Saint Robert Bellarmin (1542–1621), cardinal, fut béatifié par le même Pie XI en 1923, puis canonisé en 1930. Pie XI le proclame enfin Docteur de l’Église par la présente lettre apostolique en 1931.
PIE XI, PAPE
Pour perpétuelle mémoire.
Depuis les origines de l’Eglise jusqu’à nos jours, jamais la divine Providence n’a cessé de susciter des hommes très illustres par la science et la sainteté, par qui les vérités de la foi catholique ont été conservées et interprétées, par qui ont été écartées les attaques dont les hérétiques menaçaient ces mêmes vérités.
Parmi eux, assurément, il faut ranger saint Robert Bellarmin, cardinal de l’Eglise Romaine, de la Compagnie de Jésus, qui, au lendemain de sa très sainte mort, était proclamé « homme supérieur, théologien insigne, défenseur acharné de la foi catholique, marteau des hérétiques », et en même temps « aussi pieux, sage et prudent que bon et libéral envers les pauvres ». Il ne faut donc point s’étonner que ce saint homme ait été de nos jours, et non sans un dessein particulier de la divine Providence, appelé à l’honneur des autels. Par Nos Lettres apostoliques données sous l’anneau du Pêcheur le 13 mai 1923, Nous avons, en effet, élevé Robert Bellarmin au rang des bienheureux. Ensuite, à l’occasion de Notre cinquantième anniversaire sacerdotal, en la sainte et patriarcale Basilique Vaticane, Nous avons, l’an passé, en la fête des saints apôtres Pierre et Paul, inscrit le bienheureux Robert au catalogue des saints en même temps que les bienheureux martyrs de la Compagnie de Jésus tués en haine de la foi dans les régions de l’Amérique septentrionale et que le bienheureux Théophile a Carte, de l’Ordre des Frères Mineurs ; et cela, certes, à bon droit, car saint Robert Bellarmin est une des gloires les plus pures et de l’épiscopat catholique et du Collège des cardinaux, et enfin de l’illustre Compagnie de Jésus, qui a donné un tel homme à l’Eglise, après l’avoir formé avec le plus grand soin.
Car, étant entré dans cette féconde Compagnie, saint Robert réunit si bien en sa personne les vertus du vrai compagnon de Jésus qu’il était à la fois l’ornement et l’honneur de ses frères en religion, et leur modèle et leur stimulant dans les voies de la perfection. Dans ce même Ordre religieux il franchit presque tous les degrés et s’acquitta de presque toutes les fonctions : il fut élève au collège de Montepulciano, ensuite novice de la Compagnie, scolastique, religieux, régent, prédicateur, professeur, directeur spirituel, recteur et provincial ; et dans toutes ces fonctions, comme dans la direction des affaires ecclésiastiques qui lui furent confiées, il fut toujours cité en exemple ; de sorte qu’il se montrait vraiment supérieur dans tous les domaines, si grandes étaient l’intégrité, la pénétration, la sainteté de vie et la connaissance parfaite de ses devoirs d’état, dont il fit preuve comme étudiant, comme écrivain, comme théologien et consulteur des Congrégations romaines, comme légal pontifical, comme évêque, et enfin comme cardinal de la sainte Eglise Romaine. De son vivant, déjà, Notre prédécesseur le Pape Clément VIII, qui, malgré ses vives, mais vaines oppositions, voulut l’élever aux honneurs de la pourpre romaine, lui décerne les plus grands éloges : à cette époque, dit-il, « l’Eglise ne possédait pas son pareil quant au savoir ».
