A nos vénérables frères les archevêques, les évêques et les autres ordinaires de la confédération canadienne en paix et en communion avec le siège apostolique.
LÉON XIII, PAPE
Vénérables Frères,
Salut et bénédiction apostolique.
En vous adressant aujourd’hui la parole et Nous le faisons d’un cœur tout aimant, Notre pensée se porte d’elle-même à ces rapports de mutuelle bienveillance, à ces échanges de bons offices qui ont régné de tout temps entre le Siège apostolique et le peuple canadien. A côté de votre berceau même on trouve l’Eglise et sa charité. Et depuis qu’elle vous a accueillis dans son sein, elle n’a cessé de vous tenir étroitement embrassés, et de vous prodiguer ses bienfaits. Si cet homme d’immortelle mémoire, que fut François de Laval Montmorency, put accomplir les œuvres de si haute vertu, et si fécondes pour votre pays, dont furent témoins vos ancêtres, ce fut assurément appuyé sur l’autorité et sur la faveur des Pontifes romains. Ce ne fut pas non plus à d’autres sources que prirent origine et que puisèrent leur garantie de succès, les œuvres des évêques subséquents, personnages de si éclatants mérites. De même encore, pour remonter à la période la plus reculée, c’est bien sous l’inspiration et sur l’initiative du Siège apostolique, que de généreuses cohortes de missionnaires apprirent la route de votre pays, pour lui apporter, avec la lumière de l’Evangile, une culture plus élevée et les premiers germes de la civilisation. Et ce sont ces germes, qui, fécondés aussi par eux, au prix de longs et patients labeurs, ont mis le peuple canadien au niveau des plus policés et des plus glorieux, et ont fait de lui, quoique venu tardivement, leur émule.
Toutes ces choses Nous sont de fort agréable souvenir ; d’autant plus qu’il en reste des fruits sous Nos yeux et de non médiocre importance. Le plus considérable de tous assurément, c’est, parmi les multitudes catholiques, un amour et un zèle pour notre sainte religion, pour cette religion que vos ancêtres, venus providentiellement d’abord et surtout de la France, puis de l’Irlande, et d’ailleurs encore dans la suite, professèrent scrupuleusement, et transmirent à leur postérité, comme un dépôt inviolable. Mais si leurs fils conservent fidèlement ce précieux héritage, il Nous est facile de comprendre quelle grande part de louange en revient à votre vigilance et à votre activité, Vénérables Frères, quelle grande part aussi au zèle de votre clergé ; tous on effet, d’une seule âme, vous travaillez assidûment à la conservation et au progrès de la foi catholique, et il faut rendre cet hommage à la vérité, sans rencontrer ni défaveur ni entrave, dans les lois de l’empire britannique. Aussi, lorsque mus par la considération de vos communs mérites, Nous conférâmes, il y a quelques années, à l’archevêque de Québec, l’honneur de la pourpre romaine, Nous eûmes en vue, non seulement de relever ses vertus personnelles, mais encore de rendre un solennel hommage à la piété de tous vos catholiques.
Pour ce qui touche à l’éducation de la jeunesse, sur quoi reposent les meilleures espérances de la société religieuse et civile, le Siège apostolique n’a jamais cessé de s’en occuper de concert avec vous et avec vos prédécesseurs ; c’est ainsi qu’ont-été fondées en grand nombre, dans votre pays, des institutions destinées à la formation morale et scientifique de la jeunesse, institutions qui sont si florissantes sous la garde et la protection de l’Eglise. En ce genre l’Université de Québec, ornée de tous les titres et gratifiée de tous les droits qu’a coutume de conférer l’autorité apostolique, occupe une place d’honneur et prouve suffisamment que le Saint-Siège n’a pas eu de plus grande préoccupation ni de désir plus ardent que la formation d’une jeunesse aussi distinguée par sa culture intellectuelle que recommandable par ses vertus. Aussi, est-ce avec une extrême sollicitude, il vous est facile de le comprendre, que Nous avons suivi les événements fâcheux, qui ont marqué, en ces derniers temps, l’histoire de l’éducation catholique au Manitoba. C’est Notre volonté et cette volonté Nous est un devoir, de tendre à obtenir et d’obtenir effectivement, par tous les moyens et tous les efforts en Notre pouvoir, que nulle atteinte ne soit portée à la religion, parmi tant de milliers d’âmes dont le salut Nous a été spécialement confié, dans une région surtout qui doit à l’Eglise d’avoir été initiée à la doctrine chrétienne et aux premiers rudiments de la civilisation. Et, comme beaucoup attendaient que Nous Nous prononcions sur la question, et demandaient que Nous leur tracions une ligne de conduite et la marche à suivre, il Nous a plu de ne rien statuer à ce sujet, avant que Notre délégué apostolique fût allé sur place. Chargé de procéder à un examen soigneux de la situation et de Nous faire une relation sur l’état des choses, il a rempli fidèlement et avec zèle le mandat que Nous lui avions confié.
