Cette lettre encyclique souligne l’importance de l’unité dans l’Eglise, le souci de charité vis-à-vis des Orientaux et le respect pour le Siège apostolique qui furent les caractéristiques de la pensée et de l’action de saint Cyrille.
L’Eglise a toujours exalté, avec les louanges les plus élevées, saint Cyrille d’Alexandrie, gloire de l’Eglise orientale et incomparable défenseur de la Vierge, Mère de Dieu ; ces éloges, alors que quinze siècles se sont écoulés depuis qu’il a échangé l’exil terrestre contre la céleste patrie, il Nous plaît de les rappeler aujourd’hui brièvement dans cet écrit. Déjà, en effet, Notre prédécesseur saint Célestin Ier le qualifie de « bon défenseur de la foi catholique » [1], « prêtre digne de la plus haute approbation » [2], et « homme apostolique »[3]. Le concile œcuménique de Chalcédoine a non seulement recours à sa doctrine pour confondre et réfuter de nouvelles erreurs, mais il n’hésite pas à la comparer même à la sagesse de saint Léon le Grand[4] qui, à son tour, loue chaleureusement et recommande les écrits d’un si grand Docteur, précisément parce qu’ils concordent entièrement : avec la foi des saints Pères [5]. Ce n’est pas avec une moindre vénération que le Ve concile œcuménique, réuni à Constantinople, rend hommage à l’autorité de saint Cyrille[6] ; et plus tard, lors de la controverse sur les deux volontés dans le Christ, tant au Ier concile du Latran [7] qu’au VIe concile œcuménique, sa doctrine fut à juste titre et victorieusement vengée de nouveau de l’accusation de monothélisme dont quelques-uns la prétendaient à tort entachée. En effet, au témoignage de Notre très saint prédécesseur Agathon, « il fut le défenseur de la vérité » [8] et se montra très constant prédicateur de l’orthodoxie[9].
Zèle de saint Cyrille pour la défense de la doctrine
Nous estimons donc très opportun de mettre brièvement sa vie sans tache, sa foi, sa vertu sous les yeux de tous, mais en premier lieu de ceux qui, comme membres de l’Eglise orientale, se glorifient à bon droit de cette lumière de la sagesse chrétienne, de cet athlète de la force apostolique. D’une naissance honorable, et élevé au siège d’Alexandrie en 412, selon la tradition, il combattit tout d’abord par la parole et la publication de ses écrits les novatiens et autres corrupteurs et détracteurs de la vraie foi, se montrant d’une vigilance et d’un courage à toute épreuve. Ensuite, alors qu’en différentes contrées de l’Orient s’insinuait l’hérésie impie de Nestorius, il découvrit tout de suite, en pasteur vigilant, les nouvelles erreurs qui se faisaient jour, protégea par tous les moyens possibles le troupeau à lui confié, et pendant toute cette période, mais spécialement au concile d’Ephèse, fut le défenseur invincible et le docteur plein de sagesse de la maternité divine de la Vierge Marie, de l’union hypostatique dans le Christ et de la primauté du Pontife romain. Mais puisque, à l’occasion du XVe centenaire de ce concile œcuménique, Notre prédécesseur immédiat, Pie XI, d’heureuse mémoire, dans son encyclique Lux veritatis[10], a magistralement décrit et illustré le rôle prépondérant de saint Cyrille dans ce très grave débat, Nous estimons superflu d’y revenir en détail.
… et le retour à l’unité des frères séparés.
Ce ne fut pas assez pour saint Cyrille de combattre énergiquement les hérésies qui surgissaient, de défendre avec force et diligence l’intégrité de la doctrine catholique et de la placer avec ardeur en pleine lumière, mais de plus il tendit toujours de tout son pouvoir à ramener au droit chemin et à la vérité les frères égarés. En effet, lorsque les évêques de la province d’Antioche n’avaient pas encore reconnu l’autorité du saint concile d’Ephèse, Cyrille fut l’artisan zélé qui, après bien des tribulations, les ramena enfin à une pleine concorde. Et après avoir, avec l’aide de Dieu, obtenu cette paix, après l’avoir défendue contre les simulateurs et protégée avec zèle, mûr pour la récompense éternelle et la gloire, en l’an 444, il s’envola au ciel, laissant en pleurs tous les hommes de bien.
Les fidèles de rite oriental ne se contentent pas de le placer au nombre des « Pères œcuméniques », mais ils l’honorent aussi des plus grandes louanges dans leurs prières liturgiques. Ainsi, par exemple, dans les « Menées » du 9 juin, ils chantent : « L’esprit illuminé par les flammes du Saint-Esprit, ô Cyrille, soleil resplendissant, tu as lancé tes oracles comme des rayons, tu as envoyé tes dogmes par tout l’univers, illuminant toutes les saintes assemblées, ô bienheureux et divin Cyrille, et poursuivant les ténèbres de l’hérésie par la puissance et les forces du splendide fruit des entrailles de Marie. » C’est donc bien à juste titre que les fils de l’Eglise orientale se réjouissent de posséder ce très saint Père comme une insigne gloire de famille. Car en lui brillent d’une façon toute spéciale ces trois qualités de l’âme, qui ont tant illustré aussi les autres Pères de l’Orient, à savoir une éminente sainteté de vie où domine une ardente piété pour la sublime Mère de Dieu ; une doctrine en tout point admirable, grâce à laquelle la Sacrée Congrégation des Rites lui a conféré, par décret du 28 juillet 1882, le titre de docteur de l’Eglise universelle ; enfin, un zèle actif et éclairé, qui lui a fait repousser d’un cœur invincible les assauts des hérétiques, affirmer, défendre et infatigablement propager, autant qu’il l’a pu, la foi catholique.
Mais si Nous félicitons de cœur tous les peuples chrétiens d’Orient de vénérer avec ferveur saint Cyrille, Nous n’en n’éprouvons pas moins de douleur en constatant que tous ne se sont pas rendus à cette unité si désirée, qu’il a lui-même tant aimée et propagée ; et Nous le regrettons surtout en notre temps où il serait plus nécessaire que tous les chrétiens unissant leurs intentions et leurs forces soient rassemblés dans l’unique Eglise de Jésus-Christ et forment une armée commune serrée, unie, inébranlable, pour résister aux efforts chaque jour grandissants de l’impiété.
Mais pour obtenir ce résultat, il est absolument nécessaire que tous, à la suite de saint Cyrille, réalisent cette concorde des esprits, qui doit être assurée par le triple lien par lequel le Christ Jésus, fondateur de l’Eglise, a voulu qu’elle soit liée et maintenue, comme par le lien suprême et indestructible établi par lui, à savoir par Punique foi catholique, Punique charité envers Dieu et envers tous, et enfin, par Punique obéissance et soumission à la hiérarchie légitime donnée par le divin Rédempteur lui-même. Ces trois liens, comme vous le savez parfaitement, Vénérables Frères, sont si nécessaires que si l’un d’eux vient à manquer on ne peut même pas concevoir ni vraie unité ni concorde dans l’Eglise du Christ.
I. Saint Cyrille, défenseur de l’unité de la foi chrétienne
Or, pour tendre avec ardeur à l’obtention de cette vraie concorde, pour la conserver avec vaillance, Nous désirons que le patriarche d’Alexandrie soit aujourd’hui, comme il le fut dans son époque orageuse, maître et exemple illustre pour tous. Et pour commencer par l’unité de la foi chrétienne, il n’est personne qui ignore son ardeur inébranlable à la défendre sans relâche : « Nous, affirme-t-il, qui avons pour amis la vérité et les dogmes de la vérité, jamais nous ne les suivrons (les hérétiques) ; mais, marchant sur les traces des saints Pères, nous garderons le dépôt de la Révélation divine contre toutes les erreurs. » [11] Pour combattre jusqu’à la mort ce bon combat, il était prêt à supporter les épreuves les plus amères : « Pour moi, écrit-il, mon plus grand désir est de travailler, de vivre et de mourir pour la foi qui est dans le Christ. » [12] « Aucune injure, aucun outrage, aucune invective ne m’émeuvent… pourvu que la foi soit entière et sauve. » [13] Et aspirant d’un cœur noble et fort à la palme du martyre, il prononça ces mots pleins de générosité :
« J’ai décidé de braver pour la foi du Christ n’importe quel labeur, de supporter n’importe quel tourment, même ceux que l’on réputé parmi les supplices les plus douloureux, jusqu’à ce qu’enfin je subisse la mort, qui pour cette cause me sera agréable. » [14] « En effet, si nous avions craint de prêcher la vérité pour la gloire de Dieu afin de ne pas nous exposer à quelques désagréments, de quel front, je le demande, exalterions-nous devant le peuple les combats et les triomphes des martyrs ? » [15]
Alors que dans les monastères d’Egypte il y avait de fréquentes et très âpres disputes autour de la nouvelle hérésie de Nestorius, en pasteur très vigilant il avertit les moines des erreurs et des dangers de cette doctrine, non pour attiser les querelles et les discussions, « mais afin que si quelques-uns devaient vous attaquer, leur écrit-il, opposant la vérité à leurs futilités, vous échappiez vous-mêmes au fléau de l’erreur et ameniez les autres fraternellement par des arguments opportuns à garder avec constance, comme une pierre précieuse sertie dans leurs âmes, la foi confiée autrefois aux Eglises par les saints apôtres »[16]. Comme l’avoueront sans difficulté tous ceux qui ont lu ses lettres sur l’affaire d’Antioche, il met en pleine lumière le fait que cette foi chrétienne, que nous devons garder et défendre de toutes nos forces, nous a été donnée par la Sainte Ecriture et la doctrine des saints Pères[17], et qu’elle nous est proposée clairement et légitimement par le magistère vivant et infaillible de l’Eglise. En effet, quand les évêques de la province d’Antioche prétendaient, pour établir et conserver la paix, qu’il suffisait de retenir seulement la foi de Nicée, saint Cyrille, tout en adhérant fermement au Symbole de Nicée, réclama aussi de ses frères dans l’épiscopat, pour affermir l’unité, la réprobation et la condamnation de l’hérésie nestorienne. Car il savait très bien qu’il ne suffît pas d’accepter avec soumission les documents anciens du magistère ecclésiastique, mais qu’il faut encore embrasser d’un esprit humble et fidèle tous ceux que par la suite l’Eglise, en vertu de son autorité suprême, nous ordonne de croire. Bien plus, même sous prétexte de ranimer la concorde, il n’est pas permis de dissimuler un seul dogme ; en effet, comme nous en avertit le patriarche d’Alexandrie : « Désirer la paix, c’est vraiment le plus grand bien et le principal ; cependant, ce n’est pas à cause de cela qu’il faut mépriser la vertu de piété dans le Christ. »[18] C’est pourquoi elle ne conduit pas au retour si désiré des fils égarés à la vraie et juste unité dans le Christ, cette méthode qui adopte seulement les chefs de doctrine sur lesquels tombent d’accord toutes ou presque toutes les communautés qui se glorifient du nom de chrétiennes, mais bien plutôt celle qui pose, comme fondement de la concorde et de l’accord des fidèles du Christ, toutes les vérités divinement révélées dans leur intégrité.
A cause de son énergie indomptable à garder et à défendre la foi, saint Cyrille d’Alexandrie doit servir d’exemple à tous. En effet, sitôt découverte l’erreur de Nestorius, il la réfuta par des lettres et d’autres écrits, en appela au Pontife romain et, au concile d’Ephèse en qualité de légat pontifical, il réfuta et condamna l’hérésie qui croissait de proche en proche par une doctrine remarquable et d’un cœur intrépide, si bien que, après lecture publique de la lettre de saint Cyrille appelée « dogmatique », tous les Pères du concile la déclarèrent, par une sentence solennelle, entièrement conforme à la vraie foi. En outre, c’est à cause de cette énergie apostolique qu’il fut iniquement chassé de sa charge épiscopale et qu’il supporta avec une sérénité invincible les injures des frères, le blâme d’un conciliabule illégitime, les prisons et bien d’autres angoisses. De même, pour s’acquitter en conscience de son très saint office, il n’hésita pas à résister ouvertement non seulement aux évêques qui s’étaient écartés du droit chemin de la vérité et de la concorde, mais à l’auguste empereur lui-même. Enfin, comme nul ne l’ignore, pour entretenir et protéger la foi chrétienne, il composa un nombre presque incalculable de volumes, dans lesquels brillent excellemment la lumière de sa sagesse, la constance intrépide de son cœur et le zèle de sa sollicitude pastorale.
II. Modèle de charité envers les égarés
Au lien de la foi il faut joindre la charité qui nous unit entre nous et au Christ ; la charité qui, animée et mue par le Saint-Esprit, relie entre eux d’un lien indestructible les membres du Corps mystique du Rédempteur. Cette charité ne doit pas refuser d’embrasser les égarés et ceux qui se sont trompés de route ; on peut en voir un exemple dans la façon d’agir si remarquable de saint Cyrille. En effet, bien qu’il eût combattu énergiquement l’hérésie de Nestorius, il déclare cependant ouvertement, brûlant de charité, qu’il ne permet à personne de prétendre aimer Nestorius plus ardemment qu’il ne l’aime lui-même [19]. Et cela à bon droit. Il faut, en effet, considérer ceux qui s’écartent du droit chemin comme des frères malades et les traiter avec douceur et bonté. A ce propos, il sera utile de rappeler ces très prudents conseils du patriarche d’Alexandrie : « L’affaire, dit-il, réclame une grande modération. » [20]« Car d’âpres discussions poussent la plupart à l’impudence ; mieux vaut subir avec douceur ceux qui résistent que de leur créer des embarras à la pointe du droit. De même que si leur corps était malade, il faudrait le palper d’une main légère, ainsi il faut secourir leur âme chancelante avec une certaine prudence en guise de remède. De cette façon, eux aussi reviendront pas à pas à la sincérité. » [21]Et il ajoute ailleurs : « Nous avons imité la diligence des médecins habiles : ceux-ci, en effet, ne soignent pas aussitôt par le feu ou le fer les maladies et les blessures du corps, mais ils traitent d’abord la plaie avec des médicaments lénitifs, attendant le moment opportun de la cautérisation et de l’opération. » [22] Animé d’une telle miséricorde et bienveillance pour les égarés, il se déclare ouvertement « amant passionné de la paix et totalement étranger aux disputes et aux querelles, tel, enfin, qu’il souhaite les aimer tous et être réciproquement aimé de tous » [23].
Son amour de la concorde,
Ce penchant du saint docteur pour la concorde apparaît tout spécialement alors que, revenu de sa sévérité antérieure, il vaquait avec soin et diligence à l’établissement de la paix avec les évêques de la province d’Antioche. A propos de leur légat, il écrit entre autres : « Peut-être se figurait-il aller au-devant de rudes combats pour nous persuader que les Eglises devaient être unies dans la concorde et la paix, qu’il fallait écarter le prétexte à la moquerie des hétérodoxes, qu’il faillait briser la coalition de la méchanceté diabolique. De fait, il nous a trouvé si bien disposé à tout cela qu’il n’a eu absolument rien à faire. Nous nous souvenons, en effet, de ces paroles du Sauveur : « Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. »[24] Mais comme à l’établissement de cette paix faisaient obstacle les douze chapitres composés par saint Cyrille au synode d’Alexandrie – chapitres traitant de « l’union physique » dans le Christ, et pour cette raison rejetés comme hétérodoxes par les antiochéens – le très bienveillant patriarche, sans les désavouer ni rejeter, puisqu’ils proposaient une doctrine orthodoxe, s’expliqua néanmoins dans plusieurs lettres, de manière à écarter la moindre apparence d’erreur et à aplanir la voie à la concorde. Et de ceci, il avisa les évêques « non comme des adversaires, mais comme des frères » [25]. En effet, écrit-il, « pour la paix des Eglises et afin qu’elles ne soient pas divisées par des divergences d’opinions, les condescendances ne sont pas inutiles » [26]. Il s’ensuivit heureusement que la charité de saint Cyrille recueillit en abondance les fruits si désirés de la paix. Quand il ‑put enfin contempler cette paix naissante et embrasser d’un cœur fraternel les évêques de la province d’Antioche qui condamnaient l’hérésie nestorienne, rempli de joie surnaturelle il s’écria : « Que les cieux se réjouissent et que la terre exulte ! Car elle est abattue la paroi qui nous séparait, calmée la cause de notre affliction, écartée toute discorde, puisque le Christ, notre Sauveur à nous tous, a accordé la paix à ses Eglises. » [27]
L’estime de l’Eglise pour les Orientaux.
En vérité, Vénérables Frères, à notre époque comme en ces temps lointains, pour travailler avec succès à cette conciliation des fils dissidents, à laquelle tendent tous les gens de bien, le secours le plus efficace sera sans aucun doute, avec l’inspiration et l’aide de Dieu, une sincère et efficace bienveillance des esprits. Cette affectueuse bienveillance favorise la connaissance réciproque, que Nos prédécesseurs se sont tant efforcés de procurer et de développer par diverses entreprises, en particulier par fondation dans la Ville éternelle de l’Institut pontifical destiné à promouvoir les hautes études orientales. Il faut de même envelopper d’une estime méritée tout ce qui constitue pour les Orientaux comme un patrimoine propre légué par leurs ancêtres, à savoir ce qui regarde la liturgie sacrée et les ordres hiérarchiques, ainsi que tout ce qui concerne les autres aspects de la vie chrétienne, pourvu que tout cela soit en complet accord avec la vraie foi religieuse et les normes des bonnes mœurs. Il est nécessaire, en effet, que chacun et tous les peuples de rite oriental, en tout ce qui dépend de leur histoire particulière, de leur génie et caractère propre, jouissent d’une légitime liberté pourvu qu’elle n’aille pas à l’encontre de la vraie et intégrale doctrine de Jésus-Christ. Et ceci, qu’ils le sachent et le considèrent attentivement, aussi bien ceux qui sont nés dans l’Eglise catholique que ceux qui tendent vers elle par leurs désirs et leurs vœux ; de plus, que tous soient bien certains et convaincus que jamais ils ne seront forcés d’échanger leurs légitimes rites propres et leurs antiques institutions avec les rites et institutions latines. Les uns et les autres doivent être tenus en égale estime et honneur parce qu’ils entourent l’Eglise, Mère commune, comme d’une royale variété. Bien plus, cette diversité de rites et d’institutions, en gardant intact et inviolable ce qui pour chacun est ancien et précieux ne s’oppose aucunement à une vraie et sincère unité. Plus que jamais, en ces temps où la discorde et la rivalité de la guerre ont presque partout éloigné les uns des autres les esprits des hommes, il faut que tous, mus par la charité chrétienne, soient de plus en plus stimulés à rétablir par tous les moyens l’union dans le Christ et par le Christ.
III. Union très étroite de saint Cyrille avec le Siège Apostolique
Cependant, l’œuvre de la foi et de la charité serait absolument défectueuse et inefficace pour affermir l’unité dans le Christ Jésus, si elle ne s’appuyait sur cette pierre sur laquelle l’Eglise a été divinement fondée, c’est-à-dire sur l’autorité suprême de Pierre et de ses successeurs. Et ceci est lumineusement prouvé par la conduite du patriarche d’Alexandrie dans sa mission si importante. Tant en poursuivant l’hérésie nestorienne qu’en établissant l’accord avec les évêques de la province d’Antioche, il agit toujours dans l’union la plus étroite avec le Siège apostolique. En effet, quand ce prélat vigilant reconnut que, au péril de jour en jour plus grand de la vraie foi, les erreurs de Nestorius s’insinuaient et progressaient partout, il écrivit des lettres à Notre prédécesseur saint Célestin Ier dans lesquelles on lit entre autres : « Puisque Dieu exige de nous la vigilance dans ces matières et qu’une antique coutume des Eglises persuade de communiquer pareilles questions à Votre Sainteté, j’écris, poussé par une pressante nécessité. » [28] A ces paroles, le Pontife romain répond qu’il a embrassé Cyrille « comme présent dans ses lettres, puisqu’ils ont un unique et même sentiment dans le Seigneur » [29]. C’est pourquoi le Souverain Pontife délégua l’autorité apostolique à ce docteur si orthodoxe, autorité en vertu de laquelle il prendrait soin de faire exécuter les décrets déjà portés au concile de Rome contre Nestorius. Il est bien clair pour tous, Vénérables Frères, qu’au concile d’Ephèse le patriarche d’Alexandrie représentait légitimement le Pontife romain qui recommanda tout spécialement à ses propres légats de confirmer l’œuvre et l’autorité de saint Cyrille. C’est donc au nom de l’évêque de Rome qu’il présida ce saint synode et que, le premier de tous, il en signa les actes. Et si patente pour tous, si évidente était la concorde entre le Siège apostolique et celui d’Alexandrie, que, lorsqu’il fut donné publiquement lecture de la lettre de saint Célestin dans la deuxième session du concile, les Pères s’écrièrent unanimes : « Le jugement est juste. Du nouveau Paul Célestin à Cyrille, du nouveau Paul Cyrille à Célestin gardien de la foi, à Célestin en accord avec le synode, à Célestin le synode entier rend grâces. Un seul Célestin, un seul Cyrille, une seule foi au synode, une seule foi de tout l’univers. » [30]Rien d’étonnant, donc, que peu après Cyrille ait écrit : « A la rectitude de ma foi ont rendu témoignage et l’Eglise romaine et aussi le saint synode qui, si je puis m’exprimer ainsi, représentait l’univers envier. » [31]
En outre, cette constante union de saint Cyrille avec le Saint-Siège apparaît clairement si Nous considérons ce qu’il fit pour établir et consolider la paix avec les évêques de la province d’Antioche. En effet, Notre prédécesseur, saint Célestin, bien qu’il approuvât et ratifiât ce que l’évêque d’Alexandrie avait fait au synode d’Ephèse, jugea néanmoins devoir en excepter la sentence d’excommunication, que le président du concile avait portée avec les autres Pères contre les antiochéens. « Quant à ceux, dit le Pontife romain, qui semblent avoir consenti à la même impiété que Nestorius…, bien qu’on ait lu contre eux votre sentence, cependant Nous aussi Nous décrétons ce qui Nous paraît opportun. Dans de telles affaires, il faut considérer bien des choses, dont le Siège apostolique a toujours tenu compte… S’il donne espoir d’amendement, nous voulons que votre fraternité se mette en rapport par lettre avec l’Antiochéen… Il faut espérer de la divine miséricorde que tous reviendront sur le chemin de la vérité. » [32] Obéissant à ces normes données par le Siège romain, saint Cyrille commença à agir en vue du retour de la paix et de la concorde avec les évêques de la province d’Antioche. Comme, entre temps, saint Célestin étant très pieusement décédé, certains rapportaient de son successeur, Sixte III, qu’il lui avait déplu de voir Nestorius déposé de sa charge épiscopale, le patriarche d’Alexandrie réfuta ces bruits par les paroles suivantes : « Il (Sixte) a écrit en pleine harmonie avec le saint synode, il a confirmé toutes ses décisions et pense comme Nous. » [33]
De tout ceci il ressort avec évidence que saint Cyrille a toujours été en parfait accord avec le Siège apostolique, que Nos prédécesseurs ont considéré ses actes comme s’ils étaient les leurs et l’ont comblé d’éloges mérités. Saint Célestin, par exemple, en plus d’innombrables témoignages de confiance et de gratitude, lui écrivait entre autres : « Nous Nous félicitons que Votre Sainteté soit douée d’une vigilance telle que vous ayez déjà dépassé les exemples de vos prédécesseurs qui pourtant, eux aussi, se sont toujours montrés les défenseurs des dogmes de l’orthodoxie… Vous avez découvert tous les pièges de la prédication fallacieuse. C’est un grand triomphe pour notre foi que vous ayez si vaillamment affirmé nos dogmes et réfuté ainsi les dogmes contraires par les témoignages des Saintes Ecritures. » [34] Et lorsque son successeur au souverain pontificat, saint Sixte III, reçut du patriarche d’Alexandrie la nouvelle de la conclusion de la paix et de la conciliation, plein de joie il lui écrivit : « Alors que Nous étions en souci, car Nous voulons que personne ne périsse, voici que Votre Sainteté Nous signifie par ses lettres que le Corps de l’Eglise est rétabli dans son unité. Ses articulations fonctionnant à nouveau dans leurs propres membres. Nous ne voyons plus personne errer au-dehors puisqu’une foi unique atteste que tous sont à leur place au-dedans… La fraternité universelle se réunit autour du bienheureux apôtre Pierre : c’est bien le lieu qu’il faut aux auditeurs et qui convient aux choses qu’il faut entendre… Les frères sont revenus à Nous, à nous, dis-je, qui après avoir traité la maladie d’un zèle commun, avons fait retrouver la santé aux âmes… Exulte, très cher Frère, exulte en vainqueur, car les frères sont revenus à Nous. L’Eglise cherchait ceux qu’elle a reçus. Car si Nous voulons qu’aucun des petits ne périsse, combien plus devons-Nous Nous réjouir de la santé des chefs ? » [35] Consolé par ces paroles de Notre prédécesseur, l’évêque d’Alexandrie, défenseur infatigable de la vraie foi et artisan très zélé de la concorde chrétienne, mourut dans la paix du Christ.
Comment travailler au retour des Orientaux.
Nous, Vénérables Frères, qui célébrons le quinzième anniversaire de cette naissance céleste, Nous désirons et souhaitons vivement que tous ceux qui se réclament du nom de chrétiens travaillent chaque jour davantage, sous le patronage et à l’exemple de saint Cyrille, à l’heureux retour à Nous et à la seule Eglise de Jésus-Christ des frères orientaux dissidents. Que la foi pure et orthodoxe soit une pour tous ; une la charité qui nous unisse tous dans le Corps mystique de Jésus-Christ ; une, enfin, zélée et agissante, la fidélité envers le Siège du bienheureux Pierre. Qu’à cette œuvre très noble et méritoire consacrent toutes leurs forces, non seulement tous les hommes qui vivent en Orient et qui, par une estime réciproque, par des relations bienveillantes, par l’exemple d’une vie irréprochable, pourront plus facilement attirer à l’unité de l’Eglise les frères séparés, surtout les ministres du sanctuaire, mais aussi tous les fidèles du. Christ en implorant de Dieu par leurs prières un seul royaume du divin Rédempteur dans le monde entier, un seul bercail pour tous. A tous ceux-là Nous recommandons avant tout ce secours très puissant qui, dans toute œuvre à entreprendre pour le salut des âmes, doit être le premier dans le temps et le principal dans l’efficacité : c’est-à-dire la prière adressée à Dieu avec un cœur ardent, humble et confiant. Nous désirons qu’ils fassent intervenir le très puissant patronage de la Vierge Mère de Dieu, pour que, par l’intercession de cette très bienveillante avocate et mère très aimante de tous, le divin Esprit éclaire de sa lumière surnaturelle les esprits des Orientaux et que nous soyons tous un dans l’unique Eglise fondée par Jésus-Christ, nourrie d’une intarissable pluie de grâces et stimulée à la sainteté par l’Esprit Paraclet lui-même. A ceux qui vivent dans les séminaires ou dans d’autres collèges, Nous voulons recommander spécialement « la Journée pour l’Orient » ; qu’en ce jour des prières plus ferventes s’élèvent au divin Pasteur de l’Eglise universelle et que l’on excite les jeunes avec plus d’ardeur à désirer cette très sainte unité. Enfin, que tous ceux qui collaborent avec la hiérarchie ecclésiastique, soit qu’ils aient reçu l’honneur des ordres sacrés, soit qu’ils fassent partie de l’Action catholique ou d’autres associations, travaillent à promouvoir toujours plus l’union si désirée de tous les Orientaux au Père commun, tant par la prière que par les écrits et par la parole.
Invitation aux évêques orientaux.
Plaise à Dieu que Notre invitation paternelle et ardente soit aussi entendue avec bienveillance par les évêques dissidents et leurs troupeaux qui, bien que séparés de Nous, louent et vénèrent cependant le patriarche d’Alexandrie comme une gloire de famille. Que ce très illustre docteur leur serve de maître et d’exemple pour rétablir la concorde par ce triple lien, que lui-même a tant recommandé comme une chose absolument nécessaire et par lequel le divin Fondateur de l’Eglise a voulu que fussent liés tous ses fils. Qu’ils se souviennent que Nous occupons aujourd’hui, par disposition de la divine Providence, le Siège apostolique auquel l’évêque d’Alexandrie, poussé par la conscience de son propre devoir, en appela soit pour défendre avec des armes sûres la foi orthodoxe contre les erreurs de Nestorius, soit aussi afin de marquer comme d’un sceau divin l’accord pacifique avec les frères dissidents. Qu’ils sachent que Nous sommes mû par la même charité que Nos prédécesseurs, que Nous aspirons par-dessus tout par des vœux et des prières assidues à voir enfin briller le jour où, tous les obstacles invétérés étant heureusement écartés, il y aura dans un seul bercail un seul troupeau obéissant à Jésus-Christ et à son Vicaire sur terre.
Nous Nous adressons tout particulièrement à ces fils dissidents de l’Orient qui, tout en honorant d’une suprême vénération saint Cyrille, ne reconnaissent cependant pas l’autorité du concile de Chalcédoine parce qu’il y fut solennellement défini qu’il y a une double nature en Jésus-Christ. Qu’ils considèrent que, par sa sentence, le patriarche d’Alexandrie ne s’oppose pas aux décrets portés ensuite au concile de Chalcédoine alors que surgissaient de nouvelles erreurs. Il écrit, en effet, ouvertement : « Il ne faut pas écarter et répudier aussitôt tout ce que disent les hérétiques, car ils confessent bien des vérités que nous affirmons aussi. Ainsi en est-il de Nestorius lui-même qui, bien qu’il affirme deux natures, signifiant par là la différence entre la chair et le Verbe de Dieu – autre, en effet, est la nature du Verbe, autre celle de la chair – ne confesse cependant pas avec nous l’union. »[36]
De même il est permis d’espérer que les tenants actuels de Nestorius, eux aussi, s’ils examinent attentivement et sans préjugés les écrits de saint Cyrille, verront s’ouvrir devant eux la voie qui mène à la vérité et se sentiront, avec l’aide de la grâce divine, rappelés au giron de l’Eglise catholique.
Il ne Nous reste plus, Vénérables Frères, qu’à implorer pour cette célébration du XVe centenaire de saint Cyrille, le puissant patronage de ce saint docteur sur l’Eglise universelle, et spécialement sur tous ceux qui, en Orient, se glorifient du nom de chrétien, demandant par-dessus tout que dans les frères et fils dissidents s’accomplissent heureusement ce qu’il écrivit un jour plein de joie reconnaissante : « Voici que les membres séparés du corps ecclésiastique sont de nouveau réunis entre eux et qu’il ne subsiste plus rien qui par discorde divise les ministres de l’Evangile du Christ. » [37]
Fort de cette douce espérance, comme gage des faveurs célestes, en témoignage de Notre paternelle bienveillance, à vous tous, Vénérables Frères, et à chacun d’entre vous, aux troupeaux qui vous sont confiés, Nous accordons, très affectueusement dans le Seigneur, la Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-Augustin Saint Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., XXXVI, 1944, p. 129 ; traduction française officielle de Rome publiée par l’Imprimerie polyglotte vaticane.
- Ep. XII, 4 ; Migne, P. L., L, 467.[↩]
- Ep. XIII, 2 ; ibid., 471.[↩]
- Ep. XXV, 7 ; ibid., 552.[↩]
- Cf. Mansi, VI, 953, 956–7 ; VII, 9.[↩]
- Cf. Ep. ad Imp. Theodosium ; Migne, P. L., LIV, 891.[↩]
- Cf. Mansi, IX, 231 s.[↩]
- Cf. Mansi, X, 1076 s.[↩]
- Cf. Mansi, XI, 270 s.[↩]
- Cf. Ibid., 262 s.[↩]
- A. A. S., XXIII, 1931, p. 493 et suiv.[↩]
- Cf. in Ioan., I. 10 ; Migne, P. G., LXXIV, 419.[↩]
- Ep. X ; Migne, P. G., LXXVII, 78.[↩]
- Ep. IX ; ibid., 62.[↩]
- Ep. X ; ibid., 70.[↩]
- Ep. IX ; ibid., 63.[↩]
- Ep. 1 ; ibid., 14.[↩]
- Cf. Ep. LV ; ibid., 292–293.[↩]
- Ep. LXI ; ibid., 325.[↩]
- Cf. Ep. IX ; ibid., 62.[↩]
- Ep. LVII ; ibid., 322.[↩]
- Ep. LVIII ; ibid., 322.[↩]
- Ep. XVIII ; ibid., 123–126.[↩]
- Ep. IX ; ibid., 62.[↩]
- Ep. XXXIX ; ibid., 175.[↩]
- Ep. XXXIII ; ibid., 161.[↩]
- Ep. XLIII ; ibid., 222–224.[↩]
- Ep. XXXIX ; ibid., 174.[↩]
- Ep. XI ; ibid., 79.[↩]
- Cf. Ep. ad Cyrillum ; ibid., 90.[↩]
- Mansi, IV, 1287.[↩]
- Apol. ad Theodos. ; Migne, P. G., LXXVI, 482.[↩]
- Ep. XXII ; Migne, P. L., L, 542–543.[↩]
- Ep. XL ; Migne, P. G., LXXVII, 202.[↩]
- Ep. XI. 1–2 ; Migne, P. L., L, 461.[↩]
- Ep. V, 1, 3, 5 ; ibid., 602–604.[↩]
- Ep. XLIV ; Migne, P. G., LXXVII, 226.[↩]
- Ep. XLIX ; ibid., 254.[↩]