À nos Vénérables Frères les Evêques du Brésil et des autres Provinces soumises à Notre Très Cher Fils en Jésus-Christ, Jean, roi du Portugal et des Algarves, dans les Indes Occidentales et en Amérique
BENOIT XIV, PAPE
Vénérables Frères, salut et bénédiction apostolique.
La charité du Pontife embrasse tous les hommes sur toute la surface de la terre. Il fait appel à la collaboration des évêques.
L’immense charité de Jésus-Christ prince des Pasteurs, qui vint sur la terre pour que les hommes reçussent plus abondamment la vie et qui se livra lui-même pour le rachat d’un grand nombre, nous rappelle un pressant devoir. Puisque, sans l’avoir mérité, nous tenons sa place sur la terre, de même ne devrions-nous, comme lui, n’avoir rien de plus à cœur que de donner avec empressement notre vie, non seulement pour les chrétiens, mais pour tous les hommes. Toutefois, la suprême administration de l’Eglise catholique ayant été imposée à notre infirmité, nous sommes contraint de résider ici, à Rome, et d’y régir, selon l’usage et l’institution de nos pères, le Siège apostolique, vers lequel on afflue tous les jours et de toutes les nations pour en solliciter la solution opportune et salutaire des affaires ou des maux qui surgissent dans la République chrétienne ; et nous ne saurions visiter ces contrées lointaines et écartées où nous voudrions déployer d’une façon ou de l’autre l’activité de notre ministère apostolique pour le salut des âmes rachetées du sang de Jésus-Christ et sacrifier, comme nous le désirerions, notre vie elle-même. Du moins ne permettrons-nous pas que fasse défaut tout gage de la prévoyance apostolique, de son autorité et de sa bienveillance à n’importe quelle nation qui soit sous le ciel ; et de même, Vénérables Frères, vous que le Saint-Siège s’est adjoint comme collaborateurs pour cultiver la vigne du Seigneur, nous vous appelons volontiers à partager la sollicitude apostolique et notre vigilance. Ainsi parviendrez-vous à remplir d’une façon toujours plus satisfaisante la charge qui vous a été imposée et à remporter plus facilement la couronne réservée dans les cieux à ceux qui mènent le bon combat.
Zèle du Saint-Siège pour la conversion des Indiens.
1. Or, vous savez, Vénérables Frères, quels travaux, que de difficultés, combien de dépenses ont supportés les Pontifes romains, nos prédécesseurs, et les Princes catholiques qui ont si bien mérité de la religion chrétienne, pour que les hommes qui marchaient encore dans les ténèbres et gisaient à l’ombre de la mort, pussent, par l’entremise des ouvriers évangéliques, grâce aux prédications, aux bons exemples, aux dons, aux soins, aux bienfaits, aux secours de toutes sortes, voir briller la lumière de la foi orthodoxe et arriver à la connaissance de la vérité ; vous savez aussi de quelles faveurs, de quels avantages, de quels privilèges, de quelles prérogatives, suivant qu’on a toujours fait, ces infidèles ont été comblés, pour que, gagnés par ces avances, ils embrassassent la religion catholique, y persévérassent et par les bonnes œuvres de la piété chrétienne assurassent leur salut éternel.
Cruauté de certains catholiques à l’égard des Indiens infidèles et même des convertis.
2. C’est pourquoi, nous ne l’avons pas appris sans une très vive douleur pour notre cœur paternel, après
tant de projets formés avec une prévoyance apostolique par les Souverains Pontifes nos prédécesseurs, après tant de Constitutions édictées par eux et prescrivant, sous les peines et les censures ecclésiastiques les plus graves, de prêter de la meilleure façon possible à ces infidèles aide, secours et protection, au lieu de leur apporter mille dommages, des coups, des chaînes, la servitude et la mort : on rencontre encore, surtout dans certaines régions du Brésil, des hommes élevés dans la foi orthodoxe, profondément oublieux, semble-t-il, des sentiments de charité que le Saint-Esprit a versés dans nos cœurs, à l’égard des malheureux Indiens, non seulement privés de la lumière de la foi, mais lavés même de ’eau sacrée de la régénération, qui habitent les plus sauvages provinces dans les montagnes et les déserts du Brésil oriental et occidental ou des pays voisins. Ils n’hésitent pas en effet à priver ceux-ci de leurs biens et à les traiter avec une telle inhumanité qu’ils les détournent absolument d’embrasser la foi du Christ et les portent plutôt à la prendre en haine.
