Aux Vénérables Frères, Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques et autres Ordinaires locaux en paix et communion avec le Siège Apostolique
Vénérables Frères, salut et Bénédiction Apostolique.
L’Esprit-Saint, qui, pour initier le genre humain aux mystères de la divinité, lui avait donné le trésor des Saintes Lettres, a fort providentiellement suscité au cours des siècles de nombreux exégètes, aussi remarquables parleur sainteté que par leur science, qui, non contents de ne point laisser infécond ce céleste trésor [1], devaient, par leurs études et leurs travaux, faire goûter avec surabondance aux fidèles la consolation des Ecritures. C’est d’un avis unanime qu’on place au premier rang de cette élite saint Jérôme, en qui l’Eglise catholique reconnaît et vénère le plus grand Docteur que lui ait donné le ciel pour l’interprétation des Saintes Ecritures. Devant commémorer dans quelques jours le quinzième centenaire de sa mort, Nous ne voulons pas, Vénérables Frères, laisser passer une si favorable occasion de vous entretenir à loisir de la gloire qu’a acquise saint Jérôme et des services qu’il a rendus par sa science des Saintes Ecritures.
La conscience de Notre charge apostolique et le désir de développer l’étude, noble entre toutes, de l’Ecriture, Nous incitent, d’une part, à proposer à l’imitation le beau modèle qu’est ce grand génie, de l’autre, à confirmer de Notre autorité apostolique et à mieux adapter aux temps que traverse aujourd’hui l’Eglise les si précieuses directions et prescriptions données en cette matière par Nos prédécesseurs d’heureuse mémoire, Léon XIII et Pie X. De fait saint Jérôme, « esprit pleinement imprégné du sens catholique et très versé dans la connaissance de la loi sainte » [2], « maître des catholiques » [3], « modèle de vertu et lumière du monde entier » [4], a merveilleusement exposé et défendu avec vaillance la doctrine catholique concernant nos Saints Livres ; à ce titre, il nous fournit une foule d’enseignements de très haute valeur dont, Nous Nous autorisons pour exhorter tous les enfants de l’Eglise, et principalement les clercs, au respect en même temps qu’à la lecture pieuse et à la méditation assidue des divines Ecritures.
Comme vous le savez, Vénérables Frères, Jérôme naquit à Stridon, « jadis ville frontière entre la Dalmatie et la Pannonie [5] ; élevé dès la plus tendre enfance dans le catholicisme [6], il revêtit ici même à Rome, au baptême, les livrées du Christ [7] ; dès ce jour, et jusqu’à la fin de sa très longue vie, il consacra toutes ses forces à l’étude, à l’explication et à la défense des Saints Livres. A Rome, il s’initia aux lettres latines et grecques, et il quittait à peine la chaire des rhéteurs que, encore adolescent, il s’essaya à commenter le prophète Abdias ; cet essai de sa « première jeunesse » [8] développa à ce point son amour des Ecritures que, suivant la parabole de l’Evangile, il décida de sacrifier au trésor qu’il découvrait « tous les avantages de ce monde » [9].
Aussi, bravant toutes les difficultés d’un pareil projet, il quitte sa maison, ses parents, sa sœur et ses proches, renonce à sa table somptueuse et part pour les Lieux Saints, afin d’y acquérir plus abondamment les richesses du Christ et la connaissance du Sauveur par la lecture et l’étude des Saints Livres [10]. A plusieurs reprises, il nous dit lui-même comment il s’y employa sans épargner ses sueurs :
« Une soif ardente m’excitait à m’instruire auprès des autres et je ne fus point, comme certains le pensent, mon propre maître. A Antioche, je suivis souvent les leçons d’Apollinaire de Laodicée, que je fréquentais mais, bien que je fusse son disciple dans les Saintes Ecritures, jamais je n’ai adopté son dogmatisme opiniâtre en matière de sens. » [11]
De Palestine, Jérôme se retira dans le désert de Chalcis en Syrie orientale ; et, en vue de pénétrer plus à fond le sens de la parole divine un même temps que pour refréner par un travail acharné les ardeurs de la jeunesse, il se mit à l’école d’un Juif converti, qui lui apprit également l’hébreu et le chaldéen. « Quelle peine il m’en coûta, que de difficultés à vaincre, que de découragements, combien de fois j’ai abandonné cette étude pour la reprendre ensuite, stimulé par ma passion de la science, moi seul pourrais le dire qui l’éprouvai, et ceux avec qui je vivais. Je bénis Dieu pour les doux fruits qu’a portés pour moi la graine amère de l’étude des langues. » [12]
Fuyant les bandes d’hérétiques, qui venaient le troubler jusqu’au fond du désert, Jérôme gagna Constantinople. L’évêque de cette ville était alors saint Grégoire le Théologien, célèbre pour l’universel renom de sa science. Jérôme le prit, durant près de trois années, pour guide et maître dans l’interprétation des Saintes Lettres. C’est à cette époque qu’il traduisit en latin les Homélies d’Origène sur les Prophètes ainsi que la Chronique d’Eusèbe, et commenta la vision des Séraphins dans Isaïe.
Les difficultés que traversait la chrétienté le ramenèrent à Rome. Il y fut paternellement accueilli par le pape Damase, qu’il assista dans le gouvernement de l’Eglise [13]. Tiraillé en tous sens par les soucis de cette charge, il n’en continua pas moins soit de fréquenter assidûment les Livres Saints [14] et de transcrire et collationner les manuscrits [15], soit de résoudre les difficultés qu’on lui soumettait et d’initier des disciples des deux sexes à la science des Ecritures [16]. Le Pape lui avait confié la tâche immense de réviser la version latine du Nouveau Testament ; il y fit preuve d’une telle pénétration et finesse de jugement que son œuvre est de plus en plus admirée et estimée par les exégètes modernes eux-mêmes.
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Mais toutes ses pensées, tous ses goûts l’attiraient vers les lieux vénérables de la Palestine. Aussi, à la mort de Damase, Jérôme se retira à Bethléem ; il éleva près du berceau du Christ un monastère où il se consacra tout entier à Dieu, employant tous les instants que lui laissait la prière à étudier et enseigner les Ecritures. « Déjà, dit-il encore lui-même, ma tête se parsemait de cheveux blancs et me donnait l’apparence d’un maître bien plus que d’un disciple ; néanmoins, j’allai à Alexandrie me mettre à l’école de Didyme. Je lui dois beaucoup ; il m’apprit ce que j’ignorais ; ce que je savais, j’ai gagné à l’apprendre sous une autre forme. On se figurait que je n’avais plus rien à apprendre ; or, à Jérusalem et à Bethléem, au prix de quelles fatigues et de quels efforts n’ai-je pas suivi encore pendant la nuit les leçons de Baraninas ! Il craignait les Juifs et me faisait l’effet d’un second Nicodème. » [17]
Loin de s’en tenir aux leçons et à l’autorité de ces maîtres – et il en eut d’autres, – il utilisa, pour faire de nouveaux progrès, des sources de documentation de tout genre : après s’être procuré dès le début les meilleurs manuscrits et commentaires de l’Ecriture, il dépouilla les livres des synagogues et les ouvrages delà bibliothèque de Césarée, constituée par Origène et Eusèbe ; la collation de ces textes avec les siens devait lui permettre de fixer la forme authentique et le sens véritable du texte sacré. Pour mieux atteindre son but, il visita toute la Palestine, pleinement convaincu de l’avantage qu’il faisait ressortir dans sa lettre à Domnion et à Bogatien : « La Sainte Ecriture aura bien moins de secrets pour qui a vu la Judée de ses yeux et retrouvé la trace des villes disparues, les noms identiques ou transformés des localités. C’est cette pensée qui nous guidait quand nous nous sommes imposé la fatigue de parcourir, en compagnie des meilleurs savants juifs, la région dont le nom retentit dans toutes les églises du Christ. » [18]
Voici donc Jérôme nourrissant sans cesse son esprit de cette manne exquise, commentant les Epîtres de saint Paul, corrigeant à la lumière des textes grecs les manuscrits latins de l’Ancien Testament, retraduisant de l’original hébreu en latin presque tous les Livres Saints, expliquant chaque jour les Saintes Ecritures aux fidèles assemblés, répondant aux lettres qui de toute part lui soumettent des difficultés exégétiques à résoudre, réfutant avec véhémence les détracteurs de l’unité et de la foi catholique, et – si puissante était l’énergie que lui donnait son amour des Ecritures – ne s’arrêtant d’écrire ou de dicter que lorsque la mort viendra glacer sa main et éteindre sa voix. C’est ainsi que, sans compter avec les fatigues, les veilles ni les dépenses, jamais, jusqu’à son extrême vieillesse, il ne cessa de méditer jour et nuit, auprès de la Crèche, la loi du Seigneur, du fond de sa solitude rendant plus de services au nom catholique, parles exemples de sa vie et par ses écrits, que s’il avait vécu à Rome, centre du monde.
Après cette rapide esquisse de la vie et des travaux de saint Jérôme, abordons, Vénérables Frères, l’examen de son enseignement sur la dignité divine et l’absolue véracité des Ecritures.
Qu’on parcoure à cet égard les écrits du grand Docteur : pas une seule page qui n’en témoigne à l’évidence, il a fermement et invariablement affirmé, avec l’Eglise catholique tout entière, que les Saints Livres ont été écrits sous l’inspiration du Saint-Esprit, qu’ils ont Dieu pour auteur et que c’est comme tels que l’Eglise les a reçus [19]. Les Livres de la Sainte Ecriture, affirme-t-il, ont été composés sous l’inspiration, ou la suggestion, ou l’insinuation, ou même la dictée de l’Esprit-Saint ; bien plus, c’est cet Esprit lui-même qui les a rédigés et publiés. Mais Jérôme ne doute nullement, par ailleurs, que tous les auteurs de ces Livres n’aient, chacun conformément à son caractère et à son génie, prêté librement son concours à l’inspiration divine.
Ainsi, il n’affirme pas seulement sans réserve ce qui est l’élément commun de tous les écrivains sacrés – à savoir, que leur plume était guidée par l’Esprit de Dieu, au point que Dieu doit être tenu pour la cause principale de chacune des pensées et des expressions de l’Ecriture ; – il discerne encore avec soin ce qui est particulier à chacun d’eux. A de multiples points de vue, ordonnance des matériaux, vocabulaire, qualités et forme du style, il montre que chacun a mis à profit ses facultés et forces personnelles ; il arrive ainsi à fixer et dépeindre le caractère particulier, les « notes », pourrait-on dire, et la physionomie propre de chacun, surtout pour les prophètes et l’apôtre saint Paul. Pour mieux expliquer cette collaboration de Dieu et de l’homme à la même œuvre, Jérôme donne l’exemple de l’ouvrier qui emploie à la confection de quelque objet un instrument ou un outil ; en effet, tout ce que disent les écrivains sacrés « constitue les paroles de Dieu, non leurs paroles à eux, et, en parlant par leur bouche, le Seigneur s’en est servi comme d’un instrument. » [20].
Si maintenant nous cherchons à savoir comment il faut entendre cette influence de Dieu sur l’écrivain sacré et son action comme cause principale, nous verrons aussitôt que le sentiment de saint Jérôme est en parfaite harmonie avec la doctrine commune de l’Eglise catholique en matière d’inspiration : Dieu, affirme-t-il, par un don de sa grâce, illumine l’esprit de l’écrivain pour ce qui touche à la vérité que celui-ci doit transmettre aux hommes « de par Dieu » ; il meut ensuite sa volonté et le détermine à écrire ; il lui donne enfin assistance spéciale et continue jusqu’à l’achèvement du livre. C’est principalement sur ce concours divin que notre saint fonde l’excellence et la dignité incomparables des Ecritures, dont il assimile la science au riche trésor [21] et à la perle précieuse de l’Evangile [22]. et dont il assure qu’elles recèlent les richesses, du Christ [23] et « l’argent qui orne la maison de Dieu » [24].
