Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

16 décembre 1931

Lettres décrétales In thesauris sapientiæ

Sur l'extension de la fête de saint Albert le Grand à l'Eglise Universelle et sa proclamation comme docteur de l'Eglise

Pie,
Serviteur des ser­vi­teurs de Dieu

Pour per­pé­tuelle mémoire.

Dans les tré­sors de la sagesse sont l’intelligence et la reli­gion de la science (Si 1, 26). Par là est lumi­neu­se­ment expri­mée la rai­son pro­fonde qui lit deman­der à Dieu par Salomon la pos­ses­sion de la sagesse (Sg 8, 2), car la sagesse unit inti­me­ment l’esprit à Dieu, elle a plus de valeur que n’importe quel bien, elle l’emporte sur tous. Dilatant les cœurs, les inon­dant de nou­velles clar­tés, l’union d’une vie plus par­faite et de l’étude de la sagesse entraîne bien haut l’esprit des fidèles ; ils sont alors vrai­ment étroi­te­ment unis dans la cha­ri­té, enri­chis d’une pleine convic­tion de l’intelligence, et connaissent le mys­tère de Dieu le Père et du Christ Jésus, en qui sont cachés tous les tré­sors de la sagesse et de la science (Col 2, 2–3).

C’est pour­quoi, plus on s’élève vers Dieu par la sagesse, et plus on s’assimile cette maî­trise de l’esprit, car c’est la sagesse qui ini­tie à la science de Dieu et qui choi­sit par­mi ses œuvres (Sg 8, 4).

Or, l’homme se rap­proche d’autant plus du modèle de la divine sagesse qu’il suit de plus près les exemples que nous ont légués la vie et les actions du Sauveur : Celui qui aura pra­ti­qué et ensei­gné [les com­man­de­ments] sera grand dans le royaume des cieux (Mt 5, 19).

C’est jus­te­ment parce qu’il a mar­ché sur les traces de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ qu’Albert le Grand, fils de l’Ordre des Prêcheurs, a brillé d’une gloire si éclatante.

Maître en théo­lo­gie, jadis évêque de Ratisbonne, unis­sant d’une façon mer­veilleuse les pra­tiques de la vie contem­pla­tive à celles d’une vie active, il appa­rut vrai­ment grand non seule­ment aux yeux de ses contem­po­rains, mais encore par-​devant les géné­ra­tions ulté­rieures, qui, tant pour la pro­fon­deur de sa doc­trine que pour l’étendue de ses connais­sances, l’ont salué du nom de Grand.

Né vers la fin du xiie siècle, à Lauingen en Souabe, dans le dio­cèse d’Augsbourg, Albert était issu d’une famille vouée à la car­rière des armes. Mais, quit­tant sa patrie dans le but de com­plé­ter ses études, il part pour l’Italie, comp­tant se fixer à Padoue pour y étu­dier les belles – lettres, la méde­cine et les sciences naturelles.

Là, il apprend à connaître et à aimer l’Ordre nais­sant des Frères Prêcheurs ; il y entre même, après avoir triom­phé des répu­gnances de son oncle mater­nel et sur les encou­ra­ge­ments du bien­heu­reux Jourdan de Saxe, Maître géné­ral de cet Ordre et fervent apôtre du Christ Jésus.

Le voi­ci donc ins­crit par­mi les fils de saint Dominique. Se vouant à Dieu en toute chose, se dis­tin­guant par une tendre dévo­tion envers la Très Sainte Vierge, Albert est bien­tôt envoyé à Cologne pour y ache­ver ses études théologiques.

Tout en veillant sur la pure­té de son âme et culti­vant son intel­li­gence, il y pro­gresse de ver­tu en ver­tu ; tel un géant par­cou­rant sa car­rière, il tra­vaille avec ardeur.

L’oraison atten­tive et réglée pré­cède l’étude ; par son intel­li­gence et toute sa manière de vivre, il devient ain­si capable de col­la­bo­rer par la pré­di­ca­tion à l’apostolat des Frères Prêcheurs et de tra­vailler au salut des âmes.

Il veille donc aux portes de la sagesse et l’emporte sur tous ses égaux au point de s’assimiler avec une extrême faci­li­té les ques­tions les plus ardues des sciences pro­fanes et de s’abreuver « aux sources de la loi divine, dans les eaux de la plus salu­taire doc­trine, dont il pos­sède déjà dans son cœur la plé­ni­tude ». C’est ain­si que Notre pré­dé­ces­seur Alexandre IV ne crai­gnait point de s’exprimer en par­lant d’Albert.

Elevé au sacer­doce, pour qu’il révèle aux autres les tré­sors de la contem­pla­tion et les lumières Je la science, on nomme Albert d’abord pro­fes­seur à Hildesheim, puis à Fribourg, à Ratisbonne, à Strasbourg.

Il s’acquiert bien­tôt et par­tout une répu­ta­tion incroyable ; dans l’illustre Université de Paris, il occupe, aux applau­dis­se­ments de tous, une chaire de la Faculté des sciences sacrées, et l’honneur lui échoit d’y ensei­gner la théologie.

Chargé ensuite de l’éducation des jeunes gens, Albert se rend à Cologne, où, sur l’ordre de ses supé­rieurs, il fonde et dirige un col­lège géné­ral de son Ordre.

