Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

31 mai 1954

Discours à l'épiscopat

Sur l'exemple de saint Pie X et le pouvoir de magistère exercé par l'évêque dans la fidélité à la foi

Table des matières

Après avoir pro­cé­dé le same­di 29 mai à la cano­ni­sa­tion de S. Pie X, et célé­bré le dimanche 30 mai la grand-​messe en l’hon­neur du nou­veau saint, Pie XII réunit le lun­di matin, 31 mai, les quatre cent cin­quante Evêques venus à Rome pour cette cir­cons­tance, et il leur dit :

« Si tu aimes… pais ». Ce qu’est le tra­vail apos­to­lique, sa ver­tu fon­da­men­tale, l’o­ri­gine et la source de ses mérites, appa­raît clai­re­ment dans l’ad­mo­ni­tion que le Divin Sauveur adres­sait à l’Apôtre saint Pierre et par laquelle com­mence la Messe en l’hon­neur d’un ou plu­sieurs Souverains Pontifes. Sur les traces de Jésus-​Christ, Pontife et Pasteur éter­nel, qui a, pour notre bien, don­né de grands ensei­gne­ments, accom­pli des pro­diges et beau­coup souf­fert, le Pape Pie X, que Nous avons eu la joie très vive d’ins­crire aux fastes des Saints, accom­plis­sant dili­gemment le pré­cepte for­mu­lé par le Christ, a aimé les bre­bis qu’il pais­sait et, en les aimant, les a fait paître. Il a aimé le Christ et fait paître le trou­peau du Christ : aux richesses célestes que le misé­ri­cor­dieux Rédempteur a appor­tées sur terre, il a pui­sé sans réserve ce qu’il a dis­tri­bué géné­reu­se­ment à son trou­peau : la nour­ri­ture de la véri­té, les mys­tères célestes, la grâce magni­fique conte­nue dans le sacre­ment et le sacri­fice de la di­vine Eucharistie, la dou­ceur de la cha­ri­té, le sou­ci inces­sant du gou­ver­ne­ment, la force pour défendre ; il s’est don­né tout entier avec tout ce que l’Auteur et Dispensateur de tous les biens lui avait accordé.

Vous êtes venus à Rome, Vénérables Frères, cou­ronne de Notre joie, pour par­ti­ci­per à ces solen­ni­tés, pour rendre avec Nous un hom­mage d’ad­mi­ra­tion et d’hon­neur à cet Evêque de Rome dont la vie splen­dide a illus­tré l’Eglise uni­ver­selle, et pour rendre des actions de grâces à Dieu qui, accor­dant ses dons en abon­dance par l’in­ter­ces­sion de ce Pontife, répand sa misé­ri­corde pater­nelle sur ceux qu’Il guide vers le salut éternel.

Pie XII tient à préciser les responsabilités pastorales des évêques.

Et main­te­nant que Nous Nous trou­vons au milieu de vous, très chers Frères, venus si nom­breux de toutes les par­ties du monde, Nous sommes heu­reux et pro­fon­dé­ment ému ; Nous, Vicaire de Jésus-​Christ, « ancien » par­mi des « anciens », Nous vou­lons d’a­bord ren­fer­mer briè­ve­ment dans les termes mêmes de la lettre du pre­mier Pape et Prince des Apôtres que Nous venons de citer ce que Nous avons l’in­ten­tion de vous rap­pe­ler et de vous incul­quer : « Les anciens qui sont par­mi vous, je les exhorte, moi, ancien comme eux, témoin des souf­frances du Christ…, pais­sez le trou­peau de Dieu qui vous est confié, le sur­veillant non par contrainte mais de bon gré, selon Dieu,… en deve­nant les modèles du trou­peau » [1]. Ces mots ont le même sens que ceux du Seigneur pour inci­ter le zèle des Pasteurs à une cha­ri­té empres­sée : « Si tu aimes… pais ».

Mais Nous vou­drions déve­lop­per briè­ve­ment ce que Nous venons de lais­ser entendre par ce texte de saint Pierre.

La sol­li­ci­tude de toutes les Eglises qui pèse sur Nos épaules et le devoir de vigi­lance qui Nous presse chaque jour à cause de la charge suprême dont Nous sommes revê­tu, Nous incitent à consi­dé­rer et à médi­ter cer­tains points, idées, sen­ti­ments ou normes de vie pra­tique, sur les­quels Nous vou­lons atti­rer aus­si votre sol­li­ci­tude et votre vigi­lance pour que vous unis­siez vos efforts aux Nôtres et pro­cu­riez ain­si plus promp­te­ment et plus effi­ca­ce­ment le bien du trou­peau du Christ. Il s’a­git en effet, semble-​t-​il, des symp­tômes et des effets d’une mala­die spi­ri­tuelle qui réclame l’in­ter­ven­tion des Pasteurs d’âmes pour ne point s’ag­gra­ver et s’é­tendre, mais rece­voir à temps le remède et dis­paraître le plus tôt possible.

