Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

15 décembre 1952

Lettre encyclique Orientales Ecclesias

Sur les églises d'Orient et la situation inespérée en Bulgarie

Table des matières

Cette lettre est adres­sée aux Evêques des Eglises orientales.

Le Saint-​Père rappelle les sollicitudes du Siège Romain envers les Eglises d’Orient.

Les Eglises Orientales, ren­dues illustres par la doc­trine des Pères de l’Eglise et bai­gnées du sang des mar­tyrs dès les temps les plus anciens, aux époques plus récentes et même de nos jours, ont tou­jours for­mé, de façon très par­ti­cu­lière, comme tout le monde le sait, l’objet de Nos sol­li­ci­tudes ; en effet, dès que, sans aucun mérite de Notre part, par un mys­té­rieux des­sein de Dieu, Nous fûmes éle­vé à la Chaire du Prince des Apôtres, Notre esprit et Notre cœur se tour­nèrent vers vous et aus­si vers ceux qui « se trouvent hors de l’Eglise catho­lique » [1], et que Nous dési­rons ardem­ment voir retour­ner au plus tôt au ber­cail du Père com­mun, demeure de leurs ancêtres [2].

Nous vous avons don­né d’autres preuves de Notre pater­nelle bien­veillance au cours de Notre Pontificat. Vous savez, en effet, que Nous avons hono­ré de la digni­té de la pourpre romaine un autre de vos évêques, le Patriar­che des Arméniens de Cilicie [3], et que Nous veillons à la codi­fi­ca­tion des lois cano­niques qui vous concernent : œuvre de la plus grande impor­tance, qui est désor­mais presque ache­vée[4]. Mais il n’est pas néces­saire de vous rap­pe­ler plus lon­gue­ment des choses qui sans aucun doute vous sont bien connues ; et du reste, en cela, nous avons sui­vi les traces de Nos Prédécesseurs [5], qui, dès les débuts du chris­tia­nisme, non seule­ment entou­rèrent d’une affec­tion par­ti­cu­lière vos ancêtres, mais eurent d’autre part l’habitude de leur venir en aide, dans la mesure du possi­ble, chaque fois qu’ils les virent mena­cés par l’hérésie ou bien gémir sous la ter­reur et les per­sé­cu­tions des enne­mis. C’est ain­si qu’avec l’autorité apos­to­lique confiée par le Divin Rédempteur au Prince des Apôtres et à ses succes­seurs, les Pontifes Romains défen­dirent l’intégrité de la doc­trine catho­lique aux Ier et IIe Conciles de Nicée, aux Ier et IIIe Conciles de Constantinople et à ceux d’Ephèse et de Chalcédoine ; et quand un déplo­rable dif­fé­rend sépa­ra de Rome une grande par­tie des Eglises Orientales, non seule­ment ils le réprou­vèrent au IVe Concile de Cons­tantinople, mais ils s’employèrent éga­le­ment de toutes les manières à ce que, dans l’intérêt com­mun, la chose trou­vât une heu­reuse solu­tion ; on y par­vint au Concile de Florence après de nom­breux, louables et dif­fi­ciles efforts, mais à l’encontre des aspi­ra­tions de toutes les consciences droites, les déci­sions prises ne furent pas mises en pra­tique par la suite. Lorsque plus tard les régions orien­tales furent enva­hies par de nou­veaux peuples, qui dévas­tèrent même les lieux saints de Palestine, consa­crés par le sang divin de Jésus-​Christ, les Pontifes Romains inci­tèrent les Princes chré­tiens à la grande entre­prise de la défense de la reli­gion. Ces sol­li­ci­tudes empres­sées et cette bien­veillance de Nos Prédécesseurs envers vos com­pa­triotes n’ont pas fai­bli ni dis­pa­ru de nos jours ; il semble même qu’elles n’aient fait qu’augmenter sans cesse. Comme vous le savez, en effet, nom­breux furent ceux qu’envoya chez vous le Saint-​Siège pour expo­ser la doc­trine catho­lique et pour convaincre tout le monde de retour­ner à l’unité si dési­rée de foi et de gou­ver­ne­ment ; d’autre part, ici même près du siège de Pierre, fut ins­ti­tuée une Sacrée Congrégation, dont le but était pré­ci­sé­ment de veiller aux inté­rêts et aux rites des Eglises Orientales, et un Institut pour les Etudes Orien­tales fut éga­le­ment fon­dé pour culti­ver et pro­mou­voir, avec la plus grande dili­gence, la juste connais­sance des choses de l’Orient.

