A nos vénérables frères les archevêques, évêques et au clergé de France
Vénérables frères, Très chers fils,
Depuis le jour où Nous avons été élevé à la chaire pontificale, la France a été constamment l’objet de Notre sollicitude et de Notre affection toute particulière. C’est chez elle, en effet, que, dans le cours des siècles, mû par les insondables desseins de sa miséricorde sur le monde, Dieu a choisi de préférence les hommes apostoliques destinés à prêcher la vraie foi jusqu’aux confins du globe, et à porter la lumière de l’Evangile aux nations encore plongées dans les ténèbres du paganisme. Il l’a prédestinée à être le défenseur de son Eglise et l’instrument de ses grandes œuvres : Gesta Dei per Francos.
A une si haute mission correspondent évidemment de nombreux et graves devoirs. Désireux, comme Nos prédécesseurs, de voir la France accomplir fidèlement le glorieux mandat dont elle a été chargée, Nous lui avons plusieurs fois déjà, durant Notre long Pontificat, adressé Nos conseils, Nos encouragements, Nos exhortations. Nous l’avons fait tout spécialement dans Notre Lettre Encyclique du 8 février 1884, Nobilissima Gallorum gens, et dans Notre Lettre du 16 février 1892, publiée dans l’idiome de la France et qui commence par ces mots : Au milieu des sollicitudes. Nos paroles ne sont pas demeurées infructueuses, et Nous savons par vous, Vénérables Frères, qu’une grande partie du peuple français tient toujours en honneur la foi de ses ancêtres et remplit avec fidélité les devoirs qu’elle impose. D’autre part, Nous ne saurions ignorer que les ennemis de cette foi sainte ne sont pas demeurés inactifs, et qu’ils sont parvenus à bannir tout principe de religion d’un grand nombre de familles, qui, par suite, vivent dans une lamentable ignorance de la vérité révélée et dans une complète indifférence pour tout ce qui touche à leurs intérêts spirituels et au salut de leurs âmes.
Si donc, et à bon droit, Nous félicitons la France d’être pour les nations infidèles un foyer d’apostolat, Nous devons encourager aussi les efforts de ceux de ses fils qui, enrôlés dans le sacerdoce de Jésus-Christ, travaillent à évangéliser leurs compatriotes, à les prémunir contre l’envahissement du naturalisme et de l’incrédulité, avec leurs funestes et inévitables conséquences. Appelés par la volonté de Dieu à être les sauveurs du monde, les prêtres doivent tout toujours, et avant tout, se rappeler qu’ils sont, de par l’institution même de Jésus-Christ, « le sel de la terre » (Mt 5, 13), d’où saint Paul, écrivant à son disciple Timothée, conclut avec raison qu’ils doivent être l’exemple des fidèles « dans leurs paroles et dans leurs rapports avec le prochain, par leur charité, leur foi et leur pureté » (1 Tm 4, 12).
Qu’il en soit ainsi du clergé de France, pris dans son ensemble, ce Nous est toujours, Vénérables Frères, une grande consolation de l’apprendre, soit par les relations quadriennales que vous Nous envoyez sur l’état de vos diocèses, conformément à la Constitution de Sixte-Quint ; soit par les communications orales que Nous recevons de vous, lorsque Nous avons la joie de Nous entretenir avec vous et de recevoir vos confidences : Oui, la dignité de la vie, l’ardeur de la foi, l’esprit de dévouement et de sacrifice, l’élan et la générosité du zèle, la charité inépuisable envers le prochain, l’énergie dans toutes les nobles et fécondes entreprises qui ont pour but la gloire de Dieu, le salut des âmes, le bonheur de la patrie : telles sont les traditionnelles et précieuses qualités du clergé français, auxquelles Nous sommes heureux de pouvoir rendre ici un public et paternel témoignage.
Toutefois, en raison même de la tendre et profonde affection que Nous lui portons, tout à la fois pour satisfaire au devoir de Notre ministère apostolique, et pour répondre à Notre vif désir de le voir demeurer toujours à la hauteur de sa grande mission, Nous avons résolu, Vénérables Frères, de traiter dans la présente Lettre quelques points que les circonstances actuelles recommandent de la façon la plus instante à la consciencieuse attention des premiers pasteurs de l’Eglise de France et des prêtres qui travaillent sous leur autorité.
C’est d’abord chose évidente que, plus un office est relevé, complexe, difficile, plus longue et plus soignée doit être la préparation de ceux qui sont appelés à le remplir. Or, existe-t-il sur la terre une dignité plus haute que celle du sacerdoce et un ministère imposant une plus lourde responsabilité, que celui qui a pour objet la sanctification de tous les actes libres de l’homme ? N’est-ce pas du gouvernement des âmes que les Pères ont dit, avec raison, que c’est « l’art des arts », c’est-à-dire le plus important et le plus délicat de tous les labeurs auxquels un homme puisse être appliqué au profit de ses semblables, ars artium regimen animarum ? [1] Rien donc ne devra être négligé pour préparer à remplir dignement et fructueusement une telle mission, ceux qu’une vocation divine y appelle.
Avant toute chose, il convient de discerner, parmi les jeunes enfants, ceux en qui le Très Haut a déposé le germe d’une semblable vocation. Nous savons que, dans un certain nombre de diocèses de France, grâce à vos sages recommandations, les prêtres des paroisses, surtout dans les campagnes, s’appliquent, avec un zèle et une abnégation que Nous ne saurions trop louer, à commencer eux-mêmes les études élémentaires des enfants dans lesquels ils ont remarqué des dispositions sérieuses à la piété et des aptitudes au travail intellectuel. Les écoles presbytérales sont ainsi comme le premier degré de cette échelle ascendante qui, d’abord par les Petits, puis par les Grands Séminaires, fera monter jusqu’au sacerdoce les jeunes gens auxquels le Sauveur a répété l’appel adressé à Pierre et à André, à Jean et à Jacques : « Laissez vos filets ; suivez-moi ; je veux faire de vous des pêcheurs d’hommes » (Mt 4, 19).