A cette époque, entre beau­coup d’autres célé­bri­tés futures, il a pour élève Thomas d’Aquin. Dès l’origine il pressent et signale la brillante intel­li­gence de ce dis­ciple, et pour tou­jours il demeure son ami et son émule en fait de tra­vail et de sain­te­té. Après la mort de Thomas, il défend éner­gi­que­ment la pure­té de sa doc­trine et vante à bon droit la pro­fon­deur de son intelligence.

Par sa pru­dence, par sa jus­tice, Albert jouis­sait d’une répu­ta­tion uni­ver­selle. On ne s’étonnera donc point si bien sou­vent on le prit pour arbitre en des ques­tions ou des conflits tant pri­vés que publics : du reste, il les tran­chait tou­jours avec un sens par­fait de l’équité, ain­si qu’avec une adresse et un cou­rage remarquables.

Sa mer­veilleuse habi­le­té dans la conduite des affaires, son culte pour l’observance reli­gieuse et son amour de la per­fec­tion chré­tienne ame­nèrent les Frères Prêcheurs alle­mands, réunis à Worms en Chapitre pro­vin­cial, à mettre en lui toute leur confiance ; il fut donc élu prieur de Germanie.

Les Pères pré­sents à ce Chapitre savaient fort bien que la vani­té du siècle, par suite des temps et des milieux, s’était par­fois et peu à peu glis­sée jusque dans les monas­tères. Pour se main­te­nir dans une vie par­faite, ils avaient donc besoin d’être diri­gés par un homme ayant la sain­te­té du cœur, la fer­me­té de volon­té, la pru­dence dans ses conseils et la richesse de toutes les vertus.

Leur attente ne fut point trompée.

Infatigable, Albert mit tout son zèle, s’appliqua de toute manière, à rem­plir ses fonc­tions de prieur. Et pour­tant, des rivages de la Flandre en pas­sant par l’Allemagne entière, la pro­vince de Germanie s’étendait bien au loin, jusqu’à la Pologne et la Hongrie. Or, non seule­ment le nou­veau prieur visi­tait fré­quem­ment ses monas­tères, mais il tenait des assem­blées, afin d’encourager ses reli­gieux par son exemple et par sa parole à pra­ti­quer la ver­tu et l’observance des règles ; il sui­vait ain­si, et d’une manière splen­dide, l’exemple du divin Maître, qui com­men­ça par agir, puis par ensei­gner (Ac 1, 2).

La répu­ta­tion de pru­dence de cet homme si grand et si saint dans la conduite des affaires, de son adresse dans les ques­tions poli­tiques, de sa doc­trine et de sa sain­te­té, par­vint à la connais­sance des Pontifes romains eux-​mêmes. Aussi ne manquèrent-​ils pas de lui confier des misions aus­si impor­tantes que flatteuses.

Un fait qui mérite d’être spé­cia­le­ment rele­vé, c’est que le Pape Alexandre IV avait invi­té Albert, comme prieur de la pro­vince, et ses frères en reli­gion à prê­ter leur concours en vue d’une défense et d’une pro­pa­ga­tion éner­giques de la foi catho­lique par­mi les païens de la Lettonie et de la Prusse. De plus, dans la pro­vince de Brandebourg, le même Pape le char­gea de diverses missions.

Député par son Ordre pour plai­der la cause des reli­gieux men­diants et reven­di­quer les droits du Siège Apostolique, Albert se ren­dit à la Cour pon­ti­fi­cale, qui se trou­vait alors à Anagni.

Là, au sein du Consistoire, il repous­sa les attaques de ses adver­saires, créant par l’éclat de sa doc­trine une telle impres­sion qu’il reçut du Souverain Pontife une double mis­sion : celle de réfu­ter dans une dis­cus­sion publique les erreurs des Averrhoïstes et celle d’expliquer à l’école de la Cour pon­ti­fi­cale, de la façon la plus lumi­neuse, l’Evangile selon saint Jean.

Le sou­ve­nir de sa mer­veilleuse éru­di­tion et de son écla­tante ver­tu demeu­ra des plus vivants à la Cour pontificale.

Le jour où l’Eglise de Ratisbonne, qui pas­sait alors par de nom­breuses afflic­tions, tant au spi­ri­tuel qu’au tem­po­rel, eut besoin d’un nou­veau pas­teur, le Souverain Pontife Alexandre IV choi­sit Albert le Grand pour en ins­truire et diri­ger les fidèles par sa doc­trine aus­si bien que par son exemple et pour libé­rer de ses dettes le siège épiscopal.

Une fois évêque, Albert n’en conti­nua pas moins à pra­ti­quer la pau­vre­té, car il savait jus­te­ment qu’elle est le meilleur moyen de res­tau­rer la dis­ci­pline ecclé­sias­tique et de réfor­mer les mœurs.

Conservant abso­lu­ment intact son amour de l’élude et de la contem­pla­tion, infa­ti­gable à déra­ci­ner les vices, s’efforçant de rele­ver le niveau d’une mora­li­té trop infé­rieure, habile à résoudre les conflits, plein de zèle dans l’administration des sacre­ments, il ne renon­çait pour­tant pas à l’étude de la lit­té­ra­ture sacrée ; ain­si donc, tout en tra­vaillant aux pro­grès des sciences doc­tri­nales, il ne ces­sait point de veiller sur le trou­peau qui lui avait été confié.

