Léon XIII

256ᵉ pape ; de 1878 à 1903

8 février 1884

Lettre encyclique Nobilissima gallorum gens

Sur la question religieuse en France

À tous Nos véné­rables Frères les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques du monde catho­lique, en grâce et com­mu­nion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction Apostolique.

La très noble nation fran­çaise, par les grandes choses qu’elle a accom­plies dans la paix et dans la guerre, s’est acquis envers l’Eglise catho­lique des mérites et des titres à une recon­nais­sance immor­telle et à une gloire qui ne s’é­tein­dra pas. Embrassant de bonne heure le chris­tia­nisme à la suite de son roi Clovis, elle eut l’hon­neur d’être appe­lée la fille aînée de l’Eglise, témoi­gnage et récom­pense tout ensemble de sa foi et de sa pié­té. Souvent, dès ces temps recu­lés, Vénérables Frères, Vos ancêtres, dans de grandes et salu­taires entre­prises, ont paru comme les aides de la divine Providence elle-​même. Mais ils ont sur­tout signa­lé leur ver­tu en défen­dant par toute la terre le nom catho­lique, en pro­pa­geant la foi chré­tienne par­mi les nations bar­bares, en déli­vrant et pro­té­geant les saints lieux de la Palestine, au point de rendre à bon droit pro­ver­bial ce mot des vieux temps : Gesta Dei per Francos. Aussi leur est-​il arri­vé, grâce à leur fidèle dévoue­ment à l’Eglise catho­lique, d’en­trer comme en par­tage de ses gloires et de fon­der des œuvres publiques et pri­vées où se mani­feste un admi­rable génie de reli­gion, de bien­fai­sance, de magnanimité.

Les Pontifes romains, Nos pré­dé­ces­seurs, se sont plu à louer ces ver­tus de Vos pères, et, en récom­pense de leurs mérites, à rele­ver le nom fran­çais par de fré­quents éloges. Très hono­rables sont pour Votre nation les témoi­gnages que lui ont ren­dus Innocent III et Grégoire IX, ces lumières écla­tantes de l’Eglise : le pre­mier, dans une lettre adres­sée à l’ar­che­vêque de Reims, disait : Nous avons pour le royaume de France une ami­tié par­ti­cu­lière ; parce que, plus que tous les royaumes de la terre, il a été de tous temps atten­tif et dévoué au Siège Apostolique et à Nous. Le second, dans son épître à saint Louis, affir­mait que, dans le royaume de France, dont aucun mal­heur n’a pu ébran­ler le dévoue­ment à Dieu et à l’Eglise, jamais n’a péri la liber­té ecclé­sias­tique, jamais la foi chré­tienne n’a per­du sa vigueur. Pour conser­ver ces biens, les rois et les peuples de ce pays n’ont même pas hési­té à ver­ser leur sang et s’ex­po­ser aux der­niers périls. Et comme Dieu, Père des peuples, rend dès ce monde aux nations la récom­pense de leurs ver­tus et de leurs belles actions, ain­si a‑t-​il lar­ge­ment dépar­ti aux Français la pros­pé­ri­té, l’hon­neur des armes, les arts de la paix, un nom glo­rieux, un empire puis­sant. Si la France, par­fois oublieuse de ses tra­di­tions et de sa mis­sion, a conçu envers l’Eglise des sen­ti­ments hos­tiles, cepen­dant, par un grand bien­fait de Dieu, elle ne s’est éga­rée ni long­temps, ni tout entière. Et plût à Dieu qu’elle eût échap­pé saine et sauve aux cala­mi­tés enfan­tées, pour le mal­heur de la reli­gion et de l’Etat, en des temps voi­sins des nôtres ! Mais, dès que l’es­prit humain, empoi­son­né par les opi­nions nou­velles, se prit a reje­ter peu à peu l’au­to­ri­té de l’Eglise, enivré d’une liber­té sans frein, on le vit choir là où l’en­traî­nait sa pente natu­relle. A mesure , en effet, que le venin mor­tel des mau­vaises doc­trines péné­tra dans les mœurs, la socié­té en vint à un tel point d’hos­ti­li­té, qu’elle sem­bla vou­loir rompre entiè­re­ment avec les ins­ti­tu­tions chré­tiennes. Les phi­lo­sophes du der­nier siècle contri­buèrent gran­de­ment à déchaî­ner ce fléau sur la France, quand, infa­tués d’une fausse sagesse, ils entre­prirent de ren­ver­ser les fon­de­ments de la véri­té chré­tienne et inven­tèrent un sys­tème bien propre à déve­lop­per encore l’a­mour déjà si ardent pour une liber­té sans règle. Ce tra­vail fut pour­sui­vi par ces hommes, qu’une vio­lente haine des choses divines retient enrô­lés dans des socié­tés cri­mi­nelles et rend chaque jour plus ardem­ment dési­reux d’é­cra­ser le nom chré­tien. Poursuivent-​ils ce des­sein en France avec plus d’a­char­ne­ment qu’en d’autres contrées ? Nul ne peut mieux que Vous en juger, Vénérables Frères.

