le cadre des lois humaines légi­times, et punie alors par des hommes sui­vant le droit posi­tif humain, est tou­jours aus­si une faute devant Dieu et attire sur elle un juge­ment pénal de Dieu. Il n’est pas dans l’intérêt de l’autorité publique de n’en pas faire sin­cè­re­ment cas. L’Écriture sacrée enseigne (Rom. XIII, 2–4) que l’autorité humaine, dans les limites de sa com­pé­tence, n’est pas autre chose, quand elle fait accom­plir la peine, que l’exécutrice de la jus­tice divine. « Dei enim minis­ter est, vin­dex in iram ei, qui malum agit ».

Cet élé­ment reli­gieux de l’exécution de la peine trouve en la per­sonne du cou­pable son expres­sion et sa réa­li­sa­tion, en ce sens, qu’il s’humilie sous la main de Dieu qui punit par l’intermédiaire des hommes ; il accepte donc la souf­france de la main de Dieu, il l’offre à Dieu comme un règle­ment par­tiel de la dette qu’il a contrac­tée devant Lui. Une peine ain­si sup­por­tée devient pour le cou­pable, sur cette terre, une source de puri­fi­ca­tion inté­rieure, de pleine conver­sion, d’énergie pour l’avenir, de pro­tec­tion contre toute rechute. Une souf­france ain­si sup­por­tée avec foi, repen­tir et amour est sanc­ti­fiée par les dou­leurs du Christ et accom­pa­gnée de sa grâce. Ce sen­ti­ment reli­gieux et saint de la souf­france cau­sée par la peine se mani­feste à Nous dans les paroles du bon lar­ron à son com­pa­gnon de sup­plice : « Digna fac­tis reci­pi­mus. Nous rece­vons ce qu’ont méri­té nos actions », et dans la prière au Rédempteur mou­rant : « Domine, memen­to mei, cum vene­ris in regnum tuum » ; prière qui, mise dans la balance de Dieu, valut au pécheur repen­ti l’assurance du Seigneur : « Hodie mecum eris in para­di­so. Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le para­dis » (Luc XXIII, 41–43) ; c’est pour ain­si dire la pre­mière indul­gence plé­nière accor­dée par le Christ lui-même.

Puissent tous ceux qui sont tom­bés sous les coups de la jus­tice humaine souf­frir la peine qui leur a été infli­gée, non par pure contrainte, non sans Dieu et sans le Christ, non en se bri­sant spi­ri­tuel­le­ment dans leur dou­leur, mais de manière que s’ouvre pour eux, grâce à cette souf­france, la voie qui mène à la sainteté !

III. La libération de l’état de faute et de peine

Il reste main­te­nant à par­ler de la der­nière étape du pro­ces­sus que Nous vou­lons vous mon­trer, c’est-à-dire du retour de l’état de faute et de peine à celui de la libération.

La libé­ra­tion de la faute et la libé­ra­tion de la peine ne s’identifient pas néces­sai­re­ment, ni quant à leur concept ni quant à leur réa­li­té. En fai­sant abs­trac­tion du fait que devant Dieu la rémis­sion de la peine éter­nelle est tou­jours liée à la rémis­sion de la faute grave, on peut ren­con­trer des cas d’extinction de la faute sans que s’ensuive une extinc­tion de la peine. Et, vice ver­sa, la peine peut avoir été expiée, sans qu’au plus intime du cou­pable la faute ait ces­sé d’exister.

Or, le retour à l’ordre juri­dique et éthique consiste essen­tiel­le­ment dans la libé­ra­tion de la faute et non de la peine.

A) La libération de la faute.

Dans l’exposé de la pre­mière étape de ce pro­ces­sus, Nous mon­trions le carac­tère à la fois interne et externe de l’acte cou­pable, aus­si bien rela­ti­ve­ment à l’auteur lui-​même, que dans ses rap­ports envers l’autorité supé­rieure et, en défi­ni­tive, tou­jours envers celle de Dieu, dont la majes­té, la jus­tice et la sain­te­té sont, dans tout acte cou­pable, mépri­sées et offensées.

En quoi consiste la libération de la faute …

La libé­ra­tion de la faute doit donc réta­blir dans leur inté­gri­té les rap­ports trou­blés par l’acte cou­pable. S’il s’agit d’une simple dette réelle, c’est-à-dire concer­nant des pres­ta­tions pure­ment maté­rielles, elle peut être com­plè­te­ment éteinte par la seule pres­ta­tion due, sans que soit néces­saire un contact per­son­nel quel­conque avec l’autre par­tie. Si, au contraire, il est ques­tion d’une offense per­son­nelle (seule ou liée à une dette réelle), alors le cou­pable est tenu envers la per­sonne du créan­cier par une obli­ga­tion au sens strict, dont il doit être déga­gé. Et comme cette obli­ga­tion, Nous l’avons déjà dit, a un aspect psy­cho­lo­gique, juri­dique, moral et reli­gieux, telle doit être éga­le­ment sa libération.

Toutefois, sous son aspect inté­rieur, la faute entraîne aus­si pour le cou­pable un escla­vage et un asser­vis­se­ment de lui-​même à l’objet auquel il s’est don­né dans l’accomplissement de l’acte cou­pable, c’est-à-dire en somme à un pseudo-​moi, dont les ten­dances, les impul­sions et les fins consti­tuent chez l’homme une cari­ca­ture du moi authen­tique ordon­né par le Créateur et la nature uni­que­ment au vrai et au bien ; elle contre­vient aux normes de la rec­ti­tude, selon laquelle l’homme, créé à l’image de Dieu, doit agir et se for­mer. De cet escla­vage aus­si il faut accom­plir la libé­ra­tion psy­cho­lo­gique, juri­dique, morale et religieuse.