Avec l’autorisation du Pape Urbain IV, il mit alors son action entiè­re­ment aux ordres du Souverain Pontife. Bientôt, en effet, il fut char­gé par l’autorisation du Siège Apostolique de prê­cher en Allemagne et en Bohême la Croisade des­ti­née à secou­rir la Terre Sainte.

Cette mis­sion une fois et par­fai­te­ment accom­plie, il revint à la vie régu­lière de son Ordre et pas­sa les der­nières années de sa vie à prê­cher, à ensei­gner, à écrire ; dans de nom­breux dio­cèses et des plus variés, il rem­plit les rites pon­ti­fi­caux ou autres fonc­tions épis­co­pales ; obli­gé d’entreprendre toutes sortes de voyages, il se ren­dit ain­si en des régions et des villes fort diverses, à Nimègue, à Anvers, à Bâle et ailleurs, mais tou­jours pour ser­vir la reli­gion ou la piété.

Après un séjour à Strasbourg et Wurzbourg, il revint à Cologne, où l’heure du der­nier repos son­na enfin pour lui.

Poussé par le grand inté­rêt qu’il éprou­vait envers les reli­gieux de l’un et l’autre sexe, il s’occupait d’eux acti­ve­ment. Sur l’ordre des évêques, à plu­sieurs reprises, il visi­ta leurs cou­vents ou monas­tères au plus grand pro­fit de la dis­ci­pline reli­gieuse, exci­tant par­tout un vif désir de la sain­te­té et des lumières de la contem­pla­tion. Du reste, ses encou­ra­ge­ments à la pié­té et aux pra­tiques reli­gieuses, il les éten­dait aux chré­tiens de toute classe sans dis­tinc­tion ; il ne refu­sait à per­sonne ses conseils ou son assis­tance. N’oublions pas non plus qu’Albert entre­tint de pieuses et intimes rela­tions avec saint Louis, roi de France.

Bien qu’en géné­ral et par res­pect pour sa per­sonne on le qua­li­fiât de sei­gneur, il fai­sait plu­tôt figure d’un père, grâce à l’art de s’attirer la filiale confiance de tous ; tel était l’apôtre saint Paul, qui bien volon­tiers dépen­sait et se dépen­sait lui-​même (2 Co 12, 15) en faveur de l’âme de son prochain.

Déjà un vieillard, il n’en allait pas moins au second Concile de Lyon, où les Grecs, après la pro­fes­sion de foi et l’exposé des Docteurs, revinrent heu­reu­se­ment par la misé­ri­corde de Dieu à la com­mu­nion de l’Eglise. Lors de ce Concile, Notre pré­dé­ces­seur le Pape saint Grégoire X approu­va, sur la demande d’Albert, l’élection de Rodolphe de Habsbourg comme empe­reur des Romains. Par son entre­mise, on peut l’affirmer sans hési­ter, Albert ren­dit ser­vice aux deux ordres de la socié­té, à l’ordre ecclé­sias­tique et à l’ordre politique.

Mais le poids énorme des affaires que Nous avons men­tion­nées pour­ra sem­bler bien peu de chose quand on le com­pare aux immenses tra­vaux de ce grand savant, aux nom­breux volumes qu’il écrivit.

Dans son œuvre il révèle d’une manière émi­nente la péné­tra­tion non moins que l’extrême puis­sance de son esprit, l’ampleur et la pro­fon­deur de ses concep­tions, la richesse magni­fique de son éru­di­tion et, pour finir, son ardeur infa­ti­gable à défendre la foi.

Les his­to­riens et les écri­vains de sa vie ont donc gran­de­ment rai­son de van­ter la sin­gu­lière uni­ver­sa­li­té de son intelligence.

Tout en contem­plant les sujets les plus divins ou les véri­tés phi­lo­so­phiques, il s’intéressait à toutes les autres sciences humaines, celles qu’on appelle aujourd’hui les sciences natu­relles, et y por­tail les lumières de son génie.

Déjà, par­mi ses pre­miers pané­gy­ristes, Barthélemy de Lucques, son contem­po­rain, évêque de Torcella, affir­mait qu’Albert, grâce à l’universalité de ses études scien­ti­fiques et à sa méthode d’enseignement, comp­tait par­mi les plus émi­nents Docteurs.

En fait, rien qu’à lire les titres des œuvres presque innom­brables d’Albert le Grand, on voit d’emblée qu’aucune science ne lui fut étran­gère ; il dis­serte, en effet, et de la façon la plus claire, sur l’astronomie, la cos­mo­gra­phie, la météo­ro­lo­gie, la cli­ma­to­lo­gie, la phy­sique, la méca­nique, l’architecture, la chi­mie, la miné­ra­lo­gie, l’anthropologie, la zoo­lo­gie et la bota­nique. Aux œuvres de ce genre il faut ajou­ter divers écrits concer­nant les arts de la vie pra­tique, tels que le tis­sage, la navi­ga­tion, l’agriculture et autres occu­pa­tions d’une nature analogue.

Mais l’esprit d’Albert le Grand, ain­si qu’il convient à un vrai Docteur catho­lique, ne s’immobilise point dans la contem­pla­tion de ce monde visible, comme le font sou­vent les obser­va­teurs modernes des phé­no­mènes natu­rels ; loin de Là : il s’élève aux choses spi­ri­tuelles et sur­na­tu­relles, il coor­donne entre elles toutes les sciences, dans la mesure per­mise par la varié­té de leur objet, et dans une pro­gres­sion admi­rable il passe des créa­tures inani­mées aux ani­mées, des ani­mées aux spi­ri­tuelles, des spi­ri­tuelles à Dieu.

