Pie XI

259ᵉ pape ; de 1922 à 1939

19 mai 1935

Lettres décrétales Sævis agitata

Décernant aux bienheureux Jean Fisher, évêque de Rochester, et Thomas More, martyrs, les honneurs réservés aux Saints.

Pie, évêque

Serviteur des ser­vi­teurs de Dieu

Pour per­pé­tuelle mémoire.

Secouée par les flots en furie, la barque de Pierre, qui figure l’Eglise, ne peut être ébran­lée par la crainte ni bri­sée par aucune tem­pête : car c’est Notre-​Seigneur Jésus-​Christ lui-​même qui, par son Vicaire sur la terre, la gou­verne et la conduit saine et sauve au port, encore que par­fois le Christ, aux yeux des dis­ciples de peu de foi, paraisse som­meiller. En véri­té, en aucune autre époque peut-​être ne s’éleva contre l’Eglise catho­lique du Christ une tem­pête com­pa­rable à celle qui au xvie siècle sévit furieu­se­ment contre elle. On vit alors l’Angleterre, jusque-​là très atta­chée au Siège apos­to­lique, elle qu’on avait appe­lée à très juste titre le douaire de Marie et le patri­moine de saint Pierre, trou­bler à son tour cette admi­rable uni­té de doc­trine et de gou­ver­ne­ment de l’Eglise catho­lique, uni­té qui est en réa­li­té la preuve visible la plus grande de notre foi. Cependant, même dans ce schisme si grave, Notre- Seigneur Jésus-​Christ ne per­mit pas ce déchi­re­ment de sa tunique sans cou­ture sans don­ner à son Epouse imma­cu­lée l’espoir cer­tain d’une res­tau­ra­tion glo­rieuse. De fait, à cette époque, en très grand nombre, des hommes et des femmes pleins de cou­rage n’hésitèrent pas à s’exposer à la mort, à ver­ser leur sang pour défendre éner­giquement la foi catho­lique ain­si que la pri­mau­té supé­rieure de l’Eglise Romaine avec laquelle, à cause de sa haute pré­émi­nence, doit être d’accord toute. Eglise, comme l’affirme saint Irénée.

Parmi ces mar­tyrs il faut mettre au pre­mier, rang deux fils très illustres de la nation anglaise qui Nous est si chère : ils furent l’honneur et la gloire l’un des ministres sacrés, l’autre des laïcs Jean Fisher, car­di­nal de la Sainte Eglise Romaine et évêque de Rochester, puis Thomas More, grand chan­ce­lier d’Angleterre, brillent comme deux astres dans le ciel de l’histoire anglaise, pro­clament sans arrêt les véri­tables gloires ances­trales de la patrie, prient Dieu main­te­nant et ins­tam­ment pour le retour si dési­ré des fidèles éga­rés à l’unité de la foi et à la mai­son du Père. Précisément dans son infi­nie bon­té Dieu Nous a accor­dé de décer­ner en ce jour, à ces bien­heu­reux mar­tyrs, en ver­tu de la charge apos­to­lique que Nous exer­çons, les hon­neurs suprêmes réser­vés aux saints et de les pro­po­ser aux chré­tiens comme des modèles de pié­té, de force et d’amour envers ce Siège apos­to­lique. Tressaillant d’une immense joie, avec l’Eglise uni­ver­selle et la très noble nation anglaise, volon­tiers Nous vou­lons consa­crer à per­pé­tui­té, par Nos pré­sentes Lettres décré­tales, la mémoire de ces martyrs.

En consé­quence, Nous par­le­rons briè­ve­ment, selon la Coutume, de la vie de ces deux ath­lètes du Christ, de leur mar­tyre glo­rieux, ain­si que de tous les actes qui, confor­mé­ment au droit, ont pré­cédé leur pré­sente canonisation.

C’est à Beverly, en Angleterre, en l’an 1469, que naquit Jean Fisher, de Robert et Agnès, mar­chands assez riches. A peine âgé de 7 ans, il per­dit son père ; il reçut avec doci­li­té l’éducation et tes soins que lui don­nèrent sa mère et son beau-​père. Il eut pour pre­mier ins­ti­tu­teur un prêtre, et déjà il l’emportait sur les enfants de son âge par son intel­li­gence et par son appli­ca­tion au tra­vail. Il fré­quen­ta ensuite l’Université de Cambridge, s’adonnant avec suc­cès à l’étude des let­trés, de la dia­lec­tique, de la phi­lo­so­phie et de tous les arts libé­raux. En 1487 il conquiert le grade de bache­lier ès, arts et trois ans après celui de maître ès arts : en cette année 1491, il est, par le choix aca­dé­mique, l’un des deux duum­virs ou procu­reurs de son col­lège. Ordonné prêtre, il se livra avec tant d’application et de réus­site aux études théo­lo­giques, qu’il fut consi­dé­ré comme le pre­mier de toute l’Université de Cambridge : le 5 juillet 1501, il reçut le titre de doc­teur et maître.

Remarquable par la science et la ver­tu, il rem­plit les fonc­tions de rec­teur du col­lège de Michael Housc, meu­blant l’esprit de ses élèves, avec une habi­le­té consom­mée, non seule­ment de connais­sances scien­ti­fiques, mais de règles de vie chré­tienne. Professeur ensuite à l’Université de Cambridge dont il devint vice-​chancelier par les suf­frages una­nimes de ses col­lègues, il exer­ça, jusqu’en 1503, cette charge avec le plus grand soin, recueillant l’approba­tion recon­nais­sante et publique de tous.

Cependant le renom de pié­té et de science de Jean Fisher s’était répan­du de tous les côtés, même en dehors des milieux universi­taires. Aussi la reine Marguerite, mère du roi Henri VII, le choisit-​elle pour être son direc­teur spi­ri­tuel et celui de sa famille. C’est pour­quoi Jean renon­ça aux diverses charges ou emplois qu’il rem­plissait à l’Université. Plusieurs années durant, il se consa­cra tout entier aux exer­cices et aux devoirs de la pié­té, et sur­tout aux obli­ga­tions de sa charge, sans doute hono­rable, mais éga­le­ment très lourde : la famille royale en reti­ra les fruits les plus abon­dants. Le roi Henri VII, après avoir don­né à ce prêtre si ver­tueux de fré­quentes marques d’estime, le fit entrer dans le Conseil royal. A cette époque, comme l’étude des sciences sacrées parais­sait se refroi­dir en Angleterre, Jean sug­gé­ra à la reine-​mère, en vue de don­ner, aus­si aux laïcs une sérieuse ins­truc­tion reli­gieuse, la fon­da­tion dans la ville de Cambridge de deux magni­fiques col­lèges, dédiés l’un au Christ-​Sauveur (Christ’s College), l’autre à saint Jean l’Evangéliste (St-John’s College). Lui-​même fon­da deux chaires de théo­lo­gie, l’une à Cambridge, l’autre à Oxford, ain­si que plu­sieurs chaires de langue grecque et de langue latine. Il res­tau­ra l’Université de Cambridge ; après s’y être vu confé­rer chaque année, à par­tir de 1504, les fon­dions de chance­lier, il reçut, dix ans plus tard, le titre de chan­ce­lier à vie.

Très éru­dit dans les sciences humaines, et divines, remar­quable par ses émi­nentes ver­tus, brû­lant de zèle pour le salut des âmes, plein d’ardeur pour prê­cher la parole divine, par­ti­cu­liè­re­ment cher à tous les évêques d’Angleterre, Jean Fisher fut nom­mé par le roi Henri VII, en 1504, évêque de Rochester et confir­mé dans cette nomi­na­tion par des Lettres apos­to­liques de Jules II, Notre prédécesseur.

En rem­plis­sant avec la pru­dence et la vigi­lance les plus grandes la charge pas­to­rale, le nou­vel évêque prit soin de pré­mu­nir le trou­peau qui lui était confié contre les erreurs luthé­riennes qu’on pro­pa­geait alors. Dans ce but, il visi­ta à plu­sieurs reprises cha­cune des paroisses de son dio­cèse, il accom­plit avec beau­coup d’attention les autres fonc­tions épis­co­pales, sur­tout il com­bat­tit avec vigueur, tant par ses dis­cours que par ses écrits, l’hérésie si per­ni­cieuse. Jusqu’à son extrême vieillesse, mal­gré son mau­vais état de san­té et son tem­pé­ra­ment peu robuste, il per­sé­vé­ra soi­gneusement dans cette façon de faire. Vaquant sans cesse au tra­vail ou à la prière, il châ­trait son corps par l’abstinence, le jeûne, le cilice, la dis­ci­pline et autres péni­tences. De quelle ardente cha­rité il était embra­sé à l’égard du pro­chain ! Sa bon­té envers les pauvres et les malades en témoigne : il les visi­tait sou­vent dans leurs chau­mières, leur dis­tri­buait des vivres et des aumônes, de sorte qu’on le consi­dé­rait à bon droit comme le méde­cin de ceux qui souf­fraient, le bâton des boi­teux, le défen­seur de la veuve, le tuteur de l’orphelin, l’hôte très accueillant des voya­geurs étrangers.