En droit humain on peut par­ler d’une cer­taine libé­ra­tion de la faute, quand cesse la pro­cé­dure de l’autorité publique contre l’acte cou­pable ; ain­si, par exemple, lorsque, même sans égard aux dis­po­si­tions inté­rieures actuelles du cou­pable, l’autorité remet posi­ti­ve­ment la faute, ou lorsqu’expire le délai légal, dans les limites duquel cette auto­ri­té entend, sous cer­taines condi­tions, citer devant son tri­bu­nal, pour la juger, l’atteinte por­tée au droit. Toutefois, cette manière de faire ne consti­tue pas une conver­sion inté­rieure, une méta­noia , une libé­ra­tion de l’esclavage intime du moi, de sa volon­té de mal et d’illégalité. Or, c’est seule­ment sur cette libé­ra­tion de la faute pro­pre­ment dite, sur cette méta­noia (« chan­ge­ment de sen­ti­ment »), que Nous vou­drions atti­rer ici l’attention.

… psychologiquement…

Considérée du point de vue psy­cho­lo­gique, la libé­ra­tion de la faute est l’abandon et la rétrac­ta­tion du vou­loir per­vers, que le moi a libre­ment et consciem­ment mis dans l’acte cou­pable, et la réso­lu­tion de vou­loir à nou­veau le juste et le bien. Ce chan­ge­ment de volon­té sup­pose qu’on rentre en soi-​même et qu’on prend conscience de la mali­gni­té et de la culpa­bi­li­té de la réso­lu­tion anté­rieu­re­ment prise contre le bien recon­nu comme obli­ga­toire. A cette prise de conscience s’unit la répro­ba­tion de l’acte mau­vais, le repen­tir, c’est-à-dire la dou­leur vou­lue, la tris­tesse vou­lue de l’âme, pour le mal qui a été fait, parce qu’il est mau­vais, contraire aux normes et, en défi­ni­tive, contraire à Dieu. Dans cette intime cathar­sis s’accomplit éga­le­ment et se situe l’éloignement du faux bien vers lequel l’homme s’était tour­né dans l’acte cou­pable. Il revient se sou­mettre à l’ordre juste et droit, dans l’obéissance envers Celui qui en est l’auteur et le gar­dien, et contre lequel il s’était révolté.

Ceci nous conduit psy­cho­lo­gi­que­ment à la der­nière étape. Puisque l’acte cou­pable — comme on l’a déjà dit — ne consiste pas à enfreindre une norme abs­traite du droit, mais au fond à s’opposer à la per­sonne de l’autorité qui oblige ou inter­dit, la conver­sion accom­plie porte par néces­si­té psy­cho­lo­gique — sous une forme ou sous une autre — vers la per­sonne de l’autorité lésée, pour un aveu repen­tant, expli­cite ou impli­cite, de la faute et l’intime implo­ra­tion de la rémis­sion et du par­don. La Sainte Écriture nous donne d’un tel repen­tir des expres­sions brèves et clas­siques : telles les paroles du publi­cain au Temple « Deus pro­pi­tius esto mihi pec­ca­to­ri : Mon Dieu, par­don­nez au pécheur que je suis. » (Luc, XVIII, 13), ou celles du fils pro­digue « Pater, pec­ca­vi : Père, j’ai péché » (Luc, XV, 21).

Néanmoins, consi­dé­ré sous l’aspect pure­ment psy­cho­lo­gique, le vou­loir per­vers s’exprimant dans l’acte cou­pable peut prendre fin d’une autre manière, sans que se réa­lise une libé­ra­tion de la faute. Le cou­pable ne pense plus à son acte, et ne l’a pas rétrac­té ; ce der­nier a sim­ple­ment ces­sé de peser sur sa conscience. Mais alors il faut dire bien clai­re­ment qu’un tel pro­ces­sus psy­cho­lo­gique ne consti­tue pas une libé­ra­tion de la faute, de même que le fait de s’endormir le soir n’assure ni ne signi­fie l’éloignement et encore moins la sup­pres­sion du mal com­mis durant le jour. Peut-​être, aujourd’hui, cer­tains diront-​ils que la faute a été ense­ve­lie dans le sub­cons­cient ou dans l’inconscient. Mais en réa­li­té, elle est encore là.

Et l’on n’obtiendrait pas un meilleur résul­tat en essayant de sup­pri­mer la conscience psy­cho­lo­gique de la faute au moyen d’une auto-​suggestion ou d’une sug­ges­tion externe, ou encore en uti­li­sant la psy­cho­thé­ra­pie cli­nique et la psy­cha­na­lyse. On ne peut cor­ri­ger ou sup­pri­mer psy­cho­lo­gi­que­ment une volon­té cou­pable, réelle et libre, en fai­sant naître la per­sua­sion qu’elle n’a jamais exis­té. Nous avons indi­qué les déplo­rables consé­quences d’une telle façon d’envisager la ques­tion de la faute, dans le dis­cours adres­sé aux par­ti­ci­pants du Ve Congrès inter­na­tio­nal de psy­cho­thé­ra­pie et de psy­cho­lo­gie cli­nique, le 15 avril 1953.

Il convient d’ajouter encore une der­nière obser­va­tion sur la libé­ra­tion psy­cho­lo­gique de la faute. Un seul acte, plei­ne­ment conscient et libre, peut conte­nir tous les élé­ments psy­chiques de la vraie conver­sion, mais sa pro­fon­deur, sa fer­me­té, son exten­sion peuvent pré­sen­ter des défi­ciences, sinon essen­tielles du moins fort impor­tantes. Une libé­ra­tion de la faute, pro­fonde, com­plète et durable, est sou­vent un long pro­ces­sus qui ne mûrit que gra­duel­le­ment, sur­tout si l’acte cou­pable a été le fruit d’une dis­po­si­tion habi­tuelle de la volon­té. La psy­cho­lo­gie de la réci­dive offre ici un maté­riel de preuves plus que suf­fi­sant et ceux qui sou­tiennent qu’un empri­son­ne­ment de quelque durée est de nature à puri­fier édu­quer et for­ti­fier, trouvent dans ces expé­riences une confir­ma­tion de leur théorie.