Et de fait, Dieu lui-​même, dont la muni­fi­cence nous comble de biens, avait doté Albert d’une nature et des moyens néces­saires à l’accomplissement d’une si vaste tâche.

Chez Albert le Grand on trouve en effet une soif insa­tiable de véri­té, une atten­tion inlas­sable dans l’observation des phé­no­mènes natu­rels, une ardente ima­gi­na­tion, une excel­lente mémoire, l’amour des monu­ments de la sagesse antique, mais sur­tout un esprit reli­gieux lui fai­sant clai­re­ment per­ce­voir cette admi­rable sagesse divine brillant dans les créa­tures. N’est-ce pas pour cette même rai­son que le Psalmiste sacré invi­tait tous les élé­ments de la nature à s’unir pour louer Dieu et que, dans le livre de Job, dans celui de la Sagesse, dans l’Ecclésiaste, le Saint-​Esprit exhorte les hommes à bénir et louer le Dispensateur magni­fique de tant de biens ?

Mais, fait encore plus digne de men­tion, Albert cueillit, au cours de ses labo­rieuses études, toutes les fleurs de la sagesse antique et toutes les por­tions de véri­té que la rai­son natu­relle de l’homme avait décou­vertes ; il en retran­cha, il est vrai, les erreurs, mais pour lui ce fut l’occasion de péné­trantes médi­ta­tions ; afin même de rendre plus frap­pantes les véri­tés de la foi ou pour les défendre contre diverses attaques, il eut sou­vent recours à ce flo­ri­lège, et non sans bonheur.

Ce genre d’appui, il le demande sur­tout, avec une grande oppor­tu­ni­té, aux œuvres d’Aristote, qui, à cette époque, com­men­çaient à se répandre lar­ge­ment en Europe. En reje­tant les inter­pré­ta­tions erro­nées de l’Aristotélisme, non seule­ment il écar­tait le dan­ger qui mena­çait la doc­trine catho­lique, mais il arra­chait, pour ain­si dire, les armes de la phi­lo­so­phie antique aux mains de ses adver­saires, afin de les diri­ger à son tour contre eux et défendre ain­si plus éner­gi­que­ment la véri­té révélée.

Ce fut donc sous les aus­pices d’Albert tout le pre­mier que la Scolastique, s’appropriant les réels tré­sors d’un Aristotélisme épu­ré, inau­gu­ra une voie plus pro­pice et mit en meilleure lumière les admi­rables concor­dances de la rai­son et de la foi. Sur ses pas, Thomas d’Aquin, son dis­ciple pré­fé­ré, par­vint aux cimes d’une phi­lo­so­phie éter­nelle et d’une sublime théo­lo­gie sacrée.

Ainsi donc, par le tra­vail et par l’action d’Albert le Grand, la phi­lo­so­phie entière, mais sur­tout celle d’Aristote, se trans­for­mait pour la théo­lo­gie chré­tienne en le plus robuste et le plus utile des ins­tru­ments, du jour où les lumières de la Révélation sur­na­tu­relle la venaient éclairer.

Tel fut le but suprême et constant de la vie intel­lec­tuelle d’Albert ; aus­si, tout ce qu’il put décou­vrir de vrai, de beau, de sublime dans la sagesse païenne, il vou­lut l’offrir et, en quelque sorte, le consa­crer au Créateur, source de toute véri­té, somme de toute beau­té, essence de toute perfection.

Albert bri­sa de même les liens qui rete­naient les sciences natu­relles au pou­voir des païens, des maho­mé­tans et des juifs ; ces sciences, quelques hommes pieux de l’époque, en rai­son des abus qu’elles avaient favo­ri­sés, ne les regar­daient qu’avec une cer­taine défiance, comme si en elles-​mêmes elles rece­laient de graves dan­gers pour les fidèles.

En vrai théo­lo­gien, Albert ne voyait pour sa part aucun incon­vé­nient dans l’étude judi­cieuse des œuvres de la nature ou de la rai­son natu­relle, du moment qu’elles abritent la lumière du Créateur lui – même.

C’est ain­si qu’entre tous les Docteurs du moyen âge Albert fît pas­ser dans les écoles de son époque les richesses de la culture scien­ti­fique ancienne, puis, sous une forme vrai­ment construc­tive, dans sa grande ency­clo­pé­die, qui part des notions les plus infimes pour s’élever jusqu’à la théo­lo­gie sacrée ; il y réus­sit au reste d’excellente manière.

Dès lors, rien d’étonnant à ce que les anciens auteurs aient décla­ré qu’Albert le Grand « savait tout ce qu’on peut savoir, n’ignorait aucune espèce de science » (Pie II), « et pou­vait être à bon droit pro­cla­mé le phé­no­mène le plus éton­nant, la mer­veille de son siècle » (Ulric de Strasbourg). Rien non plus d’étonnant à ce qu’il ait reçu d’eux le titre de « Docteur uni­ver­sel » et pas­sé pour être l’astre le plus brillant par­mi tous les phi­lo­sophes de la chré­tien­té entière » (Henri de Hervodia).

