En la solennité de Pâques, le Saint-Père célébra le saint sacrifice dans la Basilique Vaticane et prononça en latin l’homélie dont voici la traduction :
La paix de Pâques.
La fête de Pâques Nous offre l’occasion de vous adresser, avec la plus grande joie de Notre cœur paternel, Notre salut, à vous, très digne Sénat de l’Eglise, à vous tous qui êtes ici présents, Vénérables Frères dans l’épiscopat, prélats ou prêtres du clergé romain, et enfin, vous Nos très chers fils, religieux ou simples laïcs. Pour contenir cette pieuse multitude, la très vaste église de Saint-Pierre paraît aujourd’hui trop étroite. Nous ne croyons pas pouvoir mieux commencer ce discours qu’en redisant les paroles sublimes que le divin Maître, ressuscité des morts, adresse à ses disciples : Pax vobis (Jean, xx, 19). Voilà le souhait et la salutation de paix.
Annoncé dans les temps d’attente de sa venue comme « le prince de la paix » (Isaïe, ix, 6) ; accueilli, lors de sa naissance, par ces chants angéliques : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ; sur terre, paix aux hommes de bonne volonté » (Luc, ii, 14), le Rédempteur du monde fut le héraut et l’ambassadeur de la paix, selon cette parole de l’Apôtre des nations : « Il est venu annoncer la paix » (Eph., ii, 17). Cette paix n’a pas été cependant exempte de luttes et de combats, puisque Notre-Seigneur Jésus-Christ, lorsque « la mort et la vie se livrèrent à un duel extraordinaire » [1], en luttant jusqu’à la mort, l’obtint comme le prix de son sang et de la victoire remportée, « réconciliant toutes choses avec Dieu, celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col., i, 20).
C’est donc à bon droit et avec raison que l’apôtre saint Paul non seulement répète très souvent la consolante invocation : « Dieu de la paix, Seigneur de la paix » (Rom., xv, 33 ; xvi, 20 ; i Cor., xiv, 33 ; Philip., iv, 9 ; i Thess., v, 23 ; ii Thess., iii, 16 ; Hébr., xiii, 20) mais encore, faisant écho à la parole des prophètes (Mich., v, 5), appelle Jésus-Christ notre paix : « Lui est notre paix » (Eph. ii, 14).
Les causes du manque de paix.
Prendre garde à ces choses, les examiner attentivement dans la situation présente, Nous semble apte à relever et à fortifier les âmes au moment où la paix est tant proclamée, désirée, invoquée par tous. « La paix est un bien si grand qu’il n’est rien de plus agréable à entendre, rien de plus souhaitable à désirer, rien enfin de meilleur à trouver » [2].
Mais aujourd’hui, plus qu’à une autre époque, ne se vérifient que trop ces paroles du prophète Jérémie, qui parle d’hommes disant : « Paix, paix, et il n’y avait point de paix » [3]. En effet, si nous regardons tout autour de nous, quel triste spectacle s’offre à notre vue ! De fait, l’on voit dans beaucoup de pays les hommes agités, inquiets sur leur sort, angoissés par la crainte de troubles qui semblent annoncer les pires malheurs. Les esprits sont en proie à l’anxiété et à l’inquiétude, comme si des dangers plus graves menaçaient et déjà étaient imminents.
Tout cela est bien loin de cette sereine et sûre « tranquillité dans l’ordre » 4 qui constitue la vraie paix. Et vraiment peut-on avoir la paix complète et durable si les fils d’une même nation, oublieux souvent de leur origine commune et de leur commune patrie, sont entraînés et divisés par les intérêts, les rivalités, les luttes des partis politiques ?
Comment avoir la paix alors que tant d’hommes, des centaines de mille, manquent de travail, de ce travail qui non seulement permet à chaque citoyen de vivre d’une façon convenable, mais grâce auquel les multiples énergies et ressources dont la nature, l’étude et l’art ont honoré la dignité de la personne humaine, pourront nécessairement s’exercer avec l’éclat et l’honneur qui conviennent ?
Qui ne voit que cet état de choses a pour effet de grouper des foules énormes dont la misère et le désespoir — qui forment un contraste si violent avec l’aisance excessive de ceux qui vivent dans le luxe sans fournir le moindre secours aux indigents — font des proies faciles pour ces propagandistes rusés et séduisants qui offrent aux intelligences trompées par les fausses apparences de la vérité, des doctrines dissolvantes.