La question qui s’agite est assurément d’une très haute importance et d’une gravité exceptionnelle. Nous voulons parler des décisions prises, il y a sept ans, au sujet des écoles, par le parlement du Manitoba. L’acte d’union à la Confédération avait assuré aux enfants catholiques le droit d’être élevés dans des écoles publiques selon les prescriptions de leur conscience : or, ce droit, le parlement du Manitoba l’a aboli par une loi contraire. C’est une loi nuisible. Car il ne saurait être permis à nos enfants d’aller demander le bienfait de l’instruction à des écoles qui ignorent la religion catholique ou qui la combattent positivement, à des écoles où sa doctrine est méprisée, et ses principes fondamentaux répudiés. Que si l’Eglise l’a permis quelque part, ce n’a été qu’avec peine à son corps défendant, et en entourant les enfants de multiples sauvegardes, qui trop souvent d’ailleurs sont reconnues insuffisantes pour parer au danger. Pareillement, il faut fuir à tout prix, comme très funestes, les écoles où toutes les croyances sont accueillies indifféremment et traitées de pair, comme si, pour ce qui regarde Dieu et les choses divines, il importait peu d’avoir ou non de saines doctrines, d’adopter la vérité ou l’erreur. Vous êtes loin d’ignorer, Vénérables Frères, que toute école de ce genre a été condamnée par l’Eglise, parce qu’il ne se peut rien de plus pernicieux, de plus propre à ruiner l’intégrité de la foi et à détourner les jeunes intelligences du sentier de la vérité.
Il est un autre point sur lequel Nous serons facilement d’accord avec ceux-mêmes qui seraient en dissidence avec Nous pour tout le reste : savoir, que ce n’est pas au moyen d’une instruction purement scientifique, ni de notions vagues et superficielles de la vertu, que les enfants catholiques sortiront jamais de l’école, tels que la patrie les désire et les attend. C’est de choses autrement graves et importantes qu’il les faut nourrir, pour en faire de bons chrétiens, des citoyens probes et honnêtes : leur formation doit résulter de principes, qui, gravés au fond de leur conscience, s’imposent à leur vie comme conséquences naturelles de leur foi et de leur religion. Car sans religion, point d’éducation morale digne de ce nom, ni vraiment efficace : attendu que la nature même et la force de tout devoir dérivent de ces devoirs, spéciaux qui relient l’homme à Dieu, à Dieu qui commande, qui défend, et qui appose une sanction au bien et au mal. C’est pourquoi, vouloir des âmes imbues de bonnes mœurs, et les laisser en même temps dépourvues de religion, c’est chose aussi insensée que d’inviter à la vertu après en avoir ruiné la base. Or, pour le catholique, il n’y a qu’une seule vraie religion, la religion catholique ; et c’est pourquoi, en fait de doctrines, de moralité ou de religion, il n’en peut accepter ni reconnaître aucune qui ne soit puisée aux sources mêmes de l’enseignement catholique.