A ces louanges, des savants contem­po­rains, même aca­tho­liques, ne craignent pas de se joindre. Ils célèbrent volon­tiers en lui le plus grand obser­va­teur du moyen âge au point de vue des sciences natu­relles. L’un deux, écri­vain dis­tin­gué, appelle très jus­te­ment Albert « le pré­cur­seur le plus pers­pi­cace des études natu­relles en Occident, le pre­mier qui ait mis au ser­vice de la reli­gion chré­tienne et lui ait infu­sé les sources sublimes de la sagesse grecque, le pre­mier qui ait mis l’histoire natu­relle sur le même rang que la doc­trine ecclé­sias­tique, le pre­mier qui, en Allemagne, ait régu­liè­re­ment dépeint les phé­no­mènes natu­rels, le pre­mier qui se soit effor­cé de rame­ner les formes des objets crées à un plan mor­pho­lo­gique, le pre­mier enfin et le seul qui ait expo­sé en toutes ses par­ties l’histoire de la nature entière » (Karl Jessen).

Il eut de plus cet hon­neur que, ni en phi­lo­so­phie, ni en théo­lo­gie, ni dans l’interprétation de la Sainte Écriture, il n’y eut presque aucun autre Docteur, saint Thomas excep­té, qui jouit d’une telle autorité.

Il serait assu­ré­ment trop long d’exposer et de faire res­sor­tir les pro­grès qu’Albert le Grand fit accom­plir à la science théologique.

S’adonner aux études théo­lo­giques était d’ailleurs un besoin de son esprit. L’autorité qu’il avait acquise en phi­lo­so­phie gran­dit encore éton­nam­ment quand, pour expli­quer net­te­ment la théo­lo­gie sui­vant le sys­tème sco­las­tique, il se ser­vit de la phi­lo­so­phie comme d’un ins­tru­ment. C’est pour cette rai­son qu’on le consi­dère, entre tous, comme l’auteur de cette méthode de théo­lo­gie qui, dans l’Eglise du Christ, est demeu­rée pour les élèves, jusqu’à nos jours, la méthode de choix et la norme la plus sûre.

L’œuvre théo­lo­gique extrê­me­ment vaste du bien­heu­reux Albert, de même que ses com­men­taires péné­trants sur la Sainte Écriture, attestent non seule­ment un esprit par­fai­te­ment lucide et une connais­sance appro­fon­die de la doc­trine catho­lique, mais encore une pié­té si suave et un désir si vif d’attirer les âmes vers le Christ qu’on y recon­naît, sans la moindre hési­ta­tion, le lan­gage d’un saint par­lant des choses saintes.

C’est le lieu de rap­pe­ler sa Somme théo­lo­gique, qui exhale un tel par­fum et de sagesse et de pié­té ; le Commentaire de l’Evangile de saint Luc, qui nous le montre inter­prète aus­si expert que sûr du texte sacré ; les doux et suaves Traités de louanges à la Bienheureuse Vierge dans les­quels s’épanchent son amour et les ardents mou­ve­ments de son cœur pour la Mère de Dieu ; l’écrit incom­pa­rable Du Très Saint Sacrement de l’Autel, où se mani­festent si vive­ment sa foi sin­cère en Dieu et sa brû­lante dévo­tion au culte du mys­tère de la divine Incarnation.

Rappelons enfin ses ouvrages mys­tiques, qui nous apprennent à quelle hau­teur de la contem­pla­tion infuse la grâce du Saint-​Esprit vou­lut bien l’élever, et qui, au xive siècle, devinrent en Allemagne la règle, le prin­cipe et l’origine de la vie mystique.

Bref, toute l’œuvre théo­lo­gique d’Albert s’élève comme un monu­ment impé­ris­sable de l’autorité qu’on lui recon­nais­sait. Aussi, avec Notre Prédécesseur d’heureuse mémoire Léon XIII, pouvons-​Nous dire à bon droit de sa doc­trine tout entière : « Bien qu’après l’époque d’Albert les sciences de toute nature aient connu chaque jour de nou­veaux et de nom­breux pro­grès, cepen­dant la puis­sance et la richesse de sa doc­trine, dont fut nour­ri saint Thomas d’Aquin, et qui firent l’admiration de ses contem­po­rains, ne lui per­mettent en aucune façon de vieillir. »

L’esquisse que Nous venons de tra­cer suf­fit, dans une cer­taine mesure, à faire devi­ner l’éminente sain­te­té, de même que l’admirable doc­trine d’Albert. Et c’est ain­si que, le 15 novembre 1280, après tant et de si grands tra­vaux labo­rieu­se­ment accom­plis dans la vigne du Seigneur, après avoir bien méri­té en tout lieu et en toute occa­sion de l’Eglise catho­lique, Albert le Grand quit­ta pai­si­ble­ment ce lieu de pèle­ri­nage pour jouir de la bien­heu­reuse éternité.

