Après avoir procédé le samedi 29 mai à la canonisation de S. Pie X, et célébré le dimanche 30 mai la grand-messe en l’honneur du nouveau saint, Pie XII réunit le lundi matin, 31 mai, les quatre cent cinquante Evêques venus à Rome pour cette circonstance, et il leur dit :
« Si tu aimes… pais ». Ce qu’est le travail apostolique, sa vertu fondamentale, l’origine et la source de ses mérites, apparaît clairement dans l’admonition que le Divin Sauveur adressait à l’Apôtre saint Pierre et par laquelle commence la Messe en l’honneur d’un ou plusieurs Souverains Pontifes. Sur les traces de Jésus-Christ, Pontife et Pasteur éternel, qui a, pour notre bien, donné de grands enseignements, accompli des prodiges et beaucoup souffert, le Pape Pie X, que Nous avons eu la joie très vive d’inscrire aux fastes des Saints, accomplissant diligemment le précepte formulé par le Christ, a aimé les brebis qu’il paissait et, en les aimant, les a fait paître. Il a aimé le Christ et fait paître le troupeau du Christ : aux richesses célestes que le miséricordieux Rédempteur a apportées sur terre, il a puisé sans réserve ce qu’il a distribué généreusement à son troupeau : la nourriture de la vérité, les mystères célestes, la grâce magnifique contenue dans le sacrement et le sacrifice de la divine Eucharistie, la douceur de la charité, le souci incessant du gouvernement, la force pour défendre ; il s’est donné tout entier avec tout ce que l’Auteur et Dispensateur de tous les biens lui avait accordé.
Vous êtes venus à Rome, Vénérables Frères, couronne de Notre joie, pour participer à ces solennités, pour rendre avec Nous un hommage d’admiration et d’honneur à cet Evêque de Rome dont la vie splendide a illustré l’Eglise universelle, et pour rendre des actions de grâces à Dieu qui, accordant ses dons en abondance par l’intercession de ce Pontife, répand sa miséricorde paternelle sur ceux qu’Il guide vers le salut éternel.
Pie XII tient à préciser les responsabilités pastorales des évêques.
Et maintenant que Nous Nous trouvons au milieu de vous, très chers Frères, venus si nombreux de toutes les parties du monde, Nous sommes heureux et profondément ému ; Nous, Vicaire de Jésus-Christ, « ancien » parmi des « anciens », Nous voulons d’abord renfermer brièvement dans les termes mêmes de la lettre du premier Pape et Prince des Apôtres que Nous venons de citer ce que Nous avons l’intention de vous rappeler et de vous inculquer : « Les anciens qui sont parmi vous, je les exhorte, moi, ancien comme eux, témoin des souffrances du Christ…, paissez le troupeau de Dieu qui vous est confié, le surveillant non par contrainte mais de bon gré, selon Dieu,… en devenant les modèles du troupeau » [1]. Ces mots ont le même sens que ceux du Seigneur pour inciter le zèle des Pasteurs à une charité empressée : « Si tu aimes… pais ».
Mais Nous voudrions développer brièvement ce que Nous venons de laisser entendre par ce texte de saint Pierre.
La sollicitude de toutes les Eglises qui pèse sur Nos épaules et le devoir de vigilance qui Nous presse chaque jour à cause de la charge suprême dont Nous sommes revêtu, Nous incitent à considérer et à méditer certains points, idées, sentiments ou normes de vie pratique, sur lesquels Nous voulons attirer aussi votre sollicitude et votre vigilance pour que vous unissiez vos efforts aux Nôtres et procuriez ainsi plus promptement et plus efficacement le bien du troupeau du Christ. Il s’agit en effet, semble-t-il, des symptômes et des effets d’une maladie spirituelle qui réclame l’intervention des Pasteurs d’âmes pour ne point s’aggraver et s’étendre, mais recevoir à temps le remède et disparaître le plus tôt possible.
L’évêque a le pouvoir de magistère.
Il semble conforme à Notre projet d’exposer en détail ce qui, en vertu des prérogatives de votre triple fonction d’institution divine, vous revient à vous, successeurs des Apôtres, sous l’autorité du Pontife Romain [2], c’est-à-dire le magistère, le sacerdoce et le gouvernement. Cependant, comme le temps Nous manque aujourd’hui, Nous bornerons Notre discours au premier point, laissant le reste pour une autre occasion (si Dieu Nous le permet).