Quant aux Petits Séminaires, cette très salutaire institution a été souvent et justement comparée à ces pépinières ou sont mises à part les plantes qui réclament des soins plus spéciaux et plus assidus, moyennant lesquels, seuls, elles peuvent porter des fruits et dédommager de leurs peines ceux qui s’appliquent à les cultiver. Nous renouvelons, à cet égard, la recommandation que, dans son Encyclique du 8 décembre 1849, Notre prédécesseur, Pie IX, adressait aux évêques. Elle se référait elle-même à une des plus importantes décisions des Pères du saint Concile de Trente. C’est la gloire de l’Eglise de France, dans le siècle présent, d’en avoir tenu le plus grand compte, puisqu’il n’est pas un seul des 94 diocèses dont elle se compose qui ne soit doté d’un ou de plusieurs Petits Séminaires.
Nous savons, vénérables Frères, de quelles sollicitudes vous entourez ces institutions si justement chères à votre zèle pastoral, et Nous vous en félicitons. Les prêtres qui, sous votre haute direction, travaillent à la formation de la jeunesse appelée à s’enrôler plus tard dans les rangs de la milice sacerdotale, ne sauraient trop souvent méditer devant Dieu l’importance exceptionnelle de la mission que vous leur confiez. Il ne s’agit pas pour eux, comme pour le commun des maîtres, d’enseigner simplement à ces enfants les éléments des lettres et des sciences humaines. Ce n’est là que la moindre partie de leur tâche. Il faut que leur attention, leur zèle, leur dévouement soient sans cesse en éveil et en action, d’une part, pour étudier continuellement sous le regard et dans la lumière de Dieu les âmes des enfants et les indices significatifs de leur vocation au service des autels ; de l’autre, pour aider l’inexpérience et la faiblesse de leurs jeunes disciples, à protéger la grâce si précieuse de l’appel divin contre toutes les influences funestes, soit du dehors, soit du dedans. Ils ont donc à remplir un ministère humble, laborieux, délicat, qui exige une constante abnégation. Afin de soutenir leur courage dans l’accomplissement de leurs devoirs, ils auront soin de le retremper aux sources les plus pures de l’esprit. de foi. Ils ne perdront jamais de vue qu’ils n’ont point à préparer pour des fonctions terrestres, si légitimes et honorables soient-elles les enfants dont ils forment l’intelligence, le cœur, le caractère. L’Eglise les leur confie pour qu’ils deviennent capables un jour d’être des prêtres, c’est-à-dire des missionnaires de l’Evangile, des continuateurs de l’œuvre de Jésus-Christ, des distributeurs de sa grâce et de ses sacrements. Que cette considération, toute surnaturelle, se mêle incessamment à leur double action de professeurs et d’éducateurs, et soit comme ce levain qu’il faut mélanger au meilleur froment, suivant la parabole évangélique, pour les transformer en un pain savoureux et substantiel (cf. Mt 13, 33).
Si la préoccupation constante d’une première et indispensable formation à l’esprit et aux vertus du sacerdoce doit inspirer les maîtres de vos Petits Séminaires dans leurs relations avec leurs élèves, c’est à cette même idée principale et directrice que se rapporteront le plan des études et toute l’économie de la discipline. Nous n’ignorons pas, Vénérables Frères, que dans une certaine mesure, vous êtes obligés de compter avec les programmes de l’Etat et les conditions mises par lui à l’obtention des grades universitaires, puisque, dans un certain nombre de cas, ces grades sont exigés des prêtres employés soit à la direction des collèges libres placés sous la tutelle des évêques et des Congrégations religieuses, soit à l’enseignement supérieur dans les Facultés catholiques que vous avez si louablement fondées. Il est, d’ailleurs, d’un intérêt souverain, pour maintenir l’influence du clergé sur la société, qu’il compte dans ses rangs un assez grand nombre de prêtres ne le cédant en rien pour la science, dont les grades sont la constatation officielle, aux maîtres que l’Etat forme pour ses lycées et ses Universités.
Toutefois, et après avoir fait à cette exigence des programmes la part qu’imposent les circonstances, il faut que les études des aspirants au sacerdoce demeurent fidèles aux méthodes traditionnelles des siècles passés. Ce sont elles qui ont formé les hommes éminents dont l’Eglise de France est fière à si juste titre, les Pétau, les Thomassin, les Mabillon et tant d’autres, sans parler de votre Bossuet, appelé l’aigle de Meaux, parce que, soit par l’élévation des pensées, soit par la noblesse du langage, son génie plane dans les plus sublimes régions de la science et de l’éloquence chrétienne. Or, c’est l’étude des belles-lettres qui a puissamment aidé ces hommes à devenir de très vaillants et utiles ouvriers au service de l’Eglise, et les a rendus capables de composer des ouvrages vraiment dignes de passer à la postérité et qui contribuent encore de nos jours à la défense et à la diffusion de la vérité révélée. En effet, c’est le propre des belles-lettres, quand elles sont enseignées par des maîtres chrétiens et habiles, de développer rapidement dans l’âme des jeunes gens tous les germes de vie intellectuelle et morale, en même temps qu’elles contribuent à donner au jugement de la rectitude et de l’ampleur, et au langage, de l’élégance et de la distinction.
Cette considération acquiert une importance spéciale quand il s’agit des littératures grecque et latine, dépositaires des chefs‑d’œuvre de science sacrée que l’Eglise compte à bon droit parmi ses plus précieux trésors. Il y a un demi-siècle, pendant cette période trop courte de véritable liberté, durant laquelle les évêques de France pouvaient se réunir et concerter les mesures qu’ils estimaient les plus propres à favoriser les progrès de la religion et, du même coup, les plus profitables à la paix publique, plusieurs de vos Conciles provinciaux, Vénérables Frères, recommandèrent de la façon la plus expresse la culture de la langue et de la littérature latines. Vos collègues d’alors déploraient déjà que, dans votre pays, la connaissance du latin tendît à décroître [2].