C’est pour­quoi la cha­ri­té pater­nelle dont Nous entou­rons toutes les nations, de même qu’elle Nous a pous­sé naguère à exhor­ter, par des lettres que Nous leur avons adres­sées, les évêques d’Irlande, d’Espagne et d’Italie, à rap­pe­ler leurs peuples à leur devoir ; ain­si à l’heure pré­sente. Nous sommes déter­mi­né, mû par le même sen­ti­ment, à dire à la France Notre pen­sée et à lui ouvrir Notre cœur.

En effet, les com­plots pré­ci­tés ne nuisent pas seule­ment à la reli­gion, mais ils sont encore funestes et per­ni­cieux à l’Etat. Il est impos­sible, en effet, que la pros­pé­ri­té règne dans une nation où la reli­gion ne garde pas son influence. L’homme perd-​il le res­pect de Dieu ? Aussitôt croule le plus ferme appui de la jus­tice sans laquelle on ne peut bien gérer la chose publique, au juge­ment même des sages du paga­nisme. L’autorité des princes n’au­ra plus dès lors son pres­tige néces­saire ; les lois seront sans force suf­fi­sante. Chacun pré­fé­re­ra l’u­tile à l’hon­nête, les droits per­dront leurs forces, s’ils n’ont d’autre sau­ve­garde que la crainte des châ­ti­ments. Ceux qui com­mandent se lais­se­ront empor­ter faci­le­ment à la tyran­nie, et ceux qui obéissent à la révolte et à la sédi­tion. D’ailleurs, comme il n’y a aucun bien dans les choses, qu’elles ne l’aient reçu de la bon­té divine, toute socié­té humaine qui pré­tend exclure Dieu de sa consti­tu­tion et de son gou­ver­ne­ment refuse, autant qu’il est en elle, le secours des bien­faits divins, et se rend abso­lu­ment indigne de la pro­tec­tion du ciel. Aussi, quelles que soient en appa­rence ses forces et ses richesses, elle porte dans ses entrailles un prin­cipe secret de mort et ne peut espé­rer une longue durée. C’est que, pour les indi­vi­dus, autant il est salu­taire de ser­vir les des­seins de Dieu, autant il est dan­ge­reux de s’en écar­ter ; et d’or­di­naire, on voit les Etats, à mesure qu’ils se montrent plus fidèles à Dieu et à l’Eglise, mon­ter comme natu­rel­le­ment au som­met de la pros­pé­ri­té, et pen­cher vers la déca­dence quand ils s’é­loignent de cette conduite. L’histoire Nous montre dans la suite des siècles ces alter­na­tives et Nous pour­rions en citer des exemples récents dans Votre pays lui-​même, si Nous pre­nions le temps de rap­pe­ler ce qui s’est vu au siècle pas­sé, alors que les foules, empor­tées par l’au­dace de la révolte, ébran­laient jusque dans ses fon­de­ments la France ter­ri­fiée, et enve­lop­paient les choses sacrées et pro­fanes dans une même catastrophe.

Au contraire, il est facile d’é­loi­gner ces causes de ruine en obser­vant les pré­ceptes de la reli­gion catho­lique dans la consti­tu­tion et dans le gou­ver­ne­ment, soit de la famille, soit de l’Etat ; car ils sont admi­ra­ble­ment propres au main­tien de l’ordre public et à la conser­va­tion des sociétés.