Très vif était l’amour dont son cœur brû­lait pour Dieu. Lors­qu’il célé­brait la messe, on vît sou­vent ses joues mouillées de larmes : tant dans ses prières que dans sa conver­sa­tion ordi­naire, il pro­non­çait avec sua­vi­té le nom de Jésus. Il lui était agréable de s’entretenir des saintes Lettres et des choses divines. Fréquemment il réflé­chis­sait et médi­tait sur la mort, et, dans la crainte que son esprit n’en per­dit le sou­ve­nir, il dési­rait avoir sous les yeux, tant à l’autel où il célé­brait que dans sa mai­son, une tête de mort, aimant à répé­ter que la pen­sée de la mort ne lui était jamais impor­tuna. Sa conver­sa­tion était affable, calme, modeste ; mais dans les choses qui inté­res­saient Dieu et l’Eglise, et qui à cette époque com­men­çaient à être gra­ve­ment mena­cées par cer­tains hommes, il se mon­trait, contrai­re­ment à son habi­tude, sévère, intré­pide et fort jusqu’à l’héroïsme.

Ce cou­rage et cette gran­deur d’âme appa­rurent très spé­cia­le­ment d’abord dans l’opposition à la nul­li­té de mariage que le roi Henri VIII, empor­té par un amour cou­pable et pas­sion­né pour Anne Boleyn, com­men­çait à invo­quer contre Catherine d’Aragon, son épouse légi­time, puis dans l’affirmation et la défense de la pri­mau­té de l’Eglise Romaine. En effet, alors que presque tous les grands du royaume, dès le début, se prê­taient aux volon­tés du roi, Jean Fisher, le pre­mier de tous, résis­ta aux des­seins iniques du monarque et aucun arti­fice ne put empê­cher le cou­ra­geux défen­seur des lois du mariage de sou­te­nir la juste cause de Catherine. Après que la reine eut été décla­rée contu­mace par une sen­tence judi­ciaire injuste, seul, Jean, non sans cou­rir un grand dan­ger pour sa vie, décla­ra avec intré­pi­di­té, le 28 juin 1529, en pré­sence des légats pon­ti­fi­caux et du roi, que, pour évi­ter la dam­na­tion de son âme et pour ne pas être infi­dèle au sou­ve­rain, et après avoir mûre­ment pesé tous les argu­ments, il était dans l’obligation d’affirmer et de démon­trer que le mariage d’Henri et de Catherine ne pou­vait être dis­sous par aucune puis­sance divine ou humaine. Il ajou­ta qu’un dis­ciple du Christ devait suivre les traces de Jean-​Baptiste le Précurseur, qui n’hésita pas à bra­ver la mort pour défendre les saintes lois du mariage. Ces paroles sou­le­vèrent la colère du roi, qui se voyait ain­si ouver­tement com­pa­ré à Hérode ; la réponse royale fût expri­mée en termes certes inju­rieux, mais dénués de toute valeur pro­bante. La haine du roi gran­dit encore lorsque l’évêque, plein de cou­rage, s’efforça en rai­son même de sa charge de s’opposer aux lois hos­tiles à la reli­gion catho­lique qui étaient peu à peu pro­mul­guées par le pou­voir royal.

Au mois d’octobre 1530, Henri VIII fit, pour la pre­mière fois, incar­cé­rer, avec deux autres évêques, l’évêque de Rochester qui avait reje­té comme injuste la loi « sur les béné­fices ecclésias­tiques » et à ce sujet en avait appe­lé au Souverain Pontife. Dans la suite, comme, dans une réunion du cler­gé d’Angleterre, le pré­lat avait été le seul à s’opposer fer­me­ment au vote véri­ta­ble­ment lâche de tous ses col­lègues en faveur des deux lois du divorce, il fut pour ce motif pla­cé sous la sur­veillance de l’évêque de Win­chester depuis le 5 avril 1533 jusqu’au 13 juin sui­vant, jour où ren­du à la liber­té il revint vers ses chers dio­cé­sains. Peu de temps après, il fut accu­sé de tra­hi­son et condam­né, étant absent, à la pri­son et à la confis­ca­tion de ses biens : la peine fut com­muée par le roi lui-​même en une amende en rai­son de la légè­re­té de l’accu­sation et l’évêque recou­vra sa liber­té. Cependant, dès ce moment, Anne Boleyn, qui, le 1er juin de la même année, avait ceint la cou­ronne royale, conti­nuait à nour­rir une haine des plus vives contre le pieux pré­lat qui gar­dait une constante fidé­li­té à la cause de la reine Catherine, aux droits de l’Eglise et sur­tout à la suprême auto­ri­té du Pontife romain ; elle ne lui lais­sait aucun répit. C’est pour­quoi l’archevêque schis­ma­tique de Cantorbéry man­da Jean Fisher à Londres afin qu’il prê­tât le ser­ment sacri­lège pres­crit par la loi. L’évêque refu­sa très cou­ra­geu­se­ment de recon­naître soit la légi­ti­mi­té de l’union du roi avec Anne Boleyn ain­si que de l’en­fant qui en était né, soit le titre de chef spi­ri­tuel suprême de l’Eglise d’Angleterre et d’Irlande que le roi avait eu la témé­raire audace de s’attribuer. En consé­quence, ce même jour, il fut empri­sonné à la Tour de Londres. Là, le cou­ra­geux ath­lète du Christ, ain­si que Thomas More, atten­dit le suprême combat.

Au mois de novembre 1534 fut solen­nel­le­ment pro­mul­guée en Angleterre la loi concer­nant la supré­ma­tie royale dans les affaires spi­ri­tuelles, supré­ma­tie qu’Henri VIII s’était déjà arro­gée précé­demment, ain­si que Nous l’avons dit ci-​dessus. La loi avait pour sanc­tion la peine capi­tale. A cette date le roi envoya au pri­son­nier plu­sieurs évêques et laïcs de haut rang pour venir à bout de sa résis­tance indomp­table : toutes les ten­ta­tives essayées furent vaines : de ce nombre se trou­vait l’affirmation men­son­gère et impu­dente que Thomas More avait lui-​même réso­lu de prê­ter le ser­ment exi­gé. Par repré­sailles, le 2 jan­vier 1535, le dio­cèse de Rochester fut décla­ré vacant et son évêque dépouillé de tous les pri­vi­lèges épis­co­paux : le 7 mai sui­vant, après un nou­vel interro­gatoire mené avec four­be­rie, Jean décla­ra avec intré­pi­di­té que le roi n’était d’aucune façon le chef suprême de l’Eglise d’Angleterre. Cette décla­ra­tion avait été extor­quée au pri­son­nier par des hommes per­fides en pré­sence d’un seul témoin. Cependant le roi n’osait pas encore condam­ner l’évêque. Le Pape Paul III, Notre pré­dé­ces­seur, vou­lant hono­rer la constance invin­cible de Jean Fisher et sa fidé­li­té à l’égard du Saint-​Siège, l’avait créé cardinal-​prêtre du titre de Saint-​Vital, dans le Consistoire tenu le 20 mai. Rendu encore plus furieux, le roi inter­dit de remettre au prison­nier le cha­peau car­di­na­lice envoyé ; de plus, sur son ordre, on outra­gea le Saint-​Siège dans les églises ; on rap­porte même qu’il dit qu’il ferait en sorte de pri­ver Jean de la tête sur laquelle devait repo­ser le cha­peau, ou encore, selon d’autres, qu’il enver­rait à Rome la tête du pré­lat pour qu’elle y reçût le chapeau.

Epuisé par de mul­tiples incom­mo­di­tés et pri­va­tions, éprou­vé par la mala­die, pri­vé de la récep­tion des sacre­ments par suite d’une cruelle inter­dic­tion, le mar­tyr du Christ fut, le 17 juin, traî­né devant le tri­bu­nal, accu­sé de tra­hi­son pour avoir refu­sé au roi l’autorité spi­ri­tuelle suprême qui appar­tient au seul Pontife romain. Comme l’évêque conti­nuait à affir­mer et à défendre éner­giquement les droits de Dieu et de l’Eglise, il fut condam­né à la mort infâme des traîtres ; dans la suite cette peine fut com­muée par le monarque en celle de la déca­pi­ta­tion. Lorsqu’il sor­tit de la salle du tri­bu­nal, le pri­son­nier appa­rut plein de joie comme s’il venait d’un ban­quet ; pen­dant qu’on le recon­dui­sait au cachot, un grand nombre de fidèles en larmes l’accompagnaient implo­rant sa bénédiction.