L’autorité souveraine de l’Ecriture, il la proclamait éloquemment en paroles et en fait. Dès que s’élevait une controverse, il recourait à la Bible comme au plus riche arsenal, et en tirait des témoignages, arguments très solides et absolument irréfutables ; c’est ainsi qu’il répondit, avec une clarté dénuée de recherche, à Helvidius qui niait la virginité personnelle de la Mère de Dieu : « Comme nous admettons ce que dit l’Ecriture, nous rejetons ce qu’elle ne dit pas. Si nous croyons que Dieu est né d’une Vierge, c’est que nous le lisons dans l’Ecriture ; et si nous nions que Marie ne soit pas restée vierge après l’enfantement, c’est que l’Ecriture ne le dit point. » [25].
Et c’est avec les mêmes armes qu’il se promet de défendre avec la plus grande vigueur contre Jovinien la doctrine catholique sur l’état de virginité, la persévérance, l’abstinence et la valeur méritoire des bonnes œuvres : « A chacune de ses assertions, je ferai tous mes efforts pour opposer les textes de l’Ecriture ; j’éviterai ainsi qu’il aille se plaindre à tous les échos que je l’ai vaincu plus par mon éloquence que par la force de la vérité. » [26]. Dans la défense qu’il écrivit de ses ouvrages contre le même hérétique, il ajoute : « Il semblerait qu’on l’ait supplié de me rendre les armes, alors qu’il ne s’est laissé prendre qu’à contre-cœur et en se débattant aux filets de la vérité. » [27].
Sur l’ensemble de l’Ecriture, nous lisons encore dans son commentaire sur Jérémie, que la mort l’empêcha d’achever : « Ce n’est point l’erreur des parents ni des ancêtres qu’il faut suivre, mais bien l’autorité des Ecritures et la volonté du maître qui est Dieu. » [28]. Et voici en quels termes il décrit à Fabiola la méthode et l’art de combattre l’ennemi : « Une fois versé dans les divines Ecritures, armé de ses lois et témoignages, qui sont les liens de la vérité, tu marcheras à tes ennemis, tu les enlaceras, les enchaîneras et les ramèneras captifs ; et de ces adversaires et prisonniers d’hier tu feras de libres enfants de Dieu. » [29]
Mais saint Jérôme enseigne que l’inspiration divine des Livres Saints et leur souveraine autorité comportent, comme conséquence nécessaire, la préservation et l’absence de toute erreur et tromperie ; .ce principe, les plus célèbres écoles d’Occident et d’Orient le lui avaient donné comme transmis par les Pères et communément reçu. Aussi bien, comme il venait d’entreprendre, sur l’ordre du Pape Damase, la révision du Nouveau Testament, certains « esprits à courte vue » lui reprochaient amèrement d’avoir tenté, au mépris de l’autorité des anciens et de l’opinion du monde entier, de faire certaines retouches aux Evangiles », il se contenta de répondre qu’il n’était pas assez simple d’esprit, ni assez lourdement naïf pour penser qu’une parcelle des paroles du Seigneur eût besoin d’être corrigée ou ne fût pas divinement inspirée [30]. Commentant la première vision d’Ezéchiel sur les quatre Evangiles, il remarque : « Celui-là ne trouvera pas étrange tout ce corps et ces dos parsemés d’yeux, qui s’est rendu compte que du moindre détail des Evangiles jaillit une lumière dont le rayonnement éclaire le monde au point que tel détail même qu’on croit négligeable et vulgaire rayonne de tout l’éclat majestueux de l’Esprit Saint. » [31]
Or, ce privilège qu’il revendique ici pour les Evangile, il le réclame, en Chacun de ses commentaires, pour toutes les autres « paroles du Seigneur » et en fait la loi et la base de l’interprétation catholique ; tel est, d’ailleurs, le critérium qu’emploie saint Jérôme lui-même pour distinguer le vrai du faux prophète [32]. « Car la parole du Seigneur est vérité et, pour lui, dire et réaliser, c’est tout un » [33], et il n’est pas permis d’accuser l’Ecriture de mensonge [34], ni même d’admettre dans son texte ne fût-ce qu’une erreur de nom [35]. Au reste, le saint Docteur ajoute qu’il « ne traite pas de la même façon les apôtres et les autres écrivains », c’est-à-dire les auteurs profanes ; « ceux-là disent toujours la vérité ; ceux-ci, comme il arrive aux hommes, se trompent sur certains points » [36] ; et bien des affirmations de l’Ecriture qui paraissent incroyables ne laissent pas d’être vraies [37] ; dans cette « parole de vérité » on ne saurait découvrir de choses ou d’affirmations contradictoires, « aucune discordance, aucune incompatibilité » [38] ; par conséquent, « si l’Ecriture contenait deux données qui paraîtraient s’exclure, l’une et l’autre » resteraient « vraies », « en dépit de leur diversité » [39].
Fortement attaché à ce principe, s’il lui arrivait de rencontrer dans les Saints Livres des contradictions apparentes, Jérôme concentrait tous ses soins et les efforts de son esprit à résoudre la difficulté ; jugeait-il la solution encore peu satisfaisante, il reprenait, quand l’occasion s’en présentait, et sans se décourager, l’examen de cette difficulté, sans arriver toujours à la résoudre parfaitement. Jamais, du moins, il n’imputa aux écrivains sacrés la moindre imposture – « Je laisse cela aux impies, tels Celse, Porphyre, Julien. » [40]. Il était en cela pleinement d’accord avec saint Augustin ; celui-ci, lisons-nous dans une de ses lettres à saint Jérôme lui-même, portait aux seuls Livres Saints une si respectueuse vénération qu’il croyait très fermement que pas une erreur ne s’est glissée sous la plume d’aucun de leurs auteurs ; aussi, s’il rencontrait dans les Saintes Lettres un passage qui parût contraire à la vérité, loin de crier au mensonge, il en accusait une altération du manuscrit, une erreur de traduction, ou de sa part une totale inintelligence. A quoi il ajoutait : « Et je sais, mon frère, que tu ne juges point différemment ; je ne m’imagine pas, veux-je dire, le moins du monde que tu désires voir tes ouvrages lus dans les mêmes dispositions d’esprit que ceux des Prophètes et des Apôtres : douter que ceux-ci soient exempts de toute erreur serait un crime. » [41].
Cette doctrine de saint Jérôme confirme donc avec éclat en même temps qu’elle explique la déclaration où Notre Prédécesseur Léon XIII, d’heureuse mémoire, formulait solennellement la croyance antique et constante de l’Eglise en l’immunité parfaite qui met l’Ecriture à l’abri de toute erreur : « Il est si impossible que l’inspiration divine soit exposée à un danger d’erreur, que non seulement la moindre erreur en est exclue essentiellement, mais que cette exclusion et cette impossibilité sont aussi nécessaires qu’il est nécessaire que Dieu, souveraine vérité, ne soit l’auteur d’aucune erreur, fût-ce la plus légère. » Après avoir reproduit les définitions des Conciles de Florence et de Trente, confirmées par celui du Vatican, Léon XIII ajoute : « La question ne change en rien du fait que l’Esprit-Saint s’est servi des hommes comme d’instruments pour écrire, comme si quelque erreur avait pu échapper, non pas, il est vrai, à l’auteur principal, mais aux rédacteurs inspirés. En effet, Lui-même les a, par son action surnaturelle, à ce point excités et poussés à écrire, à ce point assistés pendant la rédaction, qu’ils concevaient avec justesse, voulaient rapporter fidèlement et exprimaient parfaitement et avec une exactitude infaillible tout ce qu’il leur ordonnait d’écrire, et cela seulement : s’il en avait été autrement, Il ne serait pas Lui-même l’auteur de la Sainte Ecriture tout entière. » [42]
Ces paroles de Notre Prédécesseur ne laissaient place à aucun doute ni à aucune hésitation. Hélas ! Vénérables Frères, il ne manqua pas néanmoins, non seulement au dehors, mais même parmi les enfants de l’Eglise catholique et – déchirement plus cruel encore à Notre cœur – jusque parmi les clercs et les maîtres des sciences sacrées, des esprits qui, avec une confiance orgueilleuse en leur propre jugement, repoussèrent ouvertement ou attaquèrent sournoisement sur ce point le magistère de l’Eglise. Certes, Nous approuvons le dessein de ceux qui, désireux pour eux-mêmes et pour les autres de déblayer de ses difficultés le texte sacré, recherchent, avec l’appoint de toutes les données de la science et de la critique, de nouvelles façons et méthodes de les résoudre ; mais ils échoueront lamentablement dans leur entreprise s’ils négligent les directions de Notre Prédécesseur et s’ils outrepassent les bornes et limites précises indiquées par les Pères.
Or, l’opinion de certains modernes ne s’embarrasse nullement de ces prescriptions et de ces limites : distinguant dans l’Ecriture un double élément, élément principal ou religieux, élément secondaire ou profane, ils acceptent bien que l’inspiration porte sur toutes les propositions et même sur tous les mots de la Bible, mais ils en restreignent et limitent les effets, à commencer par l’immunité d’erreur et l’absolue véracité, au seul élément principal ou religieux. Selon eux, Dieu n’a en vue et n’enseigne personnellement, dans l’Ecriture, que ce qui touche à la religion ; pour le reste, qui a rapport aux sciences profanes et n’a d’autre utilité pour la doctrine révélée que de servir comme d’enveloppe extérieure à la vérité divine, Dieu le permet seulement et l’abandonne à. la faiblesse de l’écrivain. Il devient tout naturel dès lors que, dans l’ordre des questions physiques, historiques et autres semblables, la Bible présente d’assez nombreux passages qu’il n’est pas possible de concilier, avec les progrès actuels des sciences.
Il se trouve des esprits pour prétendre que ces opinions erronées ne s’opposent en rien aux prescriptions de Notre Prédécesseur : n’a-t-il pas, déclaré qu’en matière de phénomènes naturels l’auteur sacré a parlé selon les apparences extérieures, donc susceptibles de tromper ? Allégation singulièrement téméraire et mensongère, comme le prouvent manifestement les termes mêmes du document pontifical.
L’apparence extérieure des choses, a fort sagement déclaré Léon XIII après saint Augustin et saint Thomas d’Aquin, doit entrer en ligne de compte ; mais ce principe ne saurait autoriser contre les Saintes Lettres le moindre soupçon d’erreur ; la saine philosophie tient, en effet, pour certain que, dans, la perception immédiate des choses qui constituent leur objet propre de connaissance, les sens ne se trompent nullement. De plus, après avoir écarté toute distinction et toute possibilité d’équivoque entre ce qu’on appelle l’élément principal et l’élément secondaire, Notre Prédécesseur montre clairement la très grave erreur de ceux qui estiment que « pour juger de la vérité des propositions il faut sans doute rechercher ce que Dieu a dit, mais plus encore peser les motifs qui l’ont fait parler ». Léon XIII enseigne en outre que l’inspiration divine atteint toutes les parties de la Bible, sans sélection ni distinction aucune, et qu’il est impossible que la moindre erreur se soit glissée dans le texte inspiré : « Ce serait une faute très grave de restreindre l’inspiration à certaines parties seulement de la Sainte Ecriture ou d’admettre que l’auteur sacré lui-même se soit trompé. »
La doctrine de l’Eglise, confirmée par l’autorité de saint Jérôme et des autres Pères, n’est pas moins méconnue par ceux qui pensent que les parties historiques des Ecritures s’appuient non point sur la vérité absolue des faits, mais seulement sur leur vérité relative, comme ils disent, et sur la manière générale et populaire de penser. Ils ne craignent pas de se réclamer, pour soutenir cette théorie, des paroles mêmes du pape Léon XIII, qui aurait déclaré qu’on peut transporter dans le domaine de l’histoire les principes admis en matière de phénomènes naturels. Ainsi, de même que dans l’ordre physique les écrivains sacrés ont parlé suivant les apparences, de même, prétend-on, quand il s’agissait d’événements qu’ils ne connaissaient point, ils les ont relatés tels qu’ils paraissaient établis d’après l’opinion commune du peuple ou tes relations inexactes d’autres témoins ; en outre, ils n’ont pas mentionné les sources de leurs informations et n’ont pas personnellement garanti les récits empruntés à d’autres auteurs.