… juridiquement …

La libé­ra­tion juri­dique de la faute, à la dif­fé­rence de la conver­sion psy­cho­lo­gique, qui s’accomplit prin­ci­pa­le­ment dans l’intimité de la volon­té du cou­pable, s’adresse essen­tiel­le­ment à l’autorité supé­rieure, dont les exi­gences pour l’observation des normes éta­blies furent mépri­sées ou vio­lées. Les vio­la­tions pri­vées du droit — si elles ont eu lieu de bonne foi ou ne portent pas autre­ment pré­ju­dice au bien com­mun — se règlent en forme pri­vée entre les par­ties, ou au moyen d’une action civile, et elles ne forment pas ordi­nai­re­ment un objet de droit pénal.

Dans l’analyse de l’acte cou­pable, Nous disions qu’il consiste à refu­ser et à nier la subor­di­na­tion qui est due, le ser­vice et le dévoue­ment qui sont dus, le res­pect et l’hommage qui sont dus ; Nous disions qu’il est objec­ti­ve­ment une offense à la gran­deur et à la majes­té de la loi, ou mieux, de Celui qui en est l’auteur, le gar­dien, le juge et le ven­geur. Les exi­gences de la jus­tice, et par consé­quent la libé­ra­tion juri­dique de la faute, réclament qu’on donne au ser­vice, à la subor­di­na­tion, au dévoue­ment, à l’hommage et au res­pect envers l’autorité, tout autant que ce qui lui avait été refu­sé par le délit.

Cette satis­fac­tion peut être accom­plie libre­ment ; elle peut aus­si, du fait de la souf­france cau­sée par la peine infli­gée, être jusqu’à un cer­tain point impo­sée ; elle peut être à la fois impo­sée et libre. Le droit actuel des États ne donne guère d’importance à la libre répa­ra­tion. Il se contente, par le moyen de la souf­france atta­chée à la peine, de plier la volon­té du cou­pable au fort vou­loir de l’autorité publique, et de le réadap­ter ain­si au tra­vail, aux rela­tions sociales, à une conduite hon­nête. Que cette manière de pro­cé­der puisse conduire, en ver­tu des lois psy­cho­lo­giques imma­nentes, à un redres­se­ment inté­rieur et, par là, à une libé­ra­tion intime de la faute, il n’y a pas lieu de le mettre en doute. Cependant, que cela doive arri­ver ou arrive régu­liè­re­ment, ce serait encore à prou­ver. De toute façon, ne pas prendre en consi­dé­ra­tion, par prin­cipe, la volon­té du cou­pable de satis­faire à ce que réclament le vrai sens juri­dique et la jus­tice vio­lée, c’est là un manque et une lacune ; l’intérêt de la doc­trine et de la fidé­li­té aux prin­cipes fon­da­men­taux du droit pénal invite vive­ment à les combler.

Toutefois, la libé­ra­tion juri­dique de la faute com­prend non seule­ment la volon­té de s’acquitter de la pres­ta­tion due, mais aus­si le fait de la pres­ta­tion elle-​même. Ici la science et la vie concrète se heurtent à cette ques­tion sou­vent dif­fi­cile : que doit-​il arri­ver dans le cas d’incapacité, morale ou phy­sique, à s’acquitter de cette pres­ta­tion ? Doit-​on recou­rir à quelque com­pen­sa­tion ou sup­pléance, ou bien les exi­gences du droit vio­lé doivent-​elles être lais­sées sans répa­ra­tion ? On a déjà lais­sé entendre que l’homme est par­fai­te­ment en mesure, par un acte cou­pable com­mis avec pleine res­pon­sa­bi­li­té, de léser ou de détruire des biens et des obli­ga­tions juri­diques, mais que sou­vent il n’est plus à même, une fois le fait accom­pli, d’assurer une répa­ra­tion appro­priée : ain­si, dans les cas d’assassinat, de pri­va­tion de la vue, de muti­la­tion, de com­plète vio­lence sexuelle, d’adultère, d’atteinte irré­pa­rable à la répu­ta­tion, de déchaî­ne­ment d’une guerre injuste, de tra­hi­son de secrets d’État impor­tants et vitaux, de cer­taines formes de lèse-​majesté et d’autres délits sem­blables. La méthode du talion infli­ge­rait bien au cou­pable un mal pro­por­tion­né ; mais, à s’y tenir, celui qui a été direc­te­ment atteint dans son droit, ne rece­vrait ni répa­ra­tion ni res­ti­tu­tion de ce qui lui appar­tient. Toutefois, sans par­ler du fait qu’une telle impos­si­bi­li­té de dédom­ma­ge­ment appro­prié ne se véri­fie pas dans tous les cas, il faut noter que le juge­ment concer­nant la faute ne porte pas tel­le­ment sur le bien lésé de l’autre par­tie, mais prin­ci­pa­le­ment sur la per­sonne du cou­pable et sa volon­té per­verse exer­cée à son propre avan­tage. A celle-​ci s’oppose pré­ci­sé­ment la pres­ta­tion que le cou­pable tire, à ses dépens, de son être, de son avoir et de son pou­voir, au pro­fit d’autrui, autre­ment dit, dans tous les cas, au pro­fit du droit lésé et, donc, de l’autorité supé­rieure. Ainsi, la pres­ta­tion active, qui inclut la conver­sion inté­rieure de la volon­té, consti­tue pour le cou­pable, qui s’acquitte à ses dépens de la satis­fac­tion à laquelle il est tenu, le second des deux élé­ments indi­qués ci-​dessus comme consti­tuant la libé­ra­tion de la faute. On ne peut en dire autant de la pres­ta­tion pure­ment pas­sive, c’est-à-dire quand le cou­pable se sou­met sous la contrainte à la souf­france qu’elle com­porte. Cette satis­fac­tion pure­ment pas­sive, à laquelle fait défaut toute volon­té libre et repen­tante, est pri­vée de l’élément essen­tiel de la libé­ra­tion de la faute. Le cou­pable demeure donc tel.

