Clément XIII

248ᵉ Pape ; de 1758 à 1769

14 juin 1761

Lettre encyclique In Dominico agro

Sur le discours que doivent tenir les évêques et l’utilisation du catéchisme du concile de Trente

Aux Vénérables Frères Patriarches, Primats, Archevêques et Évêques,

Clément XIII, Pape,

Vénérables frères, Salut et béné­dic­tion apostolique

Dans la culture du champ du Seigneur, auquel la pro­vi­dence divine nous a assi­gnés, rien n’exige un soin aus­si vigi­lant et une acti­vi­té aus­si per­sé­vé­rante que la garde du bon grain semé, c’est-à-dire de la doc­trine catho­lique confiée par le Christ Jésus aux Apôtres et qui nous a été livrée. Si on néglige cela par paresse ou paresse inerte, pen­dant que les ouvriers dorment, l’ennemi du genre humain y sème de la mau­vaise herbe ; aus­si arrive-​t-​il qu’au moment de la mois­son, au lieu de trou­ver ce qui doit être mis dans les gre­niers, on trouve ce qui doit être brû­lé dans les flammes.

Défendre la foi une fois livrée aux saints, Nous sommes ardem­ment exhor­tés par le très bien­heu­reux Paul, qui écrit à Timothée de gar­der le bon dépôt (2 Tm 1, 14), car des temps périlleux nous attendent, puisqu’il se trouve dans l’Église des hommes mau­vais et des séduc­teurs, par les­quels le ten­ta­teur insi­dieux cherche à souiller les esprits impru­dents par ces erreurs, enne­mies de la véri­té de l’Évangile.

2. Car si, comme cela arrive sou­vent, dans l’Église de Dieu, des idées ten­dan­cieuses cherchent à faire leur che­min, dans les­quelles, bien qu’opposées les unes aux autres, elles coïn­cident en cela seule­ment qu’elles menacent d’une manière ou d’une autre la pure­té de la foi catho­lique, alors, en effet, il est très dif­fi­cile, en nous gar­dant entre l’un et l’autre enne­mi, de cali­brer notre dis­cours de telle sorte que nous ayons l’air de ne tour­ner le dos à aucun d’entre eux, mais au contraire d’avoir évi­té et condam­né éga­le­ment l’un et l’autre enne­mi du Christ. Il arrive par­fois que faci­le­ment un men­songe dia­bo­lique, avec une cer­taine appa­rence de véri­té, soit recou­vert de men­songes colo­rés, tan­dis que l’efficacité des sen­tences est cor­rom­pue par un ajout ou un chan­ge­ment très bref, de sorte que le témoi­gnage qui a appor­té le salut, par­fois avec une tran­si­tion sub­tile conduit à la mort.

3. C’est pour­quoi, de ces che­mins glis­sants et étroits, sur les­quels il est dif­fi­cile de mar­cher ou d’entrer sans tom­ber, il faut éloi­gner les fidèles, et sur­tout ceux qui ont une intel­li­gence plus rude et plus simple : il ne faut pas conduire les bre­bis aux pâtu­rages par des che­mins impra­ti­cables, ni leur pro­po­ser cer­taines opi­nions sin­gu­lières, même par des doc­teurs catho­liques ; mais il faut leur ensei­gner la par­tie la plus cer­taine de la véri­té catho­lique, la tota­li­té de la doc­trine, la tra­di­tion­nelle, celle sur laquelle il y a consen­sus. En outre, puisque le peuple ne peut pas gra­vir la mon­tagne (Ex 19, 12) sur laquelle est des­cen­due la gloire du Seigneur, et qu’il péri­rait s’il ten­tait d’en vio­ler les limites pour la contem­pler, les doc­teurs doivent fixer les limites d’un cir­cuit au peuple, afin que le dis­cours ne dépasse pas les choses néces­saires ou du moins très utiles au salut, et que les fidèles obéissent à la sug­ges­tion de l’Apôtre : « Ne vou­lez pas savoir plus qu’il n’est néces­saire, mais sachez-​en assez » (Rm 12, 3).

