Le dimanche 29 juin, le Saint-Père a reçu en audience les participants au 12e Congrès de la Société latine d’Oto-rhino-laryngologie, qui s’est tenu à Rome, du 28 juin au Ier juillet.
Voici le discours que le Souverain Pontife prononça en français, à cette occasion :
Il Nous est agréable. Messieurs, de recevoir aujourd’hui les membres du XIIe Congrès de la Société latine d’oto-rhino-laryngologie qui, pour la première fois depuis sa fondation, a choisi Rome comme siège de son assemblée biennale. Nous sommes très sensible au témoignage de votre déférent attachement et formons les meilleurs souhaits pour le succès de vos travaux.
Nous n’ignorons pas l’importance de la Société latine d’otorhino-laryngologie, qui réunit les spécialistes les plus qualifiés, professeurs d’Université, médecins-chefs des hôpitaux, praticiens renommés, de toutes les nations latines d’Europe et d’Amérique. En cette rencontre, vous abordez un sujet de synthèse très complexe et peu exploré encore : « les troubles hormonaux et neurovégétatifs en oto-rhino-laryngologie ». Bien que l’annonce de votre Congrès et la documentation qui l’illustre, ne Nous soient parvenues que bien récemment, Nous ne pouvions manquer d’y apporter tout l’intérêt qu’il mérite, et de vous faire part des réflexions qu’il Nous suggère.
Le rôle de l’analyse et de la synthèse dans la science médicale.
Quelle que soit la spécialité considérée, le progrès médical s’accomplit suivant deux directions fondamentales : la première pousse l’étude analytique de la structure et de la fonction d’un organe ou d’un appareil déterminé ; la seconde examine les relations de celui-ci avec tous les autres, afin de préciser son rôle physiologique propre, de déterminer les causes lointaines de ses troubles et leur influence sur le reste de l’organisme.
Ces deux orientations, qui s’imposent à la recherche médicale en général, intéressent particulièrement les spécialistes. Elles conditionnent en effet le progrès réel de chacune des branches, qui se sont partagé le champ de la médecine moderne, afin de mieux servir les intérêts de l’individu et ceux de la science. Et quand il s’agit d’une spécialité comme l’oto-rhino-laryngologie, qui s’occupe de structures hautement différenciées et de certains organes des sens supérieurs, essentiels pour l’équilibre psycho- physique de l’individu, c’est une nécessité absolue de ne point séparer les deux directions fondamentales de la recherche. En effet, quiconque s’intéresse à l’oto-rhino-laryngologie moderne, constate bien vite que l’effort incessant de collaboration avec les autres disciplines et l’étude des corrélations entre les organes furent et restent les facteurs essentiels, qui en déterminent les progrès. Les difficultés d’un tel travail, on les aperçoit sans peine, car si l’étude des organes séparés demande un esprit bien doué pour l’analyse, celle de leurs corrélations suppose un ensemble de connaissances médicales fort diverses et une intelligence bien au fait des problèmes généraux de la médecine.
Etat actuel de l’oto-rhino-laryngologie.
Le programme de votre Congrès, consacré aux « troubles hormonaux et neuro-végétatifs en oto-rhino-laryngologie », touche en fait de nombreuses questions de la pathologie spéciale et s’efforce de les rattacher à leurs causes fondamentales, c’est-à-dire aux troubles du système endocrinien et du système neurovégétatif, illustrant ainsi les remarques que Nous venons de faire.
C’est la première fois que ce sujet est abordé d’une façon synthétique. D’ailleurs, même pour chaque secteur de l’oto-rhino- laryngologie considéré séparément, l’oreille, le nez et la gorge, il n’existe guère de travaux consacrés spécialement aux troubles ayant leur origine dans les systèmes endocrinien et neurovégétatif. En s’efforçant de remédier à cette lacune, votre présent Congrès se heurte d’abord à la difficulté de délimiter avec exactitude des sujets analogues et qui parfois se recouvrent partiellement.
La limite qui sépare le système endocrinien du système neuro-végétatif est elle-même incertaine, parce que ce n’est pas une frontière locale bien définie et que ces deux systèmes jouent l’un et l’autre un rôle fondamental dans tous les processus vitaux, le premier avec les hormones qui, par la voie sanguine, atteignent tous les organes et tissus, le second par ses ramifications présentes dans tout l’organisme. Il est malaisé par conséquent de distinguer les cas, où ils ont la responsabilité première des symptômes observés, de ceux où ils restent au premier plan, mais sans être la cause principale du désordre en question.