Plusieurs fois, Nous avons fait res­sor­tir que tout véri­table acte cou­pable en matière grave est, en der­nière ana­lyse, une faute devant Dieu qui a un droit abso­lu, parce que divin, à l’obéissance et à la sou­mis­sion, au ser­vice et à la louange, et qui, comme auteur, gar­dien, juge et ven­geur de l’ordre juri­dique, fait connaître au cou­pable ses exi­gences avec ce carac­tère abso­lu et incon­di­tion­né qui est propre aux mani­fes­ta­tions intimes de la conscience. Dans la déter­mi­na­tion cou­pable du moi, l’homme méprise Dieu tel qu’il se révèle à lui, il laisse de côté le bien infi­ni, la majes­té abso­lue et se place en fait au-​dessus de Dieu. Mais si, main­te­nant, l’homme repen­tant rede­vient sou­mis à la majes­té de Dieu, si, dans un don conscient et com­plet de son moi au Bien suprême infi­ni, il se détache de son acte cou­pable jusqu’à sa racine pro­fonde, pour être de nou­veau libre dans le bien et en son Dieu, il se trouve tou­te­fois dans l’impossibilité de répa­rer adé­qua­te­ment par ses propres forces (c’est-à-dire son être, son vou­loir et son pou­voir) ce que par son acte il a com­mis à l’égard de Dieu. Il a offen­sé et mépri­sé un bien abso­lu­ment infi­ni, un droit abso­lu­ment illi­mi­té, une majes­té abso­lue. Dans la gra­vi­té de sa faute inter­vient ain­si cette infi­ni­té abso­lue, alors que tout ce que l’homme peut offrir ou réa­li­ser est essen­tiel­le­ment fini en inten­si­té et en exten­sion : la répa­ra­tion durerait-​elle jusqu’à la fin des siècles, elle ne pour­ra à aucun moment par­ve­nir à l’égalité — tan­tum quan­tum — entre l’exigence de Dieu et la pres­ta­tion de l’homme. Dieu a com­blé cet abîme ; il a pla­cé entre les mains de l’homme fini un prix infi­ni ; il a accep­té comme pres­ta­tion en faveur de l’homme cou­pable le rachat opé­ré par le Christ, sur­abon­dant du fait de l’union hypo­sta­tique et en rai­son de sa valeur infi­nie de sou­mis­sion, d’honneur et de glo­ri­fi­ca­tion ; ain­si, tant que dure­ront les siècles, l’homme repen­tant rece­vra rémis­sion de sa faute devant Dieu, à cause des mérites de Jésus-​Christ lui-même.

Que l’on ne dise pas que ces consi­dé­ra­tions théo­lo­giques et reli­gieuses se situent en dehors du domaine et de l’intérêt de la science et de la pra­tique juri­dique. Sans doute, une nette dis­tinc­tion de com­pé­tences est à l’avantage même de la vie et d’une science véri­table, mais dans cette auto­li­mi­ta­tion, on ne doit pas aller jusqu’à igno­rer ou nier expli­ci­te­ment des connexions indis­so­lubles qui, par néces­si­té intrin­sèque, par­tout se mani­festent. Dans toute véri­table faute — en quelque domaine maté­riel qu’elle ait été com­mise — est incluse désor­mais une rela­tion à l’instance suprême de tout droit et de tout ordre. C’est une carac­té­ris­tique ou une pré­ro­ga­tive du monde du droit qu’il n’y ait rien en lui qui, dans sa struc­ture fon­da­men­tale, n’ait été créé sans cette suprême ins­tance, ou qui, dans son ana­lyse pous­sée jusqu’au bout, puisse être ren­du intel­li­gible sans cette rela­tion trans­cen­dante. Il n’y a en cela aucun abais­se­ment, mais plu­tôt une élé­va­tion du droit et de la science juri­dique, pour laquelle la laï­ci­sa­tion totale n’est pas un enri­chis­se­ment, mais un appau­vris­se­ment. Les anciens Romains, mal­gré la dif­fé­rence des deux concepts, unis­saient ensemble jus ac fas, et ne les conce­vaient pas sans une rela­tion avec la divi­ni­té. Et, si la psy­cho­lo­gie actuelle des pro­fon­deurs a rai­son, il existe dans les dyna­mismes innés du sub­cons­cient et de l’inconscient une ten­dance qui pousse vers le Transcendant et fait s’orienter l’être même de l’âme vers Dieu. L’analyse des pro­ces­sus de culpa­bi­li­té et de libé­ra­tion de la faute révèle la même ten­dance vers le Transcendant ; elle fait entrer en jeu des consi­dé­ra­tions et des points de vue dont la science et la pra­tique du droit pénal n’ont cer­tai­ne­ment pas à trai­ter ex pro­fes­so, mais dont elles devraient avoir une connais­sance suf­fi­sante, afin que d’autres puissent les rendre uti­li­sables en vue de l’exécution de la peine et les appli­quer à l’avantage du coupable.

… moralement …

La libé­ra­tion morale de la faute coïn­cide en sub­stance, dans sa plus grande par­tie, avec ce que Nous avons déjà dit au sujet de la libé­ra­tion psy­cho­lo­gique et juri­dique. Elle est la répro­ba­tion et la rétrac­ta­tion du mépris effec­tif et de la vio­la­tion de l’ordre moral impli­qués dans l’acte cou­pable ; elle est le retour conscient et libre du cou­pable repen­tant à la sou­mis­sion et à la confor­mi­té à l’ordre éthique et à ses exi­gences obligatoires.

