Benoît XV

258e pape ; de 1914 à 1922

30 avril 1921

Lettre encyclique In Praeclara Summorum

Sur le sixième centenaire de la mort de Dante

Table des matières

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 30 avril 1921

Chers Fils, Salut et Bénédiction apostolique.

DANS LA GLORIEUSE LIGNÉE des génies dont l’é­cla­tant renom fait l’hon­neur du Catholicisme et qui, soit dans tous les domaines, soit plus spé­cia­le­ment dans les lettres et les beaux-​arts, ont, par les immor­telles pro­duc­tions de leur talent, magni­fi­que­ment ser­vi à la fois la socié­té et l’Église, une place de choix revient à Dante Alighieri, mort il y aura bien­tôt six cents ans.

Le catholicisme de Dante

Gloire commune de l’humanité, « Dante est avant tout nôtre ».

Jamais peut-​être plus que de nos jours on n’a ren­du hom­mage à la supé­rio­ri­té de ce génie qu’est Dante. Ce n’est pas seule­ment l’Italie, jus­te­ment fière de lui avoir don­né le jour, qui se pré­pare avec enthou­siasme à chan­ter sa mémoire ; Nous savons que, dans toutes les nations civi­li­sées, des Comités spé­ciaux de savants se sont consti­tués afin que le monde entier ne fasse qu’un pour célé­brer cette pure gloire de l’humanité.

Or, ce chœur si magni­fique de voix auto­ri­sées, il convient d’y unir Notre voix ; bien plus, Nous devons en quelque sorte le diri­ger : n’est-​ce point à l’Église, sa mère, de récla­mer, la pre­mière et bien haut, l’Alighieri pour son enfant ? Dès le début de Notre Pontificat, Nous deman­dions, dans une lettre à l’ar­che­vêque de Ravenne, qu’on embel­lît, en vue du cen­te­naire de l’Alighieri, la basi­lique voi­sine de son tom­beau ; aujourd’­hui, afin d’i­nau­gu­rer les fêtes de ce cen­te­naire, il Nous a paru bon de vous écrire à vous tous, chers Fils, qui, sous la direc­tion de l’Église, vous appli­quez à l’é­tude des lettres, pour vous mon­trer plus clai­re­ment encore quels liens étroits rat­tachent Dante à cette Chaire de Pierre, et com­ment il est de toute jus­tice de rap­por­ter pour une grande part au catho­li­cisme les éloges décer­nés à un si grand nom.

Et d’a­bord, si l’on se rap­pelle que, toute sa vie durant, notre Dante a pro­fes­sé d’une façon exem­plaire la reli­gion catho­lique, il semble bien que ce soit répondre à ses propres vœux que de pla­cer sous les aus­pices de la reli­gion, comme Nous appre­nons qu’on s’y apprête, les fêtes de son cen­te­naire, et, si on doit les clô­tu­rer à San-​Francesco de Ravenne, de les ouvrir à San-​Giovanni de Florence, l’é­glise magni­fique vers laquelle, au soir de sa vie, Dante exi­lé repor­tait son sou­ve­nir char­gé de regrets amers, nour­ris­sant l’es­poir pas­sion­né de ceindre les lau­riers de poète dans ce Baptistère même qui l’a­vait vu naître à la foi.

Dante est redevable au catholicisme de sa culture, du fond doctrinal et de l’austère beauté de ses œuvres.

Né à une époque où flo­ris­saient la phi­lo­so­phie et la théo­lo­gie, grâce aux doc­teurs sco­las­tiques qui recueillaient les plus belles œuvres du pas­sé pour les trans­mettre à l’a­ve­nir après y avoir mis l’empreinte de leur sub­til génie, Dante, par­mi la grande varié­té des opi­nions, prit pour guide prin­ci­pal Thomas d’Aquin, Prince de l’Ecole. C’est à ce maître, dont le génie intel­lec­tuel a été carac­té­ri­sé par le titre d’an­gé­lique, qu’il doit presque tout ce que lui révé­lèrent la phi­lo­so­phie et la spé­cu­la­tion théo­lo­gique, sans d’ailleurs négli­ger aucun genre de connais­sance ou de science ni dimi­nuer les longues heures consa­crées à la médi­ta­tion des Livres Saints et des écrits des Pères.