Après quatre jours, que le ser­vi­teur de Dieu pas­sa dans une par­faite tran­quilli­té d’âme et en s’adonnant à une prière ardente, se leva enfin la clar­té suprême du jour triom­phal. Le 22 juin, fête de saint Alban, pre­mier mar­tyr d’Angleterre, le gou­ver­neur de la pri­son com­mu­ni­qua de bon matin au pri­son­nier que l’heure de son sup­plice était proche : par des paroles assez embar­ras­sées il l’exhorta à ne pas sup­por­ter avec peine, puisqu’il était déjà un vieillard et comme tel ne pou­vait plus vivre long­temps, d’être pri­vé de la vie en ce jour avant midi en ver­tu d’un décret royal. Avec séré­ni­té le vieillard répon­dit qu’il ren­dait volon­tiers grâces au roi qui, par une sen­tence capi­tale, le déli­vrait de cette exis­tence caduque et pleine d’angoisses. Il deman­da qu’on lui per­mît de prendre encore un peu de repos. Au bout de deux heures et plus, on vint le réveiller. Comme s’il allait à des noces, il vou­lut revê­tir ses meilleurs habits et quit­ta la pri­son vers 9 heures. Ouvrant alors le saint Evangile qu’il avait en mains, il y lut ces ver­sets de saint Jean (xvii, 3–5) : « Or, la vie éter­nelle, c’est qu’ils vous con­naissent, vous, le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-​Christ. Je vous ai glo­ri­fié sur la terre, j’ai ache­vé l’œuvre que vous m’avez don­née à faire ; et main­te­nant, vous, mon Père, glorifiez-​moi auprès de vous, de la gloire que j’avais auprès de vous, avant que le monde fût. » Souverainement récon­for­té par ces paroles, il fut por­té au lieu du sup­plice. Quand il fut sur l’échafaud, il adres­sa d’une voix ferme et intré­pide les paroles sui­vantes à la foule mas­sée : « Chrétiens, mes frères, je suis venu en ce lieu pour y mou­rir pour la foi de l’Eglise catho­lique. Mais je rends grâces à Dieu ; avec son appui, j’ai gar­dé jusqu’ici tout mon sang-​froid, n’éprouvant aucun trem­ble­ment, ne res­sen­tant aucune hor­reur de la mort. C’est pour­quoi je vous demande à tous de m’aider, par vos prières auprès de Dieu, à demeu­rer au moment du tré­pas ferme et fidèle à la foi catho­lique. Je prie avec ins­tance le Dieu immor­tel de dai­gner, dans sa bon­té et sa clé­mence infi­nies, gar­der le roi sain et sauf et son royaume intact : en toutes choses qu’il ins­pire et sug­gère au roi des des­seins justes et salu­taires. » Ces paroles et d’autres sem­blables furent pro­non­cées avec beau­coup d’ardeur, une gra­vi­té aus­si dis­tin­guée que véné­rable, une voix ferme et vibrante, un cœur joyeux et heu­reux. A genoux, l’évêque adres­sa à Dieu d’autres prières, entre autres l’hymne Te Deum et le psaume In te, Domine, spe­ra­vi. Ensuite, les yeux et les mains levés vers le ciel, cet homme saint et inno­cent posa le cou sur le billot et pré­sen­ta sa tête au bour­reau qui la tran­cha faci­le­ment d’un seul coup de hache. La tête fut aus­si­tôt expo­sée sur le pont de Londres où se trou­vaient déjà les têtes de plu­sieurs moines Chartreux qui avaient été, eux aus­si, mis à mort peu de jours aupa­ra­vant, pour la foi catho­lique et la pri­mau­té du Pontife de Rome : au bout de qua­torze jours elle fut d’une manière impie jetée dans la Tamise. C’est ain­si que l’invincible héros de la foi, Jean Fisher, deux fois revê­tu de l’éclat de la pourpre, jus­te­ment com­pa­ré à saint Jean- Baptiste, le Précurseur, obtint la palme du martyre.

Quinze jours plus tard, par le même sup­plice et pour la même très noble cause, la cou­ronne du mar­tyre allait orner le front de Thomas More, grand chan­ce­lier d’Angleterre. Sa sainte vie et sa mort glo­rieuse méritent d’être aus­si rap­pe­lées brièvement.

Thomas More naquit à Londres en 1478 ; son père, Jean, était avo­cat ; sa mère se nom­mait Agnès Graunger. Il reçut de ses parents une édu­ca­tion sévère et atten­tive à laquelle d’ailleurs il répon­dit doci­le­ment, se mon­trant à mesure qu’il gran­dis­sait obéis­sant et aimable. Dès son jeune âge, il se fît remar­quer par sa vive intel­li­gence, et à peine ado­les­cent il fut admis par­mi les fami­liers de Jean Morton, cardinal-​archevêque de Cantorbéry et chan­ce­lier du royaume d’Angleterre. Le car­di­nal avait à son endroit une estime telle qu’il aimait à dire qu’il pres­sen­tait à pro­pos de ce, jeune homme des choses extra­or­di­naires. Bientôt il l’envoya à Oxford pour étu­dier les arts libé­raux dans cette célèbre Univer­sité. Là, sui­vant les leçons de Thomas Linacre et de Guillaume Grocyn, pro­fes­seurs des plus remar­quables, Thomas More fit les plus grands pro­grès en par­ti­cu­lier dans la connais­sance de la langue latine, qu’il arri­va dans la suite à par­ler avec autant d’ai­sance que sa langue mater­nelle et qu’il écri­vait avec élé­gance, il étu­dia aus­si avec grande appli­ca­tion la langue grecque et le fran­çais, y joi­gnant l’histoire, la géo­mé­trie, les mathé­ma­tiques et la musique. Mais son père, juris­con­sulte et avo­cat, dési­rait voir son fils suivre la même car­rière. Aussi, après, quelques années, il le fit reve­nir à Londres pour y étu­dier la juris­pru­dence et obte­nir le diplôme d’avocat. A cette époque, Thomas More don­na dans l’église Saint-​Laurent de Londres une série de leçons sur le De Civitate Dei de saint Augustin : il s’y mon­trait à la fois, et à un degré remar­quable, ora­teur, phi­lo­sophe, his­to­rien et poète. Mais tout en s’occupant des arts libé­raux et d’études juri­diques, il per­fec­tion­nait ses connais­sances au sujet de la reli­gion catho­lique et se livrait sérieu­se­ment à la pra­tique de la pié­té et des autres ver­tus : dans sa pro­fes­sion d’avocat, il était vrai­ment dés­in­té­res­sé, étran­ger à toute pen­sée d’avarice, et s’efforçait de conci­lier harmo­nieusement les droits de la jus­tice la plus stricte avec ceux de la cha­ri­té la plus aimable.

Encore jeune homme, il son­gea à entrer dans l’Ordre fran­cis­cain, puis à embras­ser l’état sacer­do­tal. Il pas­sa quatre années envi­ron chez les Chartreux de Londres, par­ta­geant habi­tuel­le­ment leurs veilles, leurs aus­té­ri­tés et leurs exer­cices reli­gieux. Il revê­tit alors uni cilice que, pen­dant tout le reste de sa vie, il por­tait à cer­tains jours ou à des époques déter­mi­nées : il pre­nait aus­si de sérieuses dis­ci­plines ; grandes furent sa pié­té envers Dieu, sa cha­ri­té envers le pro­chain, sa tem­pé­rance, sa fru­ga­li­té, sa mor­ti­fi­ca­tion envers lui-​même ; c’est ain­si qu’il vivait dans le monde dans la sobrié­té, la jus­tice et le culte de Dieu. Sur les conseils de son confes­seur, il épou­sa à l’âge de 27 ans Jeanne Colt qui lui don­na quatre enfants : Marguerite, Cécile, Elisabeth et Jean. Six ans après, sa femme mou­rut. Désireux de pro­cu­rer à ses enfants les soins qui leur étaient néces­saires, il, épou­sa alors une veuve, Alice Middleton, avec qui il vécut tou­jours dans une admi­rable entente.

