Devant les tensions internationales montantes qui allaient déboucher sur la seconde guerre mondiale, le Pape demandait que les catholiques aient recours au rosaire.
Aux patriarches, primats, archevêques, évêques et autres ordinaires des lieux en paix et communion avec le siège apostolique,
Pie XI, Pape
Vénérables frères, salut et bénédiction apostolique.
Aux maux toujours plus graves de notre époque, ce n’est pas une fois seulement que Nous avons affirmé — et Nous l’avons répété tout récemment dans la Lettre Encyclique Divini Redemptoris — qu’on ne peut apporter aucun remède si ce n’est par le retour au Christ et à ses préceptes très saints.
Lui seul, en effet, a les paroles de la vie éternelle (Jn 6, 69), et ni les individus ni la société ne peuvent, s’ils ne tiennent pas compte de la majesté de Dieu et s’ils rejettent sa loi, construire quoi que ce soit qui ne vienne à tomber insensiblement et misérablement.
Cependant, quiconque étudie avec attention les annales de l’Eglise catholique verra facilement uni à tous les fastes du nom chrétien le patronage efficace de la Vierge Mère de Dieu.
En effet, lorsque les erreurs, se répandant en tous lieux, s’acharnaient à lacérer le vêtement sans couture de l’Eglise et à bouleverser tout l’univers catholique, c’est à Celle qui a détruit seule toutes les hérésies du monde [1] que nos pères s’adressèrent d’un cœur assuré, et la victoire remportée par elle ramena des temps meilleurs.
Lorsque la puissance musulmane impie, confiante dans des flottes puissantes et des armées aguerries, menaçait de ruiner et d’asservir les peuples de l’Europe, sur le conseil du Souverain Pontife on implora avec ferveur la protection de la céleste Mère, et les ennemis furent défaits et leurs bateaux coulés.
Dans les malheurs publics comme dans les nécessités privées, à toutes les époques, les fidèles se sont adressés suppliants à Marie, afin que dans sa grande bonté elle vint à leur secours en leur obtenant des maux du corps et de l’âme le soulagement ou la guérison.
Et jamais, certes, son très puissant secours n’a été vainement attendu par ceux qui d’une pieuse et confiante prière l’ont imploré.
De nos jours aussi, des dangers, non moindres que ceux du passé, menacent la société religieuse et civile.
En effet, puisque trop d’hommes méprisent et rejettent totalement l’autorité supérieure et éternelle de Dieu qui commande et défend, la conscience du devoir chrétien s’affaiblit, la foi languit dans les âmes ou s’y éteint tout à fait, et ainsi les bases mêmes de la société humaine sont ébranlées et s’écroulent misérablement.
C’est ainsi que l’on voit d’un côté les classes des citoyens se livrer en tel endroit une lutte acharnée parce que les uns possèdent de très grandes richesses tandis que les autres doivent, au contraire, gagner par leur travail quotidien leur pain et celui de leur famille.
En certaines régions même, comme chacun sait, le mal est arrivé à tel point qu’on a voulu détruire jusqu’au droit de propriété privée pour mettre tous les biens en commun.
D’autre part, il y a des hommes qui déclarent honorer et exalter surtout la puissance de l’Etat et proclament qu’il faut assurer l’ordre public et renforcer l’autorité par tous les moyens. Ils prétendent qu’on peut ainsi repousser complètement les théories exécrables des communistes ; toutefois, méprisant la lumière de la sagesse évangélique, ils s’efforcent de rénover les erreurs des païens et leur manière de vivre. Qu’on ajoute à cela la secte très adroite et très funeste de ceux qui, niant et haïssant Dieu, se déclarent avec jactance ennemis de l’Eternel, s’insinuent partout, discréditent et arrachent aux âmes toute croyance religieuse, foulent aux pieds, enfin, tout le droit divin et humain. Et, tandis qu’ils jettent le ridicule sur l’espérance des biens célestes, ils excitent les hommes à poursuivre, même par les procédés les plus injustes, un bonheur terrestre imaginaire, et en suscitant les désordres, les rébellions sanglantes et la guerre civile, ils poussent avec une téméraire audace à la destruction de l’ordre social.