Aujourd’hui, les Eglises d’Orient sont soumises à de violentes persé­cutions provoquées par les régimes communistes.

Mais à pré­sent, hélas ! d’autres motifs réclament Nos soins et Nos sol­li­ci­tudes. En effet, dans de nom­breuses régions, où est sur­tout en vigueur le Rite Oriental, une nou­velle tem­pête s’est déchaî­née qui cherche à tout bou­leverser, à dévas­ter et détruire misé­ra­ble­ment des commu­nautés chré­tiennes flo­ris­santes. Si dans les siècles pas­sés, c’était quelque dogme par­ti­cu­lier de la doc­trine catho­lique qui se trou­vait atta­qué, aujourd’hui, en revanche, comme vous le voyez, on va auda­cieu­se­ment au-​delà : on cherche à effa­cer de la socié­té, des familles, des Universités, des écoles et de la vie des popu­la­tions tout ce qui est divin ou qui exprime une rela­tion avec la divi­ni­té, comme s’il s’agissait de fables ou de choses néfastes ; et les droits, les ins­ti­tu­tions, les lois sacrées sont fou­lés aux pieds.

Aussi plus lourd est le poids des maux qui opprime une par­tie si choi­sie de la chré­tien­té, plus grande, ô Véné­rables Frères, est Notre bien­veillance à votre égard, plus ardent est l’amour pater­nel que Nous nour­ris­sons envers vous tous.

Et en pre­mier lieu Nous vou­lons qu’il soit évident pour vous, de la façon la plus claire, que Nous consi­dé­rons vos dou­leurs et vos deuils comme les Nôtres, et Nous n’avons pas de désir plus ardent que d’apporter quelque sou­la­ge­ment à vos souf­frances, sur­tout par Nos prières et celles de tous les chré­tiens, en faveur de tous ceux qui sont per­sé­cu­tés pour avoir défen­du comme il le fal­lait, la reli­gion catho­lique et ses droits sacrés. Nous savons qu’il y a un très grand nombre de chré­tiens de Rite Orien­tal, qui pleurent amè­re­ment aujourd’hui en voyant leurs évêques mis à mort, dis­pa­rus ou tel­le­ment entra­vés dans leur minis­tère qu’ils ne peuvent adres­ser libre­ment la parole à leurs trou­peaux, ni exer­cer sur eux, comme il convient, leur auto­ri­té ; en voyant bon nombre de leurs églises des­ti­nées à des usages pro­fanes, ou lais­sées dans le plus sombre aban­don ; en sachant que désor­mais de ces églises, ne peuvent plus s’élever vers le Ciel les voix de ceux qui prient, selon les admi­rables mélo­dies de votre si belle litur­gie, pour faire des­cendre la rosée des grâces célestes en vue d’élever les esprits, de conso­ler les cœurs et de remé­dier à une si grande accu­mu­la­tion de maux.

Nous savons que beau­coup de vos com­pa­triotes sont relé­gués dans les pri­sons ou dans les camps de concen­tration, et que, même s’ils vivent dans leurs mai­sons, ils ne peuvent exer­cer les droits sacro-​saints qui sont les leurs, à savoir non seule­ment le droit de pro­fes­ser leur foi dans le sanc­tuaire intime de leur conscience, mais encore celui de pou­voir ouver­te­ment l’enseigner, la défendre et la pro­pager dans le milieu fami­lial par une édu­ca­tion conve­nable des enfants, et à l’école par une saine for­ma­tion des élèves.