On com­prend donc que, pour­vu d’une culture aus­si uni­ver­selle et ver­sé sur­tout dans les sciences sacrées, il ait trou­vé, quand il eut pris la réso­lu­tion d’é­crire, dans le domaine même de la reli­gion, un champ presque infi­ni ouvert à son talent de poète et des sujets de ta plus haute portée.

Sans doute, il convient d’ad­mi­rer la pro­di­gieuse ampleur et la péné­tra­tion de son génie ; mais il faut se sou­ve­nir éga­le­ment qu’une grande part de sa force est pui­sée dans la foi divine ; ce qui explique que Dante soit rede­vable de la beau­té de son œuvre prin­ci­pale autant aux splen­deurs variées de la véri­té révé­lée qu’à toutes les res­sources de l’art.

Le dogme catholique dans l’œuvre de Dante.

De fait, la Divine Comédie – divine, le mot est très juste – n’a pour but, en défi­ni­tive, même en ses élé­ments de fic­tion et d’i­ma­gi­na­tion et dans les rémi­nis­cences pro­fanes qu’elle ren­ferme en de nom­breux pas­sages, que d’exal­ter la jus­tice et la pro­vi­dence de Dieu, qui régit le monde dans le temps et dans l’é­ter­ni­té, qui dis­tri­bue aux indi­vi­dus et aux socié­tés récom­penses ou châ­ti­ments sui­vant leurs mérites.

Aussi ce poème chante-​t-​il magni­fi­que­ment, et en par­faite confor­mi­té avec les dogmes de la foi catho­lique, l’au­guste Trinité du Dieu un, la Rédemption du genre humain par le Verbe de Dieu Incarné, l’im­mense et géné­reuse bon­té de la Vierge Marie, Mère de Dieu et Reine du ciel, la béa­ti­tude céleste des élus, anges et hommes, et, en un sai­sis­sant contraste, les sup­plices des impies dans les abîmes ; enfin, entre le para­dis et l’en­fer, la demeure des âmes qui, une fois consom­mé leur temps d’ex­pia­tion, voient le ciel s’ou­vrir devant elles. Et l’on constate, à tra­vers tout le poème, que le sens le plus aver­ti pré­side à l’ex­po­sé de ces dogmes et des autres dogmes catholiques.

Les pro­grès de la cos­mo­gra­phie ont pu révé­ler plus tard que le sys­tème cos­mique et astral de la science antique n’é­tait qu’un mythe, que la nature, le nombre et le cours des étoiles et autres astres sont tout dif­fé­rents de ce qu’elle pen­sait ; il n’en reste pas moins que l’u­ni­vers, quelles que soient les lois qui en régissent les élé­ments, est sou­mis à la même volon­té qui l’a créé, celle du Dieu tout-​puissant, qui donne le mou­ve­ment à toute la nature et qui a mis par­tout un reflet plus ou moins puis­sant de sa gloire. Si la terre que nous habi­tons ne joue pas, comme on le croyait, le rôle de centre dans le sys­tème géné­ral du monde, c’est elle du moins qui a été le cadre du bon­heur de nos pre­miers parents, puis le théâtre de la chute lamen­table qui en mar­qua pour eux la perte, et de la rédemp­tion des hommes par le sang de Jésus-Christ.

Aussi, la des­crip­tion qu’il a don­née du triple état des âmes que lui repré­sen­tait son ima­gi­na­tion montre que pour dépeindre, avant le juge­ment divin du der­nier jour, la dam­na­tion des réprou­vés, l’ex­pia­tion des âmes justes, le bon­heur des élus, c’est des don­nées intimes de la foi qu’il tire les plus vives clartés.

Les grandes leçons du centenaire

Voici, pensons-​Nous, les ensei­gne­ments les plus féconds que nos contem­po­rains peuvent reti­rer de l’hé­ri­tage lais­sé par Dante, soit dans les autres œuvres, soit spé­cia­le­ment dans la Divine Comédie.