L’extinction de cette brillante lumière n’entraîna pour­tant pas la dis­pa­ri­tion de ses splen­dides reflets. A vrai dire, Albert le Grand éclaire encore l’Eglise du Christ par le rayon­ne­ment de sa science ; il l’éclaire par la sain­te­té d’une vie ornée de toutes les ver­tus ; il l’éclaire par la renom­mée des pro­diges qu’il accom­plit de son vivant ou après sa mort, au témoi­gnage constant d’écrivains dignes de foi. Avec saint Pierre Canisius, Docteur de l’Eglise, qui l’appelle le flam­beau de la Germanie, nous pou­vons donc affir­mer que « la pure­té de sa vie, sa sagesse, la subli­mi­té de sa science, le placent aux pre­miers rangs »… « De sa gloire et de sa sain­te­té, le Seigneur Dieu a four­ni la preuve par de nom­breux miracles. »

Personne alors ne doit s’étonner si, après sa mort, on ren­dit au bien­heu­reux Albert un culte ecclé­sias­tique et public ain­si qu’il appert de nom­breux et impor­tants témoi­gnages. Aussi Nous réjouissons-​Nous de ce que plu­sieurs de Nos pré­dé­ces­seurs, « pre­nant en consi­dé­ra­tion les écla­tants mérites du Bienheureux envers l’Eglise » (Clément X), aient atta­ché de pré­cieuses faveurs à l’extension de son culte.

Innocent VIII, en effet, dès l’année 1484, vou­lut bien auto­ri­ser les Frères de l’Ordre des Prêcheurs, dans les villes de Cologne et de Ratisbonne, à éri­ger des autels et célé­brer une fête litur­gique en l’honneur du bien­heu­reux Albert ; or, une pareille conces­sion équi­vaut à une véri­table béatification.

Ce pri­vi­lège, Grégoire XV dai­gna l’étendre au Chapitre de la cathé­drale et au cler­gé de Ratisbonne, en 1622, par une décla­ra­tion de vive voix.

En 1631, Urbain VIII per­mit à la ville de Lauingen de célé­brer la fête litur­gique du bien­heu­reux Albert, et, peu après, en 1635, à la prière de l’empereur des Romains, il éten­dit cette fête aux Frères Prêcheurs de toute l’Allemagne.

Alexandre VII, en 1664, accor­da la même faveur aux Frères du même Ordre vivant en Vénétie.

Clément X, enfin, vou­lut bien per­mettre, en 1670, que dans tout l’Ordre des Prêcheurs la fête du bien­heu­reux Albert le Grand, avec office et messe solen­nelle, fût doré­na­vant célé­brée chaque année.

De plus, en 1856, Pie IX auto­ri­sa tout l’archidiocèse de Cologne à célé­brer celle fête sous le rite semi-​double, que, dans la suite, en 1870, il éle­va au rite double. Trois ans après, le même Pontife per­mit aux prêtres célé­brant dans l’église Sainte-​Elisabeth, qui se trou­vait autre­fois près de la Chancellerie apos­to­lique et qui était le siège de l’Association des hommes catho­liques de nation alle­mande rési­dant à Rome, de célé­brer la messe du bien­heu­reux Albert le Grand.

En ces tout der­niers temps, d’autres dio­cèses de l’Allemagne, tels ceux de Munich-​Freising, de Fribourg, de Ratisbonne, d’Augsbourg, de Wurtzbourg, de Rottenbourg, et, en France, l’archidiocèse de Paris furent auto­ri­sés à célé­brer la fête litur­gique. N’oublions pas non plus de dire qu’une indul­gence plé­nière au jour de cette fête a été gra­cieu­se­ment accor­dée par Nos pré­dé­ces­seurs en dif­fé­rents lieux, et notam­ment dans la ville même de Rome ; citons encore une église de Riga dédiée à saint Albert, ain­si que l’indulgence plé­nière à per­pé­tui­té à gagner par les visi­teurs de cette église d’après la bien­veillante conces­sion de Léon XIII.

On ne sau­rait donc être sur­pris de ce que la sain­te­té et la doc­trine si émi­nentes d’Albert le Grand aient déjà fait deman­der pour lui au

Siège Apostolique les hon­neurs de la cano­ni­sa­tion et le litre de Docteur de l’Eglise.

On y avait sur­tout son­gé après la trans­la­tion solen­nelle de sa sainte dépouille, en 1483.

Ces vœux se renou­ve­lèrent, encore plus ardents, au début du xviie siècle et furent l’occasion de démarches ins­tantes ; mais de cala­mi­teuses guerres, la dif­fi­cul­té de cor­res­pondre avec la Curie romaine empê­chèrent ces vœux et ces efforts d’aboutir.

Pressés mal­gré tout de réa­li­ser un pieux et sécu­laire désir, les évêques d’Allemagne, à l’époque du Concile du Vatican, deman­dèrent ins­tam­ment à ce Siège Apostolique que la cause du bien­heu­reux Albert fût reprise ; mais, en rai­son des troubles bien connus qui assaillirent l’Eglise soit en Italie, soit en Allemagne, il fut impos­sible de satis­faire cette demande.

De nos jours, des car­di­naux de la Sainte Église Romaine, des patriarches, de nom­breux arche­vêques, évêques et pré­lats vivant en tous les points du globe, de même que des abbés ou des chefs d’Instituts reli­gieux, et sur­tout des Universités, des Facultés, des Séminaires, des Collèges, des Sociétés savantes, des hommes ou des femmes appar­te­nant à l’Allemagne catho­lique et se dis­tin­guant par leur noblesse, par leur science ou par leurs situa­tions poli­tiques, Nous ont adres­sé de solen­nelles et ins­tantes sup­pli­ca­tions pour que Nous hono­rions le bien­heu­reux Albert le Grand de l’auréole des saints et le déco­rions du titre de Docteur de l’Eglise.