A quoi bon réfuter longuement une théorie gravement injurieuse pour Notre Prédécesseur en même temps que fausse et pleine d’erreur ? Quel rapport y a t‑il, en effet, entre les phénomènes naturels et l’histoire ? Les sciences physiques s’occupent des objets qui frappent les sens et doivent dès lors concorder avec les phénomènes tels qu’ils paraissent ; l’histoire, au contraire, écrite avec des faits, doit, c’est sa loi principale, cadrer avec ces faits tels qu’ils se sont réellement passés. Comment, si l’on admettait la théorie de ces auteurs, sauvegarderait-on au récit sacré cette vérité, pure de toute fausseté, à laquelle Notre Prédécesseur déclare, dans tout le contexte de sa Lettre, qu’il ne faut point toucher ? Quand il affirme qu’il y a intérêt à transporter en histoire et dans les sciences connexes les principes qui valent pour les sciences physiques, il n’entend pas établir une loi générale et absolue, il indique simplement une méthode uniforme à suivre pour réfuter les objections fallacieuses des adversaires et défendre contre leurs attaques la vérité historique de la Sainte Ecriture.
Si seulement les partisans de ces nouveautés s’en tenaient là ! Ne vont-ils point, pour défendre leur opinion, jusqu’à se réclamer du Docteur dalmate ? Saint Jérôme, à les en croire, aurait déclaré qu’il faut maintenir l’exactitude et l’ordre des faits historiques dans la Bible « en prenant pour règle non la réalité objective, mais l’opinion des contemporains », et que telle est la loi propre de l’histoire [43]. Qu’ils s’entendent bien à déformer, pour les besoins de leur cause, les paroles du saint Docteur ! Sa véritable pensée ne peut faire doute pour personne : il ne dit pas que dans l’exposé des faits l’écrivain sacré s’accommode d’une fausse croyance populaire à propos de choses qu’il ignore, mais seulement que, dans la désignation des personnes et des objets, il adopte le langage courant. Ainsi, quand il appelle saint Joseph père de Jésus, il indique lui-même clairement dans tout le cours de son récit comment il entend ce nom de père. ’
Dans la pensée de saint Jérôme, la « vraie loi de l’histoire » demande au contraire que, dans l’emploi des dénominations, l’écrivain s’en tienne, tout danger d’erreur écarté, à la façon générale de s’exprimer ; car c’est l’usage qui est l’arbitre et la règle du langage. Eh quoi ! Notre Docteur va-t-il mettre les faits que raconte la Bible sur le même pied que les dogmes que nous devons croire de nécessité de salut ? De fait, voici ce que nous lisons dans son Commentaire de l’Epître à Philémon : « Pour moi, voici ce que je dis : Un tel croit au Dieu Créateur ; cela ne lui est pas possible, tant qu’il 11e croit pas à la vérité de ce que contient l’Ecriture au sujet de ses saints. » Et il termine une fort longue série de citations tirées de l’Ancien Testament en disant : « Quiconque refuse d’ajouter foi à tous ces faits et aux autres sans exception rapportés au sujet des saints ne pourra croire au Dieu des saints. » [44] Saint Jérôme est donc en complet accord avec saint Augustin, qui, ramassant pour ainsi dire le sentiment commun de toute l’antiquité chrétienne, écrivait : « Tout ce que la Sainte Ecriture, nous atteste au sujet d’Enoch, d’Elie et de Moïse, elle que les sûrs et vénérables témoignages de sa véracité placent au faite suprême de l’autorité, tout cela nous le croyons… Si donc nous croyons que le Verbe est né de la Vierge Marie, ce n’est point qu’il n’eût d’autre moyen de prendre une véritable chair et de se manifester aux hommes (comme le prétendait Faustus), mais c’est que nous le lisons ainsi dans cette Ecriture à laquelle nous devons ajouter foi sous peine de ne pouvoir ni demeurer chrétiens ni nous sauver. » [45].
Il est encore un autre groupe de déformateurs de l’Ecriture Sainte : nous voulons dire ceux qui, par abus de certains principes, justes du reste tant qu’on les renferme dans certaines limites, en arrivent à ruiner les fondements de la véracité des Ecritures et à saper la doctrine catholique transmise par l’ensemble des Pères. S’il vivait encore, saint Jérôme dirigerait à coup sûr des traits acérés contre ces imprudents qui, au mépris du sentiment et du jugement de l’Eglise, recourent trop aisément au système qu’ils appellent système des citations implicites ou des récits qui ne seraient historiques qu’en apparence, prétendent découvrir dans les Livres Saints tels procédés littéraires inconciliables avec l’absolue et parfaite véracité de la parole divine, et sur l’origine de la Bible professent une opinion qui ne va à rien de moins qu’à en ébranler l’autorité ou même la réduit à néant.
Que penser maintenant de ceux qui, dans l’explication des Evangiles, s’attaquent à leur autorité tant humaine que divine, amoindrissent celle-là et détruisent celle-ci ? Discours, actions de Notre-Seigneur Jésus-Christ, rien, pensent-ils, ne nous est parvenu dans son intégrité et sans altération, malgré le témoignage de ceux qui ont consigné avec un soin religieux ce qu’ils avaient vu et entendu ; ils ne voient là – surtout pour ce qui est du quatrième Evangile – qu’une compilation comprenant, d’une part, des additions considérables dues à l’imagination des Evangélistes, et, d’autre part, un récit de fidèles d’une autre époque ; finalement, ces courants issus d’une double source ont aujourd’hui si bien mêlé leurs eaux dans le même lit qu’on n’a absolument aucun critérium certain par quoi les distinguer.
Ce n’est pas ainsi que les Jérôme, les Augustin et les autres Docteurs de l’Eglise ont compris la valeur historique des Evangiles, dont « celui qui a vu a rendu témoignage, et son témoignage est vrai et il sait qu’il dit vrai, afin que vous aussi vous croyiez » [46]. Aussi bien, après avoir reproché aux hérétiques, auteurs, d’évangiles apocryphes, d’avoir visé plus à bien ordonner le récit qu’à établir la vérité historique » [47], saint Jérôme ajoute par contre, en parlant des Livres canoniques : « Personne n’a le droit de mettre en doute la réalité de ce qui est écrit. » [48]. Ici encore, il était de nouveau d’accord avec saint Augustin, qui disait excellemment en parlant des Evangiles : « Ces choses vraies ont été écrites en toute fidélité et véracité à son sujet, afin que quiconque croit à son Evangile se nourrisse de vérité au lieu d’être le jouet de mensonges. » [49]
Vous voyez dès lors, Vénérables Frères, avec quelle ardeur vous devez conseiller aux enfants de l’Eglise de fuir avec le même soin scrupuleux que les Pères cette folle liberté d’opinion. Vos exhortations seront suivies dans la mesure où vous aurez convaincu les clercs et les fidèles confiés par l’Esprit Saint à votre garde de l’idée que saint Jérôme et les autres Pères de l’Eglise n’ont puisé cette doctrine sur les Saints Livres nulle part ailleurs qu’à l’école du divin Maître Jésus-Christ. Lisons-nous, en effet, que Notre-Seigneur ait eu une autre conception de l’Ecriture ? Les formules « Il est écrit » et « Il faut que l’Ecriture s’accomplisse » sont sur ses lèvres un argument sans réplique et qui doit clore toute controverse. Mais insistons plus à loisir sur cette question. Qui ne sait ou ne se souvient que dans ses discours au peuple, soit sur la montagne voisine du lac de Génésareth, soit dans la synagogue de Nazareth et dans sa ville de Capharnaüm, le Seigneur Jésus empruntait au texte sacré les points principaux et les preuves de sa doctrine ? N’est-ce pas là qu’il puisait des armes invincibles pour ses discussions avec les pharisiens et les sadducéens ? Qu’il enseigne ou qu’il discute, il produit des textes et comparaisons tirés de toutes les parties de l’Ecriture, et il les produit comme des. autorités qui doivent nécessairement faire foi : c’est ainsi, par exemple, qu’il se réfère indistinctement à Jonas et aux habitants de Ninive, à la reine de Saba et à Salomon, à Elie et à Elisée, à David, à Noé, à Loth,. aux habitants de Sodome et à la femme même de Loth [50]. Quel témoignage rendu à la vérité des Saints Livres que sa solennelle déclaration : « Un seul iota ou un seul trait de la Loi ne passera pas, que tout ne soit accompli » (Matth. 5, 18), et cette autre : « L’Ecriture ne peut être anéantie » (Jn., 10, 35) ; aussi « celui qui aura violé un de ces moindres commandements et appris aux hommes à faire de même sera le moindre dans le royaume des cieux » (Matth. 5, 19). Avant de rejoindre son Père dans le ciel, il voulut pénétrer de cette doctrine les Apôtres qu’il allait bientôt laisser ici-bas ; c’est pourquoi « il leur ouvrit l’esprit, pour leur faire comprendre les Ecritures, et leur dit : Ainsi il est écrit et ainsi il fallait que le Christ souffrit, qu’il ressuscitât des morts le troisième jour » (Luc. 24, 45 s.).
La doctrine de saint Jérôme sur l’excellence et la vérité de l’Ecriture est donc, pour tout dire en un mot, celle du Christ lui-même. Aussi Nous invitons de la façon la plus pressante tous les enfants de l’Eglise, et ceux surtout qui enseignent l’Ecriture sainte aux étudiants, ecclésiastiques, à suivre sans défaillance la voie tracée par le Docteur dalmate ; il en résultera sans nul doute qu’ils auront des Ecritures., la même profonde estime qu’il en avait lui-même et que la possession de ce trésor leur vaudra d’exquises jouissances.
A prendre le grand Docteur pour guide et maître, on retirera non seulement les avantages que nous avons déjà signalés, mais bien d’autres encore et de considérables ; Nous tenons, Vénérables Frères, à vous les rappeler en quelques mots.
Signalons d’abord, puisqu’il se présente avant tout autre à Notre esprit, cet amour passionné de la Bible dont témoignent chez saint Jérôme tous les traits de sa vie et ses paroles tout imprégnées de l’Esprit de Dieu, amour qu’il s’est étudié à exciter chaque jour davantage dans les âmes des fidèles : « Aimez l’Ecriture Sainte, semble-t-il dire à tous en s’adressant à la vierge Démétriade, et la sagesse vous aimera ; chérissez-la et elle vous gardera ; honorez-la et vous recevrez ses caresses. Qu’elle soit pour vous comme vos colliers et vos pendants d’oreilles. » [51].
La lecture assidue de l’Ecriture, l’étude approfondie et très attentive de chaque livre, voire de chaque proposition et de chaque mot, lui ont permis de se familiariser avec le texte sacré plus qu’aucun autre écrivain de l’antiquité ecclésiastique.
Si, de l’avis de tous les critiques impartiaux, la version de la Vulgate établie par notre Docteur laisse très loin derrière elle les autres versions anciennes, parce qu’on estime qu’elle rend l’original avec plus d’exactitude et d’élégance, cela est dû à cette connaissance de la Bible alliée à un esprit très fin. Cette Vulgate, qu’une décision du Concile de Trente ordonne de tenir pour authentique et de suivre dans l’enseignement et la liturgie, comme « étant consacrée par le long usage qu’en a fait l’Eglise durant tant de siècles », Notre vif désir, si toutefois la grande bonté de Dieu nous prête vie, est de la voir corrigée et rendue à sa pureté primitive, d’après le texte authentique des manuscrits ; labeur ardu et de longue haleine, heureusement confié aux Bénédictins par Notre prédécesseur Pie X, d’heureuse mémoire, et qui fournira, Nous en sommes absolument certain, des ressources nouvelles pour l’intelligence, des Ecritures.