Toutefois Nous savons aus­si que les fils des Eglises Orientales, fra­ter­nel­le­ment unis aux fidèles de Rite Latin, sup­portent ensemble avec cou­rage les deuils de ces persé­cutions, et de la même façon, par­ti­cipent ensemble au mar­tyre, au triomphe et à la gloire qui en dérivent. En effet, ils per­sé­vèrent héroï­que­ment dans leur foi ; ils résis­tent aux enne­mis du Christianisme avec la même fer­me­té invin­cible que leurs ancêtres ; ils élèvent leurs prières sup­pliantes vers le ciel, sinon publi­que­ment tout au moins en pri­vé ; ils demeurent unis au Pontife Romain et à leurs Pasteurs. Ils vénèrent aus­si de manière par­ti­cu­lière la Bienheureuse Vierge Marie, Reine très aimante et toute-​puissante du Ciel et de la terre, au Cœur Immaculé de la­quelle Nous les avons tous consa­crés. Tout cela est sans aucun doute un gage de vic­toire cer­taine pour l’avenir, mais de cette vic­toire qui n’est pas le fruit de luttes san­glantes entre les hommes, qui n’est pas ali­men­tée par un dé­sir effré­né de puis­sance ter­restre, mais qui se base sur la juste et légi­time liber­té ; sur la jus­tice pra­ti­quée non seule­ment en paroles, mais aus­si dans les faits, envers les citoyens, les peuples et les nations ; sur la paix et la cha­rité fra­ter­nelle, qui créent entre tous des liens d’amitié ; sur la reli­gion sur­tout, qui règle sage­ment les mœurs, qui modère les aspi­ra­tions pri­vées en les met­tant au ser­vice du bien public ; qui élève les esprits vers le Ciel ; et qui, fina­le­ment, pro­tège la vie en socié­té et assure la concorde générale.

Cela forme l’objet de Nos plus vives espé­rances ; tou­te­fois les infor­ma­tions qui Nous par­viennent, entre temps, sont de nature à accroître Notre dou­leur. Jour et nuit, avec une sol­li­ci­tude pater­nelle, Nous tour­nons Notre esprit et Notre cœur vers ceux qui Nous ont été confiés par man­dat divin [6], et que Nous savons trai­tés en cer­tains lieux d’une manière si indigne qu’on les calom­nie à cause de leur ferme atta­che­ment à la foi catho­lique, et qu’on les prive de leurs droits légi­times, par­fois même de ceux qui sont si inhé­rents à la nature humaine qu’on ne sau­rait les oppri­mer par la vio­lence, la crainte ou tout autre moyen, sans por­ter atteinte à la digni­té même de l’homme.

Pie XII cite le cas de la Bulgarie.

Parmi les très affli­geantes nou­velles qui Nous sont par­ve­nues, il en est une qui ces der­niers temps Nous a plus dou­lou­reu­se­ment frap­pé, et avec Nous, tous les chré­tiens et tous ceux qui tiennent en hon­neur la digni­té et la liber­té des citoyens ; Nous fai­sons allu­sion à la Bulgarie, où exis­tait une petite mais flo­ris­sante com­mu­nau­té de catho­liques, et où une ter­rible tem­pête a semé de tristes deuils dans l’Eglise. Avec les méthodes habi­tuelles d’accusa­tions, des crimes publics ont été impu­tés à des ministres de Dieu : par­mi ceux-​ci Notre Vénérable Frère Eugène Bossilkoff, évêque de Nicopolis a été condam­né à la peine capi­tale, avec trois autres prêtres, ses col­la­bo­ra­teurs dans le minis­tère pas­to­ral. De plus, un cer­tain nombre d’autres sont déjà en pri­son ou se trouvent dans des camps de con­centration, et une foule de catho­liques, punis de diverses manières, reçoivent avec eux la même palme et le même hon­neur. C’est pour Nous un devoir de conscience, d’éle­ver Notre pro­tes­ta­tion contre tous ces faits, et de dénon­cer en même temps à toute la chré­tien­té l’injure infli­gée à l’E­glise. C’est parce que ces chré­tiens pro­fes­saient la reli­gion catho­lique, et qu’ils ont même cher­ché cou­ra­geu­se­ment à la défendre ouver­te­ment, qu’ils ont été consi­dé­rés comme des enne­mis de l’Etat, alors qu’au contraire ils ne le cè­dent à per­sonne pour l’amour de la patrie, pour le res­pect de l’autorité publique et pour l’observation des lois, pour­vu que celles-​ci ne soient pas en contra­dic­tion avec le droit natu­rel, divin et ecclésiastique.