La justice et la raison exigent donc que nos élèves trouvent dans les écoles non seulement l’instruction scientifique, mais encore des connaissances morales en harmonie, comme Nous l’avons dit, avec les principes de leur religion, connaissances sans lesquelles, loin d’être fructueuses, aucune éducation ne saurait être qu’absolument funeste. De là, la nécessité d’avoir des maîtres catholiques, des livres de lecture et d’enseignement approuvés par les évêques, et d’avoir la liberté d’organiser l’école de façon que l’enseignement y soit en plein accord avec la foi catholique, ainsi qu’avec tous les devoirs qui en découlent. Au reste, de voir dans quelles institutions seront élevés les enfants, quels maîtres seront appelés à leur donner des préceptes de Morale, c’est un droit inhérent à la puissance paternelle. Quand donc les catholiques demandent, et c’est leur devoir de le demander et de le revendiquer, que l’enseignement des maîtres concorde avec la religion de leurs enfants, ils usent de leur droit. Et il ne se pourrait rien de plus injuste que les mettre dans l’alternative, ou de laisser leurs enfants croître dans l’ignorance, ou de les jeter dans un milieu qui constitue un danger manifeste pour les intérêts suprêmes de leurs âmes.
Ces principes de jugement et de conduite, qui reposent sur la vérité et la justice, et qui sont la sauvegarde des intérêts publics autant que privés, il n’est pas permis de les révoquer en doute, ni de les abandonner en aucune façon. Aussi, lorsque la nouvelle loi vint frapper l’éducation catholique dans la province du Manitoba, était-il de votre devoir, Vénérables Frères, de protester ouvertement contre l’injustice et contre le coup qui lui était porté : et la manière dont vous avez rempli ce devoir a été une preuve éclatante de votre commune vigilance, et d’un zèle vraiment digne d’évêques. Et, bien que sur ce point chacun de vous trouve une approbation suffisante dans le témoignage de sa conscience, sachez néanmoins que Nous y ajoutons Notre assentiment et Notre approbation. Car elles sont sacrées, ces choses que vous avez cherché et que vous cherchez encore à protéger et à défendre.
Du reste, les inconvénients de la loi en question avertissaient par eux-mêmes que, pour trouver au mal un adoucissement opportun, il était besoin d’une entente parfaite. Telle était la cause des catholiques, que tous les citoyens droits et honnêtes sans distinction de partis, eussent dû se concerter et s’associer étroitement pour s’en faire des défenseurs. Au grand détriment de cette même cause, c’est le contraire qui est arrivé. Ce qui est plus déplorable encore, c’est que les catholiques canadiens eux-mêmes n’aient pu se concerter pour défendre des intérêts qui importent à un si haut point au bien commun, et dont la grandeur et la gravité devaient imposer silence aux intérêts des partis politiques, qui sont d’ordre bien inférieur.
Nous n’ignorons pas qu’il a été fait quelque chose pour amender la loi. Les hommes qui sont à la tête du gouvernement fédéral et du gouvernement de la province ont déjà pris certaines décisions en vu de diminuer les griefs, d’ailleurs si légitimes, des catholiques du Manitoba. Nous n’avons aucune raison de douter qu’elles n’aient été inspirées par l’amour de l’équité et par une intention louable. Nous ne pouvons toutefois dissimuler la vérité : la loi que l’on a faite, dans un but de réparation, est défectueuse, imparfaite, insuffisante. C’est beaucoup plus que les catholiques demandent et qu’ils ont, personne n’en doute, le droit de demander. En outre, ces tempéraments mêmes que l’on a imaginés ont aussi ce défaut que, par des changements de circonstances locales, ils peuvent facilement manquer leur effet pratique. Pour tout dire en un mot, il n’a pas encore été suffisamment pourvu aux droits des catholiques et à l’éducation de nos enfants au Manitoba. Or, tout demande dans cette question, et en conformité avec la justice, que l’on y pourvoie, pleinement, c’est-à-dire que l’on mette à couvert et en sûreté les principes immuables et sacrés que Nous avons touchés plus haut. C’est à quoi l’on doit viser, c’est le but que l’on doit poursuivre avec zèle et avec prudence. Or, à cela rien de plus contraire que la discorde : il y faut absolument l’union des esprits et l’harmonie de l’action. Toutefois, comme le but que l’on s’est proposé d’atteindre, et que l’on doit atteindre en effet, n’impose pas une ligne de conduite déterminée et exclusive, mais en admet au contraire plusieurs, comme il arrive d’ordinaire en ces sortes de choses, il s’ensuit qu’il peut y avoir sur la marche à suivre une certaine multiplicité d’opinions également bonnes et plausibles. Que nul donc ne perde de vue les règles de la modération, de la douceur, et de la charité fraternelle, que nul n’oublie le respect qu’il doit à autrui : mais que tous pèsent mûrement ce qu’exigent les circonstances, déterminent ce qu’il y a de mieux à faire et le fassent, dans une entente toute cordiale, et non sans avoir pris votre conseil.