L’évêque a le pouvoir de magistère.

Il semble conforme à Notre pro­jet d’ex­po­ser en détail ce qui, en ver­tu des pré­ro­ga­tives de votre triple fonc­tion d’ins­ti­tu­tion divine, vous revient à vous, suc­ces­seurs des Apôtres, sous l’au­torité du Pontife Romain [2], c’est-​à-​dire le magis­tère, le sacer­doce et le gou­ver­ne­ment. Cependant, comme le temps Nous manque aujourd’­hui, Nous bor­ne­rons Notre dis­cours au pre­mier point, lais­sant le reste pour une autre occa­sion (si Dieu Nous le permet).

Le Christ Notre-​Seigneur a confié aux Apôtres et par eux à leurs suc­ces­seurs la véri­té qu’Il a appor­tée du ciel ; Il a envoyé les Apôtres comme II a été envoyé Lui-​même par le Père [3] pour qu’ils enseignent à toutes les nations tout ce qu’ils avaient eux-​mêmes appris du Seigneur [4]. Les Apôtres ont donc été de droit divin, éta­blis dans l’Eglise vrais doc­teurs et maîtres. A côté des suc­ces­seurs légi­times des Apô­tres, c’est-​à-​dire le Pontife Romain pour l’Eglise uni­ver­selle, et les Evêques pour les fidèles confiés à leurs soins [5], il n’y a pas dans l’Eglise d’autres maîtres de droit divin ; mais eux-​mêmes et sur­tout le Maître suprême de l’Eglise et Vicaire du Christ sur la terre, peuvent faire appel pour leur fonc­tion magis­trale à des col­la­bo­ra­teurs ou conseillers et leur délé­guer le pou­voir d’en­sei­gner, soit à titre extra­or­di­naire soit en ver­tu de l’of­fice qu’ils leur confèrent [6]. Ceux qui sont appe­lés à ensei­gner exer­cent dans l’Eglise l’of­fice de maîtres non en leur nom propre ni au titre de leur science théo­lo­gique mais en ver­tu de la mis­sion qu’ils ont reçue du Magistère légi­time ; leur pou­voir reste tou­jours sou­mis à celui-​ci sans jamais deve­nir sui iuris c’est-​à-​dire indé­pen­dant de toute auto­ri­té. Mais les Evêques, même quand ils ont confé­ré une telle facul­té, ne se privent jamais du pou­voir d’en­sei­gner et ne se dis­pensent pas du grave devoir de veiller à l’in­té­gri­té et à la sûre­té de la doc­trine que pro­posent ceux qui les aident. Donc le magis­tère légi­time de l’Eglise ne lèse ou n’of­fense aucun de ceux aux­quels il a don­né une mis­sion cano­nique, quand il désire savoir exac­te­ment ce qu’en­seignent et défendent ceux qu’il a char­gés d’en­sei­gner dans les leçons ora­les, dans les livres, com­men­taires ou revues réser­vés aux élèves comme aus­si dans les livres ou autres écrits des­ti­nés au public. Nous n’a­vons pas l’in­ten­tion à cette fin d’é­tendre à tout ceci les normes juri­diques qui concernent la cen­sure préa­lable des livres puisque il existe tant d’autres façons d’ob­te­nir des infor­mations sûres au sujet de la doc­trine des Professeurs. D’autre part cette pru­dence et cette cir­cons­pec­tion du magis­tère légi­time ne com­portent aucune défiance ou sus­pi­cion — tout comme non plus la pro­fes­sion de foi que l’Eglise exige des pro­fes­seurs et de beau­coup d’autres [7] — bien au contraire, le pou­voir d’en­sei­gner don­né à quel­qu’un est un signe de confiance, d’es­time et d’hon­neur pour celui à qui il est confié. Le Saint-​Siège lui-​même quand il enquête et veut savoir ce qu’on enseigne dans cer­tains sémi­naires, col­lèges, athé­nées, uni­ver­si­tés sur les matières rele­vant de son auto­ri­té, n’o­béit à aucun autre mobile qu’à la cons­cience du man­dat du Christ et de l’o­bli­ga­tion qu’il a devant Dieu de défendre la saine doc­trine et de la conser­ver pure et intacte. En outre cette vigi­lance tend aus­si à défendre et sti­mu­ler votre droit et votre devoir de nour­rir le trou­peau qui vous est confié par la véri­té de la parole authen­tique du Christ.

Les évêques doivent surveiller ce que les prêtres enseignent.