4. Les Pontifes romains Nos pré­dé­ces­seurs, le sachant par­fai­te­ment, ont mis tous leurs efforts pour écra­ser non seule­ment avec le glaive de l’anathème les germes empoi­son­nés des erreurs dès leur nais­sance, mais aus­si pour ampu­ter cer­taines idées effer­ves­centes qui, peut-​être par excès, empê­chaient dans le peuple chré­tien une plus géné­reuse fécon­di­té de la foi, ou pou­vaient nuire aux âmes des fidèles par une trop grande proxi­mi­té avec l’erreur. C’est pour­quoi, après la condam­na­tion par le Concile de Trente des héré­sies qui avaient alors cher­ché à ter­nir la splen­deur de l’Église, et la mise en lumière de la véri­té catho­lique, ayant en quelque sorte ban­ni le brouillard de l’erreur ; Nos Prédécesseurs eux-​mêmes, ayant com­pris que cette assem­blée sacrée de l’Église uni­ver­selle avait usé d’une si pru­dente sagesse et d’une telle dis­cré­tion en s’abstenant de réprou­ver les opi­nions fon­dées sur l’autorité des doc­teurs de l’Église ; selon la pen­sée du même concile sacré, ils ont vou­lu don­ner la main à un autre ouvrage qui com­pren­drait toute la doc­trine sur laquelle il était oppor­tun que les fidèles fussent ins­truits, et qui serait abso­lu­ment éloi­gné de toute erreur. Ils ont divul­gué, impri­mé, un livre inti­tu­lé Catéchisme romain, et pour cela ils méritent un double éloge. Car ils y expo­saient la doc­trine com­mune à l’Église et éloi­gnée de tout dan­ger ; et ils se pro­po­saient, en paroles élo­quentes, de la faire connaître au peuple, obéis­sant ain­si au pré­cepte du Christ Seigneur, qui a ordon­né aux apôtres de répandre dans la lumière (Mt 10, 27) ce qu’il avait dit dans les ténèbres, et ce qu’ils avaient enten­du d’une oreille, ils devaient le prê­cher sur les toits, fidèles à l’Église épouse, selon l’expression : « Dis-​moi où tu te reposes en plein midi » (Ct 1, 6). Car là où il n’y a pas de midi, et où donc la lumière n’est pas si claire que la véri­té soit ouver­te­ment connue, faci­le­ment à sa place le faux est reçu à cause d’une cer­taine vrai­sem­blance, qui dans l’obscurité est à peine dis­cer­née du vrai. Car ils savaient qu’il y avait eu aupa­ra­vant, et qu’il y aurait à l’avenir, ceux qui pou­vaient invi­ter les ber­gers et pro­mettre des pâtu­rages plus abon­dants de sagesse et de connais­sance : vers ceux-​ci, beau­coup afflue­raient, car les eaux fur­tives sont plus douces et le pain caché est plus doux (Pr 9, 17).

C’est pour­quoi, afin que l’Église séduite n’erre pas à la suite de trou­peaux de com­plices, eux-​mêmes errants, dépour­vus de toute cer­ti­tude de véri­té, dis­cou­rant sans cesse (2 Tm 3, 7) et n’arrivant jamais à la connais­sance de la véri­té, ils pro­po­sèrent que seul ce qui était néces­saire et suprê­me­ment utile au salut soit expli­qué et livré de manière claire et trans­pa­rente au peuple chrétien.

5. En véri­té, l’amour de la nou­veau­té a nui à ce livre pré­pa­ré avec un tra­vail et un zèle non indif­fé­rents, approu­vé d’un com­mun accord et reçu avec les plus grands éloges en ces temps des mains des pas­teurs : d’autres caté­chismes sans com­mune mesure avec le romain ont été exal­tés. Il en résul­ta deux maux : dans l’enseignement même, que le consen­sus fut presque enle­vé, et qu’un cer­tain scan­dale s’offrit aux pusil­la­nimes, au point qu’il ne leur sem­bla pas être sur la même face de la terre (Gn 11, 1) et avec le même lan­gage ; et en second lieu, que des dis­putes sur­girent des dif­fé­rentes manières d’enseigner la véri­té catho­lique ; de l’émulation, tan­dis que l’un se dit dis­ciple d’Apollon, l’autre de Céphas, l’autre de Paul, sur­girent des divi­sions d’âmes et de grandes dis­sen­sions. Nous croyons que rien n’est plus nui­sible à la gloire de Dieu que la gros­siè­re­té de ces dis­sen­sions, rien n’est plus rui­neux pour empê­cher les fidèles de récol­ter les fruits qu’ils pour­raient jus­te­ment obte­nir de la dis­ci­pline chré­tienne. Enfin, pour écar­ter de l’Église ce double mal, nous avons jugé oppor­tun de reve­nir là où cer­tains, par des conseils impru­dents, gui­dés par l’orgueil, se van­tant d’être les plus sages de l’Église, avaient pré­ci­sé­ment détour­né le peuple fidèle. Nous avons pen­sé qu’il était oppor­tun de pro­po­ser à nou­veau aux Pasteurs des âmes le même Catéchisme romain, afin que l’esprit des fidèles soit détour­né autant que pos­sible, dès main­te­nant, des idées nou­velles non sou­te­nues par le consen­sus ou la tra­di­tion, et soit cor­ro­bo­ré dans ce qui est la foi catho­lique et dans la doc­trine de l’Église, qui est la colonne de la véri­té (1 Tm 3, 15). Afin qu’il soit plus facile de faire amen­der le livre des défauts qu’il avait contrac­tés par le tra­vail, nous avons déci­dé qu’il serait réim­pri­mé avec la plus grande dili­gence dans la ville suprême de Rome, à l’exemple de ce que Notre Prédécesseur saint Pie V a divul­gué par décret du Concile de Trente ; le texte qui, par ordre du même saint Pie, a été tra­duit en langue ver­na­cu­laire et impri­mé, sera bien­tôt publié de nou­veau par ordre de Nous.