Cet amour de saint Jérôme pour l’Ecriture se révèle tout particulièrement dans ses lettres, au point qu’elles semblent comme un tissu de citations des Livres Saints ; de même que saint Bernard trouvait insipide toute page qui ne renfermât le nom très doux de Jésus, de même notre Docteur ne goûtait aucun écrit qui ne rayonnât des lumières des Ecritures, Aussi pouvait-il écrire en toute simplicité dans une lettre à saint Paulin, autrefois brillant sénateur et consul, récemment converti à la foi du Christ : « Si vous aviez ce terrain d’appui (je veux dire la science des Écritures), vos ouvrages, loin d’y perdre, y gagneraient un certain fini et ne le céderaient à aucun autre pour l’élégance, pour la science et pour la pureté de la forme… Joignez à cette docte éloquence le goût ou l’intelligence des Ecritures, et je vous verrai bientôt vous placer au premier rang de nos écrivains. » [52].
Mais encore quelle voie et quelle méthode suivre pour chercher, avec l’agréable espoir de le découvrir, ce précieux trésor que le Père céleste a donné à ses enfants comme consolation dans leur exil ? Saint Jérôme nous l’indique lui-même par son exemple. Il nous demande avant tout d’apporter à l’étude de l’Ecriture une soigneuse préparation et un cœur bien disposé. Voyons-le lui-même après son baptême : pour écarter tous les obstacles extérieurs qui pouvaient contrarier ce pieux dessein, imitant le personnage de l’Evangile qui, « dans sa joie » d’avoir trouvé un trésor, « s’en va, vend tout ce qu’il a et achète le champ » (Matth. 13, 44), il dit adieu aux plaisirs éphémères et frivoles de ce inonde, s’éprend de solitude et embrasse une vie austère avec d’autant plus d’ardeur qu’il s’est mieux rendu compte du danger que courait jusque-là son salut parmi les séductions du vice.
Il devait encore d’ailleurs, après avoir écarté ces obstacles, disposer son esprit à acquérir la science de Jésus-Christ et à se revêtir de celui qui est « doux et humble de cœur ». Il avait, en effet, éprouvé les mêmes répugnances qu’Augustin avouait avoir ressenties lui-même lorsqu’il entreprenait l’étude des Saintes Lettres. Après s’être plongé, durant sa jeunesse, dans la lecture de Cicéron et autres auteurs profanes, Augustin voulut reporter son esprit vers la Sainte Ecriture : « Elle me parut, écrit-il, indigne d’être comparée aux beautés cicéroniennes. Mon emphase avait horreur de sa simplicité et mon intelligence n’en pénétrait pas la moelle : on la pénètre d’autant mieux qu’on se fait plus petit, mais je répugnais à me faire tout petit, et l’enflure de ma suffisance me grandissait âmes propres yeux. » [53]. Comme Augustin, Jérôme goûtait à ce point la littérature profané jusqu’au fond de sa solitude, que la pauvreté du style des Ecritures l’empêchait encore de reconnaître en elles le Christ dans son humilité. « Ainsi, dit-il, je poussais la folie jusqu’à me priver de manger pour lire Cicéron. Après avoir passé bien des nuits sans sommeil, après avoir versé des larmes que faisait jaillir du fond de mon cœur le souvenir de mes fautes passées, c’est Plaute que je prenais en main. S’il arrivait qu’un retour sur moi-même m’eût fait entreprendre la lecture des prophètes, leur style barbare me révoltait, et quand mes yeux d’aveugle restaient fermés à la lumière, j’en accusais non mes yeux, mais le soleil. » [54] Bientôt cependant, il s’éprit si bien de la folie de la Croix, qu’il est resté la preuve vivante (les facilités que donne pour l’intelligence de la Bible un esprit humble et pieux.
Conscient comme il était que « dans l’explication des Saintes Ecritures nous avons toujours besoin du secours du Saint-Esprit » [55], et que pour la lecture et l’interprétation des Saints Livres il faut s’en tenir au sens que l’Esprit-Saint avait en vue quand elle fut écrite [56], Jérôme appelle de ses supplications fortifiées des prières de ses amis le secours de Dieu et les lumières de l’Esprit-Saint. Il est raconté aussi qu’en commençant ses Commentaires des Livres Saints, il les recommandait à la grâce de Dieu et aux prières de ses frères, auxquelles il en attribuait le succès quand il les avait achevés.
Aussi bien qu’en la grâce divine il s’en remet si pleinement à l’autorité de la tradition, qu’il peut affirmer avoir appris « tout ce qu’il sait, non par lui-même, c’est-à-dire à l’école du bien triste maître qu’est l’orgueil, mais auprès des illustres docteurs de l’Eglise » [57]; il avoue, en effet, que jamais il ne s’est fié à ses propres forces en matière de Sainte Ecriture [58], et voici comment, dans une lettre à Théophile d’Alexandrie, il formule la loi suivant laquelle il avait ordonné sa vie et ses saints labeurs : « Sachez pourtant que nous n’avons rien plus à cœur que de sauvegarder les droits du christianisme, de ne rien changer au langage des Pères et de ne jamais perdre de vue cette foi romaine dont l’Apôtre fit l’éloge. » [59]
A l’Eglise, maîtresse souveraine en la personne des Pontifes romains, Jérôme est dévoué et soumis de toute son âme. Et voici ce que, du désert de Syrie où il est en butte aux factions des hérétiques, il écrit au Pape Damase, voulant remettre au Siège apostolique la solution de la controverse des Orientaux sur le mystère de la Très Sainte Trinité : « J’ai donc cru bon de consulter la Chaire de Pierre et la foi glorifiée par l’Apôtre, demandant aujourd’hui la nourriture de mon âme là même où autrefois j’ai reçu les livrées du Christ. Ne voulant d’autre guide que le Christ, je me tiens en étroite communion avec Votre Béatitude, c’est-à-dire avec la Chaire de Pierre. Je sais que c’est sur cette pierre qu’est bâtie l’Eglise… Prononcez, je vous en conjure : si vous en décidez ainsi, je n’hésiterai pas à admettre trois hypostases ; si vous l’ordonnez, j’accepterai qu’une foi nouvelle remplace celle de Nicée et que, orthodoxes, nous nous servions des mêmes formules que les Ariens. » [60] Enfin, dans la lettre suivante, il renouvelle cette très remarquable confession de sa foi : « En attendant, je crie à qui veut l’entendre : Je suis avec quiconque est uni à la Chaire de Pierre. » [61] Persévéramment fidèle, dans l’étude de l’Ecriture, à cette règle de foi, il invoque ce seul argument pour réfuter une fausse interprétation du texte sacré : « Mais l’Eglise de Dieu n’admet point cette opinion » [62] ; et voici les seuls mots par lesquels il récuse un livre apocryphe qu’avait invoqué contre lui l’hérétique Vigilantius : « Ce livre, je ne l’ai jamais lu. Quel besoin avons-nous donc de recourir à ce que l’Eglise ne reconnaît point ? » [63].
Un zèle si ardent à sauvegarder l’intégrité de la foi le jetait en des polémiques très véhémentes contre les enfants rebelles de l’Eglise, qu’il considérait comme ses ennemis personnels : « Il me suffira de répondre que jamais je n’ai épargné les hérétiques et que j’ai mis tout mon zèle à faire des ennemis de l’Eglise mes ennemis personnels » [64] ; et dans une lettre à Rufin il écrit : « Il est un point sur lequel je ne pourrai être d’accord avec toi : épargner les hérétiques, ne pas me montrer catholique. » [65] Cependant, attristé de leur défection, il les suppliait de revenir à leur Mère éplorée, source unique de salut [66] ; et en faveur de ceux « qui étaient sortis de l’Eglise et avaient, abandonné la doctrine de l’Esprit-Saint pour suivre leur propre jugement », il demandait la grâce de revenir à Dieu de toute leur âme [67].
Vénérables Frères, s’il fut jamais nécessaire que tous les clercs et tous les fidèles s’imprègnent de l’esprit du grand Docteur, c’est surtout à notre époque, où de nombreux esprits se dressent avec une orgueilleuse opiniâtreté contre la souveraine autorité de la révélation divine et du magistère de l’Eglise. Vous savez, en effet – Léon XIII nous en avertissait déjà, – « quels hommes s’acharnent à cette lutte, à quels artifices ou à quelles armes ils ont recours ». Quel devoir urgent s’impose donc à vous de susciter pour cette cause sacrée des défenseurs le plus nombreux et le plus compétents possible : il leur faudra non seulement combattre ceux qui, niant tout ordre surnaturel, ne reconnaissent ni révélation ni inspiration divine, mais encore se mesurer avec ceux qui, assoiffés de nouveautés profanes, osent interpréter les Saintes Lettres comme un livre purement humain, rejettent les opinions reçues dans l’Eglise dès la plus haute antiquité., ou poussent le mépris de son magistère jusqu’à dédaigner, ensevelir sous le silence, ou même ramener à leur propre sens, en les dénaturant, soit sournoisement, soit avec effronterie, les Constitutions du Siège apostolique et les décrets de la Commission pontificale pour les études bibliques. Puissions-nous voir tous les catholiques suivre la règle d’or du saint Docteur et, dociles aux ordres de leur Mère, avoir la modestie de ne pas dépasser les limites, traditionnelles fixées par les Pères et approuvées par l’Eglise !
Mais revenons à notre sujet. Les esprits une fois armés de piété et d’humilité, Jérôme les convie à l’étude de la Bible. Et tout d’abord il recommande inlassablement à tous la lecture quotidienne de la parole divine : « Affranchissons notre corps du péché, et notre âme s’ouvrira à la sagesse ; cultivons notre intelligence par la lecture des Livres Saints, que notre âme y trouve sa nourriture de chaque jour. » [68] Dans son Commentaire de l’Epître aux Ephésiens, il écrit : « Nous devons donc avec toute notre ardeur lire les Ecritures et méditer jour et nuit la loi du Seigneur ; nous pourrons ainsi, tels des changeurs exercés, distinguer les pièces bonnes des fausses. » [69]
Il n’exclut point, d’ailleurs, de cette obligation commune les matrones et les vierges. A la matrone romaine Læta il donne entre autres ces conseils sur l’éducation de sa fille : « Assurez-vous qu’elle étudie chaque jour quelque passage des Ecritures… Qu’au lieu des bijoux et des soieries elle affectionne les Livres divins. Elle devra d’abord apprendre le Psautier, se distraire à ses chants, et puiser une règle de vie dans les proverbes de Salomon. L’Ecclésiaste lui enseignera à fouler aux pieds les biens du monde ; Job lui fournira un modèle de force et de patience. Elle passera ensuite aux Evangiles, qu’elle devra toujours avoir entre les mains. Elle s’assimilera avidement les Actes des Apôtres et les Epîtres. Après avoir recueilli ces trésors dans le mystique coffret de son âme. elle apprendra les prophètes, l’Heptateuque, les Livres des Rois et des Paralipomènes, pour finir par le Cantique des Cantiques. » [70]. Il donne les mêmes directions à la vierge Eustochium : « Sois très assidue à la lecture et étudie le plus possible. Que le sommeil te trouve le livre à la main, et que le feuillet sacré reçoive ta tête tombant de fatigue. » [71]. Dans l’éloge funèbre qu’il envoya à Eustochium de sa mère Paula, il louait aussi cette très sainte personne d’avoir avec sa fille poussé si avant l’étude des Ecritures qu’elle les connaissait à fond et les savait par cœur. Il ajoutait encore : « Je relèverai ce détail, qui paraîtra peut-être incroyable à ses émules : elle voulut apprendre l’hébreu, que j’étudiai moi-même en partie depuis ma jeunesse au prix de bien des fatigues et bien des sueurs et que je continue à approfondir par un labeur incessant pour ne pas l’oublier ; elle arriva à le posséder si bien qu’elle chantait les psaumes en hébreu et parlait cette langue sans le moindre accent latin. Ce fait se produit aujourd’hui encore chez sa fille Eustochium. » [72]. Et il n’a garde d’oublier sainte Marcella, très versée également dans la science des Ecritures [73].