Néanmoins, Vénérables Frères, bien que tant et de si grands maux menacent et que nous ayons à en craindre de plus grands encore pour l’avenir, nous ne devons pas perdre courage ni laisser languir en nous l’espoir confiant qui s’appuie uniquement sur Dieu. Lui, qui a fait guérissables les peuples et les nations (Sg 1, 14), ne fera sûrement pas défaut à ceux qu’il a rachetés de son sang précieux, il ne fera pas défaut à son Eglise. Mais pourtant, comme Nous l’avons déjà rappelé, employons auprès de Dieu la médiation et le patronage de la Bienheureuse Vierge, très agréable à ses yeux, puisque, pour nous servir des paroles de saint Bernard, « telle est sa volonté (de Dieu), lequel a voulu que nous recevions tout par l’entremise de Marie » [2]
Mais parmi les diverses prières publiques qu’utilement nous adressons à la Vierge Mère de Dieu, le saint rosaire occupe une place particulière et exceptionnelle. Pas un chrétien ne l’ignore. Cette prière, que quelques-uns appellent le « Psautier de la Vierge » ou « Bréviaire de l’Evangile et de la vie chrétienne », est décrite et fort recommandée par Notre prédécesseur d’heureuse mémoire Léon XIII, en ces termes énergiques : « Elle est bien admirable, cette couronne tressée par la Salutation angélique, à laquelle est entremêlée l’Oraison dominicale et ajoutée l’obligation de la méditation ; elle forme la plus excellente méthode de prière, très efficace pour nous faire acquérir la vie éternelle. » [3]
C’est ce qui ressort clairement des fleurs mêmes dont est tressée cette couronne mystique. Quelles prières, en effet, peut-on trouver qui soient plus appropriées et plus saintes ? La première est celle que notre Rédempteur lui-même prononça quand les disciples lui demandèrent : Apprenez-nous à prier (Lc 11, 1) ; très sainte prière assurément qui a pour but la gloire de Dieu, dans la mesure de nos possibilités, elle considère aussi tous les besoins de notre corps et de notre âme. Et en fait, comment le Père éternel, quand nous le prions par les paroles de son Fils, pourrait-il ne pas nous venir en aide ?
L’autre prière est la Salutation angélique, qui commence par l’éloge de l’archange Gabriel et de sainte Elisabeth, et se termine par la très pieuse supplication par laquelle nous demandons le secours de la Bienheureuse Vierge maintenant et à l’heure de notre mort. A ces invocations faites de vive voix s’ajoute la contemplation des saints mystères, qui place presque sous nos yeux les joies, les douleurs, les triomphes, de Jésus-Christ et de sa Mère, de telle sorte que nous y puisons adoucissement et réconfort dans nos angoisses et que nous aussi, suivant ces exemples très saints, nous sommes stimulés à nous élever à la félicité de l’éternelle patrie par les degrés d’une vertu toujours plus haute.
Facile, assurément, Vénérables Frères, et appropriée à tous, âmes ignorantes et simples, est cette pratique de piété admirablement propagée par saint Dominique non sans l’inspiration de la Vierge Mère de Dieu et un céleste avertissement. Mais combien sont éloignés du chemin de la vérité ceux qui regardent cette dévotion comme une formule fastidieuse, répétée souvent avec une cantilène monotone, et la rejettent en la laissant tout au plus aux enfants et aux bonnes femmes ! A ce propos, il est à remarquer d’abord que, même lorsque la piété et l’amour répètent fois sur fois les mêmes paroles, ils ne répètent pas pour cela la même chose, mais expriment toujours quelque chose de nouveau puisé assurément dans un nouveau sentiment de charité. De plus, cette façon de prier a tout à fait le parfum de la simplicité évangélique et requiert et demande l’humilité de l’esprit, dont le mépris, comme nous l’enseigne le divin Rédempteur lui-même, nous rend impossible l’acquisition du royaume céleste : Je vous le dis en vérité, si vous n’avez été changés et n’êtes devenus semblables aux petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux (Mt 18, 3).
Toutefois, si dans l’enivrement de son orgueil notre siècle se moque du saint rosaire et le rejette avec dédain, une multitude innombrable d’hommes saints de tout âge, de toute condition, l’ont toujours beaucoup aimé, l’ont récité avec grande dévotion et s’en sont servis en tout temps comme d’une arme très puissante pour chasser les démons, pour conserver l’intégrité de la vie, pour acquérir plus facilement la vertu, en un mot, pour obtenir la véritable paix aux hommes. Il y a même eu des hommes très Éminents par leur science et leur sagesse qui, bien qu’ils fussent absorbés par l’étude et les recherches scientifiques, n’ont jamais voulu passer même un seul jour sans prier à genoux et avec ferveur devant l’image de la Vierge, selon cette manière très pieuse. S’en firent également un devoir des rois et des princes, bien qu’ils fussent accablés par les soucis et les occupations diverses. Cette couronne mystique n’est pas seulement tenue et déroulée par les doigts des personnes peu cultivées et pauvres, elle est aussi en honneur parmi les citoyens de toutes les classes sociales.
