Saint Pie X

257ᵉ pape ; de 1903 à 1914

10 mai 1909

Allocution Con vera soddisfazione

Aux jeunes étudiants du Congrès universitaire catholique de Rome. Fidélité au magistère.

C’est avec une véri­table satis­fac­tion que j’accueille les senti­ments et les pro­tes­ta­tions de dévoue­ment et de res­pect qu’en votre nom et au nom de vos col­lègues vous avez décla­ré pro­fesser envers le Siège apos­to­lique. Ces sen­ti­ments me sont d’au­tant plus chers qu’ils sont expri­més par des jeunes gens qui, se consa­crant à l’étude pour atteindre le but auquel ils visent et qui est la science vraie, déclarent suivre la doc­trine catho­lique, recon­naissent la néces­site d’unir dans une sainte alliance ces deux filles d’un même Père, la rai­son et la foi, par les­quelles nous vivons tous. Ce sont deux astres qui brillent au ciel de notre âme, deux forces qui sont le prin­cipe et la fin de notre gran­deur, deux ailes qui nous élèvent à la connais­sance de toute la véri­té, en un mot, la rai­son qui est l’œil de l’homme voyant avec le secours de l’œil divin qui est la foi. Aussi est-​ce une douce con­solation pour moi de vous voir, chers jeunes gens, vous qui repré­sen­tez l’âge des nobles sen­ti­ments, des actions géné­reuses et des vic­toires brillantes, et moi, en ma qua­li­té de repré­sen­tant de Jésus-​Christ, qui fai­sait ses délices de la jeu­nesse, comme autre­fois il regar­dait un jeune homme — intui­tus eum dilexit eum ; [1] —, ain­si, en vous regar­dant, j’éprouve le besoin de vous dire que je vous aime, que j’apprécie votre ver­tu et que vous devez me consi­dé­rer non seule­ment comme un père, mais comme un fière et un ami tendre.

C’est pour­quoi je fais miennes les paroles du plus jeune des apôtres, du pré­fé­ré du divin Rédempteur, qui écri­vit aux jeunes gens : Scribo vobis, juvenes, quo­niam fortes estis et ver­bum Domini manet in vobis, et vicis­tis mali­gnum. [2]

Soyez forts pour gar­der et défendre votre foi, alors que tant d’hommes la com­battent et la perdent ; soyez forts pour conser­ver en vous la parole de Dieu et pour la mani­fes­ter dans vos œuvres, quand tant de gens l’ont ban­nie de leur âme ; soyez forts pour acqué­rir la véri­table science et pour vaincre les obs­tacles que vous ren­con­tre­rez dans l’ac­tion pour le bien de vos frères.

Ne crai­gnez pas que l’on veuille vous impo­ser de grands sacri­fices, vous inter­dire les diver­tis­se­ments hon­nêtes ; on veut seu­lement rendre vrai­ment pré­cieux votre âge, qui est l’âge des belles espé­rances, faire vrai­ment magni­fique votre car­rière, de manière à vous per­mettre, à l’automne de la vie, de cueillir des fruits abon­dants dont les fleurs de votre prin­temps sont un pré­sage ; je vous recom­mande seule­ment d’être forts pour demeu­rer les fils dévoués de l’Eglise de Jésus-​Christ, alors qu’il en est tant, hélas ! qui, sans peut-​être le savoir, se montrent rebelles, parce que le pre­mier et le plus grand cri­té­rium de la foi, la règle suprême et inébran­lable de l’orthodoxie est l’obéissance au magis­tère tou­jours vivant et infaillible de l’Eglise, éta­blie par le Christ colum­na et fir­ma­men­tum veri­ta­tis, la colonne et le sou­tien de la vérité.