Dans ces actes posi­tifs sont com­pris les efforts du cou­pable qui s’offre à satis­faire les justes requêtes de l’ordre éthique vio­lé, ou plu­tôt de celui qui en est l’auteur, le Seigneur, le gar­dien et le ven­geur ; ces efforts mani­festent la volon­té et la réso­lu­tion conscientes de res­ter fidèle, à l’avenir, aux pré­ceptes du bien. Dans ses traits essen­tiels, la libé­ra­tion est donc cette dis­po­si­tion inté­rieure qui, dans les expo­sés que vous avez pré­sen­tés, est don­née comme le but et le fruit du juste accom­plis­se­ment de la peine, même si elle est ici consi­dé­rée et cir­cons­crite sous un angle quelque peu différent.

… religieusement …

Enfin, par libé­ra­tion reli­gieuse de la faute, on entend la libé­ra­tion de cette faute intime qui grève et enchaîne la per­sonne du cou­pable devant Dieu — suprême et der­nière ins­tance de tout droit et de toute obli­ga­tion morale, — qui couvre et pro­tège de son infi­ni­té sa volon­té et sa loi, soit que celle-​ci émane immé­dia­te­ment de lui, soit qu’elle pro­vienne d’une auto­ri­té humaine légi­time agis­sant dans le res­sort de sa com­pé­tence. Comment, ensuite, l’homme peut se libé­rer ou être libé­ré de son offense contre Dieu, cela a déjà été suf­fi­sam­ment expli­qué dans le second point concer­nant l’aspect juri­dique. Mais si l’on n’indique pas au cou­pable cette ultime libé­ra­tion reli­gieuse, ou, du moins, si on ne lui en montre et apla­nit la voie, serait-​ce au moyen d’une longue et dure peine, alors on n’offre à l’« homme » cou­pable puni que bien peu, pour ne pas dire rien, quand bien même on par­le­rait de gué­ri­son psy­chique, réédu­ca­tion, for­ma­tion sociale de la per­sonne, affran­chis­se­ment de ses erreurs et de l’esclavage envers soi-même.

Sans doute, ces expres­sions désignent-​elles quelque chose de bon et d’important, mais avec tout cela l’homme demeure dans sa faute face à l’Autorité suprême dont dépend son des­tin final. Cette Autorité peut attendre, et sou­vent elle attend long­temps, mais, à la fin, elle livre le cou­pable à la faute à laquelle il ne veut pas renon­cer et à ses consé­quences. Il est infi­ni­ment triste que l’on doive dire d’un homme : « Bonum erat ei, si natus non fuis­set homo ille (Matth., XXVI, 24) : il aurait mieux valu pour lui ne pas être né ».

Aussi, lorsque quelqu’un ou quelque chose peut contri­buer à écar­ter un si grand mal, même s’il s’agit de droit pénal ou de l’exécution d’une peine légi­time, rien ne doit être négli­gé. D’autant plus que Dieu, durant cette vie, est tou­jours prêt à la récon­ci­lia­tion. Il sti­mule l’homme à réa­li­ser inté­rieu­re­ment l’éloignement psy­chique de son acte insen­sé ; il lui offre de l’accueillir de nou­veau, repen­tant, dans son ami­tié et dans son amour. Puisse un droit pénal humain dans ses juge­ments et leur exé­cu­tion, ne pas oublier l’homme dans le cou­pable et ne pas man­quer de l’aider et de l’encourager dans son retour à Dieu !

B) La libération de la peine.

Sortir de l’état de faute et de peine implique néces­sai­re­ment la libé­ra­tion non seule­ment de la faute, mais aus­si de la peine : ce n’est qu’ainsi qu’on par­vient à cette sorte de res­ti­tu­tio in inte­grum dans l’état ini­tial, libre de faute et, par consé­quent, de toute peine.

1) La peine éternelle dans le droit divin.

Des affir­ma­tions et des faits récents Nous sug­gèrent ici une brève décla­ra­tion. Toute peine encou­rue ne com­porte pas en soi une rémis­sion. La révé­la­tion et le magis­tère de l’Église l’établissent fer­me­ment : après le terme de la vie ter­restre, ceux qui sont char­gés d’une grave faute seront sou­mis par le Maître suprême à un juge­ment et subi­ront une peine qui ne com­porte ni libé­ra­tion ni par­don. Dieu pour­rait même, dans l’au-delà, remettre une telle peine ; tout dépend de sa libre volon­té, mais il ne l’a jamais accor­dé ni ne l’accordera jamais. Ce n’est pas ici le lieu de dis­cu­ter pour savoir si l’on peut rigou­reu­se­ment démon­trer ce fait par la seule rai­son natu­relle ; cer­tains l’assurent, d’autres le mettent en doute. Mais les uns comme les autres apportent dans leurs argu­ments ex ratione des consi­dé­ra­tions qui indiquent qu’une telle dis­po­si­tion de Dieu n’est contraire à aucun de ses attri­buts, ni à sa jus­tice, ni à sa sagesse, ni à sa misé­ri­corde, ni à sa bon­té ; ils montrent encore qu’elle n’est pas non plus en oppo­si­tion avec la nature humaine don­née par le Créateur lui-​même, avec sa fina­li­té méta­phy­sique abso­lue ten­dant à Dieu, avec l’élan de la volon­té humaine vers Dieu, avec la liber­té phy­sique du vou­loir, enra­ci­née et tou­jours pré­sente dans la créa­ture humaine.