Ce n’est pas sans un motif grave que Nous avons vou­lu faire devant vous, Vénérables Frères, ces aver­tis­se­ments. En effet, il arrive mal­heu­reu­se­ment que cer­tains pro­fes­seurs cherchent trop peu la liai­son avec le magis­tère vivant de l’Eglise, et se montrent trop peu atten­tifs, trop peu affec­tion­nés à sa doc­trine com­mune, clai­re­ment pro­po­sée de telle ou telle manière, tan­dis qu’ils sui­vent trop faci­le­ment leurs propres idées, qu’ils accordent trop d’im­por­tance à la men­ta­li­té moderne, aux règles d’autres disci­plines qu’ils disent et qu’ils estiment être les seules conformes aux véri­tables méthodes et normes d’en­sei­gne­ment. Sans doute, l’Eglise aime et encou­rage au plus haut point l’é­tude et le pro­grès des sciences humaines ; elle aime et estime par­ti­cu­liè­re­ment les savants qui consument leur vie dans l’é­tude. Cependant les ques­tions de reli­gion et de morale, les véri­tés qui trans­cendent abso­lu­ment l’ordre sen­sible, relèvent uni­que­ment de l’of­fice et de l’au­to­ri­té de l’Eglise. Dans Notre Encyclique « Humani gene­ris », Nous avons décrit la tour­nure d’es­prit de ceux dont Nous venons de par­ler, et Nous avons signa­lé que cer­tains er­rements qui s’y trou­vaient réprou­vés avaient pré­ci­sé­ment pour ori­gine le fait d’a­voir négli­gé la liai­son avec le magis­tère vivant de l’Eglise.

Saint Pie X à maintes et maintes reprises et en termes très graves a dit dans des docu­ments de grand poids que vous connais­sez tous l’im­por­tance de cette liai­son néces­saire avec l’es­prit et la doc­trine de l’Eglise. Benoît XV, son suc­ces­seur au Souverain Pontificat, a redit la même chose. Après avoir solen­nel­le­ment renou­ve­lé dans sa pre­mière Encyclique [8] la con­damnation du Modernisme faite par son Prédécesseur, il dé­finit en ces termes la men­ta­li­té des par­ti­sans de ce sys­tème : « Celui qui est ani­mé de cet esprit rejette avec dégoût tout ce qui peut avoir l’air vieux, il est au contraire à l’af­fût de toute nou­veau­té en ce qui concerne la manière de par­ler des choses divines, la célé­bra­tion du culte divin, les ins­ti­tu­tions catholi­ques et même les exer­cices de la pié­té pri­vée [9]. » Que si cer­tains ensei­gnants et pro­fes­seurs actuels s’ef­forcent par tous les moyens d’ap­por­ter et d’ex­po­ser du nou­veau, et non de répé­ter « ce qui a été trans­mis », s’ils ne veulent pro­po­ser que cela, qu’ils consi­dèrent cal­me­ment ce que Benoît XV offre à leur médi­ta­tion dans l’Encyclique citée : « Nous vou­lons que l’on res­pecte reli­gieu­se­ment la maxime des anciens : Que l’on n’in­tro­duise aucune nou­veau­té, que l’on s’en tienne à ce qui a été trans­mis ; cette loi, qui ne doit assu­ré­ment subir aucune infrac­tion dans le domaine de la foi, doit cepen­dant ser­vir aus­si de norme dans les ques­tions sus­cep­tibles de chan­ge­ment ; bien que pour elles vaille aus­si la plu­part du temps la règle : Non du nou­veau, mais une manière nou­velle » [10].

De même les laïcs doivent, en matière doctrinale, demeurer soumis aux évêques.

Quant aux laïcs, il est clair que les Maîtres légi­times peu­vent les appe­ler ou les admettre, hommes et femmes, comme auxi­liaires dans la défense de la foi. Il suf­fit de rap­pe­ler la for­ma­tion caté­ché­tique, à laquelle s’emploient tant de mil­liers d’hommes et de femmes, ain­si que les autres formes de l’a­postolat des laïcs. Tout cela mérite les plus grands éloges et peut et doit être éner­gi­que­ment déve­lop­pé. Mais il faut que tous ces laïcs soient et demeurent sous l’au­to­ri­té, la conduite et la vigi­lance de ceux qui ont été éta­blis par ins­ti­tu­tion di­vine maîtres dans l’Eglise du Christ. Il n’y a en effet dans l’Eglise, en ce qui concerne le salut des âmes, aucun magis­tère qui ne soit sou­mis à ce pou­voir et à cette vigilance.