Si, depuis plusieurs années, les méthodes pédagogiques en vigueur dans les établissements de l’Etat réduisent progressivement l’étude de la langue latine, et suppriment des exercices de prose et de poésie que nos devanciers estimaient à bon droit devoir tenir une grande place dans les classes des collèges, les Petits Séminaires se mettront en garde contre ces innovations inspirées par des préoccupations utilitaires, et qui tournent au détriment de la solide formation de l’esprit. A ces anciennes méthodes, tant de fois justifiées par leurs résultats, Nous appliquerions volontiers le mot de saint Paul à son disciple Timothée, et, avec l’Apôtre, Nous vous dirions, Vénérables Frères : « Gardez-en le dépôt » (1 Tm 6, 20) avec un soin jaloux. Si un jour, ce qu’à Dieu ne plaise, elles devaient disparaître complètement des autres écoles publiques, que vos Petits Séminaires et collèges libres les gardent avec une intelligente et patriotique sollicitude. Vous imiterez ainsi les prêtres de Jérusalem qui, voulant soustraire à de barbares envahisseurs le feu sacré du Temple, le cachèrent de manière à pouvoir le retrouver et à lui rendre toute sa splendeur, quand les mauvais jours seraient passés (cf. 2 M 1, 19. 22).
Une fois en possession de la langue latine, qui est comme la clef de la science sacrée, et les facultés de l’esprit suffisamment développées par l’étude des belles-lettres, les jeunes gens qui se destinent au sacerdoce passent du Petit au Grand Séminaire. Ils s’y prépareront, par la piété et l’exercice des vertus cléricales, à la réception des saints Ordres, en même temps qu’ils s’y livreront à l’étude de la philosophie et de la théologie.
Nous le disions dans Notre Encyclique Æterni Patris, dont Nous recommandons de nouveau la lecture attentive à vos séminaristes et à leurs maîtres, et Nous le disions en Nous appuyant sur l’autorité de saint Paul c’est par les vaines subtilités de la mauvaise philosophie, per philosophiam et inanem fallaciam (Col 2, 8), que l’esprit des fidèles se laisse le plus souvent tromper, et que la pureté de la foi se corrompt parmi les hommes. Nous ajoutions, et les événements accomplis depuis vingt ans ont bien tristement confirmé les réflexions et les appréhensions que Nous exprimions alors : « Si l’on fait attention aux conditions critiques du temps où nous vivons, si l’on embrasse par la pensée l’état des affaires tant publiques que privées, on découvrira sans peine que la cause des maux qui nous oppriment, comme de ceux qui nous menacent, consiste en ceci : que des opinions erronées sur toutes choses, divines et humaines, des écoles des philosophes se sont peu à peu glissées dans tous les rangs de la société et sont arrivées à se faire accepter d’un grand nombre d’esprits » [3].
Nous réprouvons de nouveau ces doctrines qui n’ont de la vraie philosophie que le nom, et qui, ébranlant la base même du savoir humain, conduisent logiquement au scepticisme universel et à l’irréligion. Ce nous est une profonde douleur d’apprendre que, depuis quelques années, des catholiques ont cru pouvoir se mettre à la remorque d’une philosophie qui, sous le spécieux prétexte d’affranchir la raison humaine de toute idée préconçue et de toute illusion, lui dénie le droit de rien affirmer au delà de ses propres opérations, sacrifiant ainsi à un subjectivisme radical toutes les certitudes que la métaphysique traditionnelle, consacrée par l’autorité des plus vigoureux esprits, donnait comme nécessaires et inébranlables fondements à la démonstration de l’existence de Dieu, de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme, et de la réalité objective du monde extérieur. Il est profondément regrettable que ce scepticisme doctrinal, d’importation étrangère et d’origine protestante, ait pu être accueilli avec tant de faveur dans un pays justement célèbre par son amour pour la clarté des idées et pour celle du langage. Nous savons, Vénérables Frères, à quel point vous partagez là-dessus Nos justes préoccupations et Nous comptons que vous redoublerez de sollicitude et de vigilance pour écarter de l’enseignement de vos Séminaires cette fallacieuse et dangereuse philosophie, mettant plus que jamais en honneur les méthodes que Nous recommandions dans Notre Encyclique précitée du 4 août 1879.
Moins que jamais, à notre époque, les élèves de vos Petits et de vos Grands Séminaires ne sauraient demeurer étrangers à l’étude des sciences physiques et naturelles. II convient donc qu’ils y soient appliqués, mais avec mesure et dans de sages proportions. II n’est donc nullement nécessaire que, dans les cours de sciences, annexes à l’étude de la philosophie, les professeurs se croient obligés d’exposer en détail les applications presque innombrables des sciences physiques et naturelles aux diverses branches de l’industrie humaine. Il suffit que leurs élèves en connaissent avec précision les grands principes et les conclusions sommaires, afin d’être en état de résoudre les objections que les incrédules tirent de ces sciences contre les enseignements de la révélation.
Par-dessus tout, il importe que, durant deux ans au moins, les élèves de vos Grands Séminaires étudient avec un soin assidu la philosophie rationnelle, laquelle, disait un savant Bénédictin, l’honneur de son Ordre et de la France, D. Mabillon, leur sera d’un si grand secours, non seulement pour leur apprendre à bien raisonner et à porter de justes jugements, mais pour les mettre à même de défendre la foi orthodoxe contre les arguments captieux et souvent sophistiques des adversaires [4].
Viennent ensuite les sciences sacrées proprement dites, à savoir la Théologie dogmatique et la Théologie morale, l’Ecriture Sainte, l’Histoire ecclésiastique et le Droit Canon. Ce sont là les sciences propres au prêtre. Il en reçoit une première initiation pendant son séjour au Grand Séminaire ; il devra en poursuivre l’étude tout le reste de sa vie.
La théologie, c’est la science des choses de la foi. Elle s’alimente, nous dit le pape Sixte-Quint, à ces sources toujours jaillissantes qui sont les Saintes Ecritures, les décisions des Papes, les décrets des Conciles[5].