La demande, il est vrai, s’accordait avec Nos propres vœux. Nous avons donc jugé bon de l’étudier atten­ti­ve­ment, d’autant plus que la glo­ri­fi­ca­tion d’Albert le Grand semble de nos jours extrê­me­ment oppor­tune, afin d’amener les âmes à se sou­mettre mieux que jamais au joug si doux du Christ.

Albert le Grand compte, en effet, par­mi ces saints dont notre époque, ardem­ment éprise de paix et se pro­met­tant des mer­veilles avec les inven­tions de la science, peut étu­dier les exemples avec le plus grand profit.

De nos jours, tous les peuples sou­haitent vive­ment la paix ; mais, sur les meilleures voies et moyens de l’obtenir, ils ont grand’peine à s’entendre. Bien plus, ces fon­de­ments d’une véri­table paix, la jus­tice et la cha­ri­té, en fait ils les négligent. Qu’ils tournent donc leurs yeux avec confiance vers saint Albert le Grand. C’est de tout son cœur, en effet, qu’il s’attachait au Dieu infi­ni­ment glo­rieux qui assu­ré­ment est le Dieu non pas du désordre, mais de la paix (1 Co 14, 33), de cette même paix qui, sur­pas­sant toute intel­li­gence, gar­de­ra les cœurs et les pen­sées des fidèles (Phm 4, 7). Cet Albert, qui durant sa vie col­la­bo­ra avec autant d’énergie que de suc­cès à rame­ner la paix entre les États et les princes, entre les peuples et les indi­vi­dus, nous appa­raît comme le type véri­table de l’arbitre de la paix ; car il pos­sé­dait à un haut degré le don de la conci­lia­tion grâce à l’autorité que lui valaient sa renom­mée doc­tri­nale et sa répu­ta­tion de sain­te­té ; le tout s’alliait enfin chez lui à une grande digni­té per­son­nelle que rele­vait encore, en l’ennoblissant, le carac­tère sacré du sacerdoce.

Bref, il reflé­tait dans tout son être la vivante image du Christ Sauveur, le Prince de la Paix, ain­si que le saluent les Lettres Sacrées.

La science elle-​même est la meilleure des voies qui conduisent à une paix stable quand elle se sou­met aus­si bien à la droite rai­son qu’à la foi sur­na­tu­relle. Et cette sujé­tion paraît abso­lu­ment néces­saire à la noblesse, à la soli­di­té, à la véri­té de la science.

Or, com­bien de fois, sur­tout à notre époque, ce genre de sujé­tion est oublié ou dédai­gné dans les recherches scientifiques !

Les preuves n’en sont que trop nombreuses.

Bien plus, c’est contre la foi et la saine rai­son que se dresse la science elle-​même ; aban­don­nant Dieu, le maître de toute science, confiante en ses seules forces, elle tombe infailli­ble­ment dans ce maté­ria­lisme qu’on ne sau­rait trop déplo­rer et qui, per­sonne ne l’ignore, entraîne la ruine des mœurs et d’innombrables maux sur le ter­rain éco­no­mique ; de là viennent, chez presque tous les peuples, en même temps que la cor­rup­tion, des souf­frances aiguës.

Dans Albert le Grand, bien au contraire, les clar­tés des sciences tant humaines que divines se fondent dans une admi­rable union et le nimbent d’une radieuse auréole.

Par son exemple magni­fique, il nous aver­tit qu’entre la science et la foi, entre la véri­té et le bien, entre les dogmes et la sain­te­té, il n’existe aucune espèce d’opposition, bien plus, qu’il existe entre eux une intime cohésion.

Telle que la voix de saint Jérôme dans son désert, la voix puis­sante d’Albert le Grand se fait entendre en ses œuvres admi­rables ; elle nous crie de toutes ses forces, elle nous démontre sur­abon­dam­ment que la science véri­table ain­si que la foi et une vie réglée sur la foi se peuvent conci­lier dans l’esprit des hommes, qu’elles y sont même obli­gées, car la foi sur­na­tu­relle est tout à la fois le com­plé­ment et le terme le plus par­fait de la science.

Car il est faux, comme les athées le répètent encore de nos jours, que la dis­ci­pline chré­tienne et la recherche de la per­fec­tion chré­tienne énervent ou brisent le génie per­son­nel, la vigueur de la volon­té, l’activité poli­tique, la noblesse de l’esprit humain ; il est, au contraire, bien démon­tré que la grâce est le moyen qui par­fait la nature, la déve­loppe, la relève et lui donne son admi­rable noblesse.

Tout ceci mûre­ment consi­dé­ré, afin qu’Albert le Grand soit dûment, légi­ti­me­ment et tou­jours mieux hono­ré du titre de saint par tous les chré­tiens, que, sem­blable au flam­beau posé sur le can­dé­labre, il répande sur l’Eglise uni­ver­selle une lumière tou­jours plus vive, et qu’ainsi Nous ajou­tions à sa gloire ce qui parais­sait lui man­quer encore, Nous avons pen­sé devoir enfin satis­faire Notre propre désir, chaque jour plus vif, en le cano­ni­sant par équipollence.

Comme notre époque Nous sem­blait suf­fi­sam­ment mûre pour ce grand évé­ne­ment et comme, en l’espèce, toutes les condi­tions requises, depuis les temps les plus recu­lés, par les usages et les lois de l’Eglise en pareille cir­cons­tance se trouvent exis­ter, Nous avons déci­dé d’adopter la règle spé­ciale et la voie que plu­sieurs de Nos pré­dé­ces­seurs ont par­fois jugé bon de suivre pour la cano­ni­sa­tion d’autres ser­vi­teurs de Dieu.