Vers l’année 1524, il s’établit aux envi­rons de la ville de Londres, sur la col­line qu’on appe­lait Chelsea, sur les bords de la Tamise. Il habi­tait une vaste et belle mai­son dans laquelle se trou­vaient une cha­pelle pri­vée et une biblio­thèque. Là, en com­pa­gnie des siens et de ses proches, More consa­crait ses jour­nées à l’étude des arts et des lettres et à la pra­tique de la pié­té. Né et fait pour l’amitié, il rece­vait ses amis avec la plus grande cor­dia­li­té, aus­si avait-​on très jus­te­ment appe­lé sa mai­son le domi­cile des muses, celui de toutes les ver­tus et de toutes les formes de la cha­ri­té. Son prin­ci­pal sou­ci fut d’inculquer à ses enfants et petits-​enfants non seule­ment la science des lettres, mais plus encore celle de la reli­gion ; matin et soir, jamais il n’omit de faire la prière en com­mun avec toute sa famille ; pen­dant les repas, il fai­sait lire, comme c’est d’usage dans les monas­tères, des livres de spi­ri­tua­li­té, et par­fois il expli­quait le sens caché de ce qu’on lisait ; les jours de fête, fou­lant aux pieds tout res­pect humain, il ne rou­gis­sait pas d’assister avec les siens aux céré­mo­nies litur­giques en y appor­tant son concours ; bref, il n’y avait aucune ver­tu digne d’un chré­tien d’une pro­fonde pié­té dans laquelle il n’excellât.

Très appli­qué, comme nous l’avons dit plus haut, à l’étude des arts libé­raux, très ver­sé aus­si dans la connais­sance des saintes Lettres et de la lit­té­ra­ture pro­fane, il com­po­sa plu­sieurs ouvrages pour défendre la véri­té et por­ter les âmes à la dévo­tion ; il écri­vit un grand nombre de lettres dans les­quelles, véri­ta­ble­ment gênant pour les héré­tiques, ain­si qu’il aimait à se qua­li­fier lui- même, il défend d’une façon intré­pide la foi et la reli­gion contre les erreurs des nova­teurs. Il s’était acquis, par sa remar­quable science et ses ver­tus écla­tantes, au plus haut point l’estime de tous, même celle du roi Henri VIII ; aus­si commença-​t-​on à l’em­ployer quand il s’agit d’affaires publiques à trai­ter ou à négo­cier. D’abord membre du Parlement, il fait par­tie, en 1515, d’une ambas­sade envoyée en Flandre ; deux ans après, il est en France pour une mis­sion offi­cielle. En 1518, il est membre du Conseil pri­vé du roi, puis ensuite spea­ker de la Chambre des Communes, chan­ce­lier du duché de Lancastre, et enfin, au mois d’octobre 1529, il est nom­mé, à la vive et uni­ver­selle satis­fac­tion de tout le royaume, grand chan­ce­lier d’Angleterre. Dans l’accomplissement de ces diverses charges, il se fit remar­quer par une extra­or­di­naire fidé­li­té et appli­ca­tion. Plus il se trou­vait éle­vé par la digni­té, l’autorité ou l’honneur, plus il appa­rais­sait constam­ment et mer­veilleusement supé­rieur à tout le monde par sa modes­tie, la pro­bi­té de son carac­tère, sa patience, ses sen­ti­ments tou­jours humains, n’ayant en vue qu’une seule chose : ser­vir de son mieux le roi et le peuple, mais plus encore le Roi des rois.

Les choses parais­saient devoir mar­cher ain­si dou­ce­ment, lorsque Henri VIII, empor­té par son violent amour pour Anne Boleyn, vou­lut à tout prix faire décla­rer illé­gi­time son mariage avec la reine Catherine. C’est pour­quoi, à plu­sieurs reprises, il inter­ro­gea Thomas More sur ce divorce d’avec la reine. Ne dou­tant pas le moins du monde de la vali­di­té et de l’indissolubilité du mariage que le roi avait contrac­té avec Catherine, le chan­ce­lier ne don­na jamais son adhé­sion au des­sein du monarque. Son atti­tude ne fut pas dif­fé­rente lorsque, pour obéir à sa conscience, il tra­vailla de tout son pou­voir, avec l’évêque de Winchester, Etienne Gardiner, pour faire repous­ser par la Chambre des Lords la loi injuste sur la sou­mis­sion du cler­gé : il agit de même quand Henri VIII cher­cha à se faire recon­naître par ses sujets comme le chef suprême de l’Eglise d’Angleterre, reven­di­quant qu’on lui don­nât ce titre. Quand il s’aperçut que le roi, dans son obsti­nation, vou­lait épou­ser Anne Boleyn et obte­nir pour cette affaire des avis favo­rables de la part des Universités et de la Chambre des Lords, pour ne pas être contraint d’agir en quelque chose contrai­re­ment aux lois de Dieu et de l’Eglise, Thomas, le 16 mai 1532, se démit spon­ta­né­ment, mais au grand regret de tous les bons citoyens, de son poste de chan­ce­lier, digni­té qui venait immé­dia­te­ment après la digni­té royale. Dès lors, il mena près des siens une vie tran­quille, s’adonnant d’une façon habi­tuelle aux exer­cices de pié­té, aux entre­tiens spi­ri­tuels, à des lec­tures édi­fiantes ; il pré­pa­rait avec assi­dui­té son âme à sou­te­nir le com­bat suprême qu’il pré­voyait. De fait, deux ans après, au mois de février, il fut cité en jus­tice. On l’accusa d’avoir publié un écrit contre le divorce du roi. Il se défen­dit de telle façon que, tout en fai­sant avec fran­chise pro­fes­sion de foi catho­lique, il réus­sit à écar­ter tout à fait cette calom­nieuse impu­ta­tion. Cepen­dant, la colère du roi à son égard aug­men­tait de vio­lence. On eut recours aux menaces pour l’amener à admettre comme légi­time le second mariage royal. Il refu­sa net­te­ment. Comme le duc de Norfolk lui rap­pe­lait les paroles connues : La colère du prince, c’est la mort, il répon­dit avec autant de promp­ti­tude que de fer­me­té : N’y a‑t-​il, Milord, rien d’autre que cela ?… Entre vous et moi il y a cette seule dif­fé­rence, à savoir que je mour­rais peut-​être aujourd’hui, tan­dis que vous, vous mour­rez peut-​être demain.

Pendant ce temps, cette même année, le 4 avril, qui était le Samedi-​Saint, par­vint à Londres la nou­velle du juge­ment ren­du par le Pape Clément VII concluant en faveur de la vali­di­té du mariage du roi Henri VIII avec la reine Catherine. Le 13 avril sui­vant, Thomas More com­pa­rais­sait devant les juges ou commis­saires royaux en vue du ser­ment à prê­ter au sujet de la loi rela­tive à la suc­ces­sion royale en Angleterre. Ce ser­ment (dans son pré­am­bule) ren­fer­mait aus­si la néga­tion de l’autorité suprême du Pontife romain. L’ex-chancelier décla­ra qu’il était, à la véri­té, prêt à recon­naître ce qui avait été éta­bli tou­chant l’ordre de la suc­ces­sion royale, mais nul­le­ment ce qui affir­mait la non-​existence de l’autorité pon­ti­fi­cale en Angleterre. Peu de jours après, le 17 avril, il fut empri­son­né à la Tour de Londres où il devait res­ter jusqu’à sa mort, c’est-à-dire jusqu’au 6 juillet de l’année sui­vante (1535).