Appelée positive et spéculative, ou scolastique, suivant la méthode qu’on emploie pour l’étudier, la théologie ne se borne bas à proposer les vérités à croire ; elle en scrute le fond intime, elle en montre les rapports avec la raison humaine, et, à l’aide des ressources que lui fournit la vraie philosophie, elle les explique, les développe, et les adapte exactement à tous les besoins de la défense et de la propagation de la foi. A l’instar de Béléséel, à qui le Seigneur avait donné son esprit de sagesse, d’intelligence et de science, en lui confiant la mission de bâtir son temple, le théologien « taille les pierres précieuses des divins dogmes, les assortit avec art, et, par l’encadrement dans lequel il les place, en fait ressortir l’éclat, le charme et la beauté » [6].
C’est donc avec raison que le même Sixte-Quint appelle cette théologie (et il parle spécialement ici de la théologie scolastique) un don du ciel et demande qu’elle soit maintenue dans les écoles et cultivée avec une grande ardeur, comme étant ce qu’il y a de plus fructueux pour l’Eglise [7].
Est-il besoin d’ajouter que le livre par excellence ou les élèves pourront étudier avec plus de profit la théologie scolastique est la Somme Théologique de saint Thomas d’Aquin ? Nous voulons donc que les professeurs aient soin d’en expliquer à tous leurs élèves la méthode, ainsi que les principaux articles relatifs à la foi catholique.
Nous recommandons également que tous les séminaristes aient entre les mains et relisent souvent le livre d’or, connu sous le nom de Catéchisme du saint Concile de Trente ou Catéchisme romain, dédié à tous les prêtres investis de la charge pastorale (Catechismus ad parochos). Remarquable à la fois par la richesse et l’exactitude de la doctrine et par l’élégance du style, ce catéchisme est un précieux abrégé de toute la théologie dogmatique et morale. Qui le posséderait à fond aurait toujours à sa disposition les ressources à l’aide desquelles un prêtre peut prêcher avec fruit, s’acquitter dignement de l’important ministère de la confession et de la direction des âmes, et être en état de réfuter victorieusement les objections des incrédules.
Au sujet de l’étude des Saintes Ecritures, Nous appelons de nouveau votre attention, Vénérables Frères, sur les enseignements que Nous avons donnés dans Notre Encyclique Providentissimus Deus [8], dont nous désirons que les professeurs donnent connaissance à leurs disciples, en y ajoutant les explications nécessaires. Ils les mettront spécialement en garde contre des tendances inquiétantes qui cherchent à s’introduire dans l’interprétation de la Bible, et qui, si elles venaient à prévaloir, ne tarderaient pas à en ruiner l’inspiration et le caractère surnaturels. Sous le spécieux prétexte d’enlever aux adversaires de la parole révélée l’usage d’arguments qui semblaient irréfutables contre l’authenticité et la véracité des Livres Saints, des écrivains catholiques ont cru très habile de prendre ces arguments à leur compte. En vertu de cette étrange et périlleuse tactique, ils ont travaillé, de leurs propres mains, à faire des brèches dans les murailles de la cité qu’ils avaient mission de défendre. Dans Notre Encyclique précitée, ainsi que dans un autre document [9]), Nous avons fait justice de ces dangereuses témérités. Tout en encourageant nos exégètes à se tenir au courant des progrès de la critique, Nous avons fermement maintenu les principes sanctionnés en cette matière par l’autorité traditionnelle des Pères et des Conciles, et renouvelés de nos jours par le Concile du Vatican.
L’historien de l’Eglise sera d’autant plus fort pour faire ressortir son origine divine, supérieure à tout concept d’ordre purement terrestre et naturel, qu’il aura été plus loyal à ne rien dissimuler des épreuves que les fautes de ses enfants, et parfois même de ses ministres, ont fait subir à cette Epouse du Christ dans le cours des siècles. Etudiée de cette façon, l’histoire de l’Eglise, à elle toute seule, constitue une magnifique et concluante démonstration de la vérité et de la divinité du christianisme.
L’histoire de l’Eglise est comme un miroir où resplendit la vie de l’Eglise à travers les siècles. Bien plus encore que l’histoire civile et profane, elle démontre la souveraine liberté de Dieu et son action providentielle sur la marche des événements. Ceux qui l’étudient ne doivent jamais perdre de vue qu’elle renferme un ensemble de faits dogmatiques, qui s’imposent à la foi et qu’il n’est permis à personne de révoquer en doute. Cette idée directrice et surnaturelle qui préside aux destinées de l’Eglise est en même temps le flambeau dont la lumière éclaire son histoire. Toutefois, et parce que l’Eglise, qui continue parmi les hommes la vie du Verbe incarné, se compose d’un élément divin et d’un élément humain, ce dernier doit être exposé par les élèves avec une grande probité. Comme il est dit au livre de Job : « Dieu n’a pas besoin de nos mensonges » (Jb 13, 77) [10].
Enfin, pour achever le cycle des études par lesquelles les candidats au sacerdoce doivent se préparer à leur futur ministère, il faut mentionner le droit canonique, ou science des lois et de la jurisprudence de l’Eglise. Cette science se rattache par des liens très intimes et très logiques à celle de la théologie, dont elle montre les applications pratiques à tout ce qui concerne le gouvernement de l’Eglise, la dispensation des choses saintes, les droits et les devoirs de ses ministres, l’usage des biens temporels, dont elle a besoin pour l’accomplissement de sa mission. « Sans la connaissance du droit canonique (disaient fort bien les Pères d’un de vos Conciles provinciaux), la théologie est imparfaite, incomplète, semblable à un homme qui serait privé d’un bras. C’est l’ignorance du droit canon qui a favorisé la naissance et la diffusion de nombreuses erreurs sur les droits des Pontifes Romains, sur ceux des évêques et sur la puissance que l’Eglise tient de sa propre constitution, dont elle proportionne l’exercice aux circonstances » [11].
Nous résumerons tout ce que Nous venons de dire sur vos Petits et vos Grands Séminaires par cette parole de saint Paul, que Nous recommandons à la fréquente méditation des maîtres et des élèves de vos athénées ecclésiastiques : « O Timothée, gardez avec soin le dépôt qui vous a été confié. Fuyez les profanes nouveautés de paroles et les objections qui se couvrent du faux nom de science ; car tout ceux qui en ont fait profession ont erré au sujet de la foi » (1 Tm 6, 20–21) [12].