Et Nous ne voulons point passer ici sous silence que, à notre époque également, la Très Sainte Vierge elle-même a instamment recommandé cette manière de prier lorsque, apparaissant dans la Grotte de Lourdes à l’innocente enfant, elle lui apprit par son exemple la récitation du rosaire.
Pourquoi donc n’espérerions-nous pas toutes les grâces si nous invoquons de cette manière, selon l’usage, avec piété, ainsi qu’il sied, notre Mère céleste ?
C’est pourquoi, Vénérables Frères, Nous désirons très vivement que, durant ce prochain mois d’octobre, le saint rosaire soit récité par tous les chrétiens, aussi bien dans les églises que dans les habitations privées, avec une piété plus ardente.
Ce devoir s’impose dès cette année surtout ; les ennemis du Nom divin, c’est-à-dire tous ceux qui nient et méprisent avec effronterie le Dieu éternel ; ceux qui tendent des embûches à la foi catholique et à la liberté due à l’Eglise ; ceux enfin qui, en faisant des efforts insensés, se révoltent contre les droits divins et humains et tentent de conduire à la ruine et à la perdition la société humaine, tous, par l’entremise de la méditation toute puissante de la Vierge Mère de Dieu, seront vaincus quelque jour, pénétrés de repentir, pour reprendre le droit chemin et se mettre sous la tutelle et la protection de Marie.
Que Celle qui victorieusement chassa des frontières des pays chrétiens la terrible secte des Albigeois, par nous aujourd’hui invoquée et suppliée, dissipe les nouvelles erreurs, celles des communistes particulièrement, qui pour plusieurs raisons et par leurs nombreux forfaits rappellent les anciennes hérésies.
Et de même qu’au temps des Croisades s’élevait dans toute l’Europe, de tous les peuples, une seule voix, une supplication unique, qu’aujourd’hui également, dans le monde entier, dans les métropoles et les villes et dans les bourgades et les villages, unis par le cœur et l’effort, tous cherchent par leurs instantes prières à obtenir de la puissante Mère de Dieu que soient défaits les destructeurs de la civilisation chrétienne et humaine, et que sur les nations fatiguées et inquiètes resplendisse la paix véritable !
Et si tous accomplissent bien ce qui est demandé, avec une grande confiance et une fervente piété, on peut espérer vraiment que, comme par le passé, la Bienheureuse Vierge obtiendra également de nos jours, de son divin Fils, que les flots des tempêtes se retirent, s’abaissent et se calment, et qu’une éclatante victoire soutienne et accompagne cette noble émulation des chrétiens dans la prière.
Mais le saint rosaire ne sert pas seulement puissamment à triompher des blasphémateurs de Dieu et des ennemis de la religion, il est également un stimulant et un aiguillon pour la pratique des vertus évangéliques qu’il procure à nos âmes.
Et avant tout, il alimente la foi catholique, qui refleurit précisément par l’opportune méditation des saints mystères et élève les esprits jusqu’aux vérités révélées par Dieu. Et chacun peut comprendre combien il est salutaire, spécialement de nos jours, où quelquefois même parmi les fidèles on ressent un certain éloignement à l’égard des choses spirituelles et presque de l’ennui pour la doctrine chrétienne.
L’espérance des biens immortels, le rosaire la ravive encore alors que le triomphe de Jésus-Christ et de sa Mère, médité par nous dans la dernière partie de sa récitation, nous montre le ciel ouvert et nous invite à la conquête de l’éternelle patrie. Aussi, alors que le cœur humain n’a plus qu’un désir effréné des choses de la terre et que chaque jour plus ardemment les hommes convoitent les biens périssables et les plaisirs éphémères, tous y trouvent un utile rappel des trésors célestes dont le voleur n’approche pas, que le ver ne détruit pas (Lc 12, 33), et des biens qui ne périront jamais.
Puisque chez beaucoup s’est alanguie et refroidie la charité, comment ne se rallumerait-elle pas, par un retour d’amour, dans l’âme de ceux qui se rappelleront, dans la méditation du rosaire, les tortures et la mort de notre Rédempteur et les douleurs de sa Mère très affligée ?
Enfin, de cette charité envers Dieu, il ne peut pas ne pas jaillir nécessairement un amour plus intense du prochain, par le seul fait que nos pensées s’arrêteront à considérer les peines et les souffrances que Notre-Seigneur endura pour nous réintégrer tous dans l’héritage perdu d’enfants de Dieu.