Et ce qui s’est pas­sé ces der­niers temps en Bulgarie, se pro­duit déjà mal­heu­reu­se­ment depuis long­temps chez d’autres peuples qui appar­tiennent à l’Eglise Orientale : le peuple Roumain, le peuple Ukrainien et plu­sieurs autres encore. En ce qui concerne le peuple rou­main auquel Nous venons de faire allu­sion, Nous avons déjà par une Lettre apos­to­lique du mois de mars der­nier [7], éle­vé Nos vives pro­tes­ta­tions pour tant de cala­mi­tés qui ont frap­pé les fidèles de votre Rite et du Rite Latin et Nous les avons exhor­tés à per­sé­vé­rer avec une constance invin­cible dans la reli­gion de leurs aïeux.

Le Pape souligne la persécution qui sévit en Ukraine.

A pré­sent Nous tour­nons avec dou­leur Notre atten­tion vers un autre peuple qui Nous est plus cher que ja­mais, c’est-à-dire le peuple de l’Ukraine, auquel appartien­nent un grand nombre de chré­tiens qui regardent Rome avec un pro­fond désir et un immense amour et qui vé­nèrent le Siège apos­to­lique comme étant par man­dat de Jésus-​Christ, le centre de la reli­gion chré­tienne et le maître infaillible de véri­té [8]. Toutefois Nous avons appris avec une grande dou­leur, Vénérables Frères, que ceux-​ci depuis long­temps subissent des per­sé­cu­tions qui ne sont pas moin­dres et abou­tissent à une condi­tion qui n’est pas moins infor­tu­née que celle des autres peuples dont Nous avons par­lé plus haut.

Nous tenons par­ti­cu­liè­re­ment à rap­pe­ler les évêques de Rite Oriental qui furent par­mi les pre­miers à souf­frir des deuils et des outrages pour la défense de la reli­gion et qui conduits à Kiev, y furent jugés et condam­nés à des peines diverses ; la ville de Kiev, disons-​Nous, qui fut jus­te­ment autre­fois le centre de rayon­ne­ment du Chris­tianisme dans toutes ces régions. Certains d’entre eux sont déjà allés à une mort glo­rieuse, et, on peut l’espérer, du lieu de leur béa­ti­tude, ils tournent avec un vif amour leurs regards vers leurs fils et com­pa­gnons de lutte afin d’ob­tenir pour eux l’aide toute-​puissante de Dieu.

En outre Nous ne pou­vons pas­ser sous silence les fidè­les de Rites Latin et Oriental, qui, après avoir été arra­chés à leurs patries et à leurs foyers et dépor­tés dans des terres incon­nues et loin­taines, s’y trouvent main­te­nant pri­vés de leurs légi­times pas­teurs, qui puissent les conso­ler, les aider, les diri­ger et leur offrir les célestes récon­forts de la religion.

Tout cela est pour Nous un motif de dou­leur si acerbe que Nous ne pou­vons rete­nir Nos larmes, tan­dis que Nous prions le Dieu très clé­ment, Père des misé­ri­cordes, de vou­loir bien éclai­rer les res­pon­sables d’une si triste si­tuation et mettre un terme à tant de maux.