Qui ne voit quels avantages et quelles jouissances réserve aux esprits bien disposés la lecture pieuse des Livres Saints ? Prenez seulement contact avec la Bible dans des sentiments de piété, de foi solide, d’humilité et le désir de vous perfectionner ; vous y trouverez et pourrez y goûter le pain descendu du ciel, et en vous se vérifiera la parole de David : « Les secrets et les mystères de ta sagesse, tu me les as révélés » (Ps. 40. 8) ; sur cette table de la parole divine, en effet, se trouve vraiment « la doctrine sainte ; elle enseigne la vraie foi, soulève le voile (du sanctuaire) et conduit avec sûreté jusque dans le Saint des Saints » [74].
Pour Nous, Vénérables Frères, à l’exemple de saint Jérôme, jamais Nous ne cesserons d’exhorter tous les chrétiens à faire leur lecture quotidienne principalement des très saints Evangiles de Notre-Seigneur, ainsi que des Actes des Apôtres et des Epitres, de façon à se les assimiler complètement.
Aussi, à l’occasion de ce centenaire, se présente à Notre pensée l’agréable souvenir de la Société dite de Saint Jérôme, souvenir d’autant plus cher que Nous avons Nous-même pris part aux débuts et à l’organisation définitive de cette Œuvre ; heureux d’avoir pu constater ses développements passés^ Nous Nous faisons une joie d’en augurer d’autres encore pour l’avenir. Vous connaissez, Vénérables Frères, le but de cette Société : étendre la diffusion des quatre Evangiles et des Actes des Apôtres de manière que ces livres aient désormais leur place dans toute famille chrétienne, et que chacun prenne l’habitude de les lire et méditer chaque jour. Cette Œuvre, que Nous aimons beaucoup pour en avoir constaté Futilité, Nous souhaitons vivement la voir se propager et se développer partout, par la constitution, en chacun de vos diocèses, de Sociétés de même nom et de même but, rattachées au centre de Rome.
Dans le même ordre d’idées, les plus précieux services sont rendus à la cause catholique par ceux qui, en différents pays, ont mis et mettent encore le meilleur de leur zèle à éditer sous un format Commode et attrayant et à répandre tous les livres du Nouveau Testament et un choix des livres de l’Ancien. Il est certain que cet apostolat a été singulièrement fécond pour l’Eglise de Dieu, puisque, par cette œuvre, un grand nombre d’âmes s’approchent désormais de cette table de la doctrine céleste que Notre-Seigneur a fait dresser pour l’univers chrétien par ses prophètes, ses Apôtres et ses Docteurs [75].
Mais ce devoir que Jérôme inculque à tous les fidèles d’étudier le texte sacré, il l’impose tout particulièrement à ceux qui« se sont chargés du joug du Christ » et qui ont la céleste vocation de prêcher la parole de Dieu.
Voici l’exhortation que, dans la personne du moine Rusticus, il adresse à tous les clercs : « Tant que tu es en ta patrie, fais-toi de ta cellule comme un paradis, cueille les fruits variés des Ecritures, fais tes délices de ces Saints Livres et jouis de leur intimité… Aie toujours la Bible en main et sous les yeux, apprends mot à mot le Psautier, que ta prière soit incessante, ton cœur constamment en éveil et fermé aux pensées vaines. » [76].
Au prêtre Népotien il donne cet avis : « Relis fréquemment les divines Ecritures) et même que le Saint Livre ne quitte jamais tes mains. Apprends là ce que tu enseigneras. Reste fermement attaché à la doctrine traditionnelle qui t’a été enseignée, afin d’être en état d’exhorter selon la sainte doctrine et de réfuter ceux qui la contredisent. » [77].
Après avoir rappelé à saint Paulin les préceptes donnés par saint Paul à ses disciples Timothée et Tite sur la science des Ecritures, il ajoute : « La sainteté sans la science ne profite qu’à elle-même ; autant elle édifie l’Eglise du Christ par une vie vertueuse, autant elle lui nuit si elle ne repousse pas les attaques de ses contradicteurs. Le prophète Malachie, ou plutôt le Seigneur lui-même disait par la bouche de Malachie : « Va consulter les prêtres sur la loi ». C’est dès lors le devoir du prêtre de renseigner sur la loi ceux qui l’interrogent. Nous lisons de plus dans le Deutéronome : « Demande-le à ton père et il te l’indiquera, « à tes prêtres et ils te le diront »… Daniel, à la fin de sa très sainte vision, dit que les justes brillent comme les étoiles, et les intelligents – c’est-à-dire les savants – comme le firmament. « Vois-tu quelle distance sépare la sainteté sans la science et la science doublée de sainteté ? La première nous rend pareils aux étoiles, la seconde au ciel même. » [78]
En une autre circonstance, dans une lettre à Marcella, il raille ironiquement chez d’autres clercs « la vertu sans science » : « Cette ignorance leur tient lieu de sainteté, et ils se déclarent les disciples des pêcheurs, comme s’ils faisaient consister leur sainteté à ne rien savoir ». [79].
Mais ces ignorants ne sont pas seuls, remarque Saint Jérôme, à commettre la faute de ne pas connaître les Ecritures ; c’est aussi le cas de certains clercs instruits ; et il emploie les termes les plus sévères pour recommander aux prêtres le commerce assidu des Livres Saints.
Ces enseignements du très saint exégète, vous devez chercher de tout votre zèle, Vénérables Frères, à les graver plus profondément dans l’esprit de vos clercs et de vos prêtres ; l’un de vos premiers devoirs n’est-il pas de ramener avec soin leur attention sur ce qu’exige d’eux la mission divine qui leur est échue, s’il ne veulent s’en montrer indignes ? « Car les lèvres du prêtre seront les gardiennes de la science, et c’est de sa bouche qu’on demandera l’enseignement, parce qu’il est l’ange du Seigneur des armées. » (Mal. 2, 7.) Qu’ils sachent donc qu’ils ne doivent ni négliger l’étude des Ecritures ni s’y livrer dans un esprit différent de celui que Léon XIII a expressément imposé dans la Lettre Encyclique Providentissimus Deus.
Ils obtiendront sûrement de plus beaux résultats s’ils fréquentent l’Institut biblique que Notre Prédécesseur immédiat, réalisant le vœu de Léon XIII, a fondé pour le plus grand bien de l’Eglise, comme le prouve éloquemment l’expérience des dix dernières années. La plupart n’en ont pas la possibilité ; aussi est-il désirable, Vénérables Frères, que, à votre instigation et sous vos auspices, une élite de membres de l’un et l’autre clergé du monde entier vienne à Rome pour s’adonner aux études bibliques dans Notre Institut. Les étudiants qui répondront à cet appel auront bien des motifs de suivre les leçons de ce haut établissement. Les uns – et c’est là le but principal de l’Institut – approfondiront les sciences bibliques en vue « d’être à même de les enseigner à leur tour, en particulier ou en public, par la plume ou la parole, et d’en soutenir l’honneur soit comme professeurs, au sein des écoles catholiques, soit dans le rôle d’écrivains, champions de la vérité catholique » [80] ; d’autres, déjà engagés dans le saint ministère, pourront accroître les connaissances qu’ils ont amassées pendant leurs études théologiques en fait d’Ecriture Sainte, d’autorités exégétiques, de chronologie et de topographie bibliques ; ce complément aura principalement l’avantage de faire d’eux des ministres parfaits de la parole divine et de les préparer à toutes les formes du bien (cf. 2 Tim. 3, 17).
Vénérables Frères, l’exemple et les déclarations autorisées de saint Jérôme nous ont indiqué les vertus nécessaires pour lire et étudier la Bible. Entendons-le maintenant nous dire où doit tendre la connaissance des Saintes Lettres et quel en doit être le but.
Ce qu’il faut chercher avant tout dans l’Ecriture, c’est la nourriture qui alimentera notre vie spirituelle et la fera avancer dans la voie de la perfection : c’est dans ce dessein que saint Jérôme s’accoutuma à méditer jour et nuit la loi du Seigneur et à se nourrir, dans les Saintes Ecritures, du pain descendu du ciel et de la manne céleste qui renferme en soi toutes les délices [81]. Comment notre âme se passerait-elle de cet aliment ? Et comment le prêtre pourra-t-il montrer aux autres la voie du salut, .s’il néglige de s’en instruire lui-même par la méditation de l’Ecriture ? Et de quel droit, dans le ministère sacré, se flatterait-il « d’être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des enfants, ayant dans la loi la règle de la science et de la vérité » (Rom. 2, 19 s.), s’il se refuse à scruter cette science de la loi et ferme l’entrée de son âme à la lumière d’en haut ? Que de ministres sacrés, hélas ! qui, pour avoir négligé la lecture de la Bible, périssent eux-mêmes de faim et laissent périr un trop grand nombre d’autres âmes, selon ce qui est écrit : « Les petits enfants demandent du pain et nul ne leur en donne. » (Thren, 4.)) « Toute la terre est désolée, parce que personne ne médite en son cœur. » (Jer. 12, 11).
En second lieu, il faut, suivant les besoins, puiser dans les Ecritures des arguments par quoi éclairer, confirmer et défendre les dogmes de la foi. C’est ce qu’a merveilleusement fait saint Jérôme dans ses combats contre les hérétiques de son temps : quand il voulait les confondre, quelles armes bien aiguisées et solides, toutes ses œuvres en témoignent clairement, il a puisées dans les textes de l’Ecriture ! Si les exégètes actuels imitent son exemple, il en résultera sans nul doute cet avantage – « résultat nécessaire et infiniment désirable », disait Notre prédécesseur dans sa Lettre Encyclique Providentissimus Deus – que « l’utilisation de l’Ecriture influera sur toute la science théologique, dont en quelque sorte elle sera l’âme. »
Enfin, l’Ecriture servira principalement à sanctifier et féconder le ministère de la parole divine. Et ici, il Nous est particulièrement doux de pouvoir confirmer par le témoignage du grand Docteur les directions que Nous avons Nous-même données sur la prédication sacrée dans Notre Lettre Encyclique Humani generis. Et de fait, si l’illustre commentateur conseille si vivement et si souvent aux prêtres la lecture assidue des Saints Livres, c’est surtout afin qu’ils s’acquittent dignement de leur ministère d’enseignement et de prédication. Leur parole, en effet, perdrait toute influence et toute autorité comme toute efficacité pour la formation des âmes si elle ne s’inspirait pas de l’Ecriture Sainte ni ne lui empruntait sa force et sa vigueur. » La lecture des Saints sera comme le condiment de la parole du prêtre » [82]. Car « chaque parole de la Sainte Ecriture, est comme une trompette qui fait résonner aux oreilles des croyants sa grande voix, menaçante » [83] ; et « rien n’est aussi frappant qu’un exemple emprunté aux Saintes Ecritures » [84].
Quant aux enseignements du saint Docteur sur les règles à observer dans l’emploi de la Bible, et qui s’adressent tout d’abord, il est vrai, aux exégètes, les prêtres ne doivent pas les perdre de vue dans la prédication de la parole divine.
Il nous prévient d’abord que nous devons, par un examen très attentif des paroles mêmes de l’Ecriture, nous assurer, sans doute possible, de ce qu’a écrit l’auteur sacré. Nul n’ignore, en effet, que Jérôme avait accoutumé, en cas de besoin, de recourir au texte original, de comparer entre elles les différentes interprétations, de peser la portée des mots, et, s’il découvrait une erreur, d’en rechercher l’origine, de manière à écarter de la lecture toute hésitation. Ensuite, enseigne notre Docteur, il faut rechercher le sens et l’idée qui se cachent sous les mots, car « pour discuter Ecriture Sainte, c’est moins le mot que le sens qui importe » [85].
