Pie XII

260ᵉ pape ; de 1939 à 1958

29 juin 1958

Discours au XIIe congrès de la société latine d’oto-rhino-laryngologie

Table des matières

Le dimanche 29 juin, le Saint-​Père a reçu en audience les partici­pants au 12e Congrès de la Société latine d’Oto-​rhino-​laryngologie, qui s’est tenu à Rome, du 28 juin au Ier juillet.

Voici le dis­cours que le Souverain Pontife pro­non­ça en fran­çais, à cette occasion :

Il Nous est agréable. Messieurs, de rece­voir aujourd’­hui les membres du XIIe Congrès de la Société latine d’oto-​rhino-​laryn­gologie qui, pour la pre­mière fois depuis sa fon­da­tion, a choi­si Rome comme siège de son assem­blée bien­nale. Nous sommes très sen­sible au témoi­gnage de votre défé­rent atta­che­ment et for­mons les meilleurs sou­haits pour le suc­cès de vos travaux.

Nous n’i­gno­rons pas l’im­por­tance de la Société latine d’otorhino-​laryngologie, qui réunit les spé­cia­listes les plus qua­li­fiés, pro­fes­seurs d’Université, médecins-​chefs des hôpi­taux, pra­ti­ciens renom­més, de toutes les nations latines d’Europe et d’Amérique. En cette ren­contre, vous abor­dez un sujet de syn­thèse très com­plexe et peu explo­ré encore : « les troubles hor­mo­naux et neuro­végétatifs en oto-​rhino-​laryngologie ». Bien que l’an­nonce de votre Congrès et la docu­men­ta­tion qui l’illustre, ne Nous soient par­ve­nues que bien récem­ment, Nous ne pou­vions man­quer d’y appor­ter tout l’in­té­rêt qu’il mérite, et de vous faire part des réflexions qu’il Nous suggère.

Le rôle de l’analyse et de la synthèse dans la science médicale.

Quelle que soit la spé­cia­li­té consi­dé­rée, le pro­grès médi­cal s’ac­com­plit sui­vant deux direc­tions fon­da­men­tales : la pre­mière pousse l’é­tude ana­ly­tique de la struc­ture et de la fonc­tion d’un organe ou d’un appa­reil déter­mi­né ; la seconde exa­mine les rela­tions de celui-​ci avec tous les autres, afin de pré­ci­ser son rôle phy­sio­lo­gique propre, de déter­mi­ner les causes loin­taines de ses troubles et leur influence sur le reste de l’organisme.

Ces deux orien­ta­tions, qui s’im­posent à la recherche médi­cale en géné­ral, inté­ressent par­ti­cu­liè­re­ment les spé­cia­listes. Elles condi­tionnent en effet le pro­grès réel de cha­cune des branches, qui se sont par­ta­gé le champ de la méde­cine moderne, afin de mieux ser­vir les inté­rêts de l’in­di­vi­du et ceux de la science. Et quand il s’a­git d’une spé­cia­li­té comme l’oto-​rhino-​laryngologie, qui s’oc­cupe de struc­tures hau­te­ment dif­fé­ren­ciées et de cer­tains organes des sens supé­rieurs, essen­tiels pour l’é­qui­libre psycho- phy­sique de l’in­di­vi­du, c’est une néces­si­té abso­lue de ne point sépa­rer les deux direc­tions fon­da­men­tales de la recherche. En effet, qui­conque s’in­té­resse à l’oto-​rhino-​laryngologie moderne, constate bien vite que l’ef­fort inces­sant de col­la­bo­ra­tion avec les autres dis­ci­plines et l’é­tude des cor­ré­la­tions entre les organes furent et res­tent les fac­teurs essen­tiels, qui en déter­minent les pro­grès. Les dif­fi­cul­tés d’un tel tra­vail, on les aper­çoit sans peine, car si l’é­tude des organes sépa­rés demande un esprit bien doué pour l’a­na­lyse, celle de leurs cor­ré­la­tions sup­pose un en­semble de connais­sances médi­cales fort diverses et une intelli­gence bien au fait des pro­blèmes géné­raux de la médecine.

Etat actuel de l’oto-rhino-laryngologie.

Le pro­gramme de votre Congrès, consa­cré aux « troubles hor­mo­naux et neuro-​végétatifs en oto-​rhino-​laryngologie », tou­che en fait de nom­breuses ques­tions de la patho­lo­gie spé­ciale et s’ef­force de les rat­ta­cher à leurs causes fon­da­men­tales, c’est-​à-​dire aux troubles du sys­tème endo­cri­nien et du sys­tème neuro­végétatif, illus­trant ain­si les remarques que Nous venons de faire.