Vénérer la Sainte Écriture.

Tout d’a­bord, l’Ecriture Sainte a droit à la véné­ra­tion la plus pro­fonde de tous les fidèles, et c’est avec un sou­ve­rain res­pect qu’il faut accep­ter tout ce qu’elle ren­ferme. Dante appuie cette règle sur le fait que, » encore qu’il y ait bien des secré­taires de la parole divine, ils n’é­crivent que sous la dic­tée de Dieu seul, qui a dai­gné se ser­vir de la plume de nom­breux écri­vains pour nous com­mu­ni­quer son mes­sage de bon­té » [1]. Formule assu­ré­ment heu­reuse et d’une par­faite exac­ti­tude. Comme aus­si cette autre : « Le Testament ancien et nou­veau, pro­mul­gué pour l’é­ter­ni­té, dit le pro­phète », contient des « ensei­gne­ments spi­ri­tuels qui dépassent l’en­ten­de­ment humain », don­nés « par le Saint-​Esprit, qui, par les pro­phètes et les écri­vains sacrés, par Jésus-​Christ, Fils de Dieu et co-​éternel à lui, ain­si que par ses dis­ciples, a révé­lé la véri­té sur­na­tu­relle et néces­saire à nos âmes » [2].

C’est donc avec grande rai­son, disait-​il, que pour l’é­ter­ni­té qui sui­vra le cours de la vie mor­telle, « nous tirons nos cer­ti­tudes de la doc­trine infaillible du Christ, qui est la Voie, la Vérité et la Lumière : la Voie, car c’est elle qui, à tra­vers tous les obs­tacles, nous mène au bon­heur éter­nel ; la Vérité, puis­qu’elle est exempte de toute erreur ; la Lumière, puis­qu’elle dis­sipe les ténèbres ter­restres de l’i­gno­rance » [3]. Dante entoure du même res­pect atten­tif « ces véné­rables Conciles géné­raux, aux­quels pas un fidèle ne conteste que le Christ ait pris part ». Il tient aus­si en grande estime « les œuvres des doc­teurs Augustin et autres » ; « celui », dit-​il, « qui doute qu’ils aient été assis­tés du Saint-​Esprit, ou bien n’a rien décou­vert de leurs fruits ou, s’il l’a fait, n’a pas su le moins du monde les goû­ter » [4].

Respecter filialement l’Église et le Souverain Pontife.

Ses propres infor­tunes et des abus réels excusent la dure­té des invec­tives de Dante.

Alighieri a des égards tout par­ti­cu­liers pour l’au­to­ri­té de l’Église catho­lique, pour le pou­voir du Pontife Romain, pou­voir qui, à ses yeux, donne leur force à cha­cune des lois et ins­ti­tu­tions de l’Église elle-​même. De là l’éner­gique exhor­ta­tion qu’il adresse aux chré­tiens : dès lors qu’ils ont les deux Testaments, et en même temps le Pasteur de l’Église pour les gui­der, qu’ils se tiennent pour satis­faits de ces moyens de salut. Aussi bien, attris­té des mal­heurs de l’Église comme s’ils eussent été les siens, pleu­rant et stig­ma­ti­sant toute infi­dé­li­té des chré­tiens à l’é­gard du Souverain Pontife, voi­ci en quels termes il inter­pelle les car­di­naux ita­liens quand le Siège Apostolique a quit­té Rome : « Quelle honte pour nous aus­si qui croyons au même Père et Fils, au même Dieu et homme, à la même Mère et Vierge ; nous pour qui et pour le salut de qui Pierre s’est enten­du dire, après avoir eu à répondre trois fois de son amour : Pierre, sois le pas­teur du trou­peau sacro­saint. Quelle honte pour Rome qui, après avoir fêté tant de triom­pha­teurs, s’est vu confir­mer en parole et en acte par le Christ l’empire du monde ; Rome, que Pierre et Paul, l’a­pôtre des nations, ont consa­crée Siège Apostolique en l’ar­ro­sant de leur propre sang ; Rome, dont, à la suite de Jérémie, nous lamen­tant pour les contem­po­rains et non pour la pos­té­ri­té, il nous faut pleu­rer la vidui­té et l’a­ban­don. Quelle honte ! aus­si affreuse, hélas ! que le spec­tacle du lamen­table déchi­re­ment des héré­sies. » [5]