Ni les ten­ta­tions de tout genre jointes aux inté­rêts humains, en par­ti­cu­lier les larmes des siens, la tendre affec­tion de sa fille Marguerite, ses larmes et ses gémis­se­ments, ni la mise à l’encan de tous ses biens, ni les argu­ments de ses amis et de ses conci­toyens les plus émi­nents, ni les affronts et les menaces de ses adver­saires, ni la mal­pro­pre­té et les rigueurs du cachot, ni la faim, ni la per­sé­cu­tion, ni le péril d’une mort immi­nente, ne purent le trou­bler et chan­ger la déci­sion de son âme. Il demeu­ra au contraire plein de gaie­té, n’hésitant pas à com­po­ser un opus­cule inti­tu­lé : « Il ne faut pas craindre de mou­rir pour la foi » ; en sorte que sa cap­ti­vi­té fut consi­dé­rée comme une pro­fes­sion de foi conti­nuelle et même déjà comme un véri­table mar­tyre. Pen­dant ce temps la loi dont Nous avons par­lé plus haut, sur la supré­ma­tie spi­ri­tuelle du roi, avait été pro­mul­guée : la peine capi­tale était por­tée contre ceux qui refu­saient de recon­naître cette supré­ma­tie. Anne Boleyn ne ces­sait pas d’exciter avec plus d’achar­nement que jamais le roi contre Thomas More. C’est pour­quoi Henri vou­lut à tout prix que le pri­son­nier prê­tât le ser­ment pres­crit par la loi, ce que Thomas refu­sa net­te­ment de faire. Le 1er juillet 1535, il com­pa­rut en consé­quence devant le tri­bu­nal. Il y fut accu­sé de haute tra­hi­son pour les motifs sui­vants : il a refu­sé de se sou­mettre à la loi sacri­lège sur la supré­ma­tie spi­ri­tuelle du roi en Angleterre ; il a écrit à Jean Fisher une lettre dans laquelle il l’engage à gar­der le silence ; enfin parce qu’il a dit que cette loi sur la tra­hi­son res­semble à un glaive à deux tran­chants : qui­conque y sous­crit perd son âme, qui­conque la repousse s’expose à être pri­vé de la vie du corps. Bien que Thomas se fût très habi­le­ment défen­du contre ces accu­sa­tions, on le condam­na cepen­dant à la mort très atroce des traîtres. Cette sen­tence fut, dans la suite, com­muée par le roi en la peine de la déca­pi­ta­tion. Après qu’elle eut été pro­non­cée, Thomas, pour déchar­ger sa conscience, expri­ma libre­ment et de la façon la plus nette sa pen­sée sur cette loi, et s’adressant aux juges il pro­non­ça un magni­fique dis­cours ; il y par­la si bien de la vio­la­tion des droits de Dieu et de l’Eglise, de la pri­mau­té spi­ri­tuelle du Pontife romain sur l’univers chré­tien, que l’on pou­vait dire en toute véri­té : « C’est l’Esprit-Saint qui lui a ins­pi­ré ce qu’il a pro­cla­mé. » Il ter­mi­na cette pro­fes­sion de foi en sou­hai­tant à ses juges iniques le sort de saint Etienne et de saint Paul ; de même que Paul, autre­fois per­sé­cu­teur d’Etienne, est main­te­nant son asso­cié dans la gloire du ciel, ain­si lui et ses juges pré­sen­te­ment en désac­cord sur cette terre, puis­sent-​ils être de même en com­plet accord dans le siècle futur et avoir tous les mêmes sen­ti­ments dans une par­faite charité.

Ramené à la pri­son, Thomas More consa­cra les der­niers jours de sa vie à médi­ter les choses d’en haut, à la prière et à des péni­tences cor­po­relles. Le 5 juillet il envoya à sa fille Marguerite son cilice, sa dis­ci­pline avec une lettre écrite au char­bon ; il y expri­mait les sen­ti­ments les plus tendres pour tous les siens, et pour ses amis ; en même temps il disait sa joie de mou­rir pour une si noble cause, mon­trant que son esprit était tout occu­pé de Dieu et ne goû­tait plus que les choses célestes et que son âme était tout à fait tran­quille. Le jour sui­vant, c’est-à-dire la veille de la fête de saint Thomas de Cantorbéry et jour octave des saints apôtres Pierre et Paul, comme il l’avait ardem­ment dési­ré, on lui annon­ça de très bon matin que, par ordre du roi, la sen­tence le condam­nant à la peine capi­tale serait exé­cu­tée avant 9 heures ; il en fut recon­nais­sant envers le monarque. Continuant à médi­ter la Passion du Christ, il sor­tit de la pri­son en se hâtant comme s’il allait à une fête et por­tant à la main une croix rouge. Conduit au lieu du sup­plice, il adres­sa au peuple venu en foule quelques paroles, le pre­nant à témoin qu’il mou­rait, comme il le dit, dans l’Eglise et pour l’a foi de l’Eglise catho­lique, ser­vi­teur loyal du roi, mais avant tout du Dieu tout-​puissant. Il remer­cia le bour­reau et l’embrassa, deman­da à tous les assis­tants de prier Dieu pour lui et pour son roi. Ensuite il s’agenouilla et réci­ta pieu­se­ment le Miserere. L’ayant ache­vé, tout rayon­nant de joie et allè­gre­ment il livra sa tête au bour­reau. Ainsi, comme Jean Fisher peu de jours aupa­ra­vant, Thomas More à son tour mou­rut mar­tyr pour la cause de la sain­te­té du mariage chré­tien et de la supré­ma­tie spi­ri­tuelle, la pré­ro­ga­tive que seul le Pontife romain pos­sède. Par ordre du roi, la tête du mar­tyr fut expo­sée au bout d’un pal sur le pont de Londres ; envi­ron un mois après elle devait être jetée dans le fleuve, lorsque la fille aînée de Thomas More, Marguerite, l’obtint du bour­reau à prix d’argent. Le corps fut ense­ve­li dans la cha­pelle de Saint-​Pierre, sur la col­line de la Tour : là avaient été dépo­sés les restes de l’évêque de Rochester que Thomas avait eu le mérite d’avoir pour ami dans la vie et pour très noble com­pa­gnon dans l’obtention de la palme du martyre.

Dès que les évé­ne­ments dont Nous avons par­lé jusqu’ici, quoique d’une façon trop suc­cincte, furent connus” dans le monde catho­lique, rien d’étonnant qu’on ait consi­dé­ré, déjà aus­si­tôt après leur mort, Jean Fisher et Thomas More comme étant, à très juste titre, du nombre des mar­tyrs chré­tiens, non seule­ment en rai­son de la remar­quable sain­te­té de leur vie, mais beau­coup plus parce qu’ils avaient dans leur mort glo­rieuse répan­du leur sang pour la foi catho­lique. Il en fut ain­si pour un grand nombre d’autres chré­tiens anglais qui, à cette époque et pour, la même cause, affron­tèrent cou­ra­geu­se­ment la mort. Très peu de temps après leur tré­pas, le 26 juillet 1535, dans des Lettres adres­sées à l’empereur Charles-​Quint et au roi très chré­tien Fran­çois Ier, Notre pré­dé­ces­seur Paul III n’hésitait pas à écrire ce qui suit : Voilà que sou­dain le roi Henri, et cela Nous le rela­tons avec la plus pro­fonde dou­leur, a fait publi­que­ment subir à l’évêque de Rochester, illustre par sa ver­tu, célèbre par son savoir, véné­rable par son âge avan­cé, gloire et orne­ment du cler­gé du royaume d’Angleterre comme des autres nations, de la main du bour­reau, le der­nier sup­plice réser­vé aux mal­fai­teurs et aux cri­mi­nels. Toutes ces choses sont, à la véri­té, sou­ve­rai­ne­ment à déplo­rer, mais la cause de la mort doit l’être plus for­te­ment. C’est en effet pour Dieu, pour la reli­gion catho­lique, pour la jus­tice, pour la véri­té que cet homme si saint a été mis à mort, car il ne défen­dait pas seule­ment, comme autre­fois Thomas, arche­vêque de Cantorbéry, les droits d’un seul et d’un par­ti­cu­lier, mais ceux de l’Eglise uni­ver­selle. Pour la même cause, Henri a infli­gé ou va cer­tai­ne­ment infli­ger le même sup­plice à un grand nombre d’autres clercs ain­si qu’à des reli­gieux. Parmi ces vic­times, on compte Thomas More. Il n’était pas, il est vrai, clerc, mais simple laïc ; il excel­lait cepen­dant dans la connais­sance des sciences et des lettres sacrées et n’eut pas peur d’affirmer publi­que­ment la vérité.

Nos pré­dé­ces­seurs Grégoire XIII, dans les Lettres apos­to­liques Quoniam divi­nae boni­ta­ti du 23 avril 1579 ; Sixte-​Quint, dans la Constitution apos­to­lique Afflictae et cru­de­li­ter du 3 sep­tembre 1586, et Urbain VIII dans les Lettres apos­to­liques Non sem­per ter­re­na feli­ci­tas du 30 mars 1626, ont par­lé avec les plus grands éloges de ces mêmes mar­tyrs, en même temps que de ceux très nom­breux mis à mort à cette époque pour la foi ortho­doxe. Dans son très pré­cieux ouvrage sur la béa­ti­fi­ca­tion des servi­teurs de Dieu et la cano­ni­sa­tion des bien­heu­reux, Benoît XIV apporte les exemples d’un grand nombre de fidèles qui ont péri par ordre du roi Henri VIII et de la reine d’Angleterre Elisabeth : les écri­vains ecclé­sias­tiques les appellent mar­tyrs, bien que les causes concer­nant leur mar­tyre n’aient jamais été intro­duites près la Congrégation des Rites. Le même Pape parle aus­si en termes excel­lents de nos deux ath­lètes du Christ. Voici ce qu’il écrit de Jean Fisher : Tout le monde sait déjà que par les ouvrages qu’il publia il a éclai­ré la pié­té des catho­liques, il a réfu­té dans un livre remar­quable les doc­trines per­verses des héré­tiques, prin­ci­pa­le­ment celles de Martin Luther ; enfin, empri­son­né en même temps que Thomas More, sur l’ordre d’Henri VIII, roi d’Angleterre, lequel, après avoir été un homme et un roi d’un grand mérite, s’était trans­for­mé en une bête féroce et en un monstre, il a pré­sen­té sans trem­bler sa tête à la hache du bour­reau, refu­sant de don­ner son adhé­sion à la loi par laquelle ce même prince se disait, chef suprême de l’Eglise et vou­lait être tenu comme tel. Au sujet de Thomas More, Benoît XIV écrit ceci : S’il est per­mis de mêler des faits récents à des évé­ne­ments anciens, l’exemple du mar­tyr Thomas More semble pou­voir être utile, bien qu’il n’ait pas encore été recon­nu par l’Eglise. Le Sénat anglais avait por­té un décret recon­nais­sant le roi comme chef de l’Eglise d’Angleterre. Thomas ne pou­vait approu­ver pareille loi. A cause de cela et d’autres choses allé­guées contre lui, le juge concluait que Thomas com­bat­tait une loi du royaume, reje­tait l’au­to­ri­té royale, était cou­pable du crime de lèse-​majesté. Le chan­ce­lier qui avait suc­cé­dé à More et le duc de Norfolk l’interpellèrent, lui pro­met­tant le par­don du roi si, comme ils le disaient, Thomas vou­lait reve­nir à de meilleurs sen­ti­ments et renon­cer à son obs­ti­na­tion. Mais celui-​ci répon­dit à cette pro­po­si­tion : « Je suis sin­cè­re­ment très recon­nais­sant à Vos Seigneuries polir la bon­té qu’elles me témoi­gnent, cepen­dant je prie avec ins­tance le Dieu tout-​puissant de me si bien confir­mer dans les sen­ti­ments ortho­doxes où je me trouve que j’y per­sé­vère jusqu’à la mort. »