Dans cette recherche du sens, Nous le reconnaissons sans aucune difficulté, saint Jérôme, à l’exemple des Docteurs latins et de certains Docteurs grecs de la période antérieure, a tout, d’abord sacrifié plus peut-être que de raison aux interprétations allégoriques. Mais son amour des Livres Saints, ses efforts persévérants pour les identifier et les pénétrer à fond, lui permirent de faire chaque jour un progrès nouveau dans la juste appréciation du sens littéral et de formuler sur ce point de solides principes. Nous allons les résumer, car ils jalonnent aujourd’hui encore la voie sûre que tous doivent suivre pour arracher aux Livres Saints tout leur sens.
C’est d’abord à découvrir le sens littéral ou historique que s’appliquera notre esprit : « Je donne toujours au lecteur prudent le conseil de ne point accepter des interprétations superstitieuses et qui isolent des tronçons du texte suivant le caprice de l’imagination, mais bien d’examiner ce qui précède, ce qui accompagne et ce qui suit, et d’établir un lien pour tout le passage en question. » (In Matth. 25, 13).
Toutes les autres manières d’interpréter les Ecritures, ajoute-il, sont basées sur le sens littéral [86] ; et il n’y a pas lieu de croire que ce sens manque chaque fois que l’on rencontre une expression figurée, car « il arrive souvent que l’histoire elle-même est cousue de métaphores, et emploie un style imagé » [87]. Quelques-uns prétendent que notre Docteur a déclaré de certains passages de l’Ecriture qu’ils ne comportaient pas de sens historique : il leur répondait d’avance : « Sans nier le sens historique, nous adoptons de préférence le sens spirituel. » [88].
Le sens littéral ou historique établi avec certitude, saint Jérôme recherche des sens moins obvies et plus profonds en vue de nourrir son esprit d’un aliment plus choisi. Il demande, en effet, à propos du livre des Proverbes, et conseille à maintes reprises pour d’autres livres de l’Ecriture, de ne point s’en tenir au seul sens littéral, « mais de creuser plus profond pour y trouver le sens divin, de même que l’on cherche l’or au sein de la terre, le noyau sous l’écorce, le fruit qui se cache sous la peau hérissée de la châtaigne. » [89] Aussi, disait-il en indiquant à saint Paulin « le sentier à suivre dans l’étude des Saintes Ecritures «, « encore que chaque passage des livres divins ait une écorce vive et chatoyante, la moelle en est plus douce encore. Qui veut goûter l’amande brise l’écorce. » [90].
Saint Jérôme fait cependant observer que lorsqu’il s’agit de découvrir ce sens caché, il convient d’user d’une certaine discrétion, « de peur que le désir des richesses du sens spirituel ne nous donne l’apparence, de dédaigner la pauvreté du sens historique » [91]. Aussi ce qu’il reproche à beaucoup d’interprétations mystiques d’auteurs anciens, c’est surtout de négliger complètement de s’appuyer sur le sens littéral : « Il ne faut pas que toutes les promesses qu’ont chantées, au sens littéral, les lèvres des saints prophètes soient réduites à n’être plus que des formules vides et les termes matériels d’une simple figure de rhétorique ; elles doivent, au contraire, reposer sur un terrain ferme, et ce n’est qu’établies sur les fondations de l’histoire qu’elles pourront s’élever jusqu’au faîte du sens mystique. » [92] Il observe sagement, à ce propos, qu’il ne faut point s’écarter de la méthode du Christ et des Apôtres : bien que l’Ancien Testament ne soit à leurs yeux que comme la préparation et l’ombre de l’Alliance Nouvelle et que par suite, ils en interprètent au sens figuré un grand nombre de passages, ils n’en ramènent point pour cela tout l’ensemble à des figures. A l’appui de sa thèse, fréquemment saint Jérôme invoque l’exemple de l’apôtre saint Paul, qui, pour citer un cas, « exposant les figures mystiques d’Adam et d’Eve, ne niait pas qu’ils eussent été créés, mais, basant l’interprétation mystique sur le fondement de l’histoire, écrivait : C’est pourquoi l’homme quittera… » [93].
Les commentateurs des Saintes Lettres et les prédicateurs de la parole de Dieu gagneront à suivre l’exemple du Christ et des Apôtres, à ne pas négliger, conformément aux directions de Léon XIII, « les transpositions allégoriques ou autres analogues que les Pères ont faites de certains passages, si surtout elles découlent du sens littéral et. sont confirmées par l’autorité*d’un grand nombre de Pères », enfin, en prenant pour base le sens littéral, à s’élever avec mesure et discrétion jusqu’à des interprétations plus hautes : ils saisiront avec saint Jérôme la vérité profonde du mot de l’Apôtre : « Toute Ecriture est divinement inspirée et utile pour enseigner, pour convaincre, pour corriger, pour former à la justice » (2 Tim. 3,16), et le trésor inépuisable des Ecritures leur fournira un large appoint de faits et d’idées par quoi orienter avec force et onction vers la sainteté la vie et la conduite des fidèles.
Quant au mode d’exposition et d’expression, puisque c’est la fidélité que l’on cherche dans les dispensateurs des mystères de Dieu, Jérôme pose en principe qu’il faut s’en tenir avant tout à l”« exactitude de l’interprétation » et que « le devoir du commentateur est d’exposer non des idées personnelles, mais bien celles de l’auteur qu’il commente » [94] ; d’ailleurs, ajoute-t-il,» l’orateur sacré est exposé au grave danger de faire un jour ou l’autre, par une interprétation défectueuse, de l’Evangile du Christ l’Evangile de l’homme » [95].
En second lieu, « dans l’explication des Saintes Ecritures, ce n’est point le style recherché et orné de fleurs de rhétorique qui est de mise„ mais la valeur scientifique et la simplicité de la vérité » [96]. En se conformant à cette règle pour la rédaction de ses ouvrages, déclare-t-il dans les Commentaires, il avait en vue non « de faire applaudir » ses paroles, « mais de faire comprendre dans leur vrai sens les excellentes paroles des autres » [97] ; l’explication de la parole divine réclame, dit-il, un langage qui « ne sente point la recherche, mais découvre l’idée objective, dissèque le sens, éclaire les passages obscurs et ne s’embarrasse point de la floraison touffue des effets de langage ». [98]
Il parait bon de reproduire ici certains passages de saint Jérôme qui montrent clairement combien il avait en horreur l’éloquence propre aux rhéteurs, qui, dans le fracas et le débit vertigineux de paroles creuses, ne vise qu’à de vains applaudissements. « Ne va pas devenir, conseille-t-il au prêtre Népotien, un déclamateur et un intarissable moulin à paroles ; mais familiarise-toi avec les sens cachés et possède à fond les mystères de ton Dieu. Dérouler des mots et se faire valoir par la volubilité du langage aux yeux du vulgaire ignorant, est le propre des sots. » [99] « Tout ce que l’on compte aujourd’hui d’esprits cultivés se préoccupent non point de s’assimiler la moelle des Ecritures, mais de caresser les oreilles de la foule avec des fleurs de rhétorique..» [100] « Je ne veux rien dire de ceux qui, comme moi-même autrefois, s’il leur arrive de n’aborder les Saintes Ecritures qu’après avoir fréquenté la littérature profane et de flatter l’oreille de la foule par leur style fleuri, prennent toutes leurs paroles pour la loi de Dieu et ne daignent pas se demander ce qu’ont voulu dire les prophètes et les Apôtres, mais adaptent à leur façon de voir des témoignages qui ne s’y rapportent point ; comme si c’était la grande éloquence et non la pire de falsifier les textes et de tirer par la violence l’Ecriture à son dessein. » [101] « Car, sans l’autorité des Ecritures, ces bavards perdraient toute force persuasive, n’était qu’ils paraissent étayer de textes sacrés la fausseté de leurs doctrines. » [102]
Or, cet éloquent bavardage et cette ignorance loquace « n’ont rien d’incisif, de vif ni de vital, mais ne sont qu’un composé mou, flétri et inconsistant, qui ne produit que d’humbles plantes et des herbes, bien vite fanées et couchées à terre » ; la doctrine de l’Evangile, faite, au contraire, de simplicité, « produit mieux que d’humbles plantes », et, tel l’imperceptible grain de sénevé, « devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel… viennent s’abriter dans ses rameaux » [103].
Aussi, Jérôme recherchait-il en tout cette sainte simplicité de langage, qui n’exclut point un éclat et une beauté toute naturelle : « Que d’autres soient diserts, reçoivent les applaudissements qu’ils recherchent et débitent d’une voix emphatique des torrents de paroles ; quant à moi, je me contente de parler pour me faire comprendre et, traitant des Ecritures, d’imiter la simplicité des Ecritures mêmes. » [104] En effet « sans renoncer aux charmes du langage, l’exégèse catholique doit les voiler et les éviter afin d’atteindre non de vaines écoles de philosophes et une poignée de disciples, mais le genre humain tout entier » [105]. Si les jeunes prêtres mettent vraiment à profit ces conseils et ces préceptes, si les prêtres plus âgés ne les perdent jamais de vue, leur saint ministère, Nous en avons la confiance, sera très profitable aux âmes des fidèles.
Il Nous reste, Vénérables Frères, à rappeler les « doux fruits » que saint Jérôme a retirés « de l’amère semence des Saintes Lettres », dans l’espoir que son exemple enflammera les prêtres et les fidèles confiés à vos soins du désir de connaître et d’éprouver eux aussi la salutaire vertu du texte sacré.
Cette surabondance d’exquises délices spirituelles qui remplissaient l’âme du pieux anachorète, Nous préférons que vous l’appreniez, pour ainsi dire, de sa propre bouche plutôt que par Nous-même. Ecoutez donc en quels termes il parle de cette science sacrée à Paulin, son « confrère, compagnon et ami » : « Je te le demande, frère bien-aimé, vivre parmi ces mystères, les méditer, ne savoir ou chercher rien d’autre, ne te semble-t-il pas que ce soit déjà le paradis sur terre ? » [106] « Dis-moi, demande-t-il à son élève Paula, quoi de plus saint que ce mystère ? Quoi de plus captivant que ces plaisirs ? Quel aliment, quel miel plus doux que de connaître les desseins de Dieu, d’être admis dans son sanctuaire, de pénétrer la pensée du Créateur, et d’enseigner les paroles de ton Seigneur que les sages de ce monde tournent en dérision et qui débordent pourtant de sagesse spirituelle ? Laissons les autres jouir de leurs richesses, boire dans une coupe ornée de pierreries, se parer de soies éclatantes, se repaître des applaudissements de la foule sans que la variété des plaisirs parvienne à épuiser leurs trésors : nos délices, à nous, consisteront à méditer jour et nuit la loi du Seigneur, à frapper à la porte en attendant qu’elle s’ouvre, à recevoir de la Trinité l’aumône mystique des pains, et à marcher, guidés par le Seigneur, sur les flots du siècle. » [107] A Paula encore et à sa fille Eustochium il écrit, dans son Commentaire de l’Epître aux Èphésiens : « S’il est quelque chose, ô Paula et Eustochium, qui retienne ici-bas dans la sagesse qui et parmi les tribulations et les tourbillons du monde maintienne l’équilibre de l’âme, je crois que c’est avant tout la méditation et la science des Ecritures. » [108]
C’est parce qu’il y recourait que, accablé de profonds chagrins intimes et frappé dans son corps par la maladie, il goûtait encore la consolation de la paix et de la joie du cœur : cette joie, il ne s’arrêtait point à la savourer dans une vaine oisiveté, mais ce fruit de la charité se transformait en charité active au service de l’Eglise de Dieu à qui le Seigneur a confié le dépôt de la parole divine.
Et, en effet, chaque page des Saintes Lettres des deux Testaments lui chantait les gloires de l’Eglise de Dieu. Presque toutes les femmes célèbres et vertueuses qui sont à l’honneur dans l’Ancien Testament, n’étaient-elles pas l’image de cette Epouse mystique du Christ ? Le sacerdoce et les sacrifices, les coutumes et les solennités, la presque totalité des faits rapportés dans l’Ancien Testament n’en constituaient- ils pas comme l’ombre ? Et ce fait qu’il trouvait divinement réalisées dans l’Eglise tant de promesses des psaumes et des prophètes ? Et lui-même, enfin, ne connaissait-il point par l’annonce qu’en avaient faite Notre-Seigneur et les Apôtres, les insignes privilèges de cette Eglise ? Comment dès lors la science des Ecritures n’eût-elle pas enflammé le cœur de Jérôme d’un amour chaque jour plus ardent pour l’Epouse du Christ ?