Toute sa vie et jusque dans sa vieillesse, saint Robert produisit des œuvres abondantes, fruits de sa science remarquable. Encore jeune homme, il prépara sa Méthode de langue hébraïque et rédigea avec grande érudition son livre Des Ecrivains ecclésiastiques, qui ne fut édité que plus tard. Dans la suite, et pendant toute sa carrière, il s’adonna tout entier à l’étude de l’Ecriture Sainte ; et, appelé par les Souverains Pontifes à préparer une édition nouvelle des Septante et de la Vulgate latine, il consacra à cette entreprise des soins plus diligents encore. Il a traité jusqu’à sa mort toutes les parties du saint magistère, charge dont il s’est de plus surabondamment acquitté dans sa volumineuse correspondance privée, qui, répandue dans le monde entier, subsiste jusqu’à nos jours. Il prêta ses services aux Congrégations apostoliques avec un zèle infatigable, et dans le maniement des affaires les plus graves — y compris celles de l’Eglise orientale — il donna des preuves éclatantes de sagesse et de prudence, comme en font foi les documents inédits conservés aux archives des Congrégations. Ces vota — comme on les appelle — ont rapport aux traités sur la foi, sur les rites sacrés, sur l’interprétation de l’Ecriture, et à d’autres semblables controverses dont saint Robert s’occupa toujours avec grande assiduité.
C’est une œuvre à coup sûr remarquable et difficile que les Disputationes de controversiis christianae Fidei adversus haereticos. Comprenant trois, puis quatre volumes, elles furent éditées pour la première fois, sur l’ordre même du Général de la Compagnie de Jésus, depuis 1586 jusqu’en 1593. Préparée en quelque sorte par le travail quotidien du Saint, comme étudiant et comme professeur — car il avait auparavant, dès l’année 1570, commenté pendant six ans la Somme de saint Thomas au collège de la Compagnie de Jésus, à Louvain, devant un nombreux auditoire d’universitaires,— cette œuvre fut élaborée d’une manière plus directe encore depuis l’année 1576 : car lorsqu’une « chaire de controverses » eut été installée au Collège romain, ses supérieurs lui imposèrent l’enseignement de la théologie dans la Ville Eternelle, pour défendre les dogmes catholiques contre les erreurs qui envahissaient alors les nations de l’Europe. Par cette œuvre remarquable, Bellarmin réfuta d’une manière décisive les attaques récentes lancées par les centuriateurs de Magdebourg. Leurs Centuries [1], en effet, ne visaient à rien moins qu’à renverser l’autorité de l’Eglise romaine par un usage spécieux de preuves historiques et de témoignages des Pères de l’Eglise et des auteurs anciens.
Aussi saint Robert, sagement conscient des nécessités de son époque, s’était-il proposé de suivre consciencieusement la règle de saint Ignace : « Faire le plus grand cas de la doctrine sacrée, aussi bien de la théologie positive que de la théologie scolastique. » Ce précepte de son saint Père Ignace, Bellarmin l’observa continuellement, et surtout dans ses controverses sur la foi avec les hérétiques ; à tel point que, surtout sur le terrain de la controverse, il doit être regardé comme un maître et cité à tous comme exemple pour la manière harmonieuse dont il sut allier la théologie positive et la théologie scolastique. Dans la réalisation de son œuvre, Bellarmin fut sans doute servi par des dons et des talents merveilleux. Dès son adolescence, on admirait chez lui la pénétration de son intelligence, une ardeur extraordinaire à l’étude, une promptitude d’esprit et une mémoire si prodigieuse qu’il saisissait parfaitement et retenait sans plus l’oublier ce qu’il avait entendu ou lu, ne fût-ce qu’une seule fois. De plus, la nature lui avait donné une parole facile et claire, un style d’une netteté et d’une simplicité remarquables, exempt de tous les ornements inutiles et des apprêts littéraires propres à son époque. Ceci n’empêche pas d’ailleurs qu’il n’ait reçu une éducation littéraire fort relevée et que, pendant son adolescence, il n’ait été initié aux secrets de la musique, de la poésie et de toute la culture humaniste. Enfin, la souplesse de son esprit était aussi apte à la haute spéculation scolastique qu’aux recherches historiques et philologiques, si nécessaires à cette époque, où les réformateurs prétendaient audacieusement trouver leurs arguments principaux dans le domaine de la théologie positive. Il ne faut donc point s’étonner si, à Rome, l’enseignement, à l’Université Grégorienne, des Disputationes de controverses Christianae Fidei [2] dépassa de loin les grandes espérances que cette œuvre avait fait naître ; imprimées et éditées à plusieurs reprises, les Controverses étaient attendues et réclamées sans cesse par tous ; aussi de nombreux théologiens catholiques considérèrent leur auteur, non seulement de son vivant, mais encore de nos jours, comme le « Maître des Controverses ».