Il vaut la peine de passer rapidement en revue, afin d’en mieux souligner l’importance, quelques aspects de la pathologie oto-rhino-laryngologique, qui ont pour origine des troubles hormonaux et neuro-végétatifs.
Nombreux sont les malaises de l’oreille, c’est-à-dire de l’appareil acoustique proprement dit et de l’appareil vestibulaire, qui proviennent d’altérations primaires des systèmes neurovégétatif et hormonal. En certains de ces cas, la fonction acoustique subit une diminution sensible, qui peut aller même jusqu’à la surdité complète, tandis que se manifestent parfois des troubles, comme les acouphènes, capables d’altérer profondément l’équilibre psychique du patient, et même de l’entraîner à des décisions désespérées.
On pourrait dire, d’une manière générale, que les désordres acoustiques d’origine hormonale ou neuro-végétative, sans être moins connus, suscitent certainement en oto-rhino-laryngologie courante moins d’intérêt que ceux de l’appareil vestibulaire, organe de l’équilibre. Ceux-ci en effet se manifestent d’une manière tellement dramatique, qu’ils s’imposent d’emblée à l’attention, même si les affections de la fonction auditive ne manquent pas.
C’est le cas des syndromes dits de Menière, dont plusieurs ont une origine hormonale et neuro-végétative ; ces mêmes facteurs entrent aussi en ligne de compte dans les syndromes similaires d’ordre allergique et vasculaire, connus depuis plus longtemps, mais encore difficiles à interpréter dans la pratique clinique.
Le médecin spécialiste doit rester humain.
L’extension du champ des connaissances acquises en ce domaine et lé perfectionnement des techniques capables de secourir le patient s’imposent comme un devoir au médecin spécialiste, mais doivent aller de pair avec des sentiments de compréhension humaine et de profonde charité, qui l’aideront à deviner l’angoisse du malade, à participer à sa souffrance et à la soulager. A côté des cas extrêmes, dont les plus graves sont, d’une part, la surdité imprévue, et, de l’autre, les malaises graves d’un état vertigineux persistant, combien d’autres, grâce à Dieu, moins spectaculaires, mais accompagnés d’inconvénients sociaux sérieux, se résolvent par des difficultés fonctionnelles et l’invalidité partielle !
Le médecin dispose aujourd’hui de moyens d’action plus efficaces que jadis ; il peut intervenir avec succès en certains cas naguère encore désespérés. Quand les soins médicaux n’obtiennent pas le résultat attendu, la chirurgie moderne et la thérapie physique viennent à la rescousse et, sans autoriser la restitutio in integrum, permettent toutefois d’atténuer ou de faire disparaître les désordres fondamentaux. Il importe donc davantage de déterminer exactement l’étiologie de chaque cas pour n’employer qu’à bon escient le riche arsenal thérapeutique mis actuellement à votre disposition par la science.
Dans les autres secteurs de l’oto-rhino-laryngologie, les manifestations cliniques peuvent ne pas être aussi mouvementées que celles dont Nous venons de parler à propos de l’ouïe ; mais elles révèlent cependant des troubles fonctionnels et cénesthésiques graves. Au niveau des fosses nasales, par exemple, les troubles fonctionnels et neuro-végétatifs se présenteront sous diverses formes, qui vont de la rhinite vasomotrice aux syndromes sphénopalatins, des algies réflexes et des céphalalgies d’origine endocrinienne ou neuro-végétative aux épistaxis et aux rhinites atrophiques. Ce domaine, vous le savez, est très vaste et continue à s’agrandir à mesure que la science progresse.
La fosse nasale remplit en réalité des fonctions bien supérieures à celles de simple conducteur du flux d’air. Au point de vue de la fonction respiratoire, elle se comporte plutôt comme un sphincter, un organe de régulation du flux respiratoire, selon les exigences de l’organisme individuel. On peut la considérer aussi comme antichambre du sens de l’odorat, dont l’importance n’est guère moindre pour l’homme que pour les animaux. La sensibilité du trijumeau et celle de l’odorat constituent une source de renseignements non négligeables pour la vie de relation ; l’odorat pour sa part, à cause de son étroite association avec le goût, compte parmi les éléments principaux de l’auto-régulation végétative et conditionne d’une certaine manière l’utilisation de la nourriture. Ces fonctions ne sont donc pas secondaires et justifient l’intérêt qui s’attache aux maladies de ce secteur.