Ces intré­pides hérauts et défen­seurs de la foi et de la supré­matie de l’Eglise Romaine, non seule­ment furent consi­dé­rés et dési­gnés comme de véri­tables mar­tyrs du Christ par leurs contem­porains et par ceux qui vécurent après eux, par­mi les­quels on compte un grand nombre de per­son­nages illustres, remar­quables par leur vie sainte et par leur science, des hommes poli­tiques habiles, des his­to­riens, des huma­nistes, des théo­lo­giens et même plu­sieurs adver­saires de la reli­gion, mais on les entou­ra aus­si de marques de véné­ra­tion. Le Pape Grégoire XIII, nom­mé plus haut, don­na l’exemple ; il auto­ri­sa plu­sieurs pra­tiques qui appar­tiennent au culte public et ecclé­sias­tique en l’hon­neur de ces confes­seurs de la foi. Bien plus, il per­mit qu’on uti­li­sât dans la consé­cra­tion des autels les reliques de ces mar­tyrs à défaut de reliques des saints mar­tyrs anciens. C’est encore lui qui s’occupa de faire peindre à fresque, dans l’église Saint-​Etienne le Rond, au mont Cœlius, à Rome, la pas­sion ou les tor­tures des mar­tyrs chré­tiens. Avec sa per­mis­sion, aux frais d’un cer­tain Georges Gilbert, Je peintre Nicolas Circignagno repro­dui­sit dans les magni­fiques pein­tures des­ti­nées à l’église du Collège anglais de Rome, église dédiée à la Très Sainte Trinité sous le vocable de saint Thomas de Can­torbéry, tous les per­son­nages anglais qui, depuis les débuts de la conver­sion de l’Angleterre jusqu’à ce jour, avaient endu­ré la mort pour la foi catho­lique. Ce fait est rela­té dans les annales du Collège à la date cor­res­pon­dante. A la fin du xviiie siècle, ces pein­tures furent entiè­re­ment détruites par une main enne­mie ; mais, avec l’approbation du même Pontife, des repro­duc­tions au moyen de planches gra­vées sur cuivre en avaient été faites à Rome en 1584. La vingt-​septième planche repro­duit le mar­tyre de Jean Fisher et de Thomas More, et on y lit leur éloge ain­si libellé :

Jean Fisher, évêque de Rochester en Angleterre, nom­mé car­di­nal, irré­pro­chable dans sa conduite et dans sa doc­trine, d’une très illustre renom­mée, est puni de mort par Henri VIII parce qu’il défen­dait l’autorité pon­ti­fi­cale, — Thomas More, par­fait che­va­lier, ayant exer­cé la suprême magis­tra­ture du royaume, remar­quable par sa pru­dence, son éru­di­tion, la pure­té de ses mœurs et par sa dou­ceur, est déca­pi­té sur l’ordre même du roi pour la même cause. Tous deux sont la gloire de la nation anglaise le pre­mier est l’honneur du cler­gé, le second l’honneur du laïcat.

Comme toutes ces choses se sont faites dans une église romaine ouverte à tous, et sous le regard vigi­lant des Pontifes romains, elles sont cer­tai­ne­ment une preuve du culte public qui était ren­du à ces mar­tyrs. Ce culte a conti­nué, plus ou moins actif, mais d’une façon constante cepen­dant, jusqu’à nos jours. A bon droit, à cause des induits spé­ciaux de Pontifes romains concer­nant les mar­tyrs d’Angleterre plus anciens qui, de 1535 à 1583, mou­rurent pour la foi catho­lique et pour la supré­ma­tie du Pape sur toute l’Eglise, et dont des fresques jadis peintes, par ordre de Gré­goire XIII, dans l’église de la Très Sainte Trinité du Collège anglais de Rome, et gra­vées ensuite sur cuivre, dans la même ville, en 1584, avec l’autorisation pri­vi­lé­giée de ce même Pontife, repré­sentaient les sup­plices, Léon XIII, Notre pré­dé­ces­seur d’illustre mémoire, décla­ra solen­nel­le­ment, par un décret de la Congrégation des Rites sacrés, le 29 décembre 1886, en la fête de saint Thomas de Cantorbéry dont les mar­tyrs ci-​dessus ont imi­té avec tant de vaillance la foi et la constance, que l’existence d’un indult public ecclé­sias­tique était cer­taine, c’est-à-dire que le cas excep­tion­nel (béa­ti­fi­ca­tion équi­pol­lente), pré­vu par les décrets du Pape Urbain VIII de sainte mémoire, se véri­fiait. En consé­quence, les cinquante-​quatre mar­tyrs dont les noms sont cités dans le décret, et en tête des­quels figurent ceux de Jean Fisher et de Thomas More, furent éle­vés aux hon­neurs des bien­heu­reux. Quant à Nous, par les Lettres apos­to­liques Atrocissima tor­men­ta, datées du 15 décembre 1929, Nous avons solen­nel­le­ment béa­ti­fié cent trente-​six autres ath­lètes du Christ, tous mis à mort de la façon la plus cruelle, entre 1541 et 1680, pour la foi catho­lique, aposto­lique et romaine et pour la pri­mau­té spi­ri­tuelle des suc­ces­seurs de l’apôtre saint Pierre. Puis, par les Lettres Pro tuen­da, du 22 décembre 1929, Nous avons encore don­né le titre de bienheu­reux à Jean Ogilvie, mar­ty­ri­sé en Ecosse pour la même cause.

Mais, à l’approche du qua­trième cen­te­naire de la mort glo­rieuse des bien­heu­reux Jean Fisher et Thomas More, le car­di­nal Fran­çois Bourne, arche­vêque de Cantorbéry, pré­lat illustre, récem­ment décé­dé, et d’accord avec lui de très nom­breux per­son­nages d’une émi­nente digni­té, les car­di­naux de la Sainte Eglise Romaine, tous les arche­vêques et évêques d’Angleterre, d’Ecosse et d’Irlande, cha­cun avec son cler­gé et son peuple, et dans le monde catho­lique, le plus grand nombre de pré­lats, d’Universités, de col­lèges, de Séminaires, d’Instituts reli­gieux, enfin une foule d’autres per­sonnes, peut-​être deux cent mille et plus, par­mi les­quelles se trou­vaient des non-​catholiques bien connus, Nous adres­sèrent des sup­pliques Nous deman­dant avec ins­tance de confé­rer les hon­neurs de la cano­ni­sa­tion à ces deux bien­heu­reux mar­tyrs si éminents.