De plus, comment pourrait-on avoir la paix, si ne règnent pas aussi entre les nations et cette compréhension mutuelle et cet accord des volontés qui seuls peuvent conduire les peuples dans les voies lumineuses du progrès civil ? L’on voit, au contraire, les pactes solennellement sanctionnés ainsi que la parole donnée perdre parfois leur valeur et leur certitude qui constituent la base et la force de la légitime confiance réciproque : cette dernière une fois enlevée, il devient de jour en jour plus difficile de réduire ou de suspendre les armements et de pacifier les esprits, chose cependant si désirée par tous.
Le pape lance un appel à la paix et en indique les conditions…
Devant la menace d’une tempête si terrible, Nous exhortons vivement tous les hommes à revenir au Roi de la paix, au Vainqueur de la mort, dont les lèvres nous ont fait entendre ces consolantes paroles : Pax vobis. Que lui, comme il l’a promis, nous accorde la paix, sa paix, cette paix, disons-Nous, que le monde ne peut donner, celle qui, seule assurément, peut apaiser tous les troubles et dissiper toutes les craintes : « Je vous donne ma paix, je ne la donne pas comme la donne le monde. Que votre cœur ne se trouble point et ne s’effraye point » (Jean, xiv, 27).
… la paix intérieure
Mais puisque la tranquillité extérieure ne peut être que le reflet ou la conséquence de la paix intérieure, il est nécessaire de s’occuper tout d’abord de la paix de l’âme : se la procurer le plus tôt possible si on ne l’a pas ; veiller sur elle avec soin, la défendre et la garder intacte, si on l’a déjà. Ce n’est pas, en effet, sans une très grave raison que Notre-Seigneur Jésus-Christ, en ce jour, en se montrant pour la première fois aux apôtres après sa résurrection, voulut ajouter à son salut de paix un don inestimable de paix, à savoir le sacrement de pénitence, de telle sorte qu’au jour solennel de sa résurrection prit aussi naissance cette institution salutaire qui rend aux âmes la grâce divine ou la renouvelle, cette grâce qui constitue le triomphe de la vie sur la mort, c’est-à-dire sur le péché.
C’est à cette source inépuisable de pardon et de paix que l’Eglise, Notre pieuse Mère, appelle avec instance tous ses enfants en ce saint temps pascal. Si chacun et tous répondaient librement et de bon gré à cet appel très affectueux, ils acquerraient une vie chrétienne plus florissante et plus féconde, avec la jouissance joyeuse et très douce de cette paix qui, par l’obéissance très aimante et parfaite au divin Rédempteur, permet de dominer l’attrait des passions et des voluptés. « Ton âme veut-elle être capable de vaincre tes débauches ou tes passions ? pour emprunter l’interrogation de saint Augustin. Qu’elle se soumette à Celui qui est plus grand et elle vaincra celui qui est au-dessous, inférieur. Et il y aura en toi une paix vraie, assurée et très bien ordonnée. Quel est l’ordre ou l’arrangement de cette paix ? Dieu commande à l’âme, l’âme au corps : rien de plus ordonné » [4].
… l’obéissance à Dieu
Vous voyez donc, Vénérables Frères et très chers fils, sur quelle base unique et inébranlable repose la véritable paix, à savoir sur la majesté éternelle de Dieu que tous ont le devoir de reconnaître, de respecter, d’honorer et dont ils sont tenus d’exécuter les commandements. Affaiblir ou détruire totalement cette obéissance due au Dieu créateur équivaut certainement à troubler ou à ruiner complètement la paix des individus comme celle de la famille, la paix des nations et celle enfin du monde entier. A la vérité, Dieu seul « aura des paroles de paix pour son peuple et pour ses fidèles et pour ceux qui retournent vers lui leur cœur » (Ps., lxxxiv, 9). C’est seulement par la volonté du Dieu tout-puissant, gardien suprême de la justice et suprême donateur de paix, « que la justice et la paix s’embrasseront » (Ps., lxxxiv, 11) ; parce que, comme l’annonce le prophète Isaïe : « Le produit de la justice sera la paix, et le fruit de la justice le repos et la sécurité pour jamais » (Is., xxxii, 17).
…la recherche de la justice
Comme, en effet, il n’est pas possible d’avoir la paix si les choses ne sont pas dans l’ordre, de même il ne peut pas y avoir d’ordre si l’on écarte la justice. Mais celle-ci exige que l’on donne à l’autorité légitimement établie le respect et l’obéissance qui lui sont dus ; elle exige que les lois soient faites avec sagesse pour le bien commun et que tous les observent par devoir de conscience. La justice demande que tous reconnaissent et respectent les droits sacrés de la liberté et de la dignité humaines ; que les innombrables ressources et richesses que Dieu a répandues dans le monde entier soient réparties, pour l’utilité de tous ses enfants, d’une façon équitable et avec droiture. La justice veut enfin que l’action bienfaisante de l’Eglise catholique, non sujette à l’erreur quand elle enseigne la vérité, source inépuisable de vie pour les âmes, bienfaitrice insigne de la communauté humaine, ne soit ni attaquée ni empêchée. Car si l’on substitue au noble sceptre de la justice les armes de la violence, qui pourrait dès lors s’étonner que les temps qui se lèvent apportent non pas la lumière si désirée de la paix radieuse, mais les sombres et cruelles incendies des guerres ?