Le Christ Notre-Seigneur a confié aux Apôtres et par eux à leurs successeurs la vérité qu’Il a apportée du ciel ; Il a envoyé les Apôtres comme II a été envoyé Lui-même par le Père [3] pour qu’ils enseignent à toutes les nations tout ce qu’ils avaient eux-mêmes appris du Seigneur [4]. Les Apôtres ont donc été de droit divin, établis dans l’Eglise vrais docteurs et maîtres. A côté des successeurs légitimes des Apôtres, c’est-à-dire le Pontife Romain pour l’Eglise universelle, et les Evêques pour les fidèles confiés à leurs soins [5], il n’y a pas dans l’Eglise d’autres maîtres de droit divin ; mais eux-mêmes et surtout le Maître suprême de l’Eglise et Vicaire du Christ sur la terre, peuvent faire appel pour leur fonction magistrale à des collaborateurs ou conseillers et leur déléguer le pouvoir d’enseigner, soit à titre extraordinaire soit en vertu de l’office qu’ils leur confèrent [6]. Ceux qui sont appelés à enseigner exercent dans l’Eglise l’office de maîtres non en leur nom propre ni au titre de leur science théologique mais en vertu de la mission qu’ils ont reçue du Magistère légitime ; leur pouvoir reste toujours soumis à celui-ci sans jamais devenir sui iuris c’est-à-dire indépendant de toute autorité. Mais les Evêques, même quand ils ont conféré une telle faculté, ne se privent jamais du pouvoir d’enseigner et ne se dispensent pas du grave devoir de veiller à l’intégrité et à la sûreté de la doctrine que proposent ceux qui les aident. Donc le magistère légitime de l’Eglise ne lèse ou n’offense aucun de ceux auxquels il a donné une mission canonique, quand il désire savoir exactement ce qu’enseignent et défendent ceux qu’il a chargés d’enseigner dans les leçons orales, dans les livres, commentaires ou revues réservés aux élèves comme aussi dans les livres ou autres écrits destinés au public. Nous n’avons pas l’intention à cette fin d’étendre à tout ceci les normes juridiques qui concernent la censure préalable des livres puisque il existe tant d’autres façons d’obtenir des informations sûres au sujet de la doctrine des Professeurs. D’autre part cette prudence et cette circonspection du magistère légitime ne comportent aucune défiance ou suspicion — tout comme non plus la profession de foi que l’Eglise exige des professeurs et de beaucoup d’autres [7] — bien au contraire, le pouvoir d’enseigner donné à quelqu’un est un signe de confiance, d’estime et d’honneur pour celui à qui il est confié. Le Saint-Siège lui-même quand il enquête et veut savoir ce qu’on enseigne dans certains séminaires, collèges, athénées, universités sur les matières relevant de son autorité, n’obéit à aucun autre mobile qu’à la conscience du mandat du Christ et de l’obligation qu’il a devant Dieu de défendre la saine doctrine et de la conserver pure et intacte. En outre cette vigilance tend aussi à défendre et stimuler votre droit et votre devoir de nourrir le troupeau qui vous est confié par la vérité de la parole authentique du Christ.
Les évêques doivent surveiller ce que les prêtres enseignent.
Ce n’est pas sans un motif grave que Nous avons voulu faire devant vous, Vénérables Frères, ces avertissements. En effet, il arrive malheureusement que certains professeurs cherchent trop peu la liaison avec le magistère vivant de l’Eglise, et se montrent trop peu attentifs, trop peu affectionnés à sa doctrine commune, clairement proposée de telle ou telle manière, tandis qu’ils suivent trop facilement leurs propres idées, qu’ils accordent trop d’importance à la mentalité moderne, aux règles d’autres disciplines qu’ils disent et qu’ils estiment être les seules conformes aux véritables méthodes et normes d’enseignement. Sans doute, l’Eglise aime et encourage au plus haut point l’étude et le progrès des sciences humaines ; elle aime et estime particulièrement les savants qui consument leur vie dans l’étude. Cependant les questions de religion et de morale, les vérités qui transcendent absolument l’ordre sensible, relèvent uniquement de l’office et de l’autorité de l’Eglise. Dans Notre Encyclique « Humani generis », Nous avons décrit la tournure d’esprit de ceux dont Nous venons de parler, et Nous avons signalé que certains errements qui s’y trouvaient réprouvés avaient précisément pour origine le fait d’avoir négligé la liaison avec le magistère vivant de l’Eglise.
Saint Pie X à maintes et maintes reprises et en termes très graves a dit dans des documents de grand poids que vous connaissez tous l’importance de cette liaison nécessaire avec l’esprit et la doctrine de l’Eglise. Benoît XV, son successeur au Souverain Pontificat, a redit la même chose. Après avoir solennellement renouvelé dans sa première Encyclique [8] la condamnation du Modernisme faite par son Prédécesseur, il définit en ces termes la mentalité des partisans de ce système : « Celui qui est animé de cet esprit rejette avec dégoût tout ce qui peut avoir l’air vieux, il est au contraire à l’affût de toute nouveauté en ce qui concerne la manière de parler des choses divines, la célébration du culte divin, les institutions catholiques et même les exercices de la piété privée [9]. » Que si certains enseignants et professeurs actuels s’efforcent par tous les moyens d’apporter et d’exposer du nouveau, et non de répéter « ce qui a été transmis », s’ils ne veulent proposer que cela, qu’ils considèrent calmement ce que Benoît XV offre à leur méditation dans l’Encyclique citée : « Nous voulons que l’on respecte religieusement la maxime des anciens : Que l’on n’introduise aucune nouveauté, que l’on s’en tienne à ce qui a été transmis ; cette loi, qui ne doit assurément subir aucune infraction dans le domaine de la foi, doit cependant servir aussi de norme dans les questions susceptibles de changement ; bien que pour elles vaille aussi la plupart du temps la règle : Non du nouveau, mais une manière nouvelle » [10].