Toutes ces réflexions laissent sans doute chez l’homme, quand il juge en se fiant seule­ment à sa propre rai­son, une der­nière ques­tion por­tant non plus sur la pos­si­bi­li­té, mais sur la réa­li­té d’une si inflexible sen­tence du Juge suprême. Nul ne pour­ra donc s’étonner qu’un théo­lo­gien de grande renom­mée ait pu écrire, au début du XVIIe siècle : « Quatuor sunt mys­te­riae nos­trae sanc­tis­si­mae fidei maxime dif­fi­ci­lia cre­di­tu men­ti huma­nae : mys­te­rium Trinitatis, Incarnationis, Eucharistiae et aeter­ni­ta­tis sup­pli­cio­rum ». (Lessius, De per­fec­tio­ni­bus mori­busque divi­nis, 1. XIII, c. XXV). Mais, mal­gré tout cela, le fait de l’immutabilité et de l’éternité de ce juge­ment de répro­ba­tion et de son accom­plis­se­ment est hors de toute dis­cus­sion. Les débats aux­quels a don­né lieu un livre publié récem­ment (Giovanni Papini, Il dia­vo­lo, Edit. Vallecchi, 1954) mani­festent sou­vent un grave défaut de connais­sance de la doc­trine catho­lique et partent de pré­misses fausses ou faus­se­ment inter­pré­tées. Dans le cas pré­sent, le Législateur suprême, en usant de son pou­voir supé­rieur et abso­lu, a fixé la vali­di­té irré­vo­cable de son juge­ment et de son exé­cu­tion. Cette durée sans limite est donc le droit en vigueur.

2) Les diverses formes de cessation de la peine dans le droit humain.

Mais reve­nons main­te­nant au domaine du droit humain, qui est le prin­ci­pal objet de ce dis­cours. Comme Nous l’avons déjà noté, la libé­ra­tion de la faute et la libé­ra­tion de la peine ne coïn­cident pas tou­jours ; la faute peut avoir une fin et la peine conti­nuer, et, vice ver­sa, la faute demeu­rer et la peine prendre fin.

Les formes de ces­sa­tion de la peine sont diverses. Il est évident, avant tout, que cette ces­sa­tion a lieu auto­ma­ti­que­ment au moment où la peine infli­gée a été expiée, ou bien quand, étant limi­tée à un temps déter­mi­né, celui-​ci s’est écou­lé, ou encore lorsque sa conti­nua­tion (par­fois l’exécution même) est liée à une condi­tion réso­lu­toire ou sus­pen­sive, et que celle-​ci a été suf­fi­sam­ment remplie.

La rémission de la peine.

Une autre forme consiste en la rémis­sion de la peine par un acte de l’autorité supé­rieure com­pé­tente. C’est alors la grâce, le par­don ou l’amnistie, qui ont une cer­taine ana­lo­gie avec l’« indul­gence » dans le domaine reli­gieux. La facul­té d’édicter de tels actes de clé­mence n’appartient pas au juge qui a ren­du la sen­tence de condam­na­tion, en appli­quant au cas par­ti­cu­lier la peine éta­blie par le droit. Elle revient de soi à l’instance qui juge et punit en son propre nom et en ver­tu de son propre droit. Aussi, dans la vie de l’État, le droit de remettre la peine est ordi­nai­re­ment réser­vé à l’autorité suprême, qui peut l’exercer par une dis­po­si­tion soit géné­rale, soit propre à un cas individuel.

En revanche, sous le nom de rémis­sion ou par­don ne sont pas com­prises cer­taines faveurs ou miti­ga­tions dans l’exécution, qui laissent sans chan­ge­ment la sub­stance de la peine, mais qui sont accor­dées au cou­pable pour sa bonne conduite ou pour d’autres motifs. Du reste, la rémis­sion de la peine au sens propre s’applique aus­si bien aux « peines médi­ci­nales » qu’aux « peines vin­di­ca­tives », là où celles-​ci sont admises.

La der­nière étape de l’itinéraire par­cou­ru par l’homme cou­pable et châ­tié nous ramène au pro­blème, plu­sieurs fois men­tion­né déjà, de la fin prin­ci­pale de la peine, et notam­ment du sens ou, selon d’autres, du non-​sens d’une peine pure­ment vindicative.

Peines médicinales et peines vindicatives.

Dans Notre dis­cours du 3 octobre 1953 au VIe Congrès inter­na­tio­nal de droit pénal [dis­cours repro­duit dans ce site], et éga­le­ment en la pré­sente occa­sion, Nous avons sou­li­gné le fait que beau­coup, peut-​être la majo­ri­té des juristes civils, repoussent la peine vin­di­ca­tive ; mais Nous ajou­tions que l’on don­nait peut-​être aux consi­dé­ra­tions et aux argu­ments, allé­gués comme preuve une impor­tance et une force plus grandes qu’ils n’ont en réa­li­té. Nous fai­sions éga­le­ment remar­quer que l’Église, en théo­rie et en pra­tique, a main­te­nu la double sorte de peines (médi­ci­nales et vin­di­ca­tives) et que cela est plus conforme à ce que les sources de la Révélation et la doc­trine tra­di­tion­nelle enseignent au sujet du pou­voir coer­ci­tif de l’autorité humaine légitime.

On ne donne pas à cette asser­tion une réponse suf­fi­sante, en fai­sant obser­ver que les sources en ques­tion ne contiennent que des idées cor­res­pon­dant aux condi­tions his­to­riques et à la culture de l’époque et que, par consé­quent, on ne peut leur attri­buer une valeur géné­rale et tou­jours durable. Car les paroles qu’on trouve dans ces sources et dans le magis­tère vivant ne se réfèrent pas au conte­nu concret de pres­crip­tions juri­diques ou de règles d’action par­ti­cu­lières, mais au fon­de­ment essen­tiel du pou­voir pénal et de sa fina­li­té imma­nente. Quant à celle-​ci, elle est aus­si peu déter­mi­née par les condi­tions de temps et de culture, que la nature de l’homme et la socié­té humaine vou­lue par cette même nature. Mais quelle que soit l’attitude du droit posi­tif humain sur ce pro­blème, il suf­fit, pour Notre but pré­sent, de mettre en lumière que, dans une rémis­sion totale ou par­tielle de la peine, les peines vin­di­ca­tives, non moins que les peines médi­ci­nales, peuvent ou même doivent être prises en considération.