6. Il est donc de votre devoir, Vénérables Frères, de veiller à ce que, dans la période actuelle la plus dif­fi­cile de la chré­tien­té, ce livre soit reçu par les fidèles comme une aide très oppor­tune, offerte par Notre soin et Notre dili­gence, pour écar­ter les trom­pe­ries des fausses opi­nions et pour pro­pa­ger et ren­for­cer la vraie et sainte doc­trine. C’est pour­quoi, Vénérables Frères, nous vous recom­man­dons ce livre, comme règle de la foi catho­lique et de la dis­ci­pline chré­tienne, parce que, même dans la manière de rap­por­ter la doc­trine, le consen­te­ment de tous les Pontifes romains y figure : nous vous exhor­tons ins­tam­ment dans le Seigneur à ordon­ner qu’il soit uti­li­sé par tous ceux qui ont le sou­ci des âmes pour ensei­gner la véri­té catho­lique au peuple, afin que soient pré­ser­vées l’unité du savoir, la cha­ri­té et la concorde des âmes. C’est à vous de veiller à la tran­quilli­té de tous : ce sont les devoirs de l’évêque, qui doit donc avoir les yeux vigi­lants pour évi­ter que quelqu’un, agis­sant super­be­ment pour sa propre gloire, ne pro­voque des schismes, après avoir bri­sé la struc­ture de l’unité.

7. Ces livres ne por­te­ront cer­tai­ne­ment aucun fruit utile, ou très peu, si ceux qui doivent les pré­sen­ter et les expli­quer aux audi­teurs sont inaptes à l’enseignement. Il est donc très impor­tant que, pour cette tâche d’enseigner la doc­trine chré­tienne au peuple, vous choi­sis­siez des hommes qui ne soient pas seule­ment dotés de la connais­sance des choses sacrées, mais bien plus encore d’humilité et de zèle pour la sanc­ti­fi­ca­tion des âmes, et ardents de cha­ri­té. Car toute dis­ci­pline chré­tienne ne consiste pas dans une élo­quence abon­dante, ni dans l’astuce de la dis­pute, ni dans l’appétit de la louange et de la gloire, mais dans une humi­li­té véri­table et volon­taire. Il y en a, en effet, qui, tout en s’élevant, se séparent de la com­mu­nau­té des autres ; et plus ils savent, plus ils manquent de la ver­tu de la concorde : ils sont aver­tis par la sagesse elle-​même, par la parole de Dieu : « Ayez la paix entre vous » (Mc 9, 49) ; car tel est le sel de la sagesse, qui per­met de pro­té­ger l’amour du pro­chain et de tem­pé­rer la fai­blesse. S’ils sont ani­més par le zèle de la sagesse et qu’ils sont détour­nés du sou­ci du pro­chain et orien­tés vers la dis­corde, ils ont un sel sans paix, non pas un don de la ver­tu, mais une cause de dam­na­tion ; plus ils savent, plus ils pèchent. Plus ils savent, plus ils pèchent. La phrase de l’Apôtre Jacques les condamne vrai­ment en ces termes : « Si vous avez d’âpres riva­li­tés, et que la que­relle habite dans vos cœurs, ne vous van­tez pas d’être adeptes de la véri­té ; car cette sagesse ne vient pas d’en haut, mais elle est ter­restre, ani­male, dia­bo­lique » (Jc 3, 14) : car là où il y a de l’envie et de la que­relle, il y a de l’inconstance et toute œuvre mau­vaise. Mais la sagesse qui vient d’en haut est d’abord dis­crète, donc pai­sible, modeste, docile, consen­tante dans le bien, pleine de misé­ri­corde et de bons fruits, non hyper­cri­tique, sans émulation.

8. C’est pour­quoi nous prions Dieu, avec humi­li­té de cœur et l’âme en peine, d’accorder l’indulgence à notre dili­gence et à nos efforts, et l’abondance de la misé­ri­corde, afin que les dis­sen­sions ne troublent pas le peuple fidèle, et que, dans le lien de la paix et de la cha­ri­té d’esprit, nous puis­sions tous connaître, louer et glo­ri­fier un seul Dieu et Notre Seigneur Jésus-​Christ, nous vous saluons, Vénérables Frères, par le saint bai­ser A vous tous, ain­si qu’à tous les fidèles de vos Églises, nous don­nons avec une grande affec­tion la Bénédiction Apostolique.

Donné à Castel Gandolfo, le 14 juin 1761, en la troi­sième année de Notre Pontificat.

31 mai 1954
Sur l'exemple de saint Pie X et le pouvoir de magistère exercé par l'évêque dans la fidélité à la foi
  • Pie XII