C’est la pre­mière fois que ce sujet est abor­dé d’une façon syn­thé­tique. D’ailleurs, même pour chaque sec­teur de l’oto-​rhino- laryn­go­lo­gie consi­dé­ré sépa­ré­ment, l’o­reille, le nez et la gorge, il n’existe guère de tra­vaux consa­crés spé­cia­le­ment aux troubles ayant leur ori­gine dans les sys­tèmes endo­cri­nien et neuro­végétatif. En s’ef­for­çant de remé­dier à cette lacune, votre pré­sent Congrès se heurte d’a­bord à la dif­fi­cul­té de déli­mi­ter avec exac­ti­tude des sujets ana­logues et qui par­fois se recouvrent partiellement.

La limite qui sépare le sys­tème endo­cri­nien du sys­tème neuro-​végétatif est elle-​même incer­taine, parce que ce n’est pas une fron­tière locale bien défi­nie et que ces deux sys­tèmes jouent l’un et l’autre un rôle fon­da­men­tal dans tous les proces­sus vitaux, le pre­mier avec les hor­mones qui, par la voie san­guine, atteignent tous les organes et tis­sus, le second par ses rami­fi­ca­tions pré­sentes dans tout l’or­ga­nisme. Il est mal­ai­sé par consé­quent de dis­tin­guer les cas, où ils ont la res­pon­sa­bi­li­té pre­mière des symp­tômes obser­vés, de ceux où ils res­tent au pre­mier plan, mais sans être la cause prin­ci­pale du désordre en question.

Il vaut la peine de pas­ser rapi­de­ment en revue, afin d’en mieux sou­li­gner l’im­por­tance, quelques aspects de la patho­lo­gie oto-​rhino-​laryngologique, qui ont pour ori­gine des troubles hor­mo­naux et neuro-végétatifs.

Nombreux sont les malaises de l’o­reille, c’est-​à-​dire de l’ap­pa­reil acous­tique pro­pre­ment dit et de l’ap­pa­reil ves­ti­bu­laire, qui pro­viennent d’al­té­ra­tions pri­maires des sys­tèmes neuro­végétatif et hor­mo­nal. En cer­tains de ces cas, la fonc­tion acous­tique subit une dimi­nu­tion sen­sible, qui peut aller même jus­qu’à la sur­di­té com­plète, tan­dis que se mani­festent par­fois des trou­bles, comme les acou­phènes, capables d’al­té­rer pro­fon­dé­ment l’é­qui­libre psy­chique du patient, et même de l’en­traî­ner à des déci­sions désespérées.

On pour­rait dire, d’une manière géné­rale, que les désordres acous­tiques d’o­ri­gine hor­mo­nale ou neuro-​végétative, sans être moins connus, sus­citent cer­tai­ne­ment en oto-​rhino-​laryngologie cou­rante moins d’in­té­rêt que ceux de l’ap­pa­reil ves­ti­bu­laire, organe de l’é­qui­libre. Ceux-​ci en effet se mani­festent d’une manière tel­le­ment dra­ma­tique, qu’ils s’im­posent d’emblée à l’at­ten­tion, même si les affec­tions de la fonc­tion audi­tive ne manquent pas.

C’est le cas des syn­dromes dits de Menière, dont plu­sieurs ont une ori­gine hor­mo­nale et neuro-​végétative ; ces mêmes fac­teurs entrent aus­si en ligne de compte dans les syn­dromes simi­laires d’ordre aller­gique et vas­cu­laire, connus depuis plus long­temps, mais encore dif­fi­ciles à inter­pré­ter dans la pra­tique clinique.

Le médecin spécialiste doit rester humain.

L’extension du champ des connais­sances acquises en ce do­maine et lé per­fec­tion­ne­ment des tech­niques capables de secou­rir le patient s’im­posent comme un devoir au méde­cin spé­cia­liste, mais doivent aller de pair avec des sen­ti­ments de compréhen­sion humaine et de pro­fonde cha­ri­té, qui l’ai­de­ront à devi­ner l’an­goisse du malade, à par­ti­ci­per à sa souf­france et à la sou­lager. A côté des cas extrêmes, dont les plus graves sont, d’une part, la sur­di­té impré­vue, et, de l’autre, les malaises graves d’un état ver­ti­gi­neux per­sis­tant, com­bien d’autres, grâce à Dieu, moins spec­ta­cu­laires, mais accom­pa­gnés d’in­con­vé­nients sociaux sérieux, se résolvent par des dif­fi­cul­tés fonc­tion­nelles et l’inva­lidité partielle !