Le Sérénissime Roi de Portugal a pieusement réprouvé ces excès.
3. Pressé de remédier à ces maux autant que nous le pouvions avec l’aide de Dieu, nous avons pris soin d’abord d’exciter à ce sujet l’éminente piété de notre très cher fils en Jésus-Christ, Jean, l’illustre roi du Portugal et des Algarves, et son incroyable zèle pour la propagation de la foi catholique. Par filiale déférence envers nous et envers le Saint-Siège, le roi nous a aussitôt assuré qu’il donnerait des ordres à tous ses représentants et fonctionnaires dans ces provinces, pour que, s’il se trouvait quelqu’un de ses sujets qui se conduisît à l’égard des Indiens autrement que l’exige la douceur de la charité chrétienne, ils le frappassent des peines les plus sévères d’après les édits royaux.
Le Pontife exhorte les évêques à refréner eux aussi cette barbarie.
4. Nous supplions à leur tour Vos Fraternités et nous vous exhortons dans le Seigneur de ne pas souffrir que soit jamais trouvée en défaut la vigilance que vous impose en cette affaire votre ministère, ni votre sollicitude, ni votre activité, au détriment de votre réputation et de votre dignité. Que bien plutôt, joignant vos efforts à ceux des fonctionnaires royaux, vous montriez à tous combien des prêtres, pasteurs d’âmes, dépassent par l’ardeur plus fervente de leur charité sacerdotale les magistrats laïques dans cette aide à apporter aux Indiens pour les amener à la foi catholique.
Il confirme les Constitutions de ses prédécesseurs. — Il ordonne de publier les édits en faveur des Indiens. — Il fait défense à quiconque de les réduire en esclavage, de les vendre, de les dépouiller, etc. — Que les contrevenants soient frappés d’excommunication et de censures.
5. Au surplus, de notre autorité apostolique, par la teneur des présentes, nous renouvelons et confirmons la lettre apostolique en forme de bref que notre prédécesseur d’heureuse mémoire, le Pape Paul III, écrivit au cardinal de la Sainte Eglise Romaine, Jean de Tavera, alors archevêque de Tolède, le 28 mai 1537, et celle que notre prédécesseur le Pape Urbain VIII, de récente mémoire, adressa au Collecteur général des droits et dépouilles de la Chambre apostolique pour le royaume du Portugal et des Algarves, le 12 avril 1639. De plus, suivant en cela les traces de ces mêmes Pontifes et voulant réprimer l’audace impie de ces hommes qui détournent par leurs actes inhumains les Indiens de la foi chrétienne, à laquelle il conviendrait de les porter au contraire par tous les bons offices de la charité et de la mansuétude, nous commettons, à chacun d’entre vous, Vénérables Frères, et à vos successeurs, et nous vous donnons ordre : — Que chacun de vous, par soi-même, ou par un ou plusieurs mandataires, après avoir fait transcrire, publier et afficher les édits concernant les Indiens résidant tant au Paraguay que dans les provinces du Brésil ou sur les rives du fleuve de La Plata et dans les autres régions ou pays des Indes occidentales et méridionales, leur prête l’aide d’une assistance efficace. Qu’à tous et à chacun de vos ressortissants, tant séculier qu’ecclésiastique, de quelque état, sexe, état, condition et dignité qu’il soit, même digne d’une mention spéciale, ou appartenant à n’importe quel Ordre, Congrégation, Société, même à la Société de Jésus, à n’importe quelle Religion ou Institut, mendiant ou non mendiant, aux moines ou réguliers, même des Ordres militaires, ou aux Frères soldats de l’Hôpital de Saint-Jérôme de Jérusalem, — sous peine pour les contrevenants d’excommunication latae sententiae à encourir ipso facto, dont on ne pourra être absous que par nous ou par le Souverain Pontife alors régnant, sauf à l’article de la mort et après satisfaction, — il soit très strictement interdit de réduire