De même les laïcs doivent, en matière doctrinale, demeurer soumis aux évêques.
Quant aux laïcs, il est clair que les Maîtres légitimes peuvent les appeler ou les admettre, hommes et femmes, comme auxiliaires dans la défense de la foi. Il suffit de rappeler la formation catéchétique, à laquelle s’emploient tant de milliers d’hommes et de femmes, ainsi que les autres formes de l’apostolat des laïcs. Tout cela mérite les plus grands éloges et peut et doit être énergiquement développé. Mais il faut que tous ces laïcs soient et demeurent sous l’autorité, la conduite et la vigilance de ceux qui ont été établis par institution divine maîtres dans l’Eglise du Christ. Il n’y a en effet dans l’Eglise, en ce qui concerne le salut des âmes, aucun magistère qui ne soit soumis à ce pouvoir et à cette vigilance.
Récemment cependant s’est fait jour çà et là et a commencé à se répandre ce qu’on appelle une théologie laïque et on a vu naître une catégorie de théologiens laïques qui se déclarent autonomes ; cette théologie tient des cours, imprime des écrits, a des cercles, des chaires, des professeurs. Ceux-ci distinguent leur magistère du magistère public de l’Eglise et l’opposent en quelque manière au sien ; parfois pour autoriser leur façon d’agir ils en appellent à des charismes d’enseignement et d’interprétation dont plus d’une fois le Nouveau Testament, spécialement les Epîtres de saint Paul, fait mention [11] ; ils en appellent à l’histoire qui depuis les débuts du christianisme jusqu’à ce jour, présente tant de noms de laïcs qui de vive voix et par écrit enseignèrent la vérité du Christ pour le bien des âmes sans y être appelés par les Evêques, sans avoir reçu ou demandé la permission du magistère, mais mus par une impulsion intérieure et par leur zèle apostolique. Il faut cependant retenir en sens opposé qu’il n’y eut jamais, qu’il n’y a pas, et qu’il n’y aura jamais dans l’Eglise de magistère légitime des laïcs soustrait par Dieu à l’autorité, à la conduite et à la vigilance du Magistère sacré ; bien plus, le refus même de se soumettre fournit un argument convaincant et un critère sûr : les laïcs qui parlent et agissent de la sorte ne sont pas conduits par l’Esprit de Dieu et du Christ. Tout le monde voit également quel danger de désordre et d’erreur renferme cette « théologie laïque » ; le danger aussi que ne se mettent à instruire les autres, de ces hommes tout à fait incapables et même trompeurs et perfides, dont saint Paul écrit : « Un temps viendra où les hommes au gré de leurs passions et l’oreille les démangeant, se donneront une foule de maîtres, et se détourneront de la vérité pour se tourner vers les fables » [12].
Nous ne voudrions certes pas que cet avertissement écarte d’une étude plus profonde de la doctrine chrétienne et du désir de la répandre dans le public ceux qui se sentent animés d’un si noble zèle, quel que soit leur rang et leur milieu.
Employez-vous, Vénérables Frères, avec une sagacité toujours plus grande, comme le réclament à la fois la charge et l’honneur de votre fonction, à pénétrer toujours davantage la sublimité et la profondeur de la vérité surnaturelle, vers laquelle de droit vous guidez les hommes, à présenter avec soin, avec ardeur et éloquence, les vérités de la religion aux gens dont les pensées et les sentiments se trouvent actuellement menacés de terrible façon par les ténèbres de l’erreur, afin qu’un repentir salutaire et un amour purifié ramènent finalement les hommes à Dieu : « s’écarter de Lui, c’est tomber ; se retourner vers Lui, c’est se relever ; demeurer en Lui, c’est être fort… revenir à Lui c’est ressusciter ; habiter en Lui, c’est vivre »[13].
C’est pour le succès de cette œuvre que Nous invoquons sur vous l’aide du ciel, et pour que cette aide vous soit abondamment départie, Nous vous accordons de grand cœur, à vous-mêmes et aux fidèles qui vous sont confiés, la Bénédiction apostolique.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1954, Édition Saint-Augustin Saint-Maurice, publié en 1956. – D’après le texte latin des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 313.
- I Petr., V, 1–3.[↩]
- Cf. Can. 329.[↩]
- Jean, XX, 21.[↩]
- Matth., XXVIII, 19–20.[↩]
- Cf. Can. 1326.[↩]
- Cf. Can. 1328.[↩]
- Cf. Can. 1406, n° 7 et 8.[↩]
- Ad beatissimi Apostolorum Principis, 1er nov. 1914.[↩]
- A. A. S., VI, 1914, p. 578.[↩]
- L. c.[↩]
- Par ex. Rom., XII, 6–7 ; I Cor., XII, 28–30.[↩]
- II Tim., IV, 3–4.[↩]
- S. Aug., Soliloquiorum, lib. I, 3 ; Migne, P. L., t. 32, col. 870.[↩]