Jésus-​Christ, qui connais­sait notre fai­blesse, qui était venu en ce monde pour évan­gé­li­ser sur­tout les humbles, a choi­si pour la dif­fu­sion du chris­tia­nisme un moyen très simple, adap­té à la capa­ci­té de tous et à tous les temps ; un moyen qui ne demande ni éru­di­tion, ni recherches, ni culture, ni rai­son­ne­ment, mais seule­ment de bonnes oreilles pour entendre et un bon cœur pour obéir. C’est pour­quoi saint Paul dit : Fides ex audi­tu [3], la foi vient non par les yeux, mais par les oreilles, par le magis­tère vivant de l’Eglise, socié­té visible com­po­sée de maîtres et de dis­ciples, d’administrateurs et de sujets, de pas­teurs, de bre­bis et d’agneaux. Jésus-​Christ lui-​même a enjoint à ses dis­ciples d’écouter les leçons des maîtres ; aux sujets de vivre sou­mis à leurs chefs ; aux bre­bis et aux agneaux, de mar­cher doci­le­ment der­rière leurs pas­teurs ; aux ber­gers, aux gou­ver­nants et aux maîtres, il a dit : Docete omnes gentes [4]. Spiritus veri­ta­tis doce­bit vos omnem veri­ta­tem [5]. Ecce ego vobis­cum sum usque ad consum­ma­tio­nem sæcu­li [6].

Par là, vous voyez com­bien sont éloi­gnés de leur route ces catho­liques qui, se tar­guant de cri­tique his­to­rique et philoso­phique et de l’esprit de dis­cus­sion qui a tout enva­hi, mettent en avant même la ques­tion reli­gieuse en insi­nuant que nous devons, avec l’étude et les recherches, nous for­mer une con­science reli­gieuse conforme à notre époque, ou, comme ils disent, moderne. Et ain­si, avec un sys­tème de sophismes et d’erreurs, ils fal­si­fient le concept de l’obéissance ensei­gnée par l’Eglise ; ils s’arrogent le droit de juger les actes de l’autorité et vont jusqu’à la bafouer ; ils s’attribuent une mis­sion qu’ils ne tiennent ni de Dieu ni d’aucune auto­ri­té pour impo­ser des réformes ; ils limitent l’obéissance aux seuls actes exté­rieurs, si même ils ne résistent pas et ne se révoltent contre cette auto­ri­té, oppo­sant le juge­ment erro­né de quelque per­sonne sans com­pé­tence sérieuse, ou de leur conscience pri­vée, trom­pée par de vaines sub­ti­li­tés, au juge­ment et au com­man­de­ment de celui qui, par man­dat divin, est juge, maître et pas­teur légitime.

Eh ! chers jeunes gens, écou­tez la parole de qui vous aime vrai­ment ; ne vous lais­sez pas séduire par cer­taines appa­rences, mais soyez forts pour résis­ter aux erreurs et aux flat­te­ries, et vous serez préservés.

C’est donc, dira-​t-​on, que l’Eglise offi­cielle veut l’ignorance, empêche le déve­lop­pe­ment des études reli­gieuses, que la disci­pline into­lé­rable impose le silence. Non, non, chers jeunes gens, l’Eglise, repré­sen­tant Jésus-​Christ, prêche tou­jours avec les mêmes paroles qu’il adres­sait aux Juifs : Mea doc­tri­na non est mea, sed ejus qui misit me ; [7] et il ajoute : Si quis volue­rit volun­ta­tem ejus facere, cognos­cet de doc­tri­na utrum ex Deo sit, an ego a meip­so loquar [8]. C’est pour­quoi l’Eglise a tou­jours hono­ré non seule­ment les pre­miers Pères et Docteurs, mais aus­si les écri­vains de tous les temps qui ont étu­dié et publié des œuvres pour répandre la véri­té, pour la défendre des attaques des incré­dules et pour mettre en valeur la pleine har­mo­nie de la foi et de la raison.

