C’est avec une véritable satisfaction que j’accueille les sentiments et les protestations de dévouement et de respect qu’en votre nom et au nom de vos collègues vous avez déclaré professer envers le Siège apostolique. Ces sentiments me sont d’autant plus chers qu’ils sont exprimés par des jeunes gens qui, se consacrant à l’étude pour atteindre le but auquel ils visent et qui est la science vraie, déclarent suivre la doctrine catholique, reconnaissent la nécessite d’unir dans une sainte alliance ces deux filles d’un même Père, la raison et la foi, par lesquelles nous vivons tous. Ce sont deux astres qui brillent au ciel de notre âme, deux forces qui sont le principe et la fin de notre grandeur, deux ailes qui nous élèvent à la connaissance de toute la vérité, en un mot, la raison qui est l’œil de l’homme voyant avec le secours de l’œil divin qui est la foi. Aussi est-ce une douce consolation pour moi de vous voir, chers jeunes gens, vous qui représentez l’âge des nobles sentiments, des actions généreuses et des victoires brillantes, et moi, en ma qualité de représentant de Jésus-Christ, qui faisait ses délices de la jeunesse, comme autrefois il regardait un jeune homme — intuitus eum dilexit eum ; [1] —, ainsi, en vous regardant, j’éprouve le besoin de vous dire que je vous aime, que j’apprécie votre vertu et que vous devez me considérer non seulement comme un père, mais comme un fière et un ami tendre.
C’est pourquoi je fais miennes les paroles du plus jeune des apôtres, du préféré du divin Rédempteur, qui écrivit aux jeunes gens : Scribo vobis, juvenes, quoniam fortes estis et verbum Domini manet in vobis, et vicistis malignum. [2]
Soyez forts pour garder et défendre votre foi, alors que tant d’hommes la combattent et la perdent ; soyez forts pour conserver en vous la parole de Dieu et pour la manifester dans vos œuvres, quand tant de gens l’ont bannie de leur âme ; soyez forts pour acquérir la véritable science et pour vaincre les obstacles que vous rencontrerez dans l’action pour le bien de vos frères.
Ne craignez pas que l’on veuille vous imposer de grands sacrifices, vous interdire les divertissements honnêtes ; on veut seulement rendre vraiment précieux votre âge, qui est l’âge des belles espérances, faire vraiment magnifique votre carrière, de manière à vous permettre, à l’automne de la vie, de cueillir des fruits abondants dont les fleurs de votre printemps sont un présage ; je vous recommande seulement d’être forts pour demeurer les fils dévoués de l’Eglise de Jésus-Christ, alors qu’il en est tant, hélas ! qui, sans peut-être le savoir, se montrent rebelles, parce que le premier et le plus grand critérium de la foi, la règle suprême et inébranlable de l’orthodoxie est l’obéissance au magistère toujours vivant et infaillible de l’Eglise, établie par le Christ columna et firmamentum veritatis, la colonne et le soutien de la vérité.
Jésus-Christ, qui connaissait notre faiblesse, qui était venu en ce monde pour évangéliser surtout les humbles, a choisi pour la diffusion du christianisme un moyen très simple, adapté à la capacité de tous et à tous les temps ; un moyen qui ne demande ni érudition, ni recherches, ni culture, ni raisonnement, mais seulement de bonnes oreilles pour entendre et un bon cœur pour obéir. C’est pourquoi saint Paul dit : Fides ex auditu [3], la foi vient non par les yeux, mais par les oreilles, par le magistère vivant de l’Eglise, société visible composée de maîtres et de disciples, d’administrateurs et de sujets, de pasteurs, de brebis et d’agneaux. Jésus-Christ lui-même a enjoint à ses disciples d’écouter les leçons des maîtres ; aux sujets de vivre soumis à leurs chefs ; aux brebis et aux agneaux, de marcher docilement derrière leurs pasteurs ; aux bergers, aux gouvernants et aux maîtres, il a dit : Docete omnes gentes [4]. Spiritus veritatis docebit vos omnem veritatem [5]. Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem sæculi [6].
Par là, vous voyez combien sont éloignés de leur route ces catholiques qui, se targuant de critique historique et philosophique et de l’esprit de discussion qui a tout envahi, mettent en avant même la question religieuse en insinuant que nous devons, avec l’étude et les recherches, nous former une conscience religieuse conforme à notre époque, ou, comme ils disent, moderne. Et ainsi, avec un système de sophismes et d’erreurs, ils falsifient le concept de l’obéissance enseignée par l’Eglise ; ils s’arrogent le droit de juger les actes de l’autorité et vont jusqu’à la bafouer ; ils s’attribuent une mission qu’ils ne tiennent ni de Dieu ni d’aucune autorité pour imposer des réformes ; ils limitent l’obéissance aux seuls actes extérieurs, si même ils ne résistent pas et ne se révoltent contre cette autorité, opposant le jugement erroné de quelque personne sans compétence sérieuse, ou de leur conscience privée, trompée par de vaines subtilités, au jugement et au commandement de celui qui, par mandat divin, est juge, maître et pasteur légitime.
Eh ! chers jeunes gens, écoutez la parole de qui vous aime vraiment ; ne vous laissez pas séduire par certaines apparences, mais soyez forts pour résister aux erreurs et aux flatteries, et vous serez préservés.