C’est à vous maintenant, très chers Fils, qui, ordonnés prêtres, êtes devenus les coopérateurs de vos évêques, c’est à vous que Nous voulons adresser la parole. Nous connaissons, et le monde entier connaît comme Nous, les qualités qui vous distinguent. Pas une bonne œuvre dont vous ne soyez ou les inspirateurs ou les apôtres. Dociles aux conseils que Nous avons donnés dans Notre Encyclique Rerum Novarum, vous allez au peuple, aux ouvriers, aux pauvres. Vous cherchez par tous les moyens à leur venir en aide, à les moraliser et à rendre leur sort moins dur. Dans ce but, vous provoquez des réunions et des Congrès ; vous fondez des patronages, des cercles, des caisses rurales, des bureaux d’assistance et de placement pour les travailleurs. Vous vous ingéniez à introduire des réformes dans l’ordre économique et social, et, pour un si difficile labeur, vous n’hésitez pas à faire de notables sacrifices de temps et d’argent. C’est encore pour cela que vous écrivez des livres ou des articles dans les journaux et les revues périodiques. Toutes ces choses, en elles-mêmes, sont très louables, et vous y donnez des preuves non équivoques de bon vouloir, d’intelligent et généreux dévouement aux besoins les plus pressants de la société contemporaine et des âmes.
Toutefois, très chers Fils, Nous croyons devoir appeler paternellement votre attention sur quelques principes fondamentaux, auxquels vous ne manquerez pas de vous conformer, si vous voulez que votre action soit réellement fructueuse et féconde.
Souvenez-vous avant toute chose que, pour être profitable au bien et digne d’être loué, le zèle doit être « accompagné de discrétion, de rectitude et de pureté. » Ainsi s’exprime le grave et judicieux Thomas a Kempis [13]. Avant lui, saint Bernard, la gloire de votre pays au XIIe siècle, cet apôtre infatigable de toutes les grandes causes qui touchaient à l’honneur de Dieu, aux droits de l’Eglise, au bien des âmes, n’avait pas craint de dire que, « séparé de la science et de l’esprit de discernement ou de discrétion, le zèle est insupportable … que plus le zèle est ardent, plus il est nécessaire qu’il soit accompagné de cette discrétion qui met l’ordre dans l’exercice de la charité, et sans laquelle la vertu elle-même peut devenir un défaut et un principe de désordre » [14].
Mais la discrétion dans les œuvres et dans le choix des moyens pour les faire réussir est d’autant plus indispensable que les temps présents sont plus troublés et hérissés de difficultés plus nombreuses. Tel acte, telle mesure, telle pratique de zèle pourront être excellents en eux-mêmes, lesquels, vu les circonstances, ne produiront que des résultats fâcheux. Les prêtres éviteront cet inconvénient et ce malheur si, avant d’agir et dans l’action, ils ont soin de se conformer à l’ordre établi et aux règles de la discipline. Or, la discipline ecclésiastique exige l’union entre les divers membres de la hiérarchie, le respect et l’obéissance des inférieurs à l’égard des supérieurs. Nous le disions naguère dans Nos lettres à l’archevêque de Tours : « L’édifice de l’Eglise, dont Dieu lui-même est l’architecte, repose sur un très visible fondement, d’abord sur l’autorité de Pierre et de ses successeurs, mais aussi sur les apôtres, et les successeurs des apôtres, qui sont les évêques ; de telle sorte qu’écouter leur voix ou la mépriser équivaut à écouter ou à mépriser Jésus-Christ lui-même » [15].
Ecoutez donc les paroles adressées par le grand martyr d’Antioche, saint Ignace, au clergé de l’Eglise primitive : « Que tous obéissent à leur Evêque comme Jésus-Christ a obéi à son Père. Ne faites en dehors de votre évêque rien de ce qui touche au service de l’Eglise, et de même que Notre-Seigneur n’a rien fait que dans une étroite union avec son Père, vous, prêtres, ne faites rien sans votre évêque. Que tous les membres du corps presbytéral lui soient unis, de même que sont unies à la harpe toutes les cordes de l’instrument » [16].
Si, au contraire, vous agissiez, comme prêtres, en dehors de cette soumission et de cette union à vos évêques, Nous vous répéterions ce que disait Notre prédécesseur Grégoire XVI, à savoir que, « autant qu’il dépend de votre pouvoir, vous détruisez de fond en comble l’ordre établi avec une si sage prévoyance par Dieu, auteur de l’Eglise » [17].
Souvenez-vous encore, Nos chers Fils, que l’Eglise est avec raison comparée à une armée rangée en bataille, sicut castrorum acies ordinata (Ct 6, 3), parce qu’elle a pour mission de combattre les ennemis visibles et invisibles de Dieu et des âmes. Voilà pourquoi saint Paul recommandait à Timothée de se comporter « comme un bon soldat du Christ Jésus » (2 Tm 2, 3). Or, ce qui fait la force d’une armée et contribue le plus à la victoire, c’est la discipline, c’est l’obéissance exacte et rigoureuse de tous, à ceux qui ont la charge de commander.
C’est bien ici que le zèle intempestif et sans discrétion peut aisément devenir la cause de véritables désastres. Rappelez-vous un des faits les plus mémorables de l’Histoire Sainte. Assurément, ils ne manquaient ni de courage, ni de bon vouloir, ni de dévouement à la cause sacrée de la religion, ces prêtres qui s’étaient groupés autour de Judas Machabée pour combattre avec lui les ennemis du vrai Dieu, les profanateurs du temple, les oppresseurs de leur nation. Toutefois, ayant voulu s’affranchir des règles de la discipline, ils s’engagèrent témérairement dans un combat où ils furent vaincus. L’Esprit-Saint nous dit d’eux « qu’ils n’étaient pas de la race de ceux qui pouvaient sauver Israël. » – Pourquoi ? parce qu’ils avaient voulu n’obéir qu’à leurs propres inspirations et s’étaient jetés en avant sans attendre les ordres de leurs chefs. In die illa ceciderunt sacerdotes in bello dum volunt fortiter facere, dum sine consilio exeunt in proelium. Ipsi autem non erant de semine virorum illorum, per quos salus facta est in Israel (1 M 5, 67. 62).