Nous savons déjà, Vénérables Frères, quel profond respect, quel amour enthousiaste il portait à l’Eglise Romaine et à la Chaire de Pierre ; Nous savons avec quelle vigueur il livrait bataille aux ennemis de l’Eglise. Applaudissant son jeune compagnon d’armes Augustin, qui soutenait les mêmes combats, et se félicitant de s’être comme lui attiré la fureur des hérétiques, il lui écrit : « Honneur à ta bravoure ! Le monde entier a les yeux sur toi. Les catholiques vénèrent et reconnaissent en toi le restaurateur de la foi des premiers jours, et, signe plus glorieux encore, tous les hérétiques te maudissent et me poursuivent avec toi d’une haine égale, jusqu’à nous tuer en désir, dans leur impuissance à nous immoler sous le glaive. » [109] Ce témoignage se trouve excellemment confirmé dans Sulpice Sévère par Postumianus : « Une lutte de tous les instants et un duel ininterrompu avec les méchants ont concentré sur Jérôme les haines des pervers. En lui, les hérétiques haïssent celui qui ne cesse de les attaquer ; les clercs, celui qui leur reproche leur vie et leurs crimes. Mais tous les hommes vertueux sans exception l’aiment et l’admirent. » [110]
Cette haine des hérétiques et des méchants fit endurer à Jérôme bien de pénibles souffrances, surtout quand les Pélagiens se ruèrent sur le monastère de Bethléem et le mirent à sac ; mais il supporta d’une âme égale tous les mauvais traitements et tous les outrages et ne fut point découragé, prêt qu’il était à mourir pour la défense de la foi chrétienne : «. Ce qui fait ma joie, écrit-il à Apronius, c’est d’apprendre que mes enfants bataillent pour le Christ ; que Celui auquel nous croyons fortifie en nous ce zèle courageux, afin que nous soyons prêts à verser notre sang pour sa foi. Les persécutions des hérétiques ont ruiné de fond en comble notre monastère quant à ses richesses matérielles, mais la bonté du Christ le remplit de richesses spirituelles. Mieux vaut n’avoir que du pain à manger que de perdre la foi. » [111]
S’il n’a jamais permis à l’erreur de se répandre impunément, il n’a pas mis un moindre zèle à s’élever en termes énergiques contre les mauvaises mœurs, voulant, dans la mesure de ses forces, « présenter » au Christ « une Eglise glorieuse, sans tache, sans ride ni rien de semblable, mais sainte et immaculée » [112]. Quelle vigueur dans les reproches qu’il adresse à ceux qui profanaient par une vie coupable leur dignité sacerdotale ! Avec quelle éloquence il s’élève contre les mœurs païennes qui infectaient en grande partie la ville même de Rome ! Pour endiguer à tout prix ce débordement de tous les vices et de tous les crimes, il leur oppose l’excellence et la beauté des vertus chrétiennes, convaincu à juste titre qu’il n’est point de plus puissant préservatif contre le mal que l’amour des choses les plus pures ; il réclame instamment pour la jeunesse une éducation pieuse et honnête, engage par ses graves conseils les époux à mener une vie pure et sainte, insinue dans les âmes plus délicates le culte de la virginité, ne trouve pas assez d’éloges pour l’austère mais délicieuse contrainte de la vie intérieure, rappelle de toutes ses forces le premier précepte de la religion chrétienne – le commandement de la charité alliée au travail – dont l’observation devait arracher la société humaine aux bouleversements et lui rendre la tranquillité et l’ordre.
Retenons cette belle parole qu’il disait à saint Paulin à propos de la charité : « Le véritable temple du Christ, c’est l’âme du fidèle : orne-le, ce sanctuaire, pare-le, déposes‑y tes offrandes et reçois‑y le Christ. A quoi bon couvrir les murailles de pierres précieuses, si le Christ meurt de faim dans la personne du pauvre ? » [113] Quant à la loi du travail, il la rappelait à tous avec une telle ardeur, par ses écrits et mieux encore par les exemples de toute sa vie, que Postumianus, après un séjour de six mois à Bethléem près de Jérôme, lui a rendu ce témoignage dans Sulpice Sévère : « On le trouve sans cesse tout à la lecture, tout entier plongé dans les livres : ni le jour ni la nuit il ne prend de repos ; toujours il lit ou écrit. » [114]
Par ailleurs, son brûlant amour pour l’Eglise s’exhale de ses commentaires, où il ne manque aucune occasion de célébrer l’Epouse du Christ. Citons, entre autres, ce passage du Commentaire du prophète Aggée : « On a vu accourir l’élite de toutes les nations et la gloire a rempli la maison du Seigneur, c’est-à-dire l’Eglise du Dieu vivant, colonne et fondement de la vérité… Ces métaux précieux donnent plus d’éclat à l’Eglise du Sauveur que jadis à la Synagogue ; c’est de ces pierres vivantes qu’est bâtie la maison du Christ, et elle se couronne d’une paix éternelle. » [115]. En un autre passage, commentant Michée : « Venez, montons vers la maison du Seigneur : il faut monter si l’on veut arriver jusqu’au Christ et à la maison du Dieu de Jacob, l’Eglise, maison de Dieu, colonne et fondement de la vérité. » [116]. Dans la préface enfin du Commentaire de saint Matthieu : « L’Eglise a été bâtie sur la pierre par une parole du Seigneur ; c’est elle que le Roi a fait introduire dans sa chambre, et c’est à elle que par l’ouverture d’une descente secrète il a tendu la main. » [117].
Comme c’est le cas pour les derniers extraits que nous avons cités, notre Docteur exalte généralement l’union infinie du Seigneur avec l’Eglise. Dès là qu’on ne peut séparer la tête de son corps mystique, l’amour de l’Eglise entraîne nécessairement l’amour du Christ, qui doit être regardé comme le fruit principal, et doux entre tous, de la science des Ecritures.
Jérôme, de fait, était à ce point, convaincu que cette connaissance du texte sacré est la voie ordinaire qui mène à la connaissance et à l’amour de Notre-Seigneur, qu’il n’avait pas crainte d’affirmer : « Ignorer les Ecritures, c’est ignorer le Christ lui-même « [118]. Il écrit dans le même sens à sainte Paula : « Comment pourrait-on vivre sans la science des Ecritures, à travers lesquelles on apprend à connaître le Christ lui-même qui est la vie des croyants ? » [119]. C’est vers le Christ en effet que convergent, comme vers leur centre, toutes les pages des deux Testaments ; et, commentant le passage de l’Apocalypse où il est question du fleuve et de l’arbre de vie, Jérôme écrit notamment : « Il n’y a qu’un fleuve qui sorte de sous le trône de Dieu, c’est la grâce du Saint-Esprit, et cette grâce du Saint-Esprit est renfermée dans les Saintes Ecritures, c’est-à-dire dans ce fleuve des Ecritures. Ce fleuve pourtant coule entre deux rives, qui sont l’Ancien et le Nouveau Testament, et sur chaque bord est planté un arbre qui est le Christ » [120]. Rien d’étonnant dès lors que, dans ses pieuses méditations, Jérôme eût accoutumé de rapporter au Christ tout ce qu’il lisait dans les Livres Saints : « Pour moi, quand je lis l’Evangile et que j’y rencontre des témoignages tirés de l à loi, des témoignages tirés des prophètes, je ne considère que le Christ : si j’ai vu Moïse, si j’ai vu les prophètes, c’était seulement pour comprendre ce qu’ils disent du Christ. Quand, un jour, je serai entré dans la splendeur du Christ et que brillera à mes yeux sa lumière éblouissante à l’instar du soleil éclatant, je ne pourrai plus voir la lumière d’une lampe. Allume une lampe en plein jour, éclairera-t-elle ? Quand luit le soleil, la lumière de la lampe s’évanouit ; de même, quand on jouit de la présence du Christ, la loi et les prophètes disparaissent. Je n’enlève rien à la gloire de la loi et des prophètes ; au contraire je les loue d’être les annonciateurs du Christ. Quand je lis la loi et les prophètes, mon but n’est point de m’en tenir à la loi et aux prophètes, mais par la loi et les prophètes, d’arriver jusqu’au Christ. » [121]. Ainsi nous le voyons s’élever merveilleusement par le commentaire des Ecritures jusqu’à l’amour et à la connaissance du Seigneur Jésus et y trouver la perle précieuse dont parle l’Evangile : « Il n’y a qu’une pierre précieuse entre toutes, la connaissance du Sauveur, le mystère de sa passion et le secret de sa résurrection. » [122].
L’amour qui le consumait pour le Christ l’amenait, pauvre et humble avec le Christ, à se libérer sans réserve de tous les liens des préoccupations terrestres, à ne chercher que le Christ, à se conduire par son esprit, à vivre avec lui dans l’union la plus étroite, à frapper sa propre vie à l’effigie du Christ soutirant, à n’avoir pas de désir plus ardent que souffrir avec le Christ et pour le Christ.
Ainsi s’explique ce qu’il écrivait au moment de s’embarquer, lorsque, Damase étant mort, des ennemis perfides qui le harcelaient de leurs vexations l’eurent fait s’éloigner de Rome : « Certains peuvent me considérer comme un criminel, écrasé sous le fardeau de tous les forfaits, et ce n’est rien encore en comparaison de mes péchés ; tu as raison cependant de croire en ton âme à la vertu même des pécheurs… Je rends grâces à mon Dieu de mériter la haine du monde… Quelle partie de souffrances ai-je endurée, moi le soldat de la croix ? La calomnie m’a couvert de l’opprobre du crime : mais je sais qu’avec la mauvaise comme avec la bonne réputation on parvient au royaume des cieux. » [123]. Et voici en quels termes il exhortait la pieuse vierge Eustochium à supporter courageusement pour le Christ les souffrances de la vie présente : « Grande est la souffrance, mais grande aussi la récompense à imiter les martyrs, à imiter les apôtres, à imiter le Christ… Toutes ces souffrances que je viens d’énumérer paraîtront bien pénibles à qui n’aime pas le Christ. Celui, au contraire, qui considère toute la pompe du siècle comme une fange immonde, pour qui tout est vanité sous le soleil, qui ne veut s’enrichir que du Christ, qui s’associe à la mort et à la résurrection de son Seigneur et qui crucifie sa chair avec ses vices et ses convoitises, celui-là pourra redire en toute liberté : Qui nous séparera de la charité du Christ ? » [124]
Jérôme goûtait donc des fruits très abondants dans la lecture des Livres Saints : c’est là qu’il puisait ces lumières intérieures qui le faisaient avancer toujours davantage dans la connaissance et l’amour du Christ ; là qu’il puisait cet esprit de prière dont il a si bien parlé dans ses écrits ; là enfin qu’il acquérait cette admirable familiarité avec le Christ, dont les douceurs l’encourageaient à tendre sans relâche, par le rude sentier de la croix, à la conquête de la palme de la victoire.
De même, l’élan de son cœur le portait sans cesse vers la très sainte Eucharistie : « Nul, en effet, n’est plus riche que celui qui porte le corps du Seigneur dans une corbeille d’osier et son sang dans une ampoule ». [125].
Il avait la même vénération affectueuse pour la Sainte Vierge, dont il défendit de toutes ses forces la virginité perpétuelle ; et la Mère de Dieu, idéal achevé de foutes les vertus, était le modèle qu’il proposait d’ordinaire aux épouses du Christ [126].