Aussi appelle-​t-​il l’Église romaine « la Mère très tendre ou l’Epouse du Crucifié » ; Pierre, il le pro­clame le juge infaillible de la véri­té divi­ne­ment révé­lée, auquel tous sont obli­gés de se sou­mettre avec la plus entière doci­li­té en tout ce qu’on doit croire ou pra­ti­quer pour assu­rer son salut éter­nel. C’est pour­quoi, encore qu’il pro­fesse que la digni­té de l’empereur vienne direc­te­ment de Dieu, cette « véri­té », dit-​il, « ne doit pas se prendre dans un sens si abso­lu que le Prince Romain n’ait pas sur tel ou tel point à se sou­mettre au Pontife Romain, étant don­né que la pros­pé­ri­té mor­telle d’ici-​bas est en quelque sorte ordon­née au bon­heur éter­nel » [6].

Principe excellent et plein de sagesse, qui, s’il est fidè­le­ment obser­vé, même aujourd’­hui, ne manque pas de pro­duire pour les États les plus abon­dants fruits de prospérité.

Il est vrai, Dante a des invec­tives extrê­me­ment sévères et offen­santes contre des Papes de son temps ; mais il visait ceux dont il ne par­ta­geait point les vues poli­tiques et qui étaient, pensait-​il, de conni­vence avec le par­ti qui l’a­vait exi­lé de son foyer et de sa patrie.

Mais on doit par­don­ner à un homme bal­lot­té par un tel flot d’in­for­tunes, si de son cœur ulcé­ré il lais­sa échap­per quelque juge­ment qui semble avoir dépas­sé la mesure ; il est d’au­tant plus excu­sable qu’il n’est pas dou­teux que des esprits por­tés, comme il arrive fré­quem­ment, à tout inter­pré­ter en mal chez leurs adver­saires, aient ali­men­té sa colère de leurs calomnies.

Et puis, l’hu­maine fai­blesse per­met­tant que « même aux âmes saintes il s’at­tache néces­sai­re­ment quelque chose de la pous­sière du monde » [7], qui nie­ra qu’à cette époque cer­tains membres du cler­gé aient eu une conduite peu édi­fiante, bien propre à plon­ger dans l’a­mer­tume et le cha­grin ce cœur si dévoué à l’Église, puisque nous savons qu’elle sou­le­va les plaintes sévères d’hommes émi­nents par la sain­te­té de leur vie en tout cas, quelques abus qu’à rai­son ou à tort son indi­gna­tion ait dénon­cés et stig­ma­ti­sés chez les clercs, jamais il ne se per­mit de rien retran­cher des égards dus à l’Église ni de la véné­ra­tion due aux « Clés sou­ve­raines » ; aus­si résolut-​il de défendre ses idées per­son­nelles en poli­tique « sans se dépar­tir du res­pect qu’un bon fils doit à son père, un bon fils à sa mère, un bon fils au Christ, un bon fils à l’Église, un bon fils au Pasteur, un bon fils à tous ceux qui pro­fessent la reli­gion chré­tienne pour la défense de la véri­té » [8].

Sauvegarder les droits sou­ve­rains de Dieu et de l’Église dans le gou­ver­ne­ment des États. Puisque Dante a, pour ain­si dire, assis tout l’é­di­fice de son poème sur le fon­de­ment de la reli­gion, il n’est pas éton­nant qu’on y trouve comme une mine pré­cieuse d’en­sei­gne­ment catho­lique, la quin­tes­sence de la phi­lo­so­phie et de la théo­lo­gie chré­tienne, comme aus­si la syn­thèse des lois divines sur le gou­ver­ne­ment et l’ad­mi­nis­tra­tion des États. Même pour jus­ti­fier l’a­gran­dis­se­ment de son pays ou pour flat­ter les princes, l’Alighieri n’é­tait pas homme à décla­rer que l’Etat puisse mécon­naître la jus­tice et les droits de Dieu, car il savait par­fai­te­ment que le main­tien de ces droits est le pre­mier et le plus sûr fon­de­ment de la cité.