Et d’a­bord, en ce qui regarde la famille, il importe sou­ve­rai­ne­ment que les enfants nés de parents chré­tiens soient, de bonne heure, ins­truits des pré­ceptes de la foi, et que l’ins­truc­tion reli­gieuse s’u­nisse à l’é­du­ca­tion, par laquelle on a cou­tume de pré­pa­rer l’homme et de le for­mer dans le pre­mier âge. Séparer l’une de l’autre, c’est vou­loir, en réa­li­té, que, lors­qu’il s’a­git des devoirs envers Dieu, l’en­fance reste neutre ; sys­tème men­son­ger, sys­tème par-​dessus tout désas­treux dans un âge aus­si tendre, puis­qu’il ouvre, dans les âmes, la porte de l’a­théisme et la ferme à la reli­gion. Il faut abso­lu­ment que les pères et mères dignes de ce nom veillent à ce que leurs enfants, par­ve­nus à l’âge d’ap­prendre, reçoivent l’en­sei­gne­ment reli­gieux, et ne ren­contrent dans l’é­cole rien qui blesse la foi ou la pure­té des mœurs. Cette sol­li­ci­tude pour l’é­du­ca­tion de leurs enfants, c’est la loi divine, de concert avec la loi natu­relle, qui l’im­pose aux parents ; et rien ne sau­rait les en dis­pen­ser. L’Eglise gar­dienne et ven­ge­resse de l’in­té­gri­té de la foi, et qui, en ver­tu de la mis­sion qu’elle a reçue de Dieu, son auteur, doit appe­ler à la véri­té chré­tienne toutes les nations et sur­veiller avec soin les ensei­gne­ments don­nés à la jeu­nesse pla­cée sous son auto­ri­té, l’Eglise a tou­jours condam­né ouver­te­ment les écoles appe­lées mixtes ou neutres, et a maintes fois aver­ti les pères de famille, afin que, sur ce point si impor­tant, ils demeu­rassent tou­jours vigi­lants, tou­jours sur leurs gardes. Obéir ici à l’Eglise, c’est faire œuvre d’in­té­rêt social, et pour­voir excel­lem­ment au salut com­mun. En effet, ceux dont la pre­mière édu­ca­tion n’a pas res­sen­ti l’in­fluence de la reli­gion gran­dissent sans avoir aucune notion des plus hautes véri­tés, de celles qui peuvent seules entre­te­nir dans l’homme l’a­mour de la ver­tu et l’ai­der à domi­ner ses pas­sions mau­vaises. Telles sont les notions qui affirment un Dieu créa­teur, juge et ven­geur, les récom­penses et les châ­ti­ments de la vie future, les secours célestes que Jésus-​Christ Nous offre pour l’ac­com­plis­se­ment conscien­cieux et saint de tous Nos devoirs. Sans cet ensei­gne­ment, toute culture des intel­li­gences res­te­ra une culture mal­saine. Des jeunes gens, aux­quels on n’au­ra point ins­pi­ré la crainte de Dieu, ne pour­ront sup­por­ter aucune des règles des­quelles dépend l’hon­nê­te­té de la vie ; ne sachant rien refu­ser à leurs pas­sions, ils se lais­se­ront faci­le­ment entraî­ner à jeter le trouble dans l’Etat.

Considérons main­te­nant les vrais et salu­taires rap­ports éta­blis entre l’au­to­ri­té spi­ri­tuelle et l’au­to­ri­té tem­po­relle par un échange réci­proque des droits et des devoirs. De même qu’il y a ici-​bas deux grandes socié­tés : la socié­té civile, qui a pour fin pro­chaine de pro­cu­rer au genre humain les biens de l’ordre tem­po­rel et ter­restre, et la socié­té reli­gieuse, dont le but est de conduire les hommes au vrai bon­heur, à cette éter­nelle féli­ci­té du ciel pour laquelle ils ont été créés, de même il y a deux puis­sances, sou­mises l’une et l’autre à la loi natu­relle et éter­nelle, et char­gées de pour­voir, cha­cune dans sa sphère, aux choses sou­mises à leur empire. Mais toutes les fois qu’il s’a­git de régler ce qui, à des titres divers et pour des motifs divers aus­si, inté­resse les deux pou­voirs, le bien public demande et exige qu’un accord s’é­ta­blisse entre eux. Que cet accord vienne à dis­pa­raître, aus­si­tôt se pro­duit une sorte d’in­quié­tude et d’ins­ta­bi­li­té qui ne peut se conci­lier avec la sécu­ri­té de l’Eglise, ni avec celle de l’Etat, et voi­là pour­quoi, lors­qu’un ordre de choses a été publi­que­ment éta­bli au moyen de conven­tions entre la puis­sance ecclé­sias­tique et la puis­sance civile, l’in­té­rêt public, non moins que l’é­qui­té, exige que l’ac­cord demeure entier ; car si des deux côtés on se rend de mutuels ser­vices, des deux côtés aus­si on recueille le béné­fice de cette entente réciproque.