Le méde­cin dis­pose aujourd’­hui de moyens d’ac­tion plus effi­caces que jadis ; il peut inter­ve­nir avec suc­cès en cer­tains cas naguère encore déses­pé­rés. Quand les soins médi­caux n’obtien­nent pas le résul­tat atten­du, la chi­rur­gie moderne et la thé­ra­pie phy­sique viennent à la res­cousse et, sans auto­ri­ser la res­ti­tu­tio in inte­grum, per­mettent tou­te­fois d’at­té­nuer ou de faire dispa­raître les désordres fon­da­men­taux. Il importe donc davan­tage de déter­mi­ner exac­te­ment l’é­tio­lo­gie de chaque cas pour n’em­ployer qu’à bon escient le riche arse­nal thé­ra­peu­tique mis actuel­le­ment à votre dis­po­si­tion par la science.

Dans les autres sec­teurs de l’oto-​rhino-​laryngologie, les mani­festations cli­niques peuvent ne pas être aus­si mou­ve­men­tées que celles dont Nous venons de par­ler à pro­pos de l’ouïe ; mais elles révèlent cepen­dant des troubles fonc­tion­nels et cénes­thé­siques graves. Au niveau des fosses nasales, par exemple, les troubles fonc­tion­nels et neuro-​végétatifs se pré­sen­te­ront sous diverses formes, qui vont de la rhi­nite vaso­mo­trice aux syn­dromes sphé­no­pa­la­tins, des algies réflexes et des céphal­al­gies d’o­ri­gine endo­cri­nienne ou neuro-​végétative aux épis­taxis et aux rhi­nites atro­phiques. Ce domaine, vous le savez, est très vaste et conti­nue à s’a­gran­dir à mesure que la science progresse.

La fosse nasale rem­plit en réa­li­té des fonc­tions bien supé­rieures à celles de simple conduc­teur du flux d’air. Au point de vue de la fonc­tion res­pi­ra­toire, elle se com­porte plu­tôt com­me un sphinc­ter, un organe de régu­la­tion du flux res­pi­ra­toire, selon les exi­gences de l’or­ga­nisme indi­vi­duel. On peut la consi­dérer aus­si comme anti­chambre du sens de l’o­do­rat, dont l’im­portance n’est guère moindre pour l’homme que pour les ani­maux. La sen­si­bi­li­té du tri­ju­meau et celle de l’o­do­rat consti­tuent une source de ren­sei­gne­ments non négli­geables pour la vie de rela­tion ; l’o­do­rat pour sa part, à cause de son étroite asso­ciation avec le goût, compte par­mi les élé­ments prin­ci­paux de l’auto-​régulation végé­ta­tive et condi­tionne d’une cer­taine manière l’u­ti­li­sa­tion de la nour­ri­ture. Ces fonc­tions ne sont donc pas secon­daires et jus­ti­fient l’in­té­rêt qui s’at­tache aux mala­dies de ce secteur.

Des consi­dé­ra­tions simi­laires se pré­sentent au sujet des troubles endo­cri­niens et neuro-​végétatifs du pha­rynx ; cer­tains d’entre eux au stade ultime de la pha­ryn­gite hyper­tro­phique ou atro­phique, consti­tuent des infir­mi­tés assez lourdes ; de même pour les fosses nasales, cer­taines rhi­nites atro­phiques, capables de mener à l’ex­clu­sion de la vie sociale et d’at­teindre ain­si gra­ve­ment l’é­qui­libre psycho-​physique du sujet.

Le larynx, dans son double rôle de voie res­pi­ra­toire et de géné­ra­teur de la voix, peut être frap­pé assez sou­vent lui aus­si. Ce sont en géné­ral des troubles gué­ris­sables, mais sus­cep­tibles pour­tant, comme cer­tains œdèmes aigus de type neuro-​végétatif et hor­mo­nal, de pro­vo­quer des situa­tions dra­ma­tiques du point de vue respiratoire.

Les rela­tions entre les glandes endo­crines, le sys­tème neuro­végétatif et l’ap­pa­reil bron­chial sont très étroites ; elles se révè­lent d’ha­bi­tude en cas d’asthme bron­chial, entre­te­nu très fré­quemment par des dés­équi­libres hor­mo­naux et des troubles de l’ap­pa­reil neuro-​végétatif. Les mêmes causes se retrouvent dans la patho­gé­nèse des mani­fes­ta­tions dites aller­giques, dont le nom seul Nous dis­pen­se­ra de don­ner des défi­ni­tions plus pré­cises. Notons encore que ces mani­fes­ta­tions et ces troubles sont tels, qu’ils consti­tuent par leur fré­quente répé­ti­tion une cause d’inva­lidité, et pro­voquent chez Je patient un com­plexe d’in­fé­rio­ri­té, qui le pousse sou­vent à s’é­car­ter de la société.