Pour ce qui regarde en particulier les catholiques du Manitoba, Nous avons confiance que, Dieu aidant, ils arriveront un jour à obtenir pleine satisfaction. Cette confiance s’appuie surtout sur la bonté de leur cause, ensuite sur l’équité et la sagesse de ceux qui tiennent en main le gouvernement de la chose publique, et enfin sur le bon vouloir de tous les hommes droits du Canada. En attendant, et jusqu’à ce qu’il leur soit donné de faire triompher toutes leurs revendications, qu’ils ne refusent pas des satisfactions partielles. C’est pourquoi, partout où la loi, ou le fait, ou les bonnes dispositions des personnes leur offrent quelques moyens d’atténuer le mal, et d’en éloigner davantage les dangers, il convient tout à fait et il est utile qu’ils en usent et qu’ils en tirent le meilleur parti possible. Partout, au contraire, où le mal n’aurait pas d’autre remède, Nous les exhortons et les conjurons d’y obvier par un redoublement de généreuse libéralité. Ils ne pourront rien faire qui leur soit plus salutaire, à eux-mêmes, ni qui soit plus favorable à la prospérité de leur pays, que de contribuer au maintien de leurs écoles dans toute la mesure de leurs ressources.
Il est un autre point qui appelle encore vos communes sollicitudes. C’est que, par votre autorité, et avec le concours de ceux qui dirigent les établissements d’éducation, on élabore, avec soin et sagesse, tout le programme des études, et que l’on prenne surtout garde de n’admettre, aux fonctions de l’enseignement que des hommes abondamment pourvus de toutes les qualités qu’elles comportent, naturelles et acquises. Il convient en effet, que les écoles catholiques puissent rivaliser avec les plus florissantes, par la bonté des méthodes de formation et par l’éclat de l’enseignement. Au point de vue de la culture intellectuelle et du progrès de la civilisation, on ne peut que trouver beau et noble le dessein conçu par les provinces canadiennes, de développer l’instruction publique, et d’en élever de plus en plus le niveau, et d’en faire ainsi une chose toujours plus haute et plus parfaite. Or, nul genre d’étude, nul progrès du savoir humain qui ne puisse se pleinement harmoniser avec la doctrine catholique.
A expliquer et à défendre tout ce que Nous avons dit jusqu’ici, ceux-la d’entre les catholiques y peuvent puissamment contribuer, qui se sont consacrés aux travaux de la presse, surtout de la presse quotidienne. Qu’ils se souviennent donc de leur devoir .Qu’ils défendent religieusement et avec courage tout ce qui est vérité, droit, intérêts de l’Eglise et de la société : de telle sorte pourtant qu’ils restent dignes, respectueux des personnes, mesurés en toutes choses. Qu’ils soient respectueux et qu’ils aient une scrupuleuse déférence envers l’autorité épiscopale et envers tout pouvoir légitime. Plus les temps sont difficiles, plus est menaçant le danger de division, et plus aussi ils doivent s’étudier à inculquer cette unité de pensées, et d’action, sans laquelle il y a peu ou même point d’espoir d’obtenir jamais ce qui est l’objet de nos communs désirs.
Comme gage des dons célestes et de Notre affection paternelle, recevez la bénédiction apostolique que Nous vous accordons de tout cœur dans le Seigneur, à vous, Vénérables Frères, à votre clergé, et à vos ouailles.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le huitième jour de décembre de l’année 1897, la vingtième de Notre Pontificat.
LÉON XIII, Pape.