Mais en dehors de ces célèbres Disputationes qui comprennent pour ainsi dire la matière énorme de toute la théologie, les ramenant à l’explication et à la démonstration du neuvième et du dixième article du Credo : Unam Sanctam Ecclesiam, Sanctorum Communionem, remissionem peccatorum, Bellarmin écrivit encore de nombreux ouvrages, d’ampleur diverse, selon les circonstances, et entreprit des travaux sans nombre pour la propagation de la foi et la défense des droits de l’Eglise. Ce n’est pas le moindre des mérites de saint Robert d’avoir toujours victorieusement revendiqué et savamment défendu contre les attaques des adversaires les droits et privilèges divins confiés au Souverain Pontife, même ceux que tous les fils de la Sainte Eglise ne lui reconnaissaient pas encore à cette époque, comme l’infaillibilité de son enseignement ex cathedra. Et de nos jours Bellarmin apparaît comme le défenseur de l’autorité du Pontife romain, comme le prouve le recours constant des Pères du Concile du Vatican à ses écrits et à ses avis.
Nous ne pouvons non plus passer sous silence ses prédications, ses œuvres de catéchèse, et principalement son célèbre Catéchisme, consacré par l’usage universel et par l’approbation de plusieurs évêques et Docteurs de l’Eglise. Dans ce Catéchisme, composé sur l’ordre de Clément VIII, le saint et illustre théologien expose avec ordre et exactitude la vérité catholique au peuple chrétien, et surtout aux enfants, en un style clair, simple et précis ; c’est lui qui, dans beaucoup de régions de l’Europe et du monde entier, leur apporta pendant près de trois siècles la nourriture de la doctrine chrétienne. Dans son livre sur l’explication des Psaumes, Bellarmin joignit la science à la piété ; et enfin, par ses écrits ascétiques, renommés partout, il s’est fait, de toute évidence, le guide très sûr de beaucoup de fidèles vers les sommets de la perfection chrétienne.
En effet, dans l’Admonition à l’évêque de Teano, son neveu, il enseigna les préceptes de la vie apostolique et ecclésiastique ; dans ses Exhortations domestiques, il exhorta ses frères en religion à la conquête de toutes les vertus ; par ses conseils aux princes chrétiens sur La manière de bien gouverner, il leur exposa tous les devoirs de leurs fonctions ; et enfin, il excita la piété et la dévotion de tous les fidèles par de petits, mais substantiels opuscules, tirés de l’Ecriture Sainte, de la théologie des saints Pères, de l’Histoire de l’Eglise et de la vie des saints ; à coup sûr, il est facile de constater que saint Robert a exercé le magistère ascétique avec un zèle ingénieux et efficace.
L’énumération de toutes ses œuvres remarquables montre certes à l’évidence que, parmi les différentes disciplines ecclésiastiques, il n’est aucun genre qu’il n’ait cultivé avec fruit. Comme une lampe ardente posée sur le chandelier afin d’éclairer tous les habitants de la maison, il a éclairé les catholiques et tous ceux qui s’égaraient loin de l’unité de l’Eglise ; comme une étoile dans le firmament, par les rayons de sa science aussi vaste que profonde et par l’éclatante splendeur de ses talents, il a apporté à tous les hommes de bonne volonté la vérité, qu’il a toujours servie par-dessus tout. Premier apologiste de son époque et même des temps qui ont suivi, il a attiré, par sa vigoureuse défense du dogme catholique, l’attention et l’admiration de tous les vrais serviteurs de l’Eglise du Christ.
Telle fut l’autorité dont jusqu’à nos jours Bellarmin a joui auprès des hommes les plus illustres et surtout des auteurs ecclésiastiques, que déjà il était regardé par eux et respectueusement invoqué comme Docteur de l’Eglise. Qu’il nous suffise de citer ici les noms de saints tels que saint Pierre Canisius, saint François de Sales, saint Alphonse de Liguori, qui, joignant un savoir éminent à une sainteté héroïque, ont déjà été déclarés Docteurs de l’Eglise universelle. Plusieurs autres saints, bienheureux, vénérables et serviteurs de Dieu, nous ont laissé des preuves évidentes de la haute estime en laquelle ils tenaient l’enseignement et la science de Bellarmin.