A cet égard, nos ennemis peuvent nous servir d’exemple. Ils savent très bien que l’union fait la force, vis unita fortior ; aussi, ne manquent-ils pas de s’unir étroitement, dès qu’il s’agit de combattre la sainte Eglise de Jésus-Christ.
Si donc, Nos chers Fils, comme tel est certainement votre cas, vous désirez que, dans la lutte formidable engagée contre l’Eglise par les sectes antichrétiennes et par la cité du démon, la victoire reste à Dieu et à son Eglise, il est d’une absolue nécessité que vous combattiez tous ensemble, en grand ordre et en exacte discipline, sous le commandement de vos chefs hiérarchiques. N’écoutez pas ces hommes néfastes qui, tout en se disant chrétiens et catholiques, jettent la zizanie dans le champ du Seigneur et sèment la division dans son Eglise en attaquant, et souvent même, en calomniant les évêques, « établis par l’Esprit-Saint pour régir l’Eglise de Dieu » (Ac 20, 28). Ne lisez ni leurs brochures, ni leurs journaux. Un bon prêtre ne doit autoriser en aucune manière ni leurs idées, ni la licence de leur langage. Pourrait-il jamais oublier que, le jour de son ordination, il a solennellement promis à son évêque, en face des saints autels, obedientiam et reverentiam ?
Par-dessus tout, Nos chers Fils, rappelez-vous que la condition indispensable du vrai zèle sacerdotal et le meilleur gage de succès dans les œuvres auxquelles l’obéissance hiérarchique vous consacre, c’est la pureté et la sainteté de la vie. « Jésus a commencé par faire avant d’enseigner » (Ac 1, 1). Comme lui, c’est par la prédication de l’exemple que le prêtre doit préluder à la prédication de la parole. « Séparés du siècle et de ses affaires (disent les Pères du saint Concile de Trente), les clercs ont été placés à une hauteur qui les met en évidence, et les fidèles regardent dans leur vie comme dans un miroir pour savoir ce qu’ils doivent imiter. C’est pourquoi les clercs, et tous ceux que Dieu a spécialement appelés à son service, doivent si bien régler leurs actions et leurs mœurs que dans leur manière d’être, leurs mouvements, leurs démarches, leurs paroles et tous les autres détails de leur vie, il n’y ait rien qui ne soit grave, modeste, profondément empreint de religion. Ils éviteront les fautes qui, légères chez les autres, seraient très graves pour eux, afin qu’il n’y ait pas un seul de leurs actes qui n’inspire à tous le respect » [18].
A ces recommandations du saint Concile, que Nous voudrions, Nos chers Fils, graver dans tous vos cœurs, manqueraient assurément les prêtres qui adopteraient dans leurs prédications un langage peu en harmonie avec la dignité de leur sacerdoce et la sainteté de la parole de Dieu ; qui assisteraient à des réunions populaires où leur présence ne servirait qu’à exciter les passions des impies et des ennemis de l’Eglise, et les exposerait eux-mêmes aux plus grossières injures, sans profit pour personne et au grand étonnement, sinon au scandale, des pieux fidèles ; qui prendraient les manières d’être et d’agir, et l’esprit des séculiers. Assurément, le sel a besoin d’être mélangé à la masse qu’il doit préserver de la corruption, en même temps que lui-même se défend contre elle, sous peine de perdre toute saveur et de n’être plus bon à rien qu’à être jeté dehors et foulé aux pieds (Mt 5, 13).
De même le prêtre, sel de la terre, dans son contact obligé avec la société qui l’entoure, doit-il conserver la modestie, la gravité, la sainteté dans son maintien, ses actes, ses paroles, et ne pas se laisser envahir par la légèreté, la dissipation, la vanité des gens du monde. Il faut, au contraire, qu’au milieu des hommes il conserve son âme si unie à Dieu, qu’il n’y perde rien de l’esprit de son saint état et ne soit pas contraint de faire devant Dieu et devant sa conscience ce triste et humiliant aveu : « Toutes les fois que j’ai été parmi les laïques, j’en suis revenu moins prêtre. »
Ne serait-ce pas pour avoir, par un zèle présomptueux, mis de côté ces règles traditionnelles de la discrétion, de la modestie, de la prudence sacerdotales, que certains prêtres traitent de surannés, d’incompatibles avec les besoins du ministère dans le temps ou nous vivons, les principes de discipline et de conduite qu’ils ont reçus de leurs maîtres du grand Séminaire ? On les voit aller, comme d’instinct, au-devant des innovations les plus périlleuses de langage, d’allures, de relations. Plusieurs, hélas ! engagés témérairement sur des pentes glissantes, où, par eux-mêmes, ils n’avaient pas la force de se retenir, méprisant les avertissements charitables de leurs supérieurs ou de leurs confrères plus anciens ou plus expérimentés, ont abouti à des apostasies qui ont réjoui les adversaires de l’Eglise et fait verser des larmes bien amères à leurs évêques, à leurs frères dans le sacerdoce et aux pieux fidèles. Saint Augustin nous le dit : « Plus on marche avec force et rapidité quand on est en dehors du bon chemin, et plus on s’égare » [19].
Assurément, il y a des nouveautés avantageuses, propres à faire avancer le royaume de Dieu dans les âmes et dans la société. Mais, nous dit le saint Evangile (Mt 13, 52), c’est au Père de famille, et non aux enfants et aux serviteurs, qu’il appartient de les examiner, et, s’il le juge à propos, de leur donner droit de cité, à côté des usages anciens et vénérables qui composent l’autre partie de son trésor.
Lorsque, naguère, Nous remplissions le devoir apostolique de mettre les catholiques de l’Amérique du Nord en garde contre des innovations tendant, entre autres choses, à substituer aux principes de perfection consacrés par l’enseignement des docteurs et par la pratique des saints, des maximes ou des règles de vie morale plus ou moins imprégnées de ce naturalisme qui, de nos jours, tend à pénétrer partout, Nous avons hautement proclamé que, loin de répudier et de rejeter en bloc les progrès accomplis dans les temps présents, Nous voulions accueillir très volontiers tout ce qui peut augmenter le patrimoine de la science ou généraliser davantage les conditions de la prospérité publique. Mais Nous avions soin d’ajouter que ces progrès ne pouvaient servir efficacement la cause du bien, si l’on mettait de côté la sage autorité de l’Eglise [20].