Récemment cepen­dant s’est fait jour çà et là et a commen­cé à se répandre ce qu’on appelle une théo­lo­gie laïque et on a vu naître une caté­go­rie de théo­lo­giens laïques qui se dé­clarent auto­nomes ; cette théo­lo­gie tient des cours, imprime des écrits, a des cercles, des chaires, des pro­fes­seurs. Ceux-​ci dis­tinguent leur magis­tère du magis­tère public de l’Eglise et l’op­posent en quelque manière au sien ; par­fois pour au­toriser leur façon d’a­gir ils en appellent à des cha­rismes d’en­seignement et d’in­ter­pré­ta­tion dont plus d’une fois le Nouveau Testament, spé­cia­le­ment les Epîtres de saint Paul, fait men­tion [11] ; ils en appellent à l’his­toire qui depuis les débuts du chris­tia­nisme jus­qu’à ce jour, pré­sente tant de noms de laïcs qui de vive voix et par écrit ensei­gnèrent la véri­té du Christ pour le bien des âmes sans y être appe­lés par les Evêques, sans avoir reçu ou deman­dé la per­mis­sion du magis­tère, mais mus par une impul­sion inté­rieure et par leur zèle apos­to­lique. Il faut cepen­dant rete­nir en sens oppo­sé qu’il n’y eut jamais, qu’il n’y a pas, et qu’il n’y aura jamais dans l’Eglise de ma­gistère légi­time des laïcs sous­trait par Dieu à l’au­to­ri­té, à la conduite et à la vigi­lance du Magistère sacré ; bien plus, le refus même de se sou­mettre four­nit un argu­ment convain­cant et un cri­tère sûr : les laïcs qui parlent et agissent de la sorte ne sont pas conduits par l’Esprit de Dieu et du Christ. Tout le monde voit éga­le­ment quel dan­ger de désordre et d’er­reur ren­ferme cette « théo­lo­gie laïque » ; le dan­ger aus­si que ne se mettent à ins­truire les autres, de ces hommes tout à fait inca­pables et même trom­peurs et per­fides, dont saint Paul écrit : « Un temps vien­dra où les hommes au gré de leurs pas­sions et l’o­reille les déman­geant, se don­ne­ront une foule de maîtres, et se détour­ne­ront de la véri­té pour se tour­ner vers les fables » [12].

Nous ne vou­drions certes pas que cet aver­tis­se­ment écarte d’une étude plus pro­fonde de la doc­trine chré­tienne et du désir de la répandre dans le public ceux qui se sentent ani­més d’un si noble zèle, quel que soit leur rang et leur milieu.

Employez-​vous, Vénérables Frères, avec une saga­ci­té tou­jours plus grande, comme le réclament à la fois la charge et l’hon­neur de votre fonc­tion, à péné­trer tou­jours davan­tage la subli­mi­té et la pro­fon­deur de la véri­té sur­na­tu­relle, vers la­quelle de droit vous gui­dez les hommes, à pré­sen­ter avec soin, avec ardeur et élo­quence, les véri­tés de la reli­gion aux gens dont les pen­sées et les sen­ti­ments se trouvent actuel­le­ment mena­cés de ter­rible façon par les ténèbres de l’er­reur, afin qu’un repen­tir salu­taire et un amour puri­fié ramènent finale­ment les hommes à Dieu : « s’é­car­ter de Lui, c’est tom­ber ; se retour­ner vers Lui, c’est se rele­ver ; demeu­rer en Lui, c’est être fort… reve­nir à Lui c’est res­sus­ci­ter ; habi­ter en Lui, c’est vivre »[13].

C’est pour le suc­cès de cette œuvre que Nous invo­quons sur vous l’aide du ciel, et pour que cette aide vous soit abon­damment dépar­tie, Nous vous accor­dons de grand cœur, à vous-​mêmes et aux fidèles qui vous sont confiés, la Bénédiction apostolique.

Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, année 1954, Édition Saint-​Augustin Saint-​Maurice, publié en 1956. – D’après le texte latin des A. A. S., XXXXVI, 1954, p. 313.

Notes de bas de page
  1. I Petr., V, 1–3.[]
  2. Cf. Can. 329.[]
  3. Jean, XX, 21.[]
  4. Matth., XXVIII, 19–20.[]
  5. Cf. Can. 1326.[]
  6. Cf. Can. 1328.[]
  7. Cf. Can. 1406, n° 7 et 8.[]
  8. Ad bea­tis­si­mi Apostolorum Principis, 1er nov. 1914.[]
  9. A. A. S., VI, 1914, p. 578.[]
  10. L. c.[]
  11. Par ex. Rom., XII, 6–7 ; I Cor., XII, 28–30.[]
  12. II Tim., IV, 3–4.[]
  13. S. Aug., Soliloquiorum, lib. I, 3 ; Migne, P. L., t. 32, col. 870.[]
4 novembre 1942
La vraie fidélité a pour objet et pour fondement le don mutuel non seulement du corps des deux époux, mais de leur esprit et de leur cœur
  • Pie XII