Élément extérieur …

Dans l’application du par­don, on ne sau­rait recou­rir à l’arbitraire. Ce qui doit ser­vir de norme, c’est le bien du cou­pable, non moins que celui de la com­mu­nau­té juri­dique, dont il a cou­pa­ble­ment vio­lé la loi, et, au-​dessus de l’un et de l’autre, le res­pect de l’excellence de l’ordre éta­bli selon le bien et la jus­tice. Cette norme exige, entre autres choses, que, dans l’application du pou­voir pénal, on tienne compte, comme en géné­ral dans les rela­tions des hommes entre eux, non seule­ment du droit strict et de la jus­tice, mais aus­si de l’équité, de la bon­té et de la misé­ri­corde. Autrement, on court le risque de trans­for­mer le sum­mum jus en sum­ma inju­ria.

Cette réflexion incite pré­ci­sé­ment à pen­ser que, dans les peines médi­ci­nales, comme éga­le­ment, jusqu’à un cer­tain point, dans les peines vin­di­ca­tives, une rémis­sion devrait être prise en consi­dé­ra­tion chaque fois que l’on a acquis la cer­ti­tude morale que le but imma­nent de la peine a été obte­nu, à savoir la vraie conver­sion inté­rieure du condam­né et une sérieuse garan­tie de sa durée.

Les dis­po­si­tions du droit cano­nique en cette matière (cf. can. 2.248, §§ 1 et 2, et can. 2.242, § 3) pour­raient ser­vir de modèle. Elles réclament d’une part la preuve de fait du chan­ge­ment de sen­ti­ments chez le cou­pable et, de l’autre, elles ne per­mettent pas que le par­don inter­vienne auto­ma­ti­que­ment, mais le font dépendre d’un acte juri­dique posi­tif de l’instance qua­li­fiée. Dans le docu­ment que vous avez pré­sen­té, il est affir­mé que le droit pénal civil fait appa­raître comme dési­rables un nou­veau déve­lop­pe­ment sur ce point et une adap­ta­tion plus souple aux justes exi­gences actuelles. La pro­po­si­tion peut être bonne, encore que le droit pénal civil se pré­sente, à bien des égards, dans des condi­tions dif­fé­rentes de celles du droit pénal ecclé­sias­tique. De toutes façons, la réa­li­sa­tion d’une réforme, semble récla­mer de nou­veaux éclair­cis­se­ments théo­riques et des expé­riences pra­tiques bien solides.

… et élément intérieur de la libération de la peine.

A côté de l’aspect légal et tech­nique de la libé­ra­tion de la peine, le même docu­ment men­tionne aus­si une autre influence com­plè­te­ment dif­fé­rente, mais réelle, qui s’exerce sur le cou­pable et qui, étant une libé­ra­tion plus pro­fonde et plus intime de la peine, ne peut être pas­sée sous silence. Naturellement, elle est moins appré­ciée par les juristes de pro­fes­sion en tant que tels, bien qu’elle soit accep­table pour eux comme « hommes » et comme « chré­tiens » ; elle indique par elle-​même un appro­fon­dis­se­ment essen­tiel ou, si l’on pré­fère, une subli­ma­tion et une « chris­tia­ni­sa­tion » ‚de tout le pro­blème de l’exécution des peines.

Exemple de condamnés innocents.

La peine se pré­sente par sa nature comme un mal impo­sé à l’homme contre sa volon­té ; elle pro­voque, de ce fait, à l’intime de l’homme, une atti­tude spon­ta­née de défense. I1 se sent dépouillé de la libre dis­po­si­tion de lui-​même et sou­mis à une volon­té étran­gère. Plus d’une fois, des maux sem­blables, mais d’une autre ori­gine, frappent l’homme, ou bien encore l’homme se les inflige volon­tai­re­ment. Dès que l’on renonce à l’opposition spon­ta­née à la souf­france, son aspect oppres­sif et humi­liant dis­pa­raît ou, au moins, se trouve essen­tiel­le­ment dimi­nué, même si demeure l’élément sen­sible et dou­lou­reux, comme Nous avons déjà eu l’occasion de l’observer dans la seconde par­tie de Notre exposé.

Bien nom­breux sont aujourd’hui ceux qui, mal­gré leur inno­cence, se trouvent sou­mis à cette oppres­sion et à cette souf­france ; phy­si­que­ment et mora­le­ment, ils souffrent dans les pri­sons, dans les bagnes, dans les camps de concen­tra­tion, dans des lieux de tra­vaux for­cés, dans les mines, dans les car­rières, où les ont relé­gués la pas­sion poli­tique ou l’arbitraire de pou­voirs tota­li­taires ; ils souffrent toutes les misères et toutes les dou­leurs — et sou­vent même davan­tage — qui peuvent être impo­sées. selon le droit et la jus­tice aux vrais cou­pables. Ceux qui, sans faute de leur part, sup­portent de si grands maux, ne peuvent, bien enten­du, se sous­traire exté­rieu­re­ment à la pres­sion de la force, mais ils peuvent s’élever inté­rieu­re­ment au-​dessus de tout. Ils sont sou­te­nus déjà sans doute par des motifs moraux natu­rel­le­ment bons, mais plus faci­le­ment et plus effi­ca­ce­ment par des consi­dé­ra­tions reli­gieuses, par la cer­ti­tude que, tou­jours et par­tout, ils dépendent de la Providence divine qui ne se laisse arra­cher des mains rien ni per­sonne et qui, au-​delà de la brève durée de la vie ter­restre de chaque homme, dis­pose de l’éternité et de la toute-​puissance pour répa­rer tout ce qui a été injus­te­ment souf­fert, pour réta­blir l’équilibre de tout ce qui a été bou­le­ver­sé ou caché, pour bri­ser et châ­tier toute tyran­nie humaine.