En France, au com­men­ce­ment de ce siècle, au sor­tir des grandes agi­ta­tions et du régime de la Terreur, les chefs du gou­ver­ne­ment eux-​mêmes com­prirent que le meilleur moyen de rele­ver la socié­té fati­guée de tant de ruines était de réta­blir la reli­gion catho­lique. En pré­vi­sion des avan­tages futurs, Pie VII, Notre pré­dé­ces­seur, se prê­ta aux dési­rs du pre­mier consul, pous­sant la condes­cen­dance et l’in­dul­gence aus­si loin que le devoir de sa charge le lui per­mit. On convint des points prin­ci­paux, on posa des fon­de­ments et on ouvrit une voie sûre au réta­blis­se­ment de la reli­gion et à son affer­mis­se­ment pro­gres­sif. Et, en effet, de cette époque et dans la suite, plu­sieurs mesures que conseillait la pru­dence furent adop­tées pour la sûre­té et l’hon­neur de l’Eglise. Il en résulte de grands avan­tages, d’au­tant plus appré­ciables qu’en France, les inté­rêts reli­gieux étaient aupa­ra­vant plus com­pro­mis et presque déses­pé­rés. La digni­té de la reli­gion fut de nou­veau publi­que­ment hono­rée, et les ins­ti­tu­tions chré­tiennes reprirent vie. Mais, en même temps, la patrie recueillit de ce fait seul de mer­veilleux avan­tages. Sortant à peine des agi­ta­tions de la tem­pête, dans son ardent désir de fon­der soli­de­ment la tran­quilli­té et l’ordre de l’Etat, elle com­prit que la reli­gion catho­lique lui offrait heu­reu­se­ment ces avan­tages, et la pen­sée d’un Concordat fut alors celle d’un sage poli­tique, habile à pour­voir au bien public. A défaut donc d’autres rai­sons, il suf­fi­rait aujourd’­hui, pour main­te­nir la paix, des motifs qui l’ont autre­fois fait conclure. Car, dans cette ardeur géné­rale qui pousse aux nou­veau­tés de toute sorte, dans cette attente inquiète d’un ave­nir incon­nu, c’est com­mettre une capi­tale impru­dence que de semer les germes de dis­corde entre les deux pou­voirs et de mettre obs­tacle à la bien­fai­sante action de l’Eglise.

Et pour­tant, en ces der­niers temps, Nous voyons avec anxié­té appa­raître ce péril ; car il y a déjà des actes et d’autres se pré­parent, oppo­sés au bien de l’Eglise, tan­dis que des enne­mis de la reli­gion s’a­charnent à rendre le catho­li­cisme sus­pect et odieux, en le signa­lant comme l’en­ne­mi de l’Etat. Le des­sein de ceux qui aspirent à la sépa­ra­tion de l’Eglise et de l’Etat, et veulent rompre tôt ou tard l’ac­cord salu­taire et léga­le­ment conclu avec le Siège Apostolique, ne Nous cause pas moins de sol­li­ci­tude et d’angoisse.