En terminant ces lettres, il Nous plaît d’appliquer au clergé de France, ce que Nous écrivions jadis aux prêtres de Notre diocèse de Pérouse. Nous reproduisons ici une partie de la Lettre pastorale que Nous leur adressions le 19 juillet 1866.
Nous demandons aux ecclésiastiques de notre diocèse de réfléchir sérieusement sur leurs sublimes obligations, sur les circonstances difficiles que nous traversons, et de faire en sorte que leur conduite soit en harmonie avec leurs devoirs et toujours conforme aux règles d’un zèle éclairé et prudent. Ainsi ceux-là même qui sont nos ennemis chercheront en vain des motifs de reproche et de blâme : qui ex adverso est, vereatur nihil habens malum dicere de nobis (Tt 2, 8).
Bien que les difficultés et les périls se multiplient de jour en jour, le prêtre pieux et fervent ne doit pas pour cela se décourager, il ne doit pas abandonner ses devoirs, ni même s’arrêter dans l’accomplissement de la mission spirituelle qu’il a reçue pour le bien, pour le salut de l’humanité, et pour le maintien de cette auguste religion dont il est le héraut et le ministre. Car c’est surtout dans les difficultés, dans les épreuves, que sa vertu s’affirme et se fortifie : c’est dans les plus grands malheurs, au milieu des transformations politiques et des bouleversements sociaux, que l’action bienfaisante et civilisatrice de son ministère se manifeste avec plus d’éclat.
… Pour en venir à la pratique, nous trouvons un enseignement parfaitement adapté aux circonstances dans les quatre maximes que le grand apôtre saint Paul donnait à son disciple Tite. En toutes choses, donnez le bon exemple par vos œuvres, par votre doctrine, par l’intégrité de votre vie, par la gravité de votre conduite, en ne faisant usage que de paroles saintes et irrépréhensibles (In omnibus teipsum praebe exemplum bonorum operum, in doctrina, in integritate, in gravitate, verbum sanum, irreprehensibile – Tt 2, 7–8). Nous voudrions que chacun des membres de notre clergé méditât ces maximes et y conformât sa conduite.
In omnibus teipsum praebe exemplum bonorum operum. En toutes choses donnez l’exemple des bonnes œuvres, c’est-à-dire d’une vie exemplaire et active, animée d’un véritable esprit de charité et guidée par les maximes de la prudence évangélique ; d’une vie de sacrifice et de travail, consacrée à faire du bien au prochain, non pas dans des vues terrestres et pour une récompense périssable, mais dans un but surnaturel. Donnez l’exemple de ce langage à la fois simple, noble et élevé, de cette parole saine et irrépréhensible, qui confond toute opposition humaine, apaise l’antique haine que nous a vouée le monde, et nous concilie le respect, l’estime même des ennemis de la religion. Quiconque s’est voué au service du sanctuaire a été obligé en tout temps de se montrer un vivant modèle, un exemplaire parfait de toutes les vertus ; mais cette obligation est beaucoup plus grande lorsque, par suite des bouleversements sociaux, on marche sur un terrain difficile et incertain, où l’on peut trouver à chaque pas des embûches et des prétextes d’attaque…
… In doctrina. En présence des efforts combinés de l’incrédulité et de l’hérésie pour consommer la ruine de la foi catholique, ce serait un vrai crime pour le clergé de rester hésitant et inactif. Au milieu d’un si grand débordement d’erreurs, d’un tel conflit d’opinions, il ne peut faillir à sa mission qui est de défendre le dogme attaqué, la morale travestie et la justice si souvent méconnue. C’est à lui qu’il appartient de s’opposer comme une barrière à l’erreur envahissante et à l’hérésie qui se dissimule ; à lui de surveiller les agissements des fauteurs d’impiété qui s’attaquent à la foi et à l’honneur de cette contrée catholique ; à lui de démasquer leurs ruses et de signaler leurs embûches ; à lui de prémunir les simples, de fortifier les timides, d’ouvrir les yeux aux aveugles. Une érudition superficielle, une science vulgaire ne suffisent point pour cela : il faut des études solides, approfondies et continuelles, en un mot, un ensemble de connaissances doctrinales capables de lutter avec la subtilité et la singulière astuce de nos modernes contradicteurs…
… In gravitate. Par gravité, il faut entendre cette conduite sérieuse, pleine de jugement et de tact qui doit être propre au ministre fidèle et prudent que Dieu a choisi pour le gouvernement de sa famille. Celui-ci, en effet, tout en remerciant Dieu d’avoir daigné l’élever à cet honneur, doit se montrer fidèle à toutes ses obligations, en même temps que mesuré et prudent dans tous ses actes ; il ne doit point se laisser dominer par de viles passions, ni emporter en paroles violentes et excessives ; il doit compatir avec bonté aux malheurs et aux faiblesses d’autrui, faire à chacun tout le bien qu’il peut, d’une manière désintéressée, sans ostentation, en maintenant toujours intact l’honneur de son caractère et de sa sublime dignité.
Nous revenons maintenant à vous, Nos chers fils du clergé français, et Nous avons la ferme confiance que Nos prescriptions et Nos conseils, uniquement inspirés par Notre affection paternelle, seront compris et reçus par vous, selon le sens et la portée que Nous avons voulu leur donner en vous adressant ces Lettres.
Nous attendons beaucoup de vous, parce que Dieu vous a richement pourvus de tous les dons et de toutes les qualités nécessaires pour opérer de grandes et saintes choses à l’avantage de l’Eglise et de la société. Nous voudrions que pas un seul d’entre vous ne se laissât entamer par ces imperfections qui diminuent la splendeur du caractère sacerdotal et nuisent à son efficacité.