Et puis, aux regards du chré­tien, c’est sur­tout le Seigneur qui est pré­sent, lui qui, dans sa Passion, éprou­va toute la pro­fon­deur de la souf­france humaine, en goû­ta l’amertume et, par obéis­sance au Père, par amour pour lui et dans une tendre com­mi­sé­ra­tion envers les hommes, prit volon­tai­re­ment sur lui les dou­leurs et les igno­mi­nies, la croix et la mort. Fortifiés par l’exemple de l’Homme-Dieu, nombre de ces inno­cents trouvent dans leur souf­france la liber­té et le calme inté­rieurs, et, alors même que demeure l’affliction exté­rieure, ils réa­lisent pour­tant une libé­ra­tion intime de la dou­leur, par le che­min de la foi, de l’amour et de la grâce.

Œuvre charitable de secours aux condamnés coupables.

Ils peuvent éga­le­ment atteindre le même but, et par la même voie, ceux qui souffrent pour leur faute et se sentent esclaves de la peine, Nous vou­drions Nous réfé­rer à ce que Nous avons déjà expo­sé en par­lant de l’exécution de la peine, au sujet de l’état spi­ri­tuel du condam­né ; il faut main­te­nant consi­dé­rer ici com­ment on peut et doit venir à son secours pour qu’il par­vienne à une vic­toire intime et, par là, à une libé­ra­tion inté­rieure du mal de la peine. Avec la foi, avec l’amour, avec la grâce, il est pos­sible de don­ner à son esprit clair­voyance et lumière, à son âme nour­ri­ture et cha­leur, à sa fai­blesse force et sou­tien. Sans doute le cou­pable pourrait-​il lui-​même faire mûrir en lui et mener à son terme un tel pro­grès ; cepen­dant, il en est peu qui, livrés à eux-​mêmes, pour­ront y par­ve­nir. Ils ont besoin de rece­voir d’autrui conseil, aide, com­pas­sion, encou­ra­ge­ment et récon­fort. Mais celui qui se dis­pose à accom­plir une telle œuvre doit tirer de sa propre convic­tion et de ses richesses inté­rieures ce qu’il veut com­mu­ni­quer au cou­pable ; autre­ment, sa parole res­te­ra « aes sonans aut cym­ba­lum tin­niens ». (I Cor., XIII, 1.)

Nous avons lu avec une pro­fonde émo­tion ce que l’un de vous, l’illustre pro­fes­seur Francesco Carnelutti, a écrit au sujet des paroles que le Seigneur pro­non­ce­ra à la fin des temps : « J’étais en pri­son, et vous êtes venus me voir…, tout ce que vous avez fait à l’un des moindres de mes frères que voi­ci, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Matth., XXV, 30–40.) Ce qui est offert ici comme idéal du don de soi pour le salut spi­ri­tuel et la puri­fi­ca­tion du pri­son­nier va même au-​delà du com­man­de­ment nou­veau du Rédempteur : « Aimez-​vous les uns les autres », qui devait être le signe auquel se recon­naî­traient ses dis­ciples (Jean, XIII, 34–35) ; il s’agit, en effet, de se rap­pro­cher du cou­pable au point de voir, d’honorer et d’aimer en lui le Seigneur ; bien plus, il faut s’assimiler soi-​même à lui à tel point qu’on se mette spi­ri­tuel­le­ment à la place de cet homme en habit de déte­nu et dans la cel­lule de sa pri­son, selon ce que le Seigneur en per­sonne dit de lui-​même : « J’étais en pri­son, et vous êtes venus me voir. » (Matth., XXV, 36) : tout ce monde inté­rieur, cette lumière et cette bon­té du Christ pour­ront appor­ter au cou­pable sou­tien et aide pour sor­tir de la misé­rable ser­vi­tude de la peine et recon­qué­rir la liber­té et la paix intérieure.

Contribution de la communauté à la libération.

Mais, en outre, les paroles du Seigneur obligent non seule­ment ceux à qui est confié le soin immé­diat du condam­né, mais encore la com­mu­nau­té elle-​même, dont il est et demeure un membre. Celle-​ci devrait faire effort pour se dis­po­ser à accueillir avec amour celui qui, sor­tant de pri­son, recouvre la liber­té : avec un amour nul­le­ment aveugle, mais clair­voyant, et pour­tant en même temps sin­cère, secou­rable, dis­cret et sus­cep­tible de lui rendre pos­sible la réadap­ta­tion à la vie sociale et de lui per­mettre de se sen­tir à nou­veau libre de la faute et de la peine.

Les exi­gences d’une telle dis­po­si­tion ne se fondent pas sur une mécon­nais­sance uto­pique de la réa­li­té ; comme on l’a noté, en effet, ce ne sont pas tous les cou­pables qui sont prêts et enclins à sup­por­ter et à sou­te­nir le pro­ces­sus néces­saire de puri­fi­ca­tion — et peut-​être la pro­por­tion de ceux qui ne le sont pas est-​elle grande, — mais il reste vrai que bon nombre d’autres peuvent être aidés, et le sont en fait, à par­ve­nir à l’entière libé­ra­tion inté­rieure ; c’est pour eux spé­cia­le­ment qu’aucun effort chré­tien ne sera jamais ni exces­sif ni trop ardu.

Puissent Nos quelques consi­dé­ra­tions contri­buer à éclai­rer, avec la richesse de la pen­sée chré­tienne, le vrai sens, mora­le­ment et reli­gieu­se­ment puri­fié, de la peine, et à apla­nir au condam­né, avec les effu­sions de la cha­ri­té, la voie qui doit le conduire à la libé­ra­tion ardem­ment dési­rée de la faute et de la peine.

C’est avec de tels sen­ti­ments, Messieurs, que Nous invo­quons de Dieu, sur vous-​mêmes et sur votre œuvre grande et méri­toire, les meilleures et plus abon­dantes faveurs célestes, tan­dis que Nous vous accor­dons de tout cœur Notre pater­nelle Bénédiction apostolique.

PIE XII, Pape.