Utilité actuelle de l’œuvre de Dante

Son efficacité apologétique

Par suite, si l’œuvre poé­tique de Dante nous ménage d’ex­quises jouis­sances par sa per­fec­tion, elle n’est pas moins riche en féconds ensei­gne­ments pour l’i­ni­tia­tion artis­tique et pour la for­ma­tion à la ver­tu ; à condi­tion, tou­te­fois, que l’es­prit qui l’a­borde se dépouille de tous pré­ju­gés et ne s’ins­pire que de l’a­mour de la véri­té. Si l’on compte bon nombre d’ex­cel­lents poètes catho­liques qui rem­portent, comme l’on dit, tous les suf­frages en joi­gnant l’u­tile à l’a­gréable, que dire de Dante ? S’il cap­tive par une extra­or­di­naire varié­té d’i­mages, l’é­clat des cou­leurs, la puis­sance de la pen­sée et du style, il use de ce charme pour ame­ner le lec­teur à l’a­mour de la véri­té chré­tienne ; au reste, comme cha­cun sait, Dante a décla­ré ouver­te­ment qu’il se pro­po­sait, en com­po­sant ce poème, de four­nir à tous les esprits comme un ali­ment de vie. C’est ain­si que, sans remon­ter bien haut, nous savons quelques âmes, éloi­gnées du Christ sans l’a­voir tou­te­fois renié, qui, alors qu’elles avaient prin­ci­pa­le­ment en vue de lire et d’é­tu­dier l’œuvre de Dante, ont d’a­bord, par un effet de la grâce divine, contem­plé avec admi­ra­tion la véri­té de la foi catho­lique pour entrer ensuite avec allé­gresse dans le sein de l’Église. – Nous en avons dit assez pour mon­trer que l’é­lite des chré­tiens a le devoir, à l’oc­ca­sion de ce cen­te­naire, de res­ser­rer les liens qui l’u­nissent à la foi, pro­tec­trice des arts, puisque, si la ver­tu de foi a jamais brillé d’un grand éclat, c’est bien chez Alighieri. Ce qui, chez ce poète, force l’ad­mi­ra­tion, ce n’est pas seule­ment la puis­sance de son génie, mais encore la gran­deur comme infi­nie du thème que la reli­gion divine a four­ni à son chant ; l’es­prit si péné­trant que lui avait don­né la nature s’af­fi­na lon­gue­ment par l’é­tude appro­fon­die des œuvres de l’an­ti­qui­té, mais trou­va plus d’a­cui­té encore, comme Nous le disions, au contact des écrits des Docteurs et des Pères de l’Église ; c’est là ce qui ouvrit au vol de sa pen­sée un champ bien plus vaste et plus éle­vé que s’il se fût can­ton­né dans les limites tou­jours étroites de la nature. Voilà pour­quoi Dante, sépa­ré de nous par tant de siècles, semble être presque notre contem­po­rain ou, au moins, bien plus rap­pro­ché de nous que tels chantres actuels de cette anti­qui­té que le Christ a éclip­sée par son triomphe sur la Croix.

Chez l’Alighieri et chez nous, mêmes aspi­ra­tions de pié­té, mêmes sen­ti­ments reli­gieux, mêmes voiles revê­tant « la véri­té qui nous est venue du ciel pour nous éle­ver à de si sublimes hau­teurs ». La plus belle louange qu’on puisse lui décer­ner, c’est d’a­voir été un poète chré­tien, c’est-​à-​dire d’a­voir trou­vé des accents comme divins pour chan­ter les ins­ti­tu­tions chré­tiennes, dont il contem­plait de toute son âme la beau­té et la splen­deur, qu’il com­pre­nait mer­veilleu­se­ment et qui étaient sa vie. Ceux qui osent lui refu­ser cet éloge et ne voient dans la trame reli­gieuse de la Divine Comédie qu’un roman d’i­ma­gi­na­tion, sans fond de véri­té, ravissent incon­tes­ta­ble­ment à notre poète son plus beau lau­rier et ce qui fonde ses autres titres de gloire.