A la vérité, la justice a pour tâche d’établir et de garder intacts les principes de cet ordre de choses qui est la base première et principale d’une solide paix. Cependant, elle ne peut à elle seule triompher des difficultés et des obstacles qui bien souvent s’opposent à l’établissement et à la consolidation de la paix.
… la charité
C’est pourquoi, si à l’inflexible et rigoureuse justice ne s’unit pas, dans une fraternelle alliance, la charité, très facilement les yeux de l’esprit sont empêchés, comme par l’écran d’un nuage, de voir les droits d’autrui ; les oreilles deviennent sourdes à la voix de cette équité qui, dans une sage et bienveillante application, peut débrouiller et résoudre avec ordre et selon la droite raison les controverses les plus âpres et les plus compliquées.
Lorsque Nous disons ici la charité, Nous voulons parler de cette charité féconde et généreuse que le Christ a apportée — de cette charité qui a poussé le divin Rédempteur à mourir pour notre salut : « Il m’a aimé et s’est livré pour moi » (Gal., ii, 20) — de cette charité qui « nous presse » (ii Cor., v, 14) et fait que « ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour eux » (ii Cor., v, 15) — de cette charité enfin par laquelle le Christ fut poussé à prendre la « condition d’esclave » (Philip., ii, 7), afin que nous devenions tous frères en lui qui est « le premier-né » (Rom., viii, 29), et par conséquent fils du même Dieu, héritiers du même royaume et appelés aux joies de la même éternelle béatitude.
Si les hommes goûtaient enfin les douceurs de cet amour et se reposaient en lui, alors sans aucun doute le soleil radieux de la paix s’élèverait sur le monde souffrant. A la colère désordonnée qui irrite succéderait le calme de l’esprit qui raisonne avec sagesse ; à la concurrence violente et effrénée succéderait la collaboration cordiale ; enfin la compréhension équitable et réciproque des choses et des arguments remplacerait les inimitiés ou les brouilles, de telle façon à la vérité que la tranquillité confiante et le calme prendraient la place de cette terrible excitation des esprits.
Que les hommes reprennent le chemin par lequel on reviendra à des ententes mutuelles amicales dans lesquelles les intérêts et les avantages de chacun des contractants sont évalués d’une façon équitable et avec une bienveillante appréciation ; dans lesquelles chacun ne se refuse pas à faire des sacrifices pour procurer à la famille humaine des biens supérieurs ; des ententes enfin où la fidélité à la parole publiquement donnée, tous le voulant ainsi, resplendira comme un exemple.
Afin que ces choses s’accomplissent et que Nos vœux très ardents se réalisent favorablement, Nous ne pouvons Nous retenir de répéter aux individus, aux peuples et à leurs gouvernants la très chaleureuse invitation ou exhortation à la paix, à la paix basée sur la justice et la charité, que Nous voulûmes leur adresser à tous, aussitôt après Notre élévation à la suprême dignité du souverain pontificat.
Mais Nous élevons surtout Nos mains et Nos yeux vers « le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs » (i Tim., vi, 15) en lui adressant, sur un ton suppliant, les prières qu’en cette solennité pascale la liturgie sacrée du Sacrifice eucharistique Nous fournit : « Seigneur Dieu qui, par la voix de l’Eglise, convoquez, en ces jours, tous vos enfants aux très saints mystères, c’est-à-dire à se nourrir de votre chair divine, à s’abreuver de votre sang très pur ; vous qui désirez les voir réunis autour de votre Sacrement de l’autel, Sacrement qui est le don le plus précieux de votre amour pour nous tous, et aussi le signe et le lien de cet amour qui nous groupe dans une union fraternelle ; vous, Seigneur Dieu, « répandez sur nous l’Esprit de votre charité, afin que votre grâce fasse un même cœur et une même âme de ceux que vous avez nourris du même Sacrement pascal ». Ainsi soit-il.
Source : Documents Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-Augustin Saint-Maurice – D’après le texte latin des A. A. S., XXXI, 1939, p. 145 ; cf. la traduction française de la Documentation Catholique, t. XL, col. 547.