Ces brèves indi­ca­tions suf­fisent à sou­li­gner l’im­por­tance non seule­ment doc­tri­nale, mais pra­tique du sujet de vos dis­cus­sions. Elles mettent en évi­dence le fait que, dans le domaine oto-​rhino- laryn­go­lo­gique, des alté­ra­tions minimes en soi peuvent pro­vo­quer, dans ces struc­tures déli­cates, des effets capables de com­pro­mettre, avec la fonc­tion elle-​même, l’é­qui­libre psycho-​physi­que du malade.

La charité du Christ, modèle et soutien de la profession médicale.

Nous avons sou­li­gné, au début de cette allo­cu­tion, la néces­sité de pour­suivre la recherche scien­ti­fique médi­cale sur deux plans dis­tincts et com­plé­men­taires, celui de l’a­na­lyse et celui des cor­ré­la­tions entre les organes. Mais cette recherche elle-​même appelle un idéal pro­fes­sion­nel, une concep­tion de l’homme et du monde, qui cou­ronne des efforts aus­si ardus et leur confère une valeur per­ma­nente. Votre acti­vi­té, déjà si bien­fai­sante en elle-​même, prend alors un sens nou­veau ; elle reflète non seu­lement la haute com­pé­tence patiem­ment acquise par un labeur achar­né, mais aus­si la volon­té pro­fonde de ser­vir des fins spi­ri­tuelles incom­pa­ra­ble­ment plus nobles encore. Vous vous rap­pe­lez la réponse que le divin Maître fit aux dis­ciples de Jean-​Baptiste, qui lui deman­daient de sa part : « Es-​tu celui qui doit venir, ou devons-​nous en attendre un autre ?» — « Allez rap­por­ter à Jean, répon­dit Jésus, ce que vous avez vu et enten­du : les aveugles voient, les boi­teux marchent, les lépreux sont gué­ris, les sourds entendent, les morts res­sus­citent, la bonne nou­velle est annon­cée aux pauvres » (Luc, vii, 20, 22).

Les miracles du Seigneur étaient donc des signes de son ori­gine divine et de sa mis­sion ; ils n’en étaient pas moins, pour les malades qui en béné­fi­ciaient, d’im­menses faveurs. Nous osons croire qu’en ces heures pri­vi­lé­giées, où vous réflé­chis­sez au but ultime qui oriente vos efforts, vous évo­quez par­fois le pas­sage du Christ par­mi les souf­frances humaines. Que de cris angois­sés, d’ap­pels insis­tants mon­taient jus­qu’à lui et le sup­pliaient d’ac­cor­der la san­té, de rendre l’u­sage d’un membre para­ly­sé, d’un organe défi­cient ! Comme les gestes du Christ déli­vraient ces affli­gés, que les vôtres sachent aus­si allé­ger la peine des hommes et sur­tout, qu’ils pro­longent la volon­té du divin Rédempteur de pré­pa­rer ain­si les cœurs à l’a­vè­ne­ment du Royaume de Dieu et les dis­posent à l’hu­mi­li­té et A la grati­tude. Puissiez-​vous éga­le­ment gué­rir les infir­mi­tés spi­ri­tuelles, en remé­diant A celles du corps, et goû­ter la joie d’une vie com­blée des seuls biens qui ne pas­se­ront pas.

Nous vous renou­ve­lons. Messieurs, l’as­su­rance de Notre estime pour la contri­bu­tion que vous appor­tez au pro­grès de l’oto-​rhino-​laryngologie, et pour le dévoue­ment que vous dé­ployez auprès de vos malades. Que le Seigneur daigne vous en récom­pen­ser et vous com­bler de ses bien­faits ! Nous l’en prions avec ins­tance, en même temps que Nous vous en accor­dons comme gage pour vous-​mêmes, pour vos familles et pour tous ceux qui sont l’ob­jet de votre sol­li­ci­tude, Notre Bénédiction apostolique.

Source : Document Pontificaux de S. S. Pie XII, Edition Saint-​Maurice Saint-​Augustin. – D’après le texte fran­çais des A. A. S., L, 1958, p. 518.