Toutefois la plupart des catholiques restent fermes au milieu de la tempête.

Toutefois, Vénérables Frères, au milieu de tant et de si grandes cala­mi­tés, qui affligent dou­lou­reu­se­ment Notre âme et les vôtres, Nous pou­vons tirer quelque motif de récon­fort des nou­velles qui Nous sont par­ve­nues. Nous savons en effet que ceux qui se trouvent dans des con­ditions si déplo­rables et si cri­tiques demeurent fermes dans leur foi avec une constance si intré­pide qu’elle pro­voque Notre admi­ra­tion et celle de toutes les consciences droites. Qu’ils reçoivent tous Nos pater­nelles louanges, qui aug­menteront et raf­fer­mi­ront tou­jours davan­tage leur force d’âme ; et qu’ils soient fer­me­ment per­sua­dés que Nous, le Père Commun, péné­tré de la « sol­li­ci­tude de toutes les

Eglises » [9] « pres­sé par la cha­ri­té du Christ » [10], Nous éle­vons chaque jour au ciel de fer­ventes sup­pli­ca­tions pour que triomphe par­tout le Règne de Jésus Christ, por­teur de paix pour les âmes, pour les peuples et pour les nations.

Devant le triste spec­tacle de tant de maux qui ont atteint non seule­ment Nos fils du laï­cat, mais sur­tout ceux qui sont revê­tus de la digni­té sacer­do­tale — afin que se véri­fiât pré­ci­sé­ment ce qu’on lit dans la Sainte Ecriture : « Je frap­pe­rai le pas­teur, et les bre­bis du trou­peau seront dis­per­sées » [11], — Nous ne pou­vons pas Nous dis­pen­ser de rap­pe­ler à l’attention de tous que les prêtres, intermé­diaires entre Dieu et les hommes ont tou­jours, au cours des siècles, non seule­ment chez les peuples civi­li­sés, mais même chez les bar­bares, été entou­rés d’une juste vénéra­tion. Quand ensuite, ayant dis­si­pé les ténèbres de l’erreur, le Divin Rédempteur nous ensei­gna la véri­té céleste et vou­lut, dans son infi­nie bon­té, nous rendre par­ti­ci­pants de son sacer­doce, cette véné­ra­tion s’accrut encore davan­tage de telle sorte que les Evêques et les prêtres furent con­sidérés comme des pères très aimants, uni­que­ment sou­cieux du bien com­mun du peuple à eux confié.

Toutefois le Divin Rédempteur avait dit : « Le dis­ciple n’est pas au-​dessus de son maître » [12] ; « s’ils m’ont per­sé­cu­té, ils vous per­sé­cu­te­ront aus­si » [13] ; « bien­heu­reux serez-​vous quand on vous outra­ge­ra, qu’on vous persécu­tera, qu’on dira men­son­gè­re­ment toute sorte de mal contre vous à cause de moi. Réjouissez-​vous et exul­tez, car votre récom­pense sera grande dans les cieux » [14].

Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si, de nos jours, et plus peut-​être encore que dans les siècles pas­sés, l’Eglise de Jésus-​Christ et par­ti­cu­liè­re­ment ses ministres, sont en butte aux per­sé­cu­tions, aux men­songes, aux calom­nies et afflic­tions de tout genre ; pla­çons plu­tôt notre espé­rance en Lui qui, s’il a pré­dit les cala­mi­tés futures, a vou­lu tou­te­fois nous aver­tir par ces paroles : « Dans le monde vous aurez à souf­frir ; mais ayez confiance : j’ai vain­cu le monde » [15].

Il faut multiplier les appels à la prière.