Rien d’étonnant dès lors que beaucoup, aujourd’hui, aient désiré si ardemment voir proclamer saint Robert Docteur de l’Eglise universelle ; non seulement ceux qui vivent selon une même règle dans cette Compagnie de Jésus, qui partout et toujours a si amplement mérité de la religion catholique, mais même les hommes les plus en vue à tous les degrés de la hiérarchie ecclésiastique. Car tels sont bien les vœux dos cardinaux de la sainte Eglise Romaine, de presque tous les archevêques et évêques répandus dans le monde entier, des supérieurs d’Ordres religieux, des recteurs d’Universités catholiques, et enfin d’un grand nombre d’hommes influents.
Pour ces motifs, il Nous a paru très opportun de saisir d’une affaire si importante, pour avis et étude approfondie, la Sacrée Congrégation des Rites. Celle-ci, par mandat de Notre part, désigna d’office pour examiner la question LL. EEm. NN. SS. Alexis-Henri Lépicier, cardinal de la sainte Eglise Romaine, sous le titre de Sainte-Suzanne, et François Ehrle, cardinal de la sainte Eglise Romaine, diacre de Saint-Césaire au Palais. Leurs suffrages, émis et recueillis séparément, ayant été imprimés, il ne s’agissait plus que de pressentir les cardinaux préposés à la Sacrée Congrégation des Rites, en leur demandant s’ils étaient d’avis que toutes les conditions et qualités requises pour être déclaré Docteur de l’Eglise universelle se trouvaient réunies en saint Robert Bellarmin.
Dans la réunion ordinaire tenue le 4 août passé, au Palais du Vatican, après rapport donné par Notre bien-aimé fils, rapporteur de la Cause, Gaétan Bisleti, cardinal de la sainte Eglise Romaine, sous le titre de Sainte-Agathe des Goths, les cardinaux de la sainte Eglise Romaine préposés à la Sacrée Congrégation des Rites rendirent à l’unanimité une sentence affirmative. En conséquence, après avoir entendu encore le 6 août de cette même année Notre très cher fils, promoteur général de la foi, en présence de témoignages aussi nombreux et imposants, accédant librement et avec joie à une telle affluence de requêtes, par la teneur des présentes lettres, de science certaine et après mûre délibération, dans la plénitude de l’autorité apostolique, Nous constituons et déclarons le saint évêque et confesseur Robert Bellarmin Docteur de l’Eglise universelle, et Nous décrétons en outre que la célébration de la messe et récitation de l’office sous le rite double mineur, fixées en la fête du Saint, le 13 mai de chaque année, soient étendues dorénavant par Notre propre autorité à l’Eglise tout entière. Nonobstant toutes constitutions et ordonnances apostoliques ou autres dispositions contraires, Nous décidons que les Présentes Lettres soient et demeurent toujours fermes, valides et efficaces ; qu’elles aient et gardent leurs effets pleins et entiers. Nous voulons qu’on en juge et en décide ainsi. Dès maintenant, toute atteinte portée à ces Lettres, sciemment ou par ignorance, par qui que ce soit, de quelque autorité qu’il puisse se prévaloir, est déclarée vaine et mille.
Donné à Rome, près Saint-Pierre, sous l’anneau du Pêcheur, le 17 septembre de l’année 1931, de Notre Pontificat la dixième.
E. card. Pacelli, Secrétaire d’Etat.
Source : Acte de S. S. Pie XI, tome VII, p. 226, La Bonne Presse
- Note de LPL : Le Centuries de Magdebourg est un ouvrage écrit par les protestants d’alors pour tenter une justification de leurs opinions hérétiques[↩]
- Note de LPL : ouvrage de Bellarmin sur la base de ses cours, que les protestants eux même virent comme la « meilleure défense du pouvoir papal ».[↩]