Des considérations similaires se présentent au sujet des troubles endocriniens et neuro-végétatifs du pharynx ; certains d’entre eux au stade ultime de la pharyngite hypertrophique ou atrophique, constituent des infirmités assez lourdes ; de même pour les fosses nasales, certaines rhinites atrophiques, capables de mener à l’exclusion de la vie sociale et d’atteindre ainsi gravement l’équilibre psycho-physique du sujet.
Le larynx, dans son double rôle de voie respiratoire et de générateur de la voix, peut être frappé assez souvent lui aussi. Ce sont en général des troubles guérissables, mais susceptibles pourtant, comme certains œdèmes aigus de type neuro-végétatif et hormonal, de provoquer des situations dramatiques du point de vue respiratoire.
Les relations entre les glandes endocrines, le système neurovégétatif et l’appareil bronchial sont très étroites ; elles se révèlent d’habitude en cas d’asthme bronchial, entretenu très fréquemment par des déséquilibres hormonaux et des troubles de l’appareil neuro-végétatif. Les mêmes causes se retrouvent dans la pathogénèse des manifestations dites allergiques, dont le nom seul Nous dispensera de donner des définitions plus précises. Notons encore que ces manifestations et ces troubles sont tels, qu’ils constituent par leur fréquente répétition une cause d’invalidité, et provoquent chez Je patient un complexe d’infériorité, qui le pousse souvent à s’écarter de la société.
Ces brèves indications suffisent à souligner l’importance non seulement doctrinale, mais pratique du sujet de vos discussions. Elles mettent en évidence le fait que, dans le domaine oto-rhino- laryngologique, des altérations minimes en soi peuvent provoquer, dans ces structures délicates, des effets capables de compromettre, avec la fonction elle-même, l’équilibre psycho-physique du malade.
La charité du Christ, modèle et soutien de la profession médicale.
Nous avons souligné, au début de cette allocution, la nécessité de poursuivre la recherche scientifique médicale sur deux plans distincts et complémentaires, celui de l’analyse et celui des corrélations entre les organes. Mais cette recherche elle-même appelle un idéal professionnel, une conception de l’homme et du monde, qui couronne des efforts aussi ardus et leur confère une valeur permanente. Votre activité, déjà si bienfaisante en elle-même, prend alors un sens nouveau ; elle reflète non seulement la haute compétence patiemment acquise par un labeur acharné, mais aussi la volonté profonde de servir des fins spirituelles incomparablement plus nobles encore. Vous vous rappelez la réponse que le divin Maître fit aux disciples de Jean-Baptiste, qui lui demandaient de sa part : « Es-tu celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre ?» — « Allez rapporter à Jean, répondit Jésus, ce que vous avez vu et entendu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts ressuscitent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres » (Luc, vii, 20, 22).
Les miracles du Seigneur étaient donc des signes de son origine divine et de sa mission ; ils n’en étaient pas moins, pour les malades qui en bénéficiaient, d’immenses faveurs. Nous osons croire qu’en ces heures privilégiées, où vous réfléchissez au but ultime qui oriente vos efforts, vous évoquez parfois le passage du Christ parmi les souffrances humaines. Que de cris angoissés, d’appels insistants montaient jusqu’à lui et le suppliaient d’accorder la santé, de rendre l’usage d’un membre paralysé, d’un organe déficient ! Comme les gestes du Christ délivraient ces affligés, que les vôtres sachent aussi alléger la peine des hommes et surtout, qu’ils prolongent la volonté du divin Rédempteur de préparer ainsi les cœurs à l’avènement du Royaume de Dieu et les disposent à l’humilité et A la gratitude. Puissiez-vous également guérir les infirmités spirituelles, en remédiant A celles du corps, et goûter la joie d’une vie comblée des seuls biens qui ne passeront pas.
Nous vous renouvelons. Messieurs, l’assurance de Notre estime pour la contribution que vous apportez au progrès de l’oto-rhino-laryngologie, et pour le dévouement que vous déployez auprès de vos malades. Que le Seigneur daigne vous en récompenser et vous combler de ses bienfaits ! Nous l’en prions avec instance, en même temps que Nous vous en accordons comme gage pour vous-mêmes, pour vos familles et pour tous ceux qui sont l’objet de votre sollicitude, Notre Bénédiction apostolique.
Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-Maurice Saint-Augustin. – D’après le texte français des A. A. S., L, 1958, p. 518.