Pour rai­son­ner votre foi, étu­diez les œuvres de ces hommes émi­nents que l’Eglise a tou­jours hono­rés et honore actuelle­ment, apo­lo­gistes insignes de la reli­gion, et ne vous lais­sez pas sur­prendre par ces nou­veaux réfor­ma­teurs. Le monde, lui, peut les appe­ler des intel­li­gences supé­rieures, des génies puis­sants, des consciences droites, des esprits brillants, soit ; mais Jésus les a tous jugés par cette sen­tence : « Qui a seme­tip­so loqui­tur glo­riam pro­priam quæ­rit ; qui autem quæ­rit glo­riam ejus qui misit eum hic verax est, et injus­ti­tia in illo non est : Quiconque parle de son propre mou­ve­ment recherche sa propre gloire ; seul est véri­dique et digne de foi celui-​là qui recherche la gloire de qui l’a envoyé et est inca­pable de tra­hir ses audi­teurs. » (Jn 7, 18) Ne vous lais­sez pas trom­per par les sub­tiles décla­ra­tions d’autres qui ne cessent de pré­tendre vou­loir être avec l’Eglise, aimer l’Eglise, com­battre pour que le peuple ne s’éloigne pas d’elle, tra­vailler pour que l’Eglise, com­pre­nant son époque, se rat­tache au peuple et le recon­quière. Mais jugez-​les d’après leurs œuvres. S’ils mal­traitent et méprisent les pas­teurs de l’Eglise et même le Pape, s’ils essayent tous les moyens de se sous­traire à leur auto­ri­té pour élu­der leurs direc­tions et leurs avis, s’ils ne craignent pas de lever l’étendard de la révolte, de quelle Eglise ces hommes entendent-​ils par­ler ? Non, certes, de celle éta­blie super fun­da­men­tum Apostolorum et pro­phe­ta­rum, ipso sum­mo angu­la­ri lapide Christo Jesu [9] ; aus­si devons-​nous avoir tou­jours pré­sent à l’esprit l’avis de saint Paul aux Galates : « Si nous-​même ou si un ange du ciel vous ensei­gnait un autre Evangile que celui que nous vous avons ensei­gné, qu’il soit ana­thème. » (Ga 1, 8)

Vous ren­con­tre­rez, et mal­heu­reu­se­ment trop sou­vent, de ces apôtres d’un nou­veau genre, parce qu’il est impos­sible que les scan­dales cessent dans le monde, étant don­né l’orgueil de l’in­telligence où la cor­rup­tion des cœurs. Necesse est, a dit le Christ, ut veniant scan­da­la [10], et Dieu le per­met et le tolère pour éprou­ver la fidé­li­té et la constance des justes. Mais, en face de ces scan­dales si dou­lou­reux, ne vous effrayez pas, ne vous décou­ra­gez pas, mais, plai­gnant ces pauvres aveugles qui, dans leur igno­rance ou leur per­ver­si­té, et tout en se croyant sages, stul­ti fac­ti sunt [11], et, priant pour eux, afin que le Seigneur les éclaire et les fasse reve­nir au ber­cail délais­sé à tort, soyez, vous, forts et fidèles à vos pro­messes ; vous trou­ve­rez dans votre Société l’aide néces­saire pour échap­per aux dan­gers qui vous entourent, et, en ser­vant les inté­rêts de la reli­gion, vous trou­ve­rez là votre vrai bien.

Et afin que mes exhor­ta­tions puissent être enten­dues et mes dési­rs plei­ne­ment réa­li­sés, je demande au ciel de répandre en abon­dance sur vous les faveurs divines ; qu’elle soit un gage de ces faveurs et aus­si un témoi­gnage de mon affec­tion très spé­ciale, la Bénédiction apos­to­lique que je vous donne de tout mon cœur, à vous tous, à vos familles, à votre assis­tant ecclé­sias­tique, au cher pro­fes­seur Toniolo, à l’Eme car­di­nal Maffi ici pré­sent, et à tous les membres de la Fédération universitaire.

Source : Actes de S. S. Pie X, t. VI, p. 149.

Notes de bas de page
  1. Mc 10, 21 : « Jésus, l’ayant regar­dé, l’aima »[]
  2. I Jn 2, 14 : « Je vous écris, jeunes gens, parce que vous êtes forts, que la parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vain­cu le malin. »[]
  3. Rm 10,17 : « La foi donc vient de ce qu’on a enten­du »[]
  4. Mt 28, 19 : « Enseignez toutes les nations »[]
  5. Jn 16, 13 : « L’Esprit de véri­té vous ensei­gne­ra toute véri­té[]
  6. Mt 28, 20 : « Je suis avec vous jus­qu’à la consom­ma­tion des siècles »[]
  7. Jn 7, 16 : « Ma doc­trine n’est pas de moi mais de celui qui m’a envoyé »[]
  8. Jn 7, 17 : « Si quelqu’un veut faire la volon­té de Dieu, il sau­ra, au sujet de Ma doc­trine, si elle est de Dieu, ou si Je parle de Moi-​même. »[]
  9. Ep 2, 20 : « vous avez été édi­fiés sur le fon­de­ment des Apôtres et des pro­phètes, le Christ Jésus étant Lui-​même la pierre angu­laire. »[]
  10. Mt 18, 7 : « il est néces­saire qu’il arrive des scan­dales »[]
  11. Rm 1, 22 : « ils sont deve­nus fous »[]