C’est donc, dira-t-on, que l’Eglise officielle veut l’ignorance, empêche le développement des études religieuses, que la discipline intolérable impose le silence. Non, non, chers jeunes gens, l’Eglise, représentant Jésus-Christ, prêche toujours avec les mêmes paroles qu’il adressait aux Juifs : Mea doctrina non est mea, sed ejus qui misit me ; [7] et il ajoute : Si quis voluerit voluntatem ejus facere, cognoscet de doctrina utrum ex Deo sit, an ego a meipso loquar [8]. C’est pourquoi l’Eglise a toujours honoré non seulement les premiers Pères et Docteurs, mais aussi les écrivains de tous les temps qui ont étudié et publié des œuvres pour répandre la vérité, pour la défendre des attaques des incrédules et pour mettre en valeur la pleine harmonie de la foi et de la raison.
Pour raisonner votre foi, étudiez les œuvres de ces hommes éminents que l’Eglise a toujours honorés et honore actuellement, apologistes insignes de la religion, et ne vous laissez pas surprendre par ces nouveaux réformateurs. Le monde, lui, peut les appeler des intelligences supérieures, des génies puissants, des consciences droites, des esprits brillants, soit ; mais Jésus les a tous jugés par cette sentence : « Qui a semetipso loquitur gloriam propriam quærit ; qui autem quærit gloriam ejus qui misit eum hic verax est, et injustitia in illo non est : Quiconque parle de son propre mouvement recherche sa propre gloire ; seul est véridique et digne de foi celui-là qui recherche la gloire de qui l’a envoyé et est incapable de trahir ses auditeurs. » (Jn 7, 18) Ne vous laissez pas tromper par les subtiles déclarations d’autres qui ne cessent de prétendre vouloir être avec l’Eglise, aimer l’Eglise, combattre pour que le peuple ne s’éloigne pas d’elle, travailler pour que l’Eglise, comprenant son époque, se rattache au peuple et le reconquière. Mais jugez-les d’après leurs œuvres. S’ils maltraitent et méprisent les pasteurs de l’Eglise et même le Pape, s’ils essayent tous les moyens de se soustraire à leur autorité pour éluder leurs directions et leurs avis, s’ils ne craignent pas de lever l’étendard de la révolte, de quelle Eglise ces hommes entendent-ils parler ? Non, certes, de celle établie super fundamentum Apostolorum et prophetarum, ipso summo angulari lapide Christo Jesu [9] ; aussi devons-nous avoir toujours présent à l’esprit l’avis de saint Paul aux Galates : « Si nous-même ou si un ange du ciel vous enseignait un autre Evangile que celui que nous vous avons enseigné, qu’il soit anathème. » (Ga 1, 8)
Vous rencontrerez, et malheureusement trop souvent, de ces apôtres d’un nouveau genre, parce qu’il est impossible que les scandales cessent dans le monde, étant donné l’orgueil de l’intelligence où la corruption des cœurs. Necesse est, a dit le Christ, ut veniant scandala [10], et Dieu le permet et le tolère pour éprouver la fidélité et la constance des justes. Mais, en face de ces scandales si douloureux, ne vous effrayez pas, ne vous découragez pas, mais, plaignant ces pauvres aveugles qui, dans leur ignorance ou leur perversité, et tout en se croyant sages, stulti facti sunt [11], et, priant pour eux, afin que le Seigneur les éclaire et les fasse revenir au bercail délaissé à tort, soyez, vous, forts et fidèles à vos promesses ; vous trouverez dans votre Société l’aide nécessaire pour échapper aux dangers qui vous entourent, et, en servant les intérêts de la religion, vous trouverez là votre vrai bien.
Et afin que mes exhortations puissent être entendues et mes désirs pleinement réalisés, je demande au ciel de répandre en abondance sur vous les faveurs divines ; qu’elle soit un gage de ces faveurs et aussi un témoignage de mon affection très spéciale, la Bénédiction apostolique que je vous donne de tout mon cœur, à vous tous, à vos familles, à votre assistant ecclésiastique, au cher professeur Toniolo, à l’Eme cardinal Maffi ici présent, et à tous les membres de la Fédération universitaire.
Source : Actes de S. S. Pie X, t. VI, p. 149.
- Mc 10, 21 : « Jésus, l’ayant regardé, l’aima »[↩]
- I Jn 2, 14 : « Je vous écris, jeunes gens, parce que vous êtes forts, que la parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vaincu le malin. »[↩]
- Rm 10,17 : « La foi donc vient de ce qu’on a entendu »[↩]
- Mt 28, 19 : « Enseignez toutes les nations »[↩]
- Jn 16, 13 : « L’Esprit de vérité vous enseignera toute vérité[↩]
- Mt 28, 20 : « Je suis avec vous jusqu’à la consommation des siècles »[↩]
- Jn 7, 16 : « Ma doctrine n’est pas de moi mais de celui qui m’a envoyé »[↩]
- Jn 7, 17 : « Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il saura, au sujet de Ma doctrine, si elle est de Dieu, ou si Je parle de Moi-même. »[↩]
- Ep 2, 20 : « vous avez été édifiés sur le fondement des Apôtres et des prophètes, le Christ Jésus étant Lui-même la pierre angulaire. »[↩]
- Mt 18, 7 : « il est nécessaire qu’il arrive des scandales »[↩]
- Rm 1, 22 : « ils sont devenus fous »[↩]