désormais ces Indiens en esclavage, de les vendre, d’en acheter, de les échanger, de les donner, de les séparer de leurs femmes et de leurs enfants, de les dépouiller de leurs biens meubles et immeubles, de les enlever ou transporter, de les priver n’importe comment de leur liberté et de les retenir en servitude. Qu’à tous ceux qui oseront prêter aux coupables conseil, aide, faveur ou concours, sous n’importe quel prétexte ou couleur que ce soit, ou qui se permettront de prêcher que la chose est licite, ou de l’enseigner, ou de coopérer de n’importe quelle autre façon à ces méfaits ; qu’à tous contradicteurs, rebelles ou désobéissants en ces matières à l’un d’entre vous, il soit déclaré qu’ils ont encouru la peine de l’excommunication ; qu’on les réprime en leur appliquant les autres censures et peines ecclésiastiques, ainsi que les autres remèdes opportuns de droit et de fait, sans appel recevable ; qu’on procède enfin à leur égard selon les formes régulières, aggravant à plusieurs reprises les censures et les peines déjà portées, et invoquant au besoin le secours du bras séculier. Nous vous accordons et concédons là-dessus, à vous et à vos successeurs, ample, pleine et libre faculté.
Clauses dérogatoires.
6. Nonobstant les décrets spéciaux du Pape Boniface VIII, notre prédécesseur, et ceux du Concile général, les autres actes pontificaux, les constitutions, dispositions et canons généraux ou provinciaux, ou même les arrêtés municipaux, édictés par les Conciles œcuméniques ou les Synodes régionaux, ou concernant les lieux pies ou non pies, et en général tous statuts ou coutumes quelconques, même confirmés par serment, par l’autorité apostolique ou tout autre ayant droit ; enfin, malgré les privilèges, les induits ou Lettres apostoliques accordées, confirmées ou innovées de n’importe quelle façon en sens contraire : pour toutes et chacune de ces choses, même pour celles dont une mention particulière et expresse devrait être faite sous une forme spécifique et mot pour mot, non par des clauses générales et équivalentes, nous voulons que la teneur des présentes soit considérée comme suffisante, tout autant que si tout y avait été exprimé et inséré à la stricte rigueur du droit, et qu’elle garde sa force, par une dérogation formelle et pour cette fois seulement, nonobstant toutes choses contraires.
On doit ajouter foi aux copies.
7. Nous voulons également qu’on ajoute foi aux copies de la présente lettre, même imprimées, revêtues de la signature d’un notaire public et du sceau de quelque personne constituée en dignité ecclésiastique, en jugement et hors jugement, aussi bien qu’au présent exemplaire s’il était exhibé ou montré.
Exhortation finale aux Evêques.
8. Au reste, Vénérables Frères, veillez sur le troupeau qui vous a été confié, remplissez votre ministère, efforcez-vous d’accomplir votre devoir avec toute la diligence, l’application et la charité à laquelle vous êtes obligés : rappelez-vous en effet souvent que vous rendrez compte à votre tour de vos brebis à l’éternel Juge, Jésus-Christ, prince des Pasteurs, et que celui-ci exigera que ce compte lui soit rendu très exactement. Aussi espérons-nous que chacun d’entre vous mettra tout en œuvre et fera tous ses efforts pour ne pas être trouvé en défaut dans l’exercice d’une œuvre aussi haute de charité. C’est pourquoi, en vue de cet heureux succès, nous vous accordons, Vénérables Frères, la bénédiction apostolique, gage des grâces célestes les plus abondantes.
Donné à Rome, près Sainte-Marie-Majeure, sous l’anneau du Pêcheur, le 20 décembre 1741, seconde année de notre pontificat.
D. Cardinal Passionei.
Source : Benoît XIV, Bulles “Immensa pastorum” et “Ex quo singulari” contre la Compagnie de Jésus, par de Recalde, Libraire moderne, 1925