Loin de vous donc, Vénérables Frères, tout découra­gement. De même que vos ancêtres sur­mon­tèrent tant de dif­fi­cul­tés, d’embûches, de périls, com­bat­tant avec une force héroïque jusqu’au mar­tyre, ain­si vous tous, membres de l’Eglise Orientale, unis aux fidèles de Rite Latin, con­fiants dans la grâce céleste, ne crai­gnez point ; mais sup­pliez ensemble le Seigneur et sa Mère très aimante pour ceux sur­tout qui se trouvent aujourd’hui les plus en dan­ger, afin qu’ils soient revê­tus de force chré­tienne et que tous com­prennent enfin ce qui, du reste, est plus clair que la lumière du soleil, que « nos armes de guerre ne sont pas char­nelles, encore que puis­santes devant Dieu » 17 et que l’Eglise ne cherche pas la puis­sance tem­po­relle, mais le salut éter­nel des âmes, qu’elle ne tend pas des pièges aux gou­ver­nants, mais que par le moyen des ensei­gne­ments de l’Evangile, qui sont capables de for­mer d’excellents ci­toyens, elle raf­fer­mit les fon­de­ments mêmes de la commu­nauté humaine. Si donc on la laisse jouir de la liber­té qui lui a été don­née par Dieu, si elle peut déployer publique­ment sa force et exer­cer ouver­te­ment au milieu du peuple ses acti­vi­tés propres, il n’est pas dou­teux qu’elle pour­ra gran­de­ment contri­buer à pro­mou­voir le bien com­mun, à rap­pro­cher les dif­fé­rentes classes de citoyens dans la jus­tice et dans la concorde et à conduire toutes les nations à la vraie paix et à la tran­quilli­té qui, sou­hai­tée par tous, doit aus­si être vou­lue par tous.

Pour obte­nir cela, Nous dési­rons, Vénérables Frères, que vous pres­cri­viez des prières publiques et que vous exhor­tiez les fidèles confiés à vos soins à y joindre aus­si des œuvres de péni­tence, qui apaisent la Majesté divine offen­sée par tant d’injures. Qu’ils se sou­viennent tous de ces paroles de la Sainte Ecriture : « Priez pour ceux qui vous per­sé­cutent et vous calom­nient » [16], «… que les mem­bres aient un égal sou­ci les uns des autres. Et, si l’un des membres souffre, que tous les membres souffrent ensem­ble avec lui » [17]. Il est donc néces­saire d’imiter l’exemple du Divin Rédempteur qui, au milieu de dou­leurs atroces, s’écria du haut de la Croix : « Père, pardonnez-​leur, car ils ne savent ce qu’ils font [18]. » Il convient d’ailleurs d’ac­complir ce qui manque aux souf­frances du Christ, dans notre chair, pour son corps, qui est l’Eglise[19] ; c’est pour­quoi nous devons non seule­ment prier Dieu pour nos fils et nos frères dans la souf­france, mais encore Lui offrir vo­lontiers nos péni­tences volon­taires et nos douleurs.

Pour ces innom­brables légions de per­sonnes, qui dans vos pays sont acca­blées par la mala­die, les dou­leurs et les angoisses, ou qui se trouvent en pri­son, si nous ne pou­vons mettre en pra­tique les paroles de Jésus : « J’étais malade, et vous m’avez visi­té ; j’étais en pri­son, et vous êtes venus me voir » [20], nous pou­vons tou­te­fois faire quelque chose : et c’est de sup­plier par nos prières et nos œu­vres de péni­tence le Dieu de toute Miséricorde de dai­gner envoyer ses anges conso­la­teurs à ces frères et à Nos fils souf­frants, de dai­gner aus­si leur accor­der l’abondance des faveurs célestes qui consolent, récon­fortent leurs âmes et les élèvent vers les réa­li­tés d’En-Haut.