L’étude de Dante est un remède au naturalisme de l’éducation actuelle.

Dès lors, si Dante est rede­vable à la foi catho­lique pour une si grande part de sa gloire et de sa gran­deur, ce seul exemple suf­fit, sans par­ler du reste, à prou­ver que, loin de lui alour­dir les ailes, l’hom­mage de l’es­prit et du cœur à Dieu déve­loppe et enflamme le génie. On peut en conclure encore que ceux-​là tra­vaillent bien mal au pro­grès des études et de la culture qui refusent à la reli­gion toute inter­ven­tion dans la for­ma­tion de la jeu­nesse. C’est, en effet, un fait déplo­rable : les méthodes offi­cielles d’é­du­ca­tion de la jeu­nesse sont d’or­di­naire conçues comme si l’homme n’a­vait aucun compte à tenir de Dieu, non plus que de toutes les réa­li­tés sou­ve­rai­ne­ment impor­tantes du monde sur­na­tu­rel. Là même où « le poème sacré » est admis dans les écoles publiques, dans les éta­blis­se­ments où il est mis au nombre des ouvrages fai­sant l’ob­jet d’é­tudes plus appro­fon­dies, les jeunes gens qu’une méthode défec­tueuse rend plus ou moins indif­fé­rents aux choses de la foi divine n’y puisent presque jamais l’a­li­ment vital qu’il est appe­lé à produire.

Puissent les fêtes de ce cen­te­naire avoir ce résul­tat d’as­su­rer à Dante, par­tout où l’on se consacre à l’é­du­ca­tion lit­té­raire de la jeu­nesse, l’hon­neur qu’il mérite et d’en faire pour les étu­diants un maître de doc­trine chré­tienne, lui qui n’eut en vue, en com­po­sant son poème, que « d’ar­ra­cher les mor­tels d’ici-​bas à leur condi­tion misé­rable », celle du péché, « pour les conduire à l’é­tat du bon­heur », celui de la divine grâce [9].

Quant à vous, chers Fils, qui avez la joie de vous livrer, sous la direc­tion de l’Église, à l’é­tude des lettres et des beaux-​arts, conti­nuez, comme vous le faites déjà, à entou­rer d’un culte fervent ce poète, que Nous n’hé­si­tons pas à pro­cla­mer le plus élo­quent des pané­gy­ristes et des hérauts de la doc­trine chrétienne.

A mesure que vous l’ai­me­rez davan­tage, le rayon­ne­ment de la véri­té trans­fi­gu­re­ra plus pro­fon­dé­ment vos âmes, et vous demeu­re­rez des ser­vi­teurs plus fidèles et plus dévoués de notre foi.

Comme gage des divines faveurs et en témoi­gnage de Notre pater­nelle bien­veillance, Nous vous accor­dons à tous, chers Fils, et de tout cœur, la Bénédiction apostolique.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre, le 30 avril 1921, en la sep­tième année de Notre Pontificat.

BENEDICTUS PP. XV

Source : BENEDICTUS PP. XV, Litterae ency­cli­cae In prae­cla­ra sum­mo­rum, sae­cu­lo sex­to exeunte ab obi­tu Dantis Aligherii [Dilectis filiis doc­to­ri­bus et alum­niis lit­te­ra­rum artiumque opti­ma­rum orbis catho­li­ci], 30 apri­lis 1921 : AAS 13(1921) 209–217 ; tra­duc­tion fran­çaise, titres et sous-​titres de la Documentation Catholique : DC 5(I‑1921) 514–517.

Notes de bas de page
  1. De Monarchia, III, 4. []
  2. De Monarchia, III, 3, 16. []
  3. Convivio, II, 9. []
  4. De Monarchia, III, 3. []
  5. Epist. VIII. []
  6. De Monarchia, III, 16. []
  7. S. LÉON LE GRAND, Sermon 29 (Ballerini-​Migne : 42), 4 de Quadr. 1 : PL 54, 275 et SC 49, 43. []
  8. De Monarchia, III, 3. []
  9. Epist. X, § 15.[]