Personne ne s’étonnera donc que les lieux de Palestine qu’avaient sanctifiés notre Rédempteur et sa très sainte Mère aient exercé un charme et un attrait si puissants sur saint Jérôme. Ses sentiments sur ce point se laissent deviner dans ce que ses disciples Paula et Eustochium écrivaient de Bethléem à Marcella : « En quels termes et par quelle voix pouvons-nous te donner une idée de la grotte où naquit le Sauveur ? Et la crèche qui entendit ses vagissements d’enfant, le silence est plus digne d’elle que nos pauvres paroles… Ne viendra-t-il donc pas, le jour où il nous sera donné de pénétrer dans la grotte du Sauveur, de pleurer au tombeau du Maître avec une sœur, d’y pleurer avec une mère ? Puis de baiser le bois de la Croix, et sur le mont des Oliviers de suivre en désir et en esprit le Christ dans son Ascension ? » [127] Jérôme menait, loin de Rome, une vie plus pénible pour son corps ; mais le rappel de ces augustes souvenirs apportait à son âme tant de douceur qu’il s’écriait : « Ah ! Si Rome avait ce que possède Bethléem, plus humble pourtant que la Cité Romaine ! » [128]
Le vœu du très saint exégète s’est réalisé autrement qu’il ne pensait, et Nous avons, Nous et tous les citoyens de Rome, sujet de nous en réjouir. En effet, les restes du grand Docteur, déposés dans cette grotte qu’il avait si longtemps habitée et que la célèbre cité de David se faisait gloire autrefois de conserver, Rome a aujourd’hui le bonheur de les posséder dans la basilique de Sainte-Marie Majeure où ils reposent à côté de la crèche même du Sauveur.
La voix s’est tue, dont l’écho parti du désert remplissait jadis le monde catholique tout entier ; mais, par ses écrits qui « brillent surtout l’univers comme des flambeaux divins » [129], saint Jérôme parle encore. Il proclame l’excellence, l’intégrité et la véracité historique des Ecritures, les doux fruits qu’on goûte à les lire et méditer. Il proclame pour tous les enfants de l’Eglise la nécessité de retourner à une vie digne du nom de chrétien et de se préserver de la contagion des mœurs païennes que notre époque semble avoir presque entièrement rétablies. Il proclame que la Chaire de Pierre, grâce surtout à la piété filiale et au zèle des Italiens, à qui le ciel a donné de la posséder dans leurs frontières, doit jouir de l’honneur et de la liberté absolument indispensables à la dignité et à l’exercice même de la charge apostolique. Il proclame, pour les nations chrétiennes qui ont eu le malheur de se séparer de l’Eglise, le devoir de revenir à leur Mère, en qui repose toute espérance du salut éternel. Dieu fasse que cet appel soit entendu surtout par les Eglises orientales, qui depuis trop longtemps nourrissent des dispositions hostiles pour la Chaire de Pierre. Alors qu’il vivait dans ces contrées et avait pour maîtres Grégoire de Nazianze et Didyme d’Alexandrie, Jérôme synthétisait dans cette formule devenue classique la doctrine des peuples orientaux de son époque : « Quiconque ne se réfugie pas dans l’arche de Noé sera englouti dans les flots du déluge. » [130] Ce fléau, aujourd’hui, si Dieu ne l’arrête, ne menace-t-il pas de détruire toutes les institutions humaines ? Que reste-t-il debout, en effet, après la suppression de Dieu, auteur et conservateur de toutes choses ?
Qu’est-ce donc qui peut subsister après s’être séparé du Christ, qui est la vie ? Mais Celui qui jadis, à l’appel de ses disciples, apaisa la mer en furie peut encore rendre à la société humaine bouleversée le bienfait si précieux de la paix. Que saint Jérôme attire cette faveur sur l’Eglise de Dieu, qu’il a aussi ardemment aimée que courageusement défendue contre tous les assauts de ses ennemis ; puisse son patronage nous obtenir que, toutes discordes apaisées selon le vœu de Jésus-Christ, il n’y ait plus qu’un troupeau et qu’un pasteur ».
Portez sans retard, Vénérables Frères, à la connaissance de votre clergé et de vos fidèles les instructions que Nous venons de vous donner à l’occasion du quinzième centenaire de la mort du grand Docteur. Nous voudrions que tous, à l’exemple et sous le patronage de saint Jérôme, non seulement restent fidèles à la doctrine catholique sur l’inspiration divine des Ecritures et en prennent la défense, mais encore observent avec un soin scrupuleux les prescriptions de l’Encyclique Providentissimus Deus et de la présente Lettre.
En attendant, Nous émettons le vœu que tous les enfants de l’Eglise se laissent pénétrer et fortifier par la douceur des Saintes Lettres, afin d’arriver à une connaissance parfaite de Jésus Christ. Comme gage de ce souhait et en témoignage de Notre paternelle bienveillance, Nous vous accordons très affectueusement dans le Seigneur, à vous, Vénérables Frères, ainsi qu’à tout le clergé et à tous les fidèles qui vous sont confiés, la bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 15 septembre 1920, en la septième année de Notre Pontificat.
BENEDICTUS PP. XV
- Conc. Trid., s. V. decr. « de reform. », c. 1[↩]
- Sulp. Sev., Dial. 1, 7[↩]
- Cass., De Inc. 7, 26[↩]
- S. Prosper., Carmen de Ingratis, V, 57[↩]
- De viris ill. 135[↩]
- Ep. 82, 2, 2[↩]
- Ep. 15, 1 1 ; 16, 2, 1[↩]
- In Abd. Præf.[↩]
- In Matth. 13, 44[↩]
- Ep. 22, 30, 1[↩]
- Ep 84, 3, 1.[↩]
- Ep. 125, 12.[↩]
- Ep. 123,10 al. 9 ; Ep. 127,7, 1[↩]
- Ep. 127, 7, 1 s.[↩]
- Ep. 36, 1 ; Ep. 32, 1[↩]
- Ep. 45, 2 ; 126, 3 ; 127, 7[↩]
- Ep, 84 , 3, 1 s.[↩]
- Ad Domnionem et Rogatianum in I Paral. Prœf.[↩]
- Conc. Vat. s. III, Const. « de Fide cath. », cap. 2[↩]
- Tract, de Ps. 88[↩]
- In Matth., 13, 44 ; tract, de Ps. 77[↩]
- In Matth., 13, 45 ss.[↩]
- Quæst. in Gen., Præf.[↩]
- In Agg. 2, 1 ss. ; cf. in Gal. 2, 10, etc.[↩]
- Adv. Helv. 19[↩]
- Adv. Jovin. 1, 4[↩]
- Ep. 49, al. 48, 14, 1[↩]
- In Jer. 9, 12, ss.[↩]
- Ep. 78, 30, al. 28. mansio.[↩]
- Ep. 27,1, 1 s.[↩]
- In Ez., 1, 15 ss.[↩]
- In Mich. 2, 11 s. ; 3, 5 ss.[↩]
- In Jer. 31, 35 ss.[↩]
- In Nah. 1, 9[↩]
- Ep. 57, 7, 4[↩]
- Ep. 82, 7 , 2[↩]
- Ep. 72, 2, 2[↩]
- Ep. 18 ; 7, 4 ; cf. Ep. 46, 6, 2[↩]
- Ep. 36, 11, 2[↩]
- Ep. 57, 9, 1[↩]
- S. Aug. ad S, Hieron., inter epist. S. Hier. 116, 3[↩]
- Litt. Enc. Providentissimus Deus.[↩]
- In Jer. 23, 15 ss. ; in Matth. 14, 3 ; adv. Helv. 4[↩]
- In Philem. 4.[↩]
- S. Aug. Contra Faustum 26, 3 s., 6 s.[↩]
- Jn. 19, 35[↩]
- In Matth : Prol.[↩]
- Ep. 78, 1, 1 ; cf. In Marc. 1,13–31[↩]
- S. Aug., C. Faustum, 26, 8.[↩]
- cf. Matth. 12, 3,39–42 ; Luc. 17, 26–29, 32, etc.[↩]
- Ep. 130, 20[↩]
- Ep. 58, 9, 2 ; 11, 2[↩]
- S. Aug. Conf. 3, 5 ; cf. 8, 12.1[↩]
- Ep. 22, 30, 2.[↩]
- In Midi. 1, 10, 15[↩]
- In Gal. 5, 19 ss.[↩]
- Ep. 108, 26, 2[↩]
- Ad Domnionem et Rogatianum in I. Par. Præf.[↩]
- Ep. 63, 2.[↩]
- Ep. 15, 1, 2, 4.[↩]
- Ep. 16, 2, 2.[↩]
- In Dan. 3, 37[↩]
- Adv. Vigil. 6.[↩]
- Dial. c. Pelag., Prolog. 2[↩]
- Contra Ruf. 3, 43.[↩]
- In Mich. 1,10 ss.[↩]
- In Is. I. 6, cap. 16, 1–5[↩]
- In Tit. 3, 9.[↩]
- In Eph. 4, 31.[↩]
- Ep. 107, 9,12[↩]
- Ep., 22, 17 ; cf. ib. 29, 2[↩]
- Ep. 108, 26[↩]
- Ep. 127, 7[↩]
- Imit. Chr. 4, 11. 4[↩]
- Imit. Ghr. 4, Tl. 4[↩]
- Ep. 125, 7, 3 ; 11, 1[↩]
- Ep. 52, 7,1[↩]
- Ep. 53,3 ss.[↩]
- Ep. 27, 1 , 2 [↩]
- Pius X in Litt. Ap. « Vinea Electa », 7 maii 1909[↩]
- Tract, de Ps. 147[↩]
- Ep. 52, 8, 1[↩]
- In Amos, 3, 3, ss.[↩]
- In Zach., 9, 15 s.[↩]
- Ep. 29, 1,3[↩]
- cf. in Ez. 38, 1 ss. ; 41, 23 ss. ; 42, 13 s. ; in Marc. 1, 13–31 ; Ep. 129, 6, 1, etc.[↩]
- In Hab. 3, 14 ss.[↩]
- In Marc. 9, 1 7 ; cf. in Ez. 40, 24–27[↩]
- In Eccle. 12, 9 s.[↩]
- Ep. 58, 9, 1[↩]
- In Eccl. 2, 24 ss.[↩]
- In Amos 9, 6.[↩]
- In Is. 6, 1–7[↩]
- Ep. 49 al. 48, 17, 7[↩]
- In Gal. 1, 11, ss[↩]
- In Amos, Præf. in I. 3[↩]
- In Gal. Præf. in I. 3[↩]
- Ep., 36, 14, 2 ; cf. Ep. 140, d, 2.[↩]
- Ep. 52, 8, 1.[↩]
- Dial., c. Lucif. 11.[↩]
- Ep. 53, 7, 2.[↩]
- In Tit. 1, 10 s.[↩]
- In Matth. 13,32[↩]
- Ep. 36, ii, 2.[↩]
- Ep. 48 al. 49, 4, 3[↩]
- Ep. 53, 10, 1.[↩]
- Ep. 30, 13.[↩]
- In Eph., Prol.[↩]
- Ep. 141, 2 ; cf. Ep. 134, 1.[↩]
- Postumianus apud Sulp. Sév., Dial. 1, 9.[↩]
- Ep. 139.[↩]
- Eph. S, 27[↩]
- Ep. 58, 7, 1.[↩]
- Postumianus apud Sulp. Sev., Dial. 1,9.[↩]
- In Agg. 2, 1 ss.[↩]
- In Mich. 4, 1 ss.[↩]
- In Matth., Prol.[↩]
- ln Is., Prol. ; cf. Tract, de Ps. 77[↩]
- Ep. 30, 7[↩]
- Tract, de Ps. 1[↩]
- Tract, in Marc. 9, i‑7[↩]
- In Matth 13, 43 s.[↩]
- Ep. 45, i, 6[↩]
- Ep. 22, 38 s.[↩]
- Ep. 125, 20, 4[↩]
- cf. Ep. 22, 38, 3[↩]
- Ep. 46,11,13.[↩]
- Ep. 51, 13, 6.[↩]
- Cassian, de incarn. 7,26[↩]
- Ep. 15,2, 1.[↩]