Ayez donc à cœur, Vénérables Frères, que cette pratique de dévotion si fructueuse soit de jour en jour plus répandue, qu’elle soit hautement estimée par tous et qu’elle augmente la piété générale.
Que souvent et clairement par votre zèle et celui de ceux qui vous aident au soin du troupeau qui vous est confié en soient prêchés et répétés aux fidèles de toutes les classes sociales les louanges et les avantages.
Que la jeunesse y puise l’énergie nécessaire pour dompter les mouvements toujours renaissants des passions et pour conserver intacte et sans tache l’innocence de l’âme ; que dans cette dévotion également les vieillards retrouvent dans les circonstances inquiétantes et difficiles le repos, le soulagement et la paix. Qu’elle serve également à ceux qui se dévouent à l’Action catholique de stimulant pour les pousser dans leur apostolat avec plus de ferveur et de zèle. Qu’elle apporte encore à tous ceux qui souffrent de toutes manières, particulièrement aux mourants, le réconfort, et qu’elle augmente leur espérance en l’éternelle félicité.
Et que les pères et les mères de famille, en cela aussi, donnent l’exemple à leurs enfants : spécialement, au déclin du jour, en la maison familiale, quand tous sont revenus de leurs travaux, de leurs affaires, qu’ils commencent, suivis par tous leurs enfants, devant la sainte image de la Mère céleste, à réciter les prières du saint rosaire d’une seule voix, avec une même foi, d’un seul cœur. C’est là, certes, une habitude singulièrement salutaire, d’où très certainement il découlera pour le foyer domestique une sereine tranquillité et l’abondance des dons célestes.
C’est pourquoi, depuis qu’il Nous arrive de recevoir très souvent en audience de nouveaux époux et de leur adresser paternellement la parole, non seulement Nous leur faisons donner un chapelet en leur recommandant instamment de s’en servir, mais Nous les exhortons, allant même jusqu’à Nous proposer en exemple, à ne pas laisser passer un seul jour, en dépit des plus grands soucis, des plus grands travaux, sans réciter le rosaire.
C’est pour ces motifs, Vénérables Frères, que Nous avons pensé à vous recommander vivement, et par vous à tous les fidèles, cette pieuse pratique de dévotion ; et Nous ne doutons pas que, correspondant pleinement à Notre invitation avec l’empressement coutumier, vous n’en retiriez des fruits abondants.
Un autre motif Nous engage à vous adresser cette Encyclique. Nous voulons, en effet, que s’unissent avec Nous tous Nos fils en Jésus-Christ, pour rendre d’immortelles actions de grâces à la sublime Mère de Dieu, à cause de Notre meilleur état de santé, heureusement recouvré. Cette grâce, comme Nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire [4], Nous l’attribuons à la spéciale intercession de la vierge de Lisieux, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Mais Nous savons néanmoins que tout ce qui nous est accordé nous vient du Dieu tout-puissant par les mains de la Mère de Dieu.
Et finalement, puisque tout récemment la grande presse a répandu avec une téméraire insolence une très grave injure contre la Bienheureuse Vierge, Nous ne pouvons laisser échapper cette occasion sans offrir, uni à l’épiscopat et au peuple de la nation qui vénère Marie sous le nom de « Reine du royaume de Pologne », avec l’hommage de Notre piété, la réparation qui s’impose à cette auguste Reine ; ni sans dénoncer au monde entier, comme une chose aussi indigne que douloureuse, un tel sacrilège commis impunément chez un peuple civilisé.
En gage des grâces célestes et en témoignage de Notre bienveillance paternelle, c’est de grand cœur que Nous vous donnons, Vénérables Frères, ainsi qu’aux fidèles confiés à vos soins, la Bénédiction apostolique dans le Seigneur.
Donné à Castel-Gandolfo, près de Rome, le 29 septembre, en la fête de la dédicace de saint Michel archange, de l’année 1937, de Notre Pontificat la seizième.
PIE XI, PAPE.
Source : Actes de S. S. Pie XI, t. XVI, p. 86 – Original latin : A. A. S., t. XXIX, 1937, p. 373–380. – Cf. Documentation Catholique, t. XXXVIII, col. 515–521.
- Bréviaire Romain[↩]
- Sermon sur la nativité de la Bienheureuse Vierge Marie[↩]
- Encyclique Diuturni Temporis du 5 septembre 1898[↩]
- Chirographie du 3 septembre 1937 au cardinal Pacelli[↩]