Dans ces cir­cons­tances. Nous n’a­vons, de Notre côté, rien omis de ce que les temps sem­blaient récla­mer. Nous avons ordon­né, aus­si sou­vent qu’il le parût néces­saire à Notre Nonce apos­to­lique, de por­ter des récla­ma­tions et ceux qui gou­vernent la chose publique ont attes­té les rece­voir avec des dis­po­si­tions équi­tables. Nous-​même, quand fut por­té le décret d e sup­pres­sion des com­mu­nau­tés reli­gieuses , Nous avons expri­mé nos sen­ti­ments dans une lettre adres­sée à Notre cher fils le car­di­nal de la Sainte Eglise Romaine, arche­vêque de Paris. De plus, au mois de juin der­nier, écri­vant au Président de la République, Nous avons déplo­ré toutes les autres entre­prises nui­sibles au salut des âmes et lésant les droits de l’Eglise, Nous l’a­vons fait, pres­sé autant par la sain­te­té et la gran­deur des obli­ga­tions de Notre charge apos­to­lique, que par Notre ardent désir de conser­ver en France saint et invio­lable l’an­tique héri­tage de la reli­gion. Dans cette pen­sée, et avec la même constance, Nous sommes réso­lu à.défendre tou­jours à l’a­ve­nir les inté­rêts catho­liques en France. Dans l’ac­com­plis­se­ment de ce devoir que la jus­tice Nous impose, Vous avez tou­jours été, Vénérables Frères, Nos cou­ra­geux coopé­ra­teurs. Car, réduits à déplo­rer le sort des reli­gieux, Vous avez fait du moins ce qui était en Votre pou­voir ; Vous n’a­vez pas aban­don­né à leur épreuve, sans les défendre, ces hommes qui avaient aus­si bien méri­té de l’Etat et de l’Eglise. Et main­te­nant, autant que les lois le per­mettent, Vos plus grandes sol­li­ci­tudes et toutes Vos pen­sées se portent à pro­cu­rer à la jeu­nesse une bonne édu­ca­tion ; et quant aux pro­jets for­més par plu­sieurs contre l’Eglise, Vous n’a­vez pas omis de mon­trer com­bien ils sont per­ni­cieux à l’Etat lui-​même. Aussi, per­sonne ne pourra-​t-​il Vous accu­ser d’être ins­pi­rés par des consi­dé­ra­tions humaines, ou d’être hos­tiles au gou­ver­ne­ment éta­bli. Quand il s’a­git, en effet, de l’hon­neur de Dieu, quand le salut des âmes est en péril, c’est Votre devoir de prendre en main la pro­tec­tion et la défense de toutes ces causes.

Continuez donc à rem­plir avec pru­dence et fer­me­té les devoirs de l’é­pis­co­pat, à ensei­gner les pré­ceptes de la doc­trine céleste et à indi­quer à Votre peuple, en ces temps si trou­blés, la voie qu’il doit suivre. Il est néces­saire que Vous ayez tous les mêmes vues et les mêmes des­seins ; et là où l’in­té­rêt est com­mun, una­nime aus­si doit être la manière d’a­gir. Veillez à ce qu’il y ait par­tout des écoles où les enfants soient avec le plus grand soin ins­truits des véri­tés saintes et des devoirs envers Dieu, où ils apprennent à connaître par­fai­te­ment l’Eglise, à écou­ter ses ensei­gne­ments et à se per­sua­der qu’il faut être prêt à souf­frir pour sa cause. Ils sont nom­breux en France les hommes émi­nents qui ont don­né le grand exemple d’af­fron­ter tous les dan­gers et même d’ex­po­ser leur vie pour la foi chré­tienne. En ces temps de bou­le­ver­se­ment que Nous avons rap­pe­lés, on vit des hommes d’une foi invin­cible qui, par leurs ver­tus et au prix de leur sang, sou­tinrent l’hon­neur de leur nation. – Or, de nos jours aus­si, Nous voyons en France la ver­tu demeu­rer ferme, avec l’aide de Dieu, au milieu de mille embûches et de mille périls. Le cler­gé s’ap­plique à tous ses devoirs et avec cette cha­ri­té qui est l’a­pa­nage du sacer­doce, il se montre tou­jours empres­sé et tou­jours ingé­nieux à se dévouer au ser­vice du pro­chain. Les fidèles en grand nombre pro­fessent la foi catho­lique ouver­te­ment et avec cou­rage ; ils témoignent sou­vent et de toutes manières, en riva­li­sant de zèle, leur atta­che­ment au Saint-​Siège ; au prix de grands sacri­fices et de grands efforts, ils pour­voient à l’é­du­ca­tion de la jeu­nesse, et c’est avec une admi­rable géné­ro­si­té qu’ils viennent au secours de toutes les néces­si­tés publiques.

Or, tous ces biens, qui sont d’un heu­reux pré­sage pour la France, il importe, non seule­ment de les conser­ver, mais de les accroître encore à l’aide d’une com­mune ému­la­tion et d’une per­sé­vé­rante acti­vi­té. Avant tout, il faut pour­voir à ce que le cler­gé s’en­ri­chisse de plus en plus d’hommes capables. Que l’au­to­ri­té des évêques soit sacrée pour les prêtres et qu’ils sachent bien que le minis­tère sacer­do­tal, s’il n’est exer­cé sous la direc­tion des évêques, ne sera ni saint, ni plei­ne­ment utile, ni hono­ré. Il faut ensuite que les laïques d’é­lite qui aiment l’Eglise, Notre Mère com­mune, et qui, par leurs paroles et leurs écrits, peuvent uti­le­ment sou­te­nir les droits de la reli­gion catho­lique, mul­ti­plient leurs tra­vaux pour sa défense.