Nous avons donc confié la solu­tion de toute cette pro­cé­dure à la Sacrée Congrégation des Rites. En consé­quence de quoi Nos chers Fils car­di­naux de la Sainte Église Romaine, membres de cette Congrégation, en leur assem­blée ordi­naire du 15 de ce mois de décembre, ouï le rap­port de Notre cher Fils François, car­di­nal Ehrle, ponent de la cause, après étude de l’enquête offi­cielle entre­prise par la Section his­to­rique au sujet de la sain­te­té de vie du bien­heu­reux Albert et de la légi­ti­mi­té du culte qui lui était ren­du, après lec­ture des conclu­sions écrites remises d’office par deux hommes doctes spé­cia­le­ment ver­sés dans les œuvres du même Bienheureux, ouï éga­le­ment le votum des Consulteurs de cette même Sacrée Congrégation des Rites, toutes condi­tions ayant été atten­ti­ve­ment scru­tées et mûre­ment dis­cu­tées, ont jugé, à l’unanimité de tous les membres pré­sents, que Nous pou­vions déci­der la conces­sion de cette faveur.

Le jour sui­vant, c’est-à-dire aujourd’hui, ayant atten­ti­ve­ment écou­té le rap­port qui nous était pré­sen­té sur cette déli­bé­ra­tion par Notre cher Fils Salvator Natucci, pro­mo­teur géné­ral de la Foi, ayant tout approu­vé, Nous avons pen­sé devoir accueillir très favo­ra­ble­ment le votum de la Sacrée Congrégation.

Par consé­quent, de Notre sou­ve­raine auto­ri­té apos­to­lique, Nous ordon­nons que la fête de saint Albert le Grand, avec l’office et la messe de Confesseur Pontife, le titre de Docteur y étant joint, soit célé­brée chaque année dans l’Eglise uni­ver­selle sui­vant le rite double mineur, au jour de sa mort, c’est-à-dire le quin­zième jour du mois de novembre.

Rendons main­te­nant de très nom­breuses actions de grâces à l’infinie Bonté de Dieu qui, dans un admi­rable des­sein de sa Providence et se ser­vant de Notre humble per­sonne, a dai­gné par­faire la gloire d’Albert le Grand aux yeux de l’Eglise mili­tante en le mon­trant, sur­tout à notre époque, comme « un lumi­neux flam­beau éclai­rant le corps de l’Eglise entière et, à l’instar de l’étoile du matin, l’illustrant par la fécon­di­té » [1] ; car, à vrai dire, il tra­vailla, non pour lui seul, mais pour tous ceux qui cherchent la sagesse (Si 24, 47).

Que saint Albert soit donc notre inter­ces­seur, lui qui, recher­chant la sagesse et la ver­tu dès ses jeunes années, por­tant joyeu­se­ment le joug du Seigneur, à l’exemple de l’apôtre saint Paul, n’eut pas de but plus saint que d’assujettir toute sa pen­sée à l’obéissance du Christ (2 Co 10, 5).

Toutes cir­cons­tances étant donc bien pesées, de science cer­taine, dans la plé­ni­tude de Notre auto­ri­té apos­to­lique, Nous affir­mons et confir­mons tout et chaque point expo­sé ci-​dessus. Nous décré­tons en outre et ordon­nons, pro­mul­guant cet ordre pour l’Eglise catho­lique tout entière, qu’aux copies ou exem­plaires des Lettres pré­sentes, de même qu’à leurs repro­duc­tions impri­mées, signées pour­tant de la main d’un des notaires apos­to­liques et munies de Notre sceau, on attri­bue abso­lu­ment la même foi qu’à Nos Lettres ori­gi­nales, si elles étaient pré­sen­tées ou mon­trées. Que si quelqu’un se per­met d’enfreindre les décla­ra­tions, décret, pres­crip­tion et volon­té for­mu­lés dans ces pré­sentes Lettres ou se montre assez témé­raire pour y contre­dire ou pour les alté­rer, qu’il se sache encou­rir la colère de Dieu tout-​puissant et des bien­heu­reux Apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome, auprès de Saint-​Pierre, en l’année du Seigneur mil neuf cent trente et un, le sei­zième jour du mois de décembre, en la dixième année de Notre Pontificat.

Moi, Pie, évêque de l’Eglise catholique.

Fr. André Fruhwirth, Chancelier de la S. E. R,

Vincent Bianchi-​Cagliesi, Régent de la Chancellerie Apost.

Camille card. Laurenti, pré­fet de la S. C. R.

Joseph Wolpert, Doyen du Collège des prot. ap Alphonse Carinci, prot. ap.

Chan. Alfred Liberati, employé à la Chancellerie Apost. Georges Stara-​Tedde, employé à la Chancellerie Apost.

EXPEDIEES le trente du mois de décembre de l’année dixième. Alfred Marini, plom­beur.

Enreg. à la Chanc. Ap., vol. XIX, n. 3. – M. Riggi.

Source : Actes de S. S. Pie X, t. 7, p. 252, La Bonne Presse

Notes de bas de page
  1. Dominicain ano­nyme du XIXe siècle[]
12 novembre 1923
À l’occasion du IIIe centenaire de la mort de saint Josaphat, martyr, archevêque de Polotsk, pour le rite oriental.
  • Pie XI