Les temps actuels sont tristes, l’avenir est encore plus sombre et plus menaçant ; il semble annoncer l’approche d’une crise redoutable de bouleversements sociaux. Il faut donc, comme Nous l’avons dit en diverses circonstances, que nous mettions en honneur les principes salutaires de la religion, ainsi que ceux de la justice, de la charité, du respect et du devoir. C’est à nous d’en pénétrer profondément les âmes, particulièrement celles qui sont captives de l’incrédulité ou agitées par de funestes passions, de faire régner la grâce et la paix de notre divin Rédempteur, qui est la lumière, la résurrection, la vie, et de réunir en lui tous les hommes, malgré les inévitables distinctions sociales qui les séparent.
Oui, plus que jamais, les jours où nous sommes réclament le concours et le dévouement de prêtres exemplaires, pleins de foi, de discrétion, de zèle, qui, s’inspirant de la douceur et de l’énergie de Jésus-Christ, dont ils sont les véritables ambassadeurs, pro Christo legatione fungimur (2 Co 5, 20), annoncent avec une courageuse et indéfectible patience les vérités éternelles, lesquelles sont pour les âmes les semences fécondes des vertus.
Leur ministère sera laborieux, souvent même pénible, spécialement dans les pays où les populations, absorbées par les intérêts terrestres, vivent dans l’oubli de Dieu et de sa sainte religion. Mais l’action éclairée, charitable, infatigable du prêtre, fortifiée par la grâce divine, opérera, comme elle l’a fait en tous les temps, d’incroyables prodiges de résurrection.
Nous saluons de tous nos vœux et avec une joie ineffable cette consolante perspective, tandis que, dans toute l’affection de Notre cœur, Nous accordons à vous, vénérables Frères, au clergé et à tous les catholiques de France, la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 8 septembre de l’année 1899, de Notre Pontificat la vingt-deuxième.
LEO PP. XIII.
- S. Greg. M. Lib. Regulae Past., p. 1, c. 1.[↩]
- Porro linguam latinam apud nos obsolescere nec quisquam est qui nesciat, et viri prudentes conqueruntur. Discitur tardissime, celerime didiscitur (Litt. Synod. Patrum Conc. Paris. ad clericos et fideles, an. 1819, in Collectio Lacensis, t. IV, col. 86).[↩]
- Encyclique : Æterni Patris.[↩]
- De Studiis Monasticis, part. II, c. 9.[↩]
- Const. Apost. Triumphantis Jerusalem.[↩]
- Pretiosas divini dogmatis gemmas insculpe, fideliter coapta, adorna sapienter ; adiice splendorem, gratiam, venustatem. (S. Vinc. Lir. Commonit., c. 2.) [↩]
- Même Constitution.[↩]
- 18 novembre 1893.[↩]
- Genus interpretandi audax atque immodice liberum (Lettre au Ministre Général des Frères Mineurs, 25 novembre 1898.[↩]
- Numquid Deus indiget vestro mendacio ?[↩]
- Theologicarum doctrinarum solidae scientiae conjungi debet Sacrorum Canonum cognitio … sine qua theologia erit imperfecta et quasi manca, nec non multi errores de Romani Pontificis, episcoporum juribus ac praesertim de potestate quam Ecclesia jure proprio exercuit, pro varietate temporum, forsitan serpent et paulatim invalescent (Conc. prov. Bitur. a. 1868).[↩]
- O Timothee, depositum custodi, devitans profanas vocum novitates, et oppositiones falsi nominis scientiae, quam quidam promittentes, circa fidem exciderunt.[↩]
- Zelus animarum laudandus est si sit discretus, rectus et purus.[↩]
- Importabilis siquidem absque scientia est zelus … Quo igitur zelus fervidior ac vehementior spiritus, profusiorque charitas, eo vigulantiori opus scientia est quae zelum supprimat, spiritum temperet, ordinet charitatem … Tolle hanc (discretionem) et virtus vitium erit, ipsaque affectio naturalis in perturbationem magis convertetur exterminiumque naturae (S. Bern. Serm. XLIX in Cant., n. 5.) [↩]
- Divinum quippe aedificium, quod est ecclesia, verissime nititur in fundamento conspicuo, primum quidem in Petro et successoribus ejus, proxime in apostolis et successoribus eorum, episcopis, quos, qui audit vel spernit, is perinde facit ac si audiat vel spernat Christum Dominum (Epist ad arch. Turon). [↩]
- Omnes episcopum sequimini ut Christus Jesus Patrem … Sine episcopo nemo quidquam faciat eorum quae ad Ecclesiam spectant (S. Ign. Ant. Ep. ad Smyrn. 8). Quemadmodum itaque dominus sine Patre nihil fecit … sic et vos sine episcopo (idem ad magn., VII). Vestrum presbyterium ita coaptatum sit episcopo ut chordae citharae (idem ad Ephes., IV).[↩]
- Quantum in vobis est, ordinem ab auctore Ecclesiae Deo providentissime constitutem funditus evertitis (Greg. xvi. Epist. Encycl., 15 aug. 1832).[↩]
- Cum enim a rebus saeculi in altiorem sublati locum conspiciantur, in eos tanquam in speculum reliqui oculos conjiciunt ex iisque sumunt quod imitentur. Quapropter sic decet omnino clericos, in sortem Domini vocatos, vitam moresque suos omnes componere, ut habitu, gestu, incessu, sermone aliisque omnibus rebus, nil nisi grave, moderatum, ac religione plenum prae se ferant ; leviam etiam delicta, quae in ipsis maxima essent, effugiant, ut eorum actiones cunctis afferant venerationem (S. Conc. Trid. Sess. XXII, de Reform., c. 1).[↩]
- Enarr., in Ps. XXXI, n., 4.[↩]
- Abest profecto a Nobis ut quaecumque horum temporum ingenium parit omnia repudiemus. Quin potius quidquid indagando veri auenitendo boni attingitur, ad patrimonium doctrinae augendum publit caeque prosperitatis fines proferendos, libentibus sane Nobis accedit. Id tamen omne, ne solidae utilitatis sit expers, esse ac vigere nequaquam debet Ecclesiae auctoritate sapientiaquae posthabita (Epist. ad S.R.E. Presbyt. Card. Gibbons, Archiep. Baltimor., die 22 ian. 1899).[↩]