Nous avons très volon­tiers accueilli ces vœux. En consé­quence, Nous avons pres­crit à la Sacrée Congrégation des Rites, d’abord de sou­mettre les actes du mar­tyre de ces bien­heu­reux à un exa­men très rigou­reux, parce que lorsque la cause de confir­ma­tion de culte fut trai­tée, cette ques­tion par­ti­cu­lière ne fut pas exa­mi­née, étant don­né qu’à cette époque le droit cano­nique ne l’exigeait pas. La sec­tion his­to­rique de la Congrégation des Rites, en par­ti­cu­lier, a recon­nu l’évidence du mar­tyre de ces deux héros, tant au point de vue du fait maté­riel que de sa for­ma­li­té intrin­sèque, c’est-à-dire à la fois en ce qui concer­nait les deux vic­times et le prince per­sé­cu­teur. Aussi, le 29 jan­vier de l’année cou­rante (1935), s’est tenue en Notre pré­sence la Congrégation géné­rale. Notre cher fils Raphaël-​Charles Rossi, car­di­nal de la Sainte Eglise Romaine, ponent ou rap­por­teur de la Cause, y sou­mit à la dis­cus­sion le doute sui­vant : si, dans le cas et en vue de l’effet en ques­tion, il consta­tait du mar­tyre des bien­heu­reux Jean Fisher, car­di­nal, et Thomas More, de la rai­son de ce mar­tyre ain­si que de pro­diges ou miracles sur­ve­nus depuis qu’on avait auto­ri­sé le culte de ces mêmes Bienheureux. Après que cha­cun de ceux qui étaient pré­sents, car­di­naux, offi­ciers, pré­lats et Consulteurs, eut expri­mé son sen­ti­ment, Nous déci­dâmes d’attendre le 10 du mois sui­vant pour faire connaître Notre pen­sée, vou­lant entre temps implo­rer, pour une affaire d’une telle impor­tance, des lumières plus abon­dantes. Au jour fixé (10 février), Nous man­dâmes près de Nous Nos chers Fils le car­di­nal Camille Laurenti, pré­fet de la Sacrée Congrégation des Rites, et le sus­dit car­di­nal rap­por­teur de la Cause, ain­si que Nos chers Fils le secré­taire de la Congrégation des Rites, Alphonse Carinci, et le pro­mo­teur géné­ral de la foi, Sauveur Natucci. Après avoir pieu­se­ment célé­bré la sainte messe, Nous avons solen­nel­le­ment décla­ré : Il conste avec tant d’évidence du mar­tyre et de la cause du mar­tyre des bien­heu­reux Jean Fisher, car­di­nal, et Thomas More, que, dis­pense des pro­diges ou miracles ain­si que toute autre dis­pense oppor­tune et néces­saire étant accor­dées, l’on peut faire fran­chir à la Cause de nou­velles étapes.

Après avoir obser­vé les mêmes for­ma­li­tés, Nous avons décré­té le 3 mars que l’on pou­vait en toute sûre­té pro­cé­der à la canoni­sation de ces mêmes Bienheureux. Mais, afin de suivre dans une affaire si impor­tante la pro­cé­dure juri­dique éta­blie par Nos pré­décesseurs, Nous avons, le 1er avril der­nier, d’abord convo­qué en Consistoire secret, au Palais apos­to­lique du Vatican, Nos véné­rables Frères les car­di­naux de la Sainte Eglise Romaine. Nous adres­sant à ceux qui étaient pré­sents, Nous leur avons tout de suite indi­qué la cause de cette réunion : deman­der leur avis sur ce point, à savoir s’il y avait lieu d’accorder les hon­neurs réser­vés aux saints ou la cano­ni­sa­tion aux bien­heu­reux mar­tyrs Jean Fisher, car­di­nal de la Sainte Eglise Romaine, évêque de Rochester, et Thomas More, grand chan­ce­lier d’Angleterre. Après Notre allo­cution, Notre cher Fils le car­di­nal Camille Laurenti, pré­fet de la Sacrée Congrégation des Rites, pro­non­ça un élo­quent dis­cours sur la vie et le mar­tyre de cha­cun de ces Bienheureux et rela­ta avec soin tous les actes que la Sacrée Congrégation des Rites, après un sérieux exa­men, avait admis et approu­vés dans leur Cause de cano­ni­sa­tion. Ensuite, Nous deman­dâmes per­son­nel­le­ment l’avis de cha­cun des car­di­naux. Ayant reçu et accueilli avec joie ces avis, Nous avons déci­dé de tenir le qua­trième jour de ce même mois un Consistoire publie où l’on plai­de­rait solen­nel­le­ment en faveur de la Cause de cano­ni­sa­tion de ces Bienheureux.

Ce plai­doyer fut fait dans ce Consistoire, et d’une façon remar­quable, par Notre cher Fils Auguste Milani, doyen du Collège des avo­cats consis­to­riaux. Nous fîmes répondre que Nous étions très dési­reux de décer­ner à ces Bienheureux les hon­neurs suprêmes, d’autant plus que non seule­ment l’Eglise mili­tante rece­vrait de ce chef comme une parure et une gloire nou­velles, mais encore parce que ces Bienheureux, inter­ces­seurs et pro­tec­teurs auprès de Dieu, appren­draient à tous les fidèles, et en pre­mier lieu à leurs com­patriotes, à se mon­trer pleins de fer­me­té pour défendre, au besoin jusqu’à la mort, la reli­gion catho­lique, à mépri­ser cette vie péris­sable, à se conduire en par­faits chré­tiens. En outre, ils obtien­draient de Dieu que la puis­sante nation anglaise donne de nou­veau, au pre­mier rang et avec éclat, l’exemple de la pro­fes­sion de la foi romaine qui seule est ali­men­tée par la véri­té immuable et inébran­la­ble­ment affer­mie sur la Chaire de saint Pierre, et aus­si que cette nation, frap­pée par ce nou­veau et lumi­neux éclair de sain­te­té, tourne sa pen­sée vers ce centre du catho­li­cisme dont elle a reçu avec tant d’empressement, sous les aus­pices du Pape Grégoire le Grand, la doc­trine du Christ et le culte chré­tien. Ce résul­tat, Nous avons dit l’espérer non seule­ment parce que ces bien­heu­reux mar­tyrs offrent à Dieu leur prière sup­pliante, mais aus­si parce que leur vie a été mise en pleine lumière à la face du monde entier.

Néanmoins, afin que tout s’accomplît régu­liè­re­ment selon la tra­di­tion sui­vie par le Siège apos­to­lique, Nous avons décla­ré ne pas vou­loir faire connaître Notre manière de voir, que l’on atten­dait et espé­rait être une cause de joie, avant d’avoir, dans un Consistoire appe­lé semi-​public, deman­dé et exa­mi­né les suf­frages des car­di­naux, des patriarches et des autres évêques réunis dans ce but. En atten­dant, Nous exhor­tâmes tous les per­son­nages pré­sents à faire mon­ter vers Dieu leurs prières pour obte­nir à Notre intel­li­gence les lumières de l’Esprit-Saint afin de prendre sur une chose d’une telle impor­tance la déci­sion conve­nable. Ce Consistoire semi-​public fut fixé par Nous au 9 mai sui­vant. Des lettres adres­sées par Nos soins aux évêques non seule­ment les plus rap­prochés de Nous, mais encore à ceux qui sont les plus éloi­gnés, les infor­mèrent d’une si grave affaire afin de leur per­mettre, au cas où ils le pour­raient, de venir près de Nous pour Nous don­ner aus­si leur opi­nion. Nous avons ordon­né qu’à cha­cun d’eux fût envoyé un abré­gé de la vie et des actes de la Cause de canoni­sation des bien­heu­reux Jean Fisher, car­di­nal, et Thomas More, afin qu’après avoir étu­dié et mûre­ment exa­mi­né l’affaire, cha­cun puisse Nous faire connaître son sen­ti­ment. Au jour indi­qué plus haut, Nous avons d’abord adres­sé une allo­cu­tion à Nos véné­rables Frères les car­di­naux de la Sainte Eglise Romaine, ain­si qu’à tous les évêques pré­sents, réunie dans la salle du Consistoire du Palais apos­to­lique ; ensuite Nous leur avons deman­dé ce qu’ils pen­saient de la Cause en ques­tion, les priant de Nous le faire connaître cha­cun en par­ti­cu­lier Nous reçûmes les suf­frages de tous les membres pré­sents. Tous s’accordaient avec Notre pen­sée et avaient été for­mu­lés avec un très grand empres­se­ment : Nous en éprou­vâmes la joie la plus vive et Nous déci­dâmes, à la suite de cet accord una­nime, de conduire cette Cause à son terme par les rites solen­nels de la cano­ni­sa­tion. La date de cette der­nière à célé­brer dans la basi­lique de Saint-​Pierre fut fixée au 19 du pré­sent mois de mai. Nous avions confiance que cet évé­ne­ment, accueilli avec joie par le peuple anglais et par tout l’univers Catholique, pro­cu­re­rait à l’Eglise une gloire et des avan­tages con­sidérables. En outre, Nous enga­geâmes tous les assis­tants à joindre à Nos sup­pli­ca­tions les prières les plus ardentes, afin que Dieu, auteur et nour­ri­cier de toute sain­te­té, daigne éclai­rer et diri­ger Notre esprit. Selon la cou­tume, les pro­to­no­taires aposto­liques pré­sents reçurent l’ordre de dres­ser les actes offi­ciels de ces choses.