Mais, pour obte­nir ces résul­tats, il faut de toute néces­si­té l’ac­cord des volon­tés et la confor­mi­té d’ac­tion. Nos enne­mis, en effet, ne dési­rent rien tant que les dis­sen­sions entre les catho­liques ; à ceux-​ci de bien com­prendre com­bien il leur importe sou­ve­rai­ne­ment d’é­vi­ter les dis­sen­ti­ments et de se sou­ve­nir de la divine parole : Tout royaume divi­sé contre lui-​même sera déso­lé. Si, pour conser­ver l’u­nion, il est par­fois néces­saire de renon­cer à son sen­ti­ment et à son juge­ment par­ti­cu­lier, qu’on le fasse volon­tiers en vue du bien com­mun. Que les écri­vains n’é­pargnent aucun effort pour conser­ver en toutes choses cette concorde des esprits ; que cha­cun pré­fère l’in­té­rêt de tous à son propre avan­tage ; qu’ils sou­tiennent les œuvres com­men­cées pour le bien com­mun ; que leur règle soit de se sou­mettre avec pié­té filiale aux évêques que l’Esprit-​Saint a posés pour régir l’Eglise de Dieu ; qu’ils res­pectent leur auto­ri­té, et qu’ils n’en­tre­prennent rien sans leur volon­té ; car, dans les com­bats pour la reli­gion, ils sont les chefs qu’il faut suivre.

Enfin, selon la cou­tume tou­jours sui­vie par l’Eglise dans les cir­cons­tances dif­fi­ciles, que tout le peuple fidèle, exci­té par vos soins, ne cesse d’a­dres­ser à Dieu des prières, de le conju­rer d’a­bais­ser ses regards sur la France et de lais­ser sa misé­ri­corde l’emporter sur son cour­roux. La licence de la parole et de la presse a outra­gé bien des fois la majes­té divine. Il est des hommes qui, non seule­ment se montrent ingrats envers le Sauveur du monde Jésus-​Christ et répu­dient ses bien­faits, mais aus­si qui vont se faire gloire de ne plus croire même à l’exis­tence de Dieu. C’est aux catho­liques sur­tout qu’il convient de répa­rer par un grand esprit de foi et de pié­té ces éga­re­ments de l’es­prit et de l’ac­tion, et d’at­tes­ter publi­que­ment qu’ils n’ont rien plus à cœur que la gloire de Dieu, rien de plus cher que la reli­gion de leurs ancêtres. Que ceux-​là sur­tout qui sont plus étroi­te­ment liés à Dieu, dont la vie s’é­coule dans les cloîtres, s’ex­citent à une cha­ri­té tou­jours gran­dis­sante et s’ef­forcent par leur humble prière, leurs sacri­fices volon­taires et l’of­frande d’eux-​mêmes, de nous rendre le Seigneur favo­rable. Il arri­ve­ra ain­si, Nous en avons la confiance, que par le secours de la divine misé­ri­corde, les éga­rés revien­dront de leurs erreurs, et que le nom fran­çais repren­dra son antique grandeur.

En tout ce que Nous avons dit jus­qu’i­ci , Vénérables Frères, recon­nais­sez l’a­mour pater­nel et l’af­fec­tion pro­fonde dont Nous entou­rons la France tout entière. Aussi, Nous ne dou­tons pas que ce témoi­gnage de Notre très vif inté­rêt pour Vous ne soit propre à for­ti­fier et à res­ser­rer les liens de la salu­taire union qui existe entre la France et le Siège Apostolique, union qui, en tous les temps, a été pour l’une et l’autre la source d’a­van­tages nom­breux et consi­dé­rables. Dans cette pen­sée, et avec joie, Vénérables Frères, Nous sou­hai­tons à Vous et à Vos fidèles la plus grande abon­dance des biens célestes, et comme gage de témoi­gnage de Notre par­ti­cu­lière bien­veillance pour Vous et la France entière, Nous Vous accor­dons volon­tiers la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 8 février de l’an­née 1884, sixième année de Notre Pontificat.

LÉON XIII, Pape