A un titre par­ti­cu­lier, Nous dési­rons que tous les prê­tres qui peuvent offrir chaque jour le Sacrifice Eucharis­tique, se sou­viennent de ces Evêques et de ces prêtres qui, loin de leurs églises et de leurs fidèles, n’ont pas la possi­bilité de s’approcher de l’autel pour célé­brer le Divin Sa­crifice et se nour­rir, ain­si que leurs fidèles, de l’aliment divin, où nos âmes puisent une dou­ceur qui sur­passe tout désir et reçoivent la force qui conduit à la vic­toire. Que les fidèles qui par­ti­cipent à ce même ban­quet et à ce mê­me sacri­fice agissent éga­le­ment ain­si, en étroite et frater­nelle union entre eux : de sorte que de tous les points de la terre et dans tous les Rites, qui sont l’ornement de l’Eglise, montent vers Jésus et Sa divine Mère les voix una­nimes de ceux dont la prière implore de Dieu la misé­ri­corde en faveur de ces com­mu­nau­tés chré­tiennes affligées.

Puisque, au cours du pro­chain mois de jan­vier, on célé­bre­ra, comme de cou­tume, en bien des endroits, l’Oc­tave des prières pour l’unité de l’Eglise, il Nous appa­raît oppor­tun que, en cette spé­ciale cir­cons­tance, d’instantes sup­pli­ca­tions soient adres­sées par tous à Dieu, non seule­ment pour que se véri­fie au plus tôt le désir du Divin Ré­dempteur : « Père Saint, garde en ton nom ceux que tu m’as don­nés afin qu’ils soient un comme nous sommes un »[21] ; mais aus­si : pour que s’ouvrent les pri­sons et se brisent les chaînes qui affligent aujourd’hui dou­lou­reu­se­ment tant de Nos fils, cou­pables d’avoir vou­lu défendre héroï­que­ment les droits et les ins­ti­tu­tions de la Religion ; pour que, enfin, la véri­té chré­tienne, la jus­tice, la concorde et la paix, biens suprêmes de tous les hommes, triomphent en tous lieux.

Avec ce vœu et en gage de Notre pater­nelle bienveil­lance, Nous vous accor­dons dans l’effusion de Notre cœur, à vous Vénérables Frères, aux fidèles confiés à votre sol­li­ci­tude, et spé­cia­le­ment à ceux qui se trouvent en ces dif­fi­ciles condi­tions, la Bénédiction apostolique.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Editions Saint-​Augustin Saint Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., 1953, XXXXV, p. 8.

Notes de bas de page
  1. Cf. Radiomessage du 3 mars 1939, A. A. S., XXXI, sér. II, vol. VI, p. 86.[]
  2. Cf. Enc. Summi Pontificatus ; A, A, S., XXXI, sér. Il, vol. VI, pp. 418–419 ; et Enc. Mystici Corporis ; A. A. S., XXXV, sér. II, vol. X, pp. 242–243.[]
  3. S. Em. le Cardinal Grégoire Pierre XV Agagianian est l’é­vêque armé­nien du Caucase. Il a été créé Cardinal le 18 février 1946.[]
  4. En 1952, les A. A. S., XXXXIV, p. 65 et seq., ont publié le texte de nou­veaux canons » 1° sur les reli­gieux ; 2° sur les biens ecclé­sias­tiques.[]
  5. Cf. Enc. Rerum Orientalium ; A. A. S., XX, 1929, pp. 277 et suiv.[]
  6. Cf. Jean XXI, 15–17.[]
  7. Cf. A. A. S., XXXXIV, sér. II, vol. XIX, p. 249 et suiv. ; cf. p. 100.[]
  8. Cf. Matth. XVI, 18–19 ; Jean XXI, 15–17 ; Luc XXII, 32.[]
  9. II Cor. XI, 28.[]
  10. Ibid. V, 14.[]
  11. Mt. XXVI, 31 ; cf. Mc. XIV, 27 ; Zacc. XIII, 7.[]
  12. Mt. X, 24.[]
  13. Jean XV, 20.[]
  14. Mt. V, 11–12.[]
  15. Jean XVI, 33. 17 II Cor. X, 4.[]
  16. Mt. V, 44.[]
  17. I Cor. XII, 25–26.[]
  18. Luc XXIII, 34.[]
  19. Col. I, 24.[]
  20. Mt. XXV, 56.[]
  21. Jean, XVII, 11.[]