Quand vint le jour que Nous avions fixé, les Ordres du cler­gé sécu­lier et régu­lier en très grand nombre, les pré­lats et offi­ciers de la Curie romaine avec Nos véné­rables Frères les car­di­naux de la Sainte Eglise Romaine, et les patriarches, arche­vêques, évêques et Abbés se ren­dirent à la Basilique Vaticane splen­di­de­ment déco­rée et déjà occu­pée par les fidèles en très grand nombre. Tandis qu’ils Nous pré­cé­daient en pieuse et solen­nelle pro­ces­sion, Nous avons fait Notre entrée dans la Basilique. Après avoir dévo­te­ment ado­ré le Très Saint Sacrement, Nous Nous sommes diri­gé vers Notre trône pour y prendre place. Alors, Notre cher Frère le car­di­nal Camille Laurenti, pré­fet de la Sacrée Congrégation des Rites et char­gé de cette Cause de cano­ni­sa­tion, Nous deman­da, par la bouche de Notre cher Fils Auguste Milani, doyen du col­lège des avo­cats consis­to­riaux, avec ins­tance, selon la cou­tume, d’inscrire ces deux mar­tyrs au cata­logue des saints. Pareille demande fut faite une seconde et troi­sième fois, c’est-à-dire d’une façon plus pres­sante, puis enfin très pres­sante. Par deux fois, Nous avons implo­ré avec tous les assis­tants et avec la plus grande fer­veur la lumière divine, éle­vant par la prière les esprits et les cœurs vers les nou­veaux saints. De ces der­niers, par de pres­santes sup­plications, Nous avons sur­tout sol­li­ci­té cette grâce : que les peuples qui ont fait schisme, et en par­ti­cu­lier ceux qui en ce jour reçoivent un nou­vel hon­neur, fassent heu­reu­se­ment retour dans le giron de leur Mère, la Sainte Eglise, où la vraie foi ne peut jamais se trom­per, où la divine cha­ri­té ne se refroi­dit jamais, où l’éclat de la sain­te­té brille­ra tou­jours. Enfin, du haut de cette chaire de véri­té, où le bien­heu­reux Pierre vit et pré­side sur son propre siège, Nous avons pro­non­cé cette sen­tence définitive :

A l’honneur de la sainte et indi­vi­sible Trinité, pour l’exaltation de la foi catho­lique et l’extension de la reli­gion chré­tienne, de par l’au­to­ri­té de Notre-​Seigneur Jésus-​Christ, des bien­heu­reux apôtres Pierre et Paul, et par la Nôtre, après mûre déli­bé­ra­tion, après avoir fré­quem­ment implo­ré le secours divin, et sur l’a­vis de Nos véné­rables Frères les car­di­naux de la Sainte Eglise Romaine et celui des patriarches, arche­vêques et évêques se trou­vant à Rome, Nous déci­dons et décla­rons que le bien­heu­reux Jean Fisher, car­di­nal de la Sainte Eglise Romaine, et le bien­heu­reux Thomas More, laïc, sont des saints, et Nous les ins­cri­vons au cata­logue des saints ; décré­tant que leur mémoire doit être pieu­se­ment et dévo­te­ment hono­rée au titre de saints mar­tyrs, par l’Eglise uni­ver­selle, chaque année, le jour de leur nais­sance au ciel, à savoir pour Jean Fisher le 22 juin, pour Thomas More le 6 juillet. Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Puis, acquies­çant à la demande que Nous pré­sen­ta le sus­dit doyen des avo­cats consis­to­riaux au nom du même car­di­nal ponent, Nous avons pres­crit que l’on expé­diât ces pré­sentes Lettres décré­tales munies du sceau en plomb, et Nous avons ordon­né aux proto­notaires apos­to­liques de dres­ser l’acte offi­ciel pour fixer à jamais le sou­ve­nir de cette cano­ni­sa­tion. En outre, Nous remer­ciâmes le Tout-​Puissant pour un si grand bien­fait. Après avoir implo­ré pour la pre­mière fois l’intercession des nou­veaux saints mar­tyrs auprès de Dieu, Nous avons accor­dé à tous les fidèles pré­sents l’indul­gence plé­nière. Ensuite, Nous, avons com­men­cé d’offrir, selon le rite solen­nel, le Saint Sacrifice de la messe. Après la lec­ture de l’Evangile, adres­sant an cler­gé et au peuple une homé­lie, Nous avons pro­non­cé un bref éloge de ces mêmes saints mar­tyrs, et” très vive­ment exhor­té, non seule­ment les assis­tants qui se tenaient là dans l’attitude la plus reli­gieuse, mais encore tous ceux qui, dans le monde entier, étaient Nos fils dans le Christ, à orien­ter leurs esprits et leurs cœurs vers l’imitation des ver­tus de ces saints et à. implo­rer en faveur d’eux-mêmes et de l’Eglise leur patro­nage. Voici ce que Nous avons favo­ra­ble­ment augu­ré : par d’ardentes sup­pli­ca­tions, les fidèles s’efforceront sur­tout d’obtenir de Dieu, par l’entremise de ces deux pro­tec­teurs célestes, que la nation anglaise, consi­dé­rant quelle a été l’is­sue de leur vie, imite leur foi, et, à cause de cela, qu’elle revienne à Nous « dans l’unité de la foi et de la connais­sance du Fils de Dieu. ». Que ceux, avons-​Nous dit, qui sont encore sépa­rés de Nous consi­dèrent attenti­vement tes anciennes gloires de leur Eglise qui reflètent et accrois­sent au plus haut point les fastes glo­rieux de cette Eglise Romaine ; qu’ils consi­dèrent éga­le­ment, ce que Nous sou­hai­tons vive­ment, que ce Siège apos­to­lique les attend tous depuis long­temps pour les rece­voir, lorsqu’ils revien­dront enfin, non pas dans une demeure étran­gère, mais dans leur propre mai­son. Après la lec­ture de cette homé­lie, Nous avons, Dieu aidant, ter­mi­né la messe solennelle.

Après avoir exa­mi­né atten­ti­ve­ment tout ce qui devait être consi­déré, en pleine connais­sance de cause, en ver­tu de la plé­ni­tude de Notre pou­voir apos­to­lique. Nous confir­mons et cor­ro­bo­rons et à nou­veau Nous éta­blis­sons et décré­tons et fai­sons savoir à l’Eglise uni­ver­selle toutes et cha­cune des choses men­tion­nées ci-​dessus. En outre, Nous vou­lons que les copies ou les exem­plaires, même impri­més, de ces Lettres décré­tales, pour­vu cepen­dant qu’ils portent la signa­ture manus­crite et le sceau d’un notaire aposto­lique, obtiennent exac­te­ment la même créance que les pré­sentes Lettres obtien­draient si elles étaient elles-​mêmes pro­duites ou mon­trées. Que si quelqu’un s’avisait d’enfreindre ce que par ces Lettres décré­tâtes Nous défi­nis­sons, décré­tons, ins­cri­vons, man­dons, éta­blis­sons et vou­lons, ou bien était assez témé­raire pour oser s’y oppo­ser, qu’il sache qu’il encour­rait l’indignation du Dieu tout-​puissant et des bien­heu­reux apôtres Pierre et Paul.

Donné à Rome, près Saint-​Pierre ; le 19 mai, qua­trième dimanche après Pâques, en l’année 1935, de Notre Pontificat le quatorzième.

Moi, Pie, évêque de l’Eglise catholique.

(Suivent les signa­ture de dix-​sept cardinaux.)

Fr. Thomas-​Pie, O. P., card. Boggiani, Chancelier de la S. E. R. Camille card. Laurenti, Préfet de la S. Congrégation des Rites. Joseph Wilpert, doyen du Collège des Protonat. apostoliques

Source : Actes de S. S. Pie XI, t. XIII, p. 49, La Bonne Presse – A. A. S., vol. XXVIII, 1936, p. 185.

19 mai 1935
Prononcée à la Messe pontificale solennelle, après l'Evan­gile, le jour de la Canonisation des bienheureux mar­tyrs Jean Fisher et Thomas More
  • Pie XI
17 mai 1925
Prononcée à la canonisation solennelle de la Bienheureuse Thérèse de l'Enfant-Jésus
  • Pie XI
31 mai 1925
Prononcée à la canonisation solennelle des Bienheureux Confesseurs Jean-Baptiste M. Vianney et Jean Eudes
  • Pie XI
24 mai 1925
Prononcée à la canonisation solennelle des Bienheureuses Vierges Marie Madeleine Postel et